Les ouvriers de l’usine Clestra, en grève depuis le 3 juillet, organisent un barbecue solidaire, une rencontre avec la maire de Strasbourg mais surtout un grand rassemblement en présence de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, jeudi 24 août devant les locaux d’Illkirch-Graffenstaden.
En grève depuis sept semaines contre ce qu’ils estiment être un plan social déguisé mené par leur repreneur, le groupe Jestia, les ouvriers de Clestra intensifient leur mobilisation avec quatre rendez-vous publics. Vendredi 18 août à partir de 11h, ils proposent un barbecue solidaire devant les locaux de l’usine, au 1 route du Docteur Albert-Schweitzer à Illkirch-Graffenstaden. Une prise de parole est également prévue, lors de laquelle s’exprimeront les représentants CGT de Clestra et tous ceux qui le souhaitent.
Aux alentours du 22 août (la date doit encore être confirmée), les ouvriers espèrent rencontrer Jeanne Barseghian, maire (EE-LV) de Strasbourg et Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole. Le but de cette rencontre est « d’obtenir le soutien des élus locaux dans ce conflit », explique Amar Ladraa, responsable régional et fédéral de la CGT Métallurgie. Peu après, les syndicalistes de Clestra doivent s’entretenir avec un représentant du ministre de l’industrie Roland Lescure. « On aimerait que le ministère nous aide à trouver une issue, déclare Amar Ladraa. On souhaiterait également qu’ils demandent à la famille Jacot, à la tête de Jestia, pourquoi ils ne tiennent pas leurs engagements quant au maintien de toute l’activité et de tous les emplois de l’entreprise. »
Donner une dimension nationale
Jeudi 24 août, la lutte prendra une tournure nationale. À 11h, les ouvriers en grève de l’usine Clestra se rassembleront devant les locaux de l’entreprise pour protester contre le silence du groupe Jestia, comme chaque jour depuis sept semaines. Seulement cette fois-ci, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, et Fréderic Sanchez, secrétaire général de la CGT Métallurgie, seront également présents et apporteront leur soutien aux grévistes. Amar Ladraa se félicite de ce déplacement :
« Sophie Binet peut utiliser de son influence pour interpeller le gouvernement ou appeler à la solidarité. Après presque deux mois de grève, ça devient compliqué de tenir pour nombre de nos collègues. On a besoin de ça pour défendre notre position qui est juste et légitime. »
Les grévistes de Clestra, qui n’ont pas perçu de salaire en juillet ont ouvert une cagnotte. Après sept semaines de bataille, Amar Ladraa assure que « Tous les salariés sont toujours déterminés ».
Pour la quatrième fois en un an et un mois, la préfecture du Bas-Rhin a évacué les personnes installées sur la place de l’Étoile dans la matinée du jeudi 17 août 2023.
Les évacuations se suivent. En plus d’un an, la quatrième intervention des forces de l’ordre sur la place de l’Étoile a eu lieu en début de matinée ce jeudi 17 août. Mais cet énième démantèlement du camp de l’Étoile ne ressemble pas aux précédents. Un cordon a été déployé tout autour des tentes. Les responsables d’associations humanitaires, comme Les Petites Roues, ne peuvent accéder aux personnes sans-abris qu’elles aident régulièrement. Les journalistes aussi doivent attendre devant le ruban bleu blanc rouge. Plus d’une cinquantaine de personnes vivaient à quelques pas du centre administratif de la Ville de Strasbourg. Combien ont été prises en charge ? Vers quel gymnase ont-elles été amenées pour que leur situation administrative soit étudiée ? Sur place, police et préfecture refusent de répondre à ces questions.
Une évacuation en retard, des sans-abris exclus
Autre différence importante pour cette énième évacuation : l’heure de l’intervention des forces de l’ordre. D’ordinaire, ces démantèlements de camp ont lieu aux alentours de 6h. Plusieurs militants associatifs et habitants de la place étaient ainsi présents aux aurores ce matin, place de l’Étoile. Vers 7h30, ils ont fini par quitter les lieux en pensant que l’évacuation était reportée. Certains sont allés au travail, d’autres avaient un rendez-vous dans un centre pour personnes sans-abri ou chez un professionnel de santé.
Ainsi, vers 10h, une vingtaine de personnes patientaient derrière le cordon de police, demandant à être prises en charge dans le cadre de l’évacuation. Il y a un couple, dont la femme est enceinte de six mois. Un petit groupe de trois habitants du camp interpelle la police pour récupérer leurs affaires dans leurs tentes. « Je veux juste récupérer ma nourriture », clame l’un d’eux en anglais. Pas de réponse du policier face à lui.
« On est livré à nous-mêmes »
Parmi ces sans-abris qui n’étaient pas présents au moment de l’évacuation, Ahmed Ali explique avoir quitté les lieux en début de matinée pour chercher du travail. Derrière le cordon, il raconte un cycle absurde qu’il connaît bien :
« On appelle toujours le 115. Ils nous disent qu’ils nous hébergent mais ils ne nous hébergent pas car il n’y a pas de place. Une fois on nous a hébergé, on est resté deux semaines et on nous a dit « monsieur quittez les lieux ». « On dort ici depuis trois mois. Si on dort ici, c’est parce que c’est un lieu en sécurité. Il y a beaucoup de monde. Dans les autres secteurs, on se fait parfois agresser. On est livré à nous-mêmes. »
Sur les 115 personnes prises en charge, 39 ont refusé les propositions d’hébergement selon la préfecture. Sabine Carriou, présidente de l’association Les Petites roues, est en lien avec plusieurs de ces personnes :
« Il y a notamment des familles syriennes et afghanes, avec des gens qui avaient du travail ou des propositions d’emploi à Strasbourg. Les hébergements se trouvaient dans d’autres régions, dans des villages en Moselle par exemple. Ils ont été contraints de refuser. »
Lundi 14 août, 225 places « violettes » à 1€ l’heure, ont été ajoutées à l’offre de stationnement en voirie de Strasbourg. Très chères à partir d’une heure et demie, elles doivent permettre l’accès au centre-ville aux automobilistes grâce à une meilleure rotation.
Un euro pour se garer pendant une heure sur une place violette, c’est l’offre tarifaire simple que la Ville de Strasbourg cherche à populariser pour le stationnement en voirie dans l’hyper centre-ville depuis lundi 14 août (voir ci-dessous). Au delà, ça devient très cher puisque le quart d’heure supplémentaire coûte également un euro et qu’à partir d’1h30, c’est un dépassement de la durée maximale, facturé 35€.
Durée du stationnement
Prix
Jusqu’à 30 minutes
0,5€
De 30 mn à 1 heure
1€
De 1h à 1h30
2€
Au delà de 1h30 – forfait dépassement
35€
225 places violettes ont été créées pour cette première phase, avant que leur impact sur la fluidité du stationnement en ville soit évalué, après le Marché de Noël. Une consultation est en place jusqu’à cette date, sur le site participatif de la Ville de Strasbourg.
L’objectif de ces places est de permettre un accès aux commerces du centre-ville, en assurant leur rotation grâce à des tarifs très élevés au-delà d’une heure et demie d’occupation. Les places violettes ne sont pas non plus accessibles aux usagers abonnés au tarif résident.
Une mise en place délicate
Si les places sont déjà visibles, leur tarification ne débutera qu’au 1er septembre après une « phase de pédagogie » assure la Ville de Strasbourg. Pédagogie qui s’avère plus que nécessaire car le dispositif n’est pour l’instant pas clair pour tout le monde, selon nos observations.
Marie-Laurence Forrer, gérante d’une boutique de bijoux située rue du Temple-Neuf, « n’a rien compris à ce truc de la Ville ». Installée juste devant un des panneaux explicatifs, elle a pu récolter l’avis des gens depuis l’installation des places violettes, malgré elle :
« Je les entends depuis ce matin, c’est très drôle. Les gens viennent devant le panneau et sont abasourdis face aux prix affichés. Personne ne comprend, c’est une histoire de fou, ce truc. La rue est remplie d’habitude mais là, personne ne vient se garer car les gens ont peur de se prendre une amende. Personne n’arrive à payer non plus, rien ne marche. »
« Ils vont tuer le centre-ville »
Lundi, les commerçants rencontrés sont unanimes pour critiquer la mesure, pourtant instaurée pour eux, suite à une précédente augmentation des tarifs de stationnement. « On dirait que l’objectif est de complètement dégoûter les gens de venir en ville », s’offusque Marie-Laurence Forrer.
Les cavistes de Vino Strada, situé également rue du Temple-Neuf, ne sont pas non plus convaincus par les places violettes comme le détaille une des employées :
« Il faut moins de voitures en ville mais pas au détriment des petits commerces indépendants. Le prix du stationnement est exorbitant dans le centre-ville et on observe une baisse de la fréquentation pour la clientèle venant hors de Strasbourg. Les gens n’ont pas envie de chercher une place pendant des heures, pour ensuite la payer très cher. Ça risque d’être pire maintenant. »
Une habitante strasbourgeoise qui vient de se garer sur une de ces fameuses places déplore :
« Selon moi, tous les commerces vont fermer. Les gens n’iront plus au restaurant non plus maintenant. Personne ne va au restaurant pour une heure. 35€ de plus sur la note, c’est impossible… »
Marie-Laurence Forrer estime que la solution aurait été de mettre en place une première heure à prix réduit, voire gratuite, puis de garder les prix habituels au-delà. « On avait demandé de faire en sorte qu’il y ait une rotation mais, cette zone violette, ce n’est pas du tout ce qu’on voulait », affirme-t-elle, excédée.
Un sentiment que partagent les employées de Vino Strada. Également restauratrices, elles jugent sévèrement cette tarification :
« Il aurait fallu tout ou rien. Soit entièrement piétoniser l’espace et dans ce cas, on aurait pu augmenter la taille de notre terrasse et notre espace de vente, soit garder les voitures sur des places moins chères. Cet entre-deux est un compromis un peu mou. »
Dans la nuit du 14 au 15 août et dans la matinée du 16 août, des policiers nationaux ont demandé aux occupants du 10 rue de Sarlat de quitter les lieux. Une quarantaine de sans-abris squattent ce bâtiment depuis avril 2023. Les agents ont fini par renoncer suite à l’intervention d’une avocate et de militants.
« Le bâtiment est désaffecté, donc il faut sortir de l’appartement. Vous prenez vos affaires et vous dégagez, maintenant. (…) Vous partez sinon c’est garde à vue. Vous mettez des habits et vous partez. » Ce mercredi 16 août, peu après 7 heures du matin, les occupants d’un squat situé dans le quartier du Neuhof ont été réveillés par le bruit d’une sonnette incessante suivi d’un ordre de quitter les lieux.
La scène se déroule au 10 rue de Sarlat, un bâtiment en instance de démolition squatté depuis avril 2023 par des personnes sans-abri, principalement d’origine géorgienne, présents également dans les immeubles voisins au 14 et au 18 rue de Sarlat. Des habitants ont filmé la procédure employée par les policiers. Les vidéos montrent des agents toquer aux portes et ordonner aux personnes présentes de quitter les lieux, sans entrer dans les logements.
C’est la deuxième fois en deux jours que les occupants du 10 rue de Sarlat reçoivent cette visite de la police. Dans la nuit du 14 au 15 août, après minuit, une quarantaine de personnes, dont quatre familles avec des enfants, se sont retrouvées dehors en pleine nuit, à la demande des forces de l’ordre.
Une évacuation d’un squat doit être décidée par un juge
Me Sophie Schweitzer représente les habitants du squat face aux procédures d’expulsion initiées par le propriétaire des bâtiments, le bailleur social Habitation Moderne. L’avocate est arrivée sur place peu après minuit :
« Quand je suis arrivée, plusieurs personnes étaient déjà dehors avec leurs affaires. Il y avait au moins quatre véhicules de police et une quinzaine d’agents. Je leur ai demandé quel était le cadre de leur mission. Ils n’ont pas su me répondre. Il n’y a aucune procédure ni pénale, ni civile, qui justifie cela. Une évacuation de squat nécessite la décision d’un juge. Il n’y aucune décision à ce jour pour le 10 rue de Sarlat. Sur place, j’ai appelé le 17 pour demander ce qu’il se passait, et la personne que j’ai eue au téléphone a dit qu’elle allait voir avec sa hiérarchie.
Après cela, au bout de quelques minutes, les policiers sont repartis et les personnes ont pu rentrer chez elles. Cela montre bien qu’ils ne pouvaient pas vraiment faire évacuer le bâtiment. D’ailleurs, même s’ils en avaient l’autorisation, le faire en pleine nuit sans prévenir aurait été inacceptable. »
Une décision de justice qui ne concerne pas le 10 rue de Sarlat
Dans une ordonnance du 28 juin 2023, le tribunal judiciaire de Strasbourg avait ordonné l’expulsion de six occupants et occupantes du squat Sarlat. Mais les habitants concernés vivent au 12, au 14, au 20 et au 22 rue de Sarlat. Ce sont pourtant les appartements du 10 rue de Sarlat qui ont fait l’objet d’opérations de police.
Alertée par des occupants sur l’intervention des forces de l’ordre, Sabine Carriou, présidente de l’association Les petites roues, est arrivée vers 7h30 :
« Cette fois, les habitants ont refusé de sortir comme ils savaient qu’ils n’y étaient pas obligés. Les policiers étaient quatre ou cinq. Ils ont juste sonné et toqué avec insistance en demandant aux gens d’évacuer. Ils avaient l’air gênés quand on leur a demandé pourquoi ils faisaient ça, mais ça les a calmés qu’on soit là. Finalement, ils sont repartis comme rien ne se passait. »
Une nouvelle procédure d’expulsion en cours
Le propriétaire des lieux, Habitation Moderne, assure que « les interventions récentes des forces de l’ordre visent à empêcher l’installation d’occupants supplémentaires, de nouvelles tentatives d’intrusions ayant été signalées ». Le bailleur fait référence à une tentative d’ouverture d’un autre bâtiment vide au 8 rue de Sarlat, mais le site a été évacué quelques heures après l’intrusion, le 14 août.
Habitation Moderne rappelle aussi « avoir initié les suites adaptées en lien avec les autorités judiciaires » pour expulser les occupants qui ne sont pas concernés par l’ordonnance d’expulsion du 28 juin. Le bailleur social n’a pas souhaité communiquer plus de détails sur cette procédure.
« Cette façon de faire crée une grande angoisse »
Fleur Laronze, élue communiste de la Collectivité européenne d’Alsace, était également au 10 rue de Sarlat ce 16 août. Elle dénonce une « opération très opaque » :
« Cette façon de faire crée une grande angoisse chez des personnes qui sont déjà en détresse. Elles sont dans ces logements insalubres parce qu’elles n’ont pas d’autre solution, et qu’on leur refuse un hébergement d’urgence lorsqu’elles appellent le 115, c’est une catastrophe. »
La Ville de Strasbourg, actionnaire majoritaire de Habitation Moderne, indique simplement que ces opérations de police relèvent de l’État. Interrogée sur cette procédure, la police nationale a redirigé Rue89 Strasbourg vers la préfecture, qui n’a pas donné suite à notre sollicitation.
Une semaine après le drame du gîte de Wintzenheim, qui a fait onze morts, l’enquête judiciaire est dotée de moyens importants. La ministre en charge des personnes handicapées a lancé une enquête administrative.
Mardi 15 août, le parquet de Paris a annoncé à l’Agence France presse (AFP) que deux juges d’instruction ont été saisis pour enquêter sur l’incendie d’un gîte à Wintzenheim. Le drame a eu lieu dans la matinée du mercredi 9 août et a provoqué la mort de dix adultes en situation de handicap léger et d’un accompagnateur. Le parquet de Colmar, territorialement compétent, a sollicité le parquet de Paris pour mener l’enquête pénale, grâce notamment à son Pôle des accidents collectifs.
L’information judiciaire a été ouverte pour homicides et blessures involontaires aggravés par la violation d’une obligation de sécurité ou de prudence. L’objectif de cette enquête judiciaire menée par deux magistrats est d’établir les causes de l’incendie, ainsi que des responsabilités pénales ou civiles des propriétaires du gîte, des associations organisatrices, etc.
Une enquête administrative sur l’agrément d’Oxygène
Lundi 14 août, Fadila Khattabi, ministre chargée des personnes handicapées, a annoncé aux journaux du groupe Ebra (dont les DNA et L’Alsace) l’ouverture d’une enquête administrative, menée par l’Inspection générale de affaires sociales (Igas), sur l’incendie de Wintzenheim. La ministre a promis « la vérité et rien que la vérité » aux victimes et de rendre publics les résultats de cette enquête, qui devrait se terminer en septembre.
Cette enquête devra notamment répondre aux questions sur les autorisations et les agréments dont disposaient les organismes impliqués dans le drame : ceux de l’agence Oxygène qui a organisé le séjour, et ceux de la propriétaire du bâtiment. Le 10 août, Rue89 Strasbourg avait révélé qu’Oxygène ne disposait que d’un agrément temporaire pour organiser le séjour à Wintzenheim.
« Clestra : une résistance ouvrière » – épisode 2. Les ouvriers de l’usine Clestra portent des charges lourdes et exécutent des gestes répétitifs quotidiennement. Alors qu’ils sont en grève pour sauver leur emploi depuis début juillet, l’impact de leur travail sur leur état de santé augmente le sentiment d’injustice.
« On est tous rentrés en bonne santé, on ressort tous claqués ! », martèle Abdelmalik, employé de l’usine Clestra depuis bientôt 29 ans, présent sur le piquet de grève du jeudi 10 août. Depuis début juillet, il est mobilisé avec ses collègues pour sauver son emploi, après la reprise de l’entreprise fin 2022 par le groupe Jestia.
Opéré trois fois de la colonne vertébrale en six ans à cause d’un tassement des vertèbres, Abdelmalik a échappé de peu à la paralysie. Ce n’est malheureusement pas le seul problème de santé dont il est victime. Souffrant d’une double hernie abdominale, une nouvelle opération est prévue dans les prochains mois. Des problèmes d’usure, dus au port de charges lourdes, auxquels de nombreux employés de Clestra sont sujets. Âgé de 54 ans, il trouve difficile de suivre le rythme désormais :
« On n’a plus 20 ans. Donc, quand la charge de travail augmente et qu’on doit bosser du lundi au samedi midi, on prend un sacré coup. Quand on revient le lundi suivant, on est encore éclatés. On n’a pas le temps de se reposer et le corps ne récupère pas. »
Abdelmalik, en pantalon malgré le grand soleil et les fortes chaleurs, confie : « Il y a de ça 10 ans, je me suis planté une agrafe d’environ 8 cm dans le tibia. Depuis, ça n’a toujours pas cicatrisé. Je pense que c’est lié aux nombreux chocs pendant le travail. Il arrive régulièrement que je me remette à saigner. » Il conclut, inquiet : « J’ai peur d’attraper une gangrène et de devoir me faire amputer… »
Marc, 44 ans, est employé de Clestra depuis 18 ans. Il ironise en annonçant qu’il détient « le record d’accidents du travail dans l’entreprise ». Contraint de porter des broches et des vis dans la cheville et dans l’épaule, il déclare : « Je vais avoir des problèmes de santé toute ma vie, sur le long terme. J’ai des douleurs fréquentes, quand je porte trop, ou que je marche trop, tout simplement. » Cheville écrasée entre une machine et des palettes, poignet agrafé, pied cassé… Après cinq accidents du travail, il ne reste plus grand chose d’indemne chez Marc.
Forcés d’exécuter des gestes répétitifs toute la journée, plusieurs salariés de Clestra souffrent de tendinites au sein de l’entreprise, selon les ouvriers. « Il y en a plein partout dans l’usine », affirme Bertrand (prénom modifié), qui s’est justement fait opérer de l’épaule le 20 juillet, suite à une tendinite : « J’ai des vis dans l’épaule car elle se déboitait tout le temps. Je suis foutu, j’aurai des problèmes toute ma vie. »
« C’est trop, on nous en demande trop »
Chez Clestra, d’après les employés, les accidents du travail sont fréquents. Selon Abdelmalik, en 2018, il y a eu trois accidents du travail sur un même poste, dans la même semaine. Un problème qui viendrait, selon les employés, de la charge de travail : « C’est trop, on nous en demande trop », balaye-t-il. Les grévistes font également part d’un problème de sous-effectif fréquent, notamment Abdelmalik, qui témoigne :
« À la base, on nous impose le travail en binôme pour des questions de sécurité. Mais ça arrive souvent qu’on se retrouve seul sur un poste. Il y a deux ou trois ans de ça, je suis resté une semaine entière à travailler tout seul. Le responsable passait et je lui disais que j’avais besoin de quelqu’un pour travailler avec moi, je ne m’en sortais pas tout seul. Mais il n’a rien fait. »
Face aux licenciements et démissions récentes suite au rachat de l’entreprise par le groupe Jestia, les grévistes craignent que ce sous-effectif ne s’aggrave encore. Par exemple, les ouvriers assurent qu’ils étaient « huit dans le secteur de l’emballage il y a quelques années », contre seulement « deux ou trois ces derniers mois, pour assurer la même charge de travail ». « Déjà que c’était dur avant, maintenant qu’ils veulent supprimer des emplois, ça risque d’être encore pire », souffle Abdelmalik, dépité. Le groupe Jestia, mutique depuis le début de la crise début juillet, n’a pas répondu aux sollicitations de Rue89 Strasbourg.
Selon les ouvriers présents au piquet de grève, dès son arrivée au sein de l’entreprise, la direction a supprimé le poste d’infirmerie. Aujourd’hui, seul un secouriste est présent sur le site, qui n’est ni infirmier, ni médecin. Les ouvriers se retrouvent donc obligés de prendre cette responsabilité en cas de problème. Il y a quelques semaines, alors qu’un des employés s’était planté un clou dans le doigt, un de ses collègues a été forcé de prendre sa voiture personnelle pour l’emmener à l’hôpital, sur ses heures de travail, racontent plusieurs grévistes.
« Changer de métier, j’y pense tous les jours »
Pour la plupart pères de famille, certains ouvriers de Clestra se disent contrains de continuer dans cette entreprise pour des questions financières. « Je suis presque handicapé mais je travaille encore. J’ai besoin de cet argent… », confie l’un des grévistes. Père de six enfants, Abdelmalik poursuit, désabusé :
« Changer de métier, j’y pense tous les jours. Mais il y a les factures derrière, le loyer, la pension alimentaire… Il y a tellement de choses à payer. »
« À chaque arrêt suite à mes accidents, je suis revenu au travail plus tôt », déclare Marc. Et il n’est pas le seul à avoir fait ce type de concession. « Je ne compte plus les fois où je suis venu travailler alors que j’avais mal partout. Je ne voulais pas me mettre en arrêt », raconte Bertrand, agacé. « Si on pousse autant, c’est pour faire gonfler le salaire. Avec les heures supplémentaires, on a des primes d’activité. Sans ça, on serait au Smic », explique Abdelmalik. Des primes non négligeables pour les ouvriers, que la nouvelle direction aurait pour objectif de supprimer, selon les grévistes.
Face à la gestion de la nouvelle direction, nombre de salariés regrettent d’avoir mis leur santé en danger pour l’entreprise. « Au vu de ce qu’il se passe aujourd’hui, je regrette d’avoir autant donné. Si je devais recommencer, je me poserais deux fois la question… », confie Marc. Un avis partagé par son collège Abdelmalik : « Si je devais le refaire, avec toute la connaissance d’aujourd’hui, jamais je le referais », déclare-t-il. Après une courte réflexion, il conclut : « Franchement, j’ai foncé droit dans le mur… »
Deux ans et demi après le meurtre d’un gitan espagnol de 38 ans, l’association Lupovino et le collectif « Les Passeurs » mènent un projet artistique impliquant les habitants du Polygone pour essayer d’apaiser les tensions persistantes dans le quartier depuis le drame.
Installés dans l’allée principale du quartier Polygone, entre le Neudorf et le Neuhof au sud de Strasbourg, les artistes de la compagnie Les Passeurs, peignent minutieusement, sous le regard attentif de quelques habitants. Pots, rouleaux et bombes aérosols sont posés sur une grande bâche. Pendant que Amoor, graffeur strasbourgeois, s’occupe de la peinture, Jimmy, lui, place le scotch. Présents du lundi 24 juillet au vendredi 4 août, Amoor et Jimmy taguent toutes sortes de symboles des communautés présentes au Polygone (manouches, gitans espagnols, yéniches). Des caravanes, des roulottes et des hérissons… mais aussi des phrases, recueillies par l’écrivain David Gallon lors de ses conversations avec les habitants du quartier. Ainsi « Je vis avec enfants, parents et grands parents pour continuer de grandir » sera inscrit sur une des fresques du quartier, en manouche.
L’association Lupovino, qui gère le centre socioculturel du Polygone, a lancé cette initiative artistique en collaboration avec la compagnie de théâtre de rue Les Passeurs en juillet 2022. Le projet, intitulé « Habitons ensemble le Polygone, Figures Communes », doit se poursuivre pendant deux à trois ans. L’objectif : atténuer les tensions entre communautés au sein du quartier, comme l’explique David Picard, directeur artistique du projet et membre de Les Passeurs :
« En créant et en faisant quelque chose tous ensemble, avec un sens, les habitants s’attachent à une œuvre commune. Nous espérons que cela aidera à dépasser les préjugés et à aller vers l’autre. »
Un meurtre à l’origine des divisions
Dans le Polygone, la tension entre manouches et gitans espagnols n’est jamais vraiment retombée depuis un drame survenu le 1er janvier 2021. Ce jour-là, au petit matin, un gitan espagnol de 38 ans est tué, rue de l’Aéropostale. Au cours de la soirée du Nouvel an, l’homme avait percuté en voiture une jeune manouche de 17 ans. Il s’en est suivie une rixe au cours de laquelle le conducteur a été tué par arme à feu.
Dans le quartier depuis 49 ans, Antonio (le prénom a été changé), un résident manouche du quartier, regrette l’époque où il y avait une bonne entente entre les habitants : « Bien sûr qu’on souhaite un apaisement. Surtout pour la nouvelle génération, on ne veut pas qu’ils grandissent dans des tensions comme ça », confie-t-il avant de poursuivre, nostalgique : « Avant le drame, on jouait aux boules. On faisait tout ensemble. L’espoir, c’est qu’on se retrouve comme avant et qu’on ait une bonne entente ».
Mais les interactions entre manouches et gitans espagnols sont rares. David Picard raconte notamment que les enfants qui peignaient aux côtés des artistes se sont arrêtés lorsque l’activité s’est poursuivie dans la partie du quartier occupée par une autre communauté. « Il y a des frontières dans le quartier et tout le monde ne se sent pas le bienvenu partout », affirme-t-il. Signe de l’atmosphère tendue, certains habitants interrogés n’ont pas souhaité répondre, par crainte d’alimenter des querelles et de subir des représailles.
Une méfiance transformée en engouement
Les habitants du Polygone n’ont pas tout de suite été convaincus par le projet. Mais selon Nathan Grassaud, chargé de projet territorial à Lupovino, maintenant que le projet est en cours, certains habitants commencent à s’impliquer et aident à la réalisation des fresques. Dans l’après-midi du mercredi 26 juillet, Les Passeurs ont commencé le travail en posant des repères sur un mur. Les enfants ont alors enfilé des combinaisons et peint aux côtés des artistes, heureux de pouvoir participer.
Le lendemain, les artistes ont terminé la fresque. Si les enfants n’étaient plus là pour peindre, les parents se sont arrêtés pour poser quelques questions à Amoor ou à David, qu’ils connaissent désormais. Une femme manouche âgée d’environ 60 ans a ainsi demandé à David pourquoi ils ne peignaient pas sur sa façade, qui se situe pourtant au centre du quartier, à la vue de tous. David ironise : « Au début, personne ne voulait des fresques. Maintenant, tout le monde en veut ! »
Dans une ambiance détendue, les habitants du Polygone s’arrêtent volontiers pour observer les artistes. « Ça dépasse ici ! », lance un résident. « Ce n’est pas encore fini ! », répond alors Amoor. Un autre habitant du Polygone, assis sur son vélo, s’écrit : « Mais je reconnais la caravane ! Elle vient d’ici ! Elle date des années 70, je la connais bien. » Amoor confirme : il s’est inspiré d’une caravane présente dans le quartier pour réaliser son œuvre.
« Ça donne de la joie dans le quartier »
Plusieurs habitants du Polygone s’accordent pour louer l’initiative. « Ce projet, c’est formidable. C’est merveilleux. Ça donne de la joie dans le quartier », confie Antonio. Un avis que partage un gitan espagnol, arrivé ici en 2014 : « Le quartier est gris et terne, ça ajoute de la gaité. Vous savez, nous, on est espagnols, on aime les couleurs vives. On n’a que ça dans la vie. »
Alors qu’il regarde les artistes en plein travail, un autre habitant du Polygone lance à David : « J’espère que les jeunes ne viendront pas taguer dessus. Si j’en vois un faire, je lui tire les oreilles. Moi j’aime bien ces fresques, je veux que ça reste comme ça. »
Vendredi matin, en arrivant sur place, les artistes remarquent que la fresque centrale a été recouverte au marqueur pendant la nuit. Déçus, ils continuent leur journée. Plus tard, en revenant sur les lieux, les artistes sont agréablement surpris : plusieurs papas du quartier sont réunis et sont déjà en train de repeindre pour effacer les tags. L’inauguration des fresques devrait avoir lieu en octobre, lors d’un grand repas organisé dans le quartier.
Une cinquantaine de sans-abris pensaient avoir trouvé un refuge dans un bâtiment inoccupé du Neuhof dimanche 13 août. Mais la police a évacué le site le lendemain vers 14h30.
Dans la soirée du 13 août, vers 21h, des sans-abris sont rentrés dans un bâtiment vide et en instance de démolition au 8 rue de Sarlat, dans le quartier du Neuhof à Strasbourg. Le site se trouve dans le même ensemble d’immeubles que le squat Sarlat, où vivent au moins 70 familles sans autre solution d’hébergement depuis avril.
En tout, une cinquantaine de personnes supplémentaires, d’origine géorgienne, dont une dizaine d’enfants, ont cherché à s’y installer dimanche soir. Des policiers sont rapidement arrivés sur place, deux hommes ont été arrêtés à cette occasion puis les agents sont repartis. Les sans-abris ont pu passer la nuit de dimanche à lundi sous un toit.
Au matin du lundi 14 août, les nouveaux habitants commencent à nettoyer des appartements plus ou moins insalubres, sans eau courante ni électricité. Quelques pièces sont tout de même en bon état et habitables.
Nicolas et Nita, les enfants de Diana, jouent devant l’immeuble, contents d’avoir trouvé une solution après avoir dormi pendant trois mois au camp de l’Étoile. Ce dernier devrait à nouveau être évacué courant août, une décision en ce sens du tribunal administratif de Strasbourg le 7 août ayant donné huit jours de délai aux occupants et aux autorités.
Diana surveillait Nicolas et Nita pendant qu’ils jouaient. (Photo TV / Rue89 Strasbourg) Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc
Pas d’hébergement au 115
Toutes les personnes présentes devant l’immeuble disent dormir dans des tentes ou des voitures. Venue en France avec son fils de 17 ans, Maya explique en anglais qu’elle est contrainte d’occuper ce bâtiment pour ne pas dormir dehors : « Tous les jours j’appelle le 115 (le numéro pour demander un hébergement d’urgence, NDLR), ils disent qu’ils n’ont pas de place. »
Sans autre solution, de nombreux sans-abris tentent d’occuper des bâtiments vides. Photo : TV / Rue89 Strasbourg
À 12h15, un premier fourgon de police se gare devant le 8 rue de Sarlat, avant d’être rejoint quelques minutes plus tard par un, puis deux autres véhicules. Aux alentours de 14h30, les forces de l’ordre évacuent le site. Les sans-abris devront retourner dormir dans la rue.
Leon se réjouissait de dormir à l’intérieur. Photo : TV / Rue89 Strasbourg
D’après deux personnes présentes sur les lieux lors de l’évacuation, des occupants ont été arrêtés par les policiers. Contactée, la police nationale n’a pas répondu à nos demandes de confirmation.
Le bailleur social Habitation Moderne, propriétaire des lieux, la préfecture et la Ville de Strasbourg, actionnaire majoritaire d’Habitation Moderne, n’ont pas donné suite à notre sollicitation au moment de publier cet article.
« Clestra : une résistance ouvrière » – épisode 1. Les salariés de l’usine Clestra ont entamé une grève début juillet suite au licenciement d’un de leurs collègues. En défendant collectivement leurs emplois, ces ouvriers de différentes origines luttent aussi pour conserver leur « deuxième famille ».
L’un aurait dû être au Portugal, l’autre en Algérie. Mais ce mardi 8 août, les deux ouvriers de Clestra tiennent le piquet de grève devant l’entreprise de cloisons de bureaux à Illkirch-Graffenstaden. « L’usine est fermée actuellement. On aurait dû être en vacances, » souligne Philippe, salarié de la société depuis 33 ans. Au lieu de ça, l’employé au pôle assemblage et sa femme, Marie-José, ont décidé de soutenir le mouvement social. Le couple compte parmi la vingtaine de salariés à s’être réunis pour marquer la sixième semaine de grève et partager un barbecue.
L’entreprise Clestra est un lieu de sociabilisation et de fierté pour ces grévistes. Photo : Prunelle Menu / Rue 89 Strasbourg
Penser collectif face à « l’injustice »
Après quelques poignées de mains et des échanges de sourires, les grévistes se remémorent le début du mouvement. Le dimanche 2 juillet 2023, Djibril (le prénom a été modifié) a reçu un e-mail lui interdisant l’entrée sur le site. Du jour au lendemain, il a été licencié « pour faute grave ». La direction aurait mis en avant des pauses trop longues et un téléphone consulté pendant les heures de travail.
N’ayant reçu aucun avertissement, les collègues de Djibril et le syndicat CGT dénoncent un licenciement abusif. « Ça s’est fait de façon brutal, sans considération et sans respect, » juge Amar Ladraa, délégué syndical CGT Métallurgie Grand Est. L’épisode a marqué les ouvriers, qui ont décidé de se mettre en grève. « C’est normal d’être solidaire avec les autres parties d’une même équipe », lance Bertrand (le prénom a été modifié) qui porte un t-shirt bleu de l’entreprise Clestra. « On a des origines différentes mais on est tous dans le même monde », ajoute-il.
« On endure les coups ensemble »
« Le soutien des collègues m’a beaucoup touché. Ici, c’est la famille. Je ne veux pas bosser ailleurs », raconte Djibril qui est encore très attaché au collectif des travailleurs de Clestra. Embauché en 2019, il ne s’attendait pas à être viré quatre ans plus tard. « C’est venu comme ça, bam ! Aujourd’hui, mon compte bancaire est dans le négatif. Je ne sais pas comment je vais payer mon loyer. » Père de deux enfants, Djibril voudrait retrouver un travail et un quotidien apaisé.
Depuis la reprise de l’entreprise par le groupe Jestia en octobre 2022, les ouvriers attendent des garanties sur le maintien de leurs postes. Avec le déménagement de la production prévu, les grévistes craignent qu’une partie des emplois se perdent, d’autant que les futurs locaux situés Port-du-Rhin sont plus petits que l’usine à Illkirch-Graffenstaden. Les ouvriers dénoncent un manque de communication de leur hiérarchie. « La direction aurait sans doute bien aimé qu’on soit désuni, explique Philippe, mais ça fait des années qu’on se connaît, alors on endure les coups ensemble. »
Les mêmes galères quotidiennes
Des salariés d’origine turque, algérienne ou encore portugaise travaillent depuis plusieurs générations au sein de l’entreprise. « Ils ont tous le même vécu, les mêmes galères quotidiennes, résume le syndicaliste Amar Ladraa, ils connaissent la difficulté des fins de mois, la pression. Ils vivent déjà dans des situations difficiles où le taux de chômage explose. C’est ce qui fait qu’ils sont solidaires et déterminés dans cette grève. » Selon le délégué syndical CGT, 90% des grévistes habitent dans les mêmes quartiers populaires de Strasbourg, comme la Meinau, le Neuhof, Hautepierre, Koenigshoffen, ou à Lingolsheim et Illkirch-Graffenstaden.
Au moins trois barbecues solidaires ont été organisés depuis le début de la grève. (Photo Prunelle Menu / Rue89 Strasbourg)Photo : Prunelle Menu / Rue 89 Strasbourg
« À l’origine, la boîte était très sociale »
L’entreprise métallurgique Clestra Hausermann, qui existe depuis 110 ans, est aussi un lieu de sociabilisation et de fierté pour ces grévistes. « À l’origine, la boîte était très sociale. Le comité d’entreprise organisait des fêtes de Noël ou des remises de médailles. Il y avait une réelle relation entre le patron et le personnel : on était informé sur les conditions de travail, il y avait une infirmerie. On est passé d’une situation normale d’entreprise à un véritable cauchemar », commence Philippe.
Ce rapport de proximité dépassait le cadre de l’entreprise. « Quand l’usine était installée à Koenigshoffen, c’était une autre ambiance ! On se rencontrait entre mamans et on se connaissait un peu toutes. On allait faire des sorties à Europa Park ou on allait aux concours de pêche avec les enfants des collègues de mon mari », se remémore Marie-José.
Avec le déménagement de l’entreprise à Illkirch-Graffenstaden en 2011, certains ouvriers ont dû déménager et les sorties se sont raréfiées. Néanmoins, une partie des salariés a continué d’organiser des moments de convivialité, comme ces barbecues solidaires, qu’ils organisent spontanément via un groupe de conversation commun sur Whatsapp.
Le syndicat CGT Métallurgie soutient le mouvement depuis le début de la grève. Photo : Prunelle Menu / Rue89 Strasbourg
Chaises de camping, baguettes, sodas… Chacun contribue à l’installation du barbecue en continuant la conversation sous le barnum. Derrière les salariés de Clestra, quelques camions emportent déjà des machines de production. Les ouvriers s’apprêtent à passer à table. Amar Ladraa conclut sur l’évolution de cette entreprise importante pour les habitants des quartiers populaires de Strasbourg et des environs :
« C’est une des dernières entreprises industrielles qui se trouvent encore sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg. C’est aussi pour ça qu’on interpelle la mairie depuis de nombreuses années : on aimerait qu’ils prennent en compte la particularité qu’est Clestra. C’est une entreprise importante pour cette population qui habite dans les quartiers populaires de Strasbourg. »
Jusqu’au 15 septembre, Stimultania expose « L’île naufragée » de Richard Pak et « Les particules » de Manon Lanjouère. Par un travail photographique et scientifique, ces deux séries mettent en lumière deux pollutions désastreuses.
Jusqu’au 15 septembre, le pôle photographie Stimultania plonge ses visiteurs dans les œuvres des deux derniers lauréats du prix Photographie et Sciences. Le projet « L’île naufragée » de Richard Pak met en lumière la contamination au phosphate de l’État insulaire de Nauru. L’exposition de Manon Lanjouère, « Les particules », révèle une pollution indiscernable à l’œil nu mais tout aussi dramatique : les micro-plastiques qui peuplent l’océan et qui menacent ses micro-organismes. La photographe imagine un scénario où le plastique aura remplacé ces êtres vivants essentiels à la survie de l’espèce humaine.
Richard Pak emplit une partie de ses négatifs d’une solution phosphorique : une image elle-même contaminée, à l’image de l’île de Nauru. Photo : Richard Pak
Un paradis ravagé par sa richesse
Après avoir bataillé pour obtenir un visa, Richard Pak a pu se rendre sur l’île de Nauru pour raconter l’histoire la plus petite république du globe (21 km²) située en Micronésie dans l’océan Pacifique. Avec la série photographique « L’île naufragée », le lauréat du prix Photographie et Science en 2021 pose ce petit pays comme une « allégorie du monde ».
Cet État insulaire de Nauru a connu la prospérité avant de devenir l’un des pays les plus pauvres au monde. Ses terres étaient gorgées de phosphate, un élément essentiel pour les engrais utilisés dans l’agriculture intensive. Mais aujourd’hui, l’exploitation du phosphate a cessé. L’exposition nous fait ainsi entrer dans l’île par le biais d’un panneau flouté où se devine tout juste la silhouette de quelques palmiers et la couleur turquoise de l’eau, surplombé par des portraits de Nauruanes à la longue chevelure ornée de fleurs tropicales.
Au milieu du fléau, une série de portraits d’enfants semble flotter au-dessus de l’eau, grâce à une vitesse d’obturation maîtrisée à la perfection Photo : Stimultania
L’aspect paradisiaque n’est qu’un leurre. Très vite, la série photographique dépeint un tout autre tableau. Les paysages sont affadis, dévastés, et les formations rocheuses semblent crier au désespoir. En face de ces horizons désolés, une succession de clichés rend compte de l’aspect désertique de Nauru : des carcasses de voitures laissées sur les bas côtés, des commerces qui ont mis la clé sous la porte, une myriade de stations-essences qui ne sont plus approvisionnées depuis longtemps.
Mise en abîme du désastre écologique
Le phosphate, devenu part entière du décor insulaire, se répand jusqu’aux négatifs de Richard Pak. Ceux qui ont capturé les gisements de son ancienne exploitation sont plongés dans une solution d’acide phosphorique. La technique du trempage emplit le cliché d’un rouge vermillon. En renversant des gouttelettes d’acide, le résultat est tout aussi bluffant, avec l’apparition sur le cliché d’un dôme de taches écarlates flottant au-dessus de l’État insulaire.
Le rouge désoriantant de l’acide phosphorique semble faire saigner la terre de Nauru Photo : Richard Pak
La saisie de l’insaisissable
Manon Lanjouère, lauréate du prix Photographie et Sciences 2022, s’est passionnée pour un tout autre univers. Par des discussions avec des scientifiques et une exploration visuelle, la photographe a appris la composition du phytoplancton – son ADN et ses mécanismes de photosynthèse – et son rôle dans l’organisation de notre écosystème.
Certains modèles de phytoplanctons photographiés par Manon Lanjouère font partie de l’exposition au Stimultania Photo : Stimultania
Ces peuples invisibles sont à l’origine de 40% de l’absorption du dioxyde de carbone et 60% de la production d’oxygène. Aujourd’hui, ils cohabitent avec les micro-plastiques, plus nombreux encore que les étoiles de notre galaxie. En récupérant des matériaux plastiques sur les plages ou dans les poubelles, l’artiste compose avec le monde de demain et imagine un plastique qui aurait remplacé la structure de ces phytoplanctons. Un voyage dans les limbes océaniques qui jongle entre le sublime et le fléau.
La photographe renomme le phytoplancton par le matériel plastique utilisé pour reproduire sa forme Photo : Manon Lanjouère Manon Lanjouère ajoute de la peinture fluorescente pour rappeler la bioluminescence de certaines espèces de planctons (Photo Manon Lanjouère)
Photo : Roxanne Machecourt / Rue89 Strasbourg / cc
Le procureur de la République de Colmar s’est dessaisie samedi de l’enquête sur l’incendie du gîte de Wintzenheim, pour la confier au parquet de Paris, qui dispose des moyens nécessaires pour enquêter sur des accidents ayant provoqué de nombreuses victimes.
Dans un communiqué publié samedi 12 août, la procureure de la République de Colmar, Nathalie Kielwasser, annonce qu’elle a sollicité la saisine du pôle des accidents collectifs du parquet de Paris pour poursuivre les investigations sur l’incendie du gîte de Wintzenheim survenu mercredi 9 août. Ce drame a fait 11 victimes parmi les 28 personnes présentes, 10 vacanciers en situation de handicap mental léger et un accompagnateur sont décédés.
« Au regard du nombre de victimes, réparties sur le territoire national, et de l’ampleur des investigations à venir, la saisine du pôle des accidents collectifs du parquet de Paris a été sollicitée par le parquet de Colmar en accord avec les parquets généraux de Paris et Colmar », indique le communiqué.
Le feu a entièrement détruit le bâtiment Photo : Roxanne Machecourt / Rue89 Strasbourg / cc
Le communiqué du parquet de Colmar précise que « deux accompagnateurs et trois vacanciers ont réchappé du feu et ont pu sortir d’hospitalisation dans la journée de samedi. Elles ont été accompagnées par la protection civile, une cellule d’urgence médico-psychologique et les associations d’aide aux victimes. Entendues sur place, elles ont été raccompagnées vers leurs lieux de vie habituels ».
Le communiqué indique qu’une « enquête préliminaire des chefs d’homicides et de blessures involontaires aggravés par la violation d’une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement » a été ouverte par le parquet de Paris, afin de « déterminer les causes précises de l’incendie et les éventuelles responsabilités pénales ». Des questions se posent quant à la capacité du gîte d’accueillir ce type de séjour et de public, et sur l’agrément dont disposait l’association organisatrice (voir notre article).
Du vendredi 25 au dimanche 27 août, le festival Longevity s’installe au Jardin des Deux-Rives avec une programmation teintée de notes house, disco et funk. Les plus pressés pourront apprécier une avant-première gratuite dès ce samedi 12 août.
Fondé en 2013 et développé par une équipe franco-allemande, le festival Longevity s’installe au Jardin des Deux-Rives du vendredi 25 au dimanche 27 août. Pour cette neuvième édition, une vingtaine d’artistes sont programmés pour des soirées pleine d’une musique électronique exaltante, pêchue et groovy.
La musique électronique au cœur du réacteur
Tous influencés par la musique house des années 90, les artistes programmés ont un objectif clair. Directeur du festival Longevity, Guillaume Azambre a mis l’accent sur la dimension festive de l’événement cette année :
« C’est tout l’art du DJing : des artistes qui, en amont, dénichent des pépites dans l’unique but de faire oublier aux gens leur quotidien et de leur faire vivre ce lâcher prise commun. C’est ce que représente, et de manière exacerbée, ces artistes. »
Guillaume Azambre, directeur de Longevity : « Les djs dénichent des pépites pour faire vivre aux gens un lâcher prise commun. » Photo : Bartosch Salmanski / doc remis
Parmi les têtes d’affiche, Gene On Earth, né aux Etats-Unis et basé en Allemagne, propose aux platines une traversée en apesanteur, entre sonorités disco et acid house venues d’une autre galaxie. Cet univers, parfois nappé de quelques sonorités breakbeat, s’approche de celui d’Arlanoa et DJ Bienveillance. Le duo strasbourgeois promet un set haut en couleurs et éminemment dansant.
Quelques touches hip-hop, disco et funk
Il y aura aussi des figures montantes comme le Marseillais Man/Ipulate qui ajoute à la programmation quelques sonorités hip-hop et disco funk. De même, Sugar free, une DJ basée à Berlin, saura surprendre par la variété de ses inspirations musicales.
Quelques performances en « live » sont aussi prévues, avec Paul Lution, à l’initiative d’un voyage analogique jonglant entre teintes acid house, techno ou breakbeat. L’artiste s’applique, par des extraits vocaux préenregistrés, à dénoncer la pollution de l’espace.
Un espace ouvert aux familles et enfants
Le festival Longevity se veut ouvert aux enfants. Pour cette neuvième édition, le dimanche, « un jour traditionnellement dédié à la famille », offrira une programmation qui vise à mêler petits et grands :
« Le festival et les artistes programmés le dimanche ont pour but de participer à l’éveil musical des plus jeunes. Des artistes comme Les Crapules, habillés en super héros, ou HIBA, des étoiles montantes locales, apporteront une note électro pop-rap qui sauront, nous l’espérons, faire groover les enfants »
Le festival Longevity se veut ouvert aux enfants. Ateliers et sets musicaux leur sont dédiés Photo : Bartosch Salmanski / doc remis
Lors des événements gratuits des samedis 12 et 19 août, des ateliers ludiques en lien avec la musique électronique sont aussi prévus de 10h à midi. Une « chasse aux sons » sur site permettra aux plus petits d’enregistrer des sonorités qu’ils utiliseront lors d’un atelier créatif.
Afin de nourrir les échanges des deux côtés du Rhin, le collectif allemand Zycon ouvrira les festivités le samedi 12 août avec une installation musicale sphérique pour une « expérience sonore astrale », se réjouit le directeur du festival. Puis le samedi 19 août, le collectif strasbourgeois Ordinaire fera danser les festivaliers par ses composantes house et groovy dont il a le secret.
En sous-effectif, les internes de SOS Main ont dû cesser leur activité à l’hôpital de Hautepierre. Les consultations en urgence sont fermées au moins jusqu’au 15 août. L’hôpital public redirige vers un établissement privé, la clinique Rhéna.
Si les consultations programmées ont toujours lieu, le service des urgences de la main basé au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Hautepierre ne fonctionnent plus en raison du manque de personnel. « Pendant presque deux mois, ils n’ont été que trois internes chaque jour. Cette situation doit durer jusque septembre. Or, pour qu’une ligne de garde tourne, il faut au moins six internes, » explique Clémence Guégan, présidente du syndicat autonome des internes d’Alsace (SAIA).
Le service SOS Main de l’Hôpital de Strasbourg étant fermé, les patients sont redirigés vers la clinique Rhena situé au quartier des Deux Rives.
L’épuisement des internes dénoncés depuis plusieurs années
SOS Main repose sur le travail des internes. Indispensable au fonctionnement global de l’hôpital public, ces étudiants de médecine en fin de cycle dénoncent régulièrement leurs conditions de travail, en particulier les horaires interminables dépassant en moyenne 50 heures par semaine. En juin 2021, une consultation du Syndicat autonome des internes d’Alsace (SAIA) dressait un bilan inquiétant de l’état psychologique des médecins en formation. Un quart des répondants avait une forte probabilité de présenter une détresse psychologique.
Dès la fin mai, les gardes de SOS Main ont été fermées une semaine sur deux, avec des redirections vers la clinique Rhéna depuis cette date. La présidente du syndicat d’internes évoque quatre arrêts maladies d’internes rien que pour le service de SOS Main. « Une interne a fait plus de 100 heures la semaine juste avant son arrêt de travail. Ce n’était plus possible », déclare Clémence Guégan.
Une enquête récente du syndicat d’internes Saia a révélé d’importants dégâts liés au surmenage permanent, comme l’explique Clémence Guegan :
« On a posé des questions et 70% des internes en orthopédie ont admis être déprimés. Tous étaient en grande souffrance avec notamment le sentiment de mal traiter leurs patients. L’un d’eux m’a demandé si “un suicide ferait enfin bouger les choses ?” On a alerté la direction générale sur l’urgence d’une solution pérenne, mais rien n’est venu. »
De fait, tous les patients sont redirigés vers la clinique Rhena. Situé au quartier du Port du Rhin à Strasbourg, la clinique privée prend en charge toutes les urgences médicales et chirurgicales suite à des traumatismes.
Des internes exténués
« Pour que les gardes puissent rouvrir dans de bonnes conditions, il faudrait un recrutement du personnel à SOS Main. C’est la condition pour que les internes soient bien formées et que les patients soient bien soignés. Ça ne servirait à personne de rouvrir trop tôt », conclut Clémence Guégan.
Vosges alternatives, notre série d’été sur la vie militante en zone rurale (6/8). À La Grande-Fosse, dans les Vosges, les habitants sont invités à décider de l’usage de la forêt. Des promenades-cueillettes sont organisées par la commune pour faire découvrir ce monde végétal.
Une vingtaine de personnes se retrouvent, panier d’osier dans le creux du coude, pour une sortie cueillette sauvage. La promenade fait partie du programme de découverte, d’échanges et de festivités . . .
Cet article fait partie de l’édition abonnés.
| Déjà abonné ?
Connectez-vous
Abonnez-vous maintenant pour poursuivre votre lecture
Photo : Roxanne Machecourt / Rue89 Strasbourg / cc
Fin juin, l’inspection du travail a constaté l’absence d’agrément « Vacances Adaptées Organisées » pour l’association Oxygène, qui organisait le séjour dans le gite qui a brûlé à Wintzenheim le 9 août. La structure avait finalement obtenu un agrément temporaire de la préfecture d’Auvergne-Rhône-Alpes le 7 juillet.
L’association Oxygène était-elle en capacité d’accueillir des personnes en situation de handicap pendant des vacances ? La question se pose après le terrible incendie qui a co . . .
Jouez un rôle actif dans la préservation de la pluralité médiatiquePlongez en illimité dans nos articles et enquêtes exclusivesParticipez librement à la discussion grâce aux « identités multiples »
Plutôt que de reconnaitre les irrégularités du projet de contournement de Châtenois, les élus locaux rejettent la faute sur la justice et Alsace Nature. De son côté, l’association écologiste estime jouer son rôle en faisant respecter le droit de l’environnement.
« Nous défendons une écologie intelligente mais pas une écologie qui veut détruire l’Homme. » L’air grave, Luc Adoneth, maire divers droite de Châtenois, fustigeait l’association Alsace Nature le samedi 3 juin lors d’une manifestation en faveur du contournement routier de sa commune. Son chantier, financé à hauteur de 60 millions d’euros par la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), la Région Grand Est et l’État, est bloqué depuis le 12 mai par le tribunal administratif de Strasbourg. Cette décision de justice fait suite à un recours déposé par l’association de protection de l’environnement en 2019.
Dans la foulée, Alsace Nature a recensé des dizaines de commentaires sur sa page Facebook qualifiant ses membres de « khmers verts », d’ « ayatollah », de « bobos »… Elle est devenue la cible des critiques d’élus et d’habitants de la vallée qui attendent l’ouverture de la route, déjà quasiment terminée et qui aurait dû être mise en service fin 2023. Cette dernière doit permettre aux automobilistes de gagner autour de quinze minutes aux heures de pointe sur la départementale qui passe par Châtenois. Les écologistes sont aussi tenus pour responsables des 250 000 euros par mois que coûte l’arrêt du chantier selon la CeA.
Le chantier du contournement de Châtenois est à l’arrêt depuis mai 2023. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)Photo : TV / Rue89 Strasbourg
« L’écologie ne peut pas être le prétexte au dogmatisme »
La Cour administrative d’appel de Nancy a proposé une médiation entre Alsace Nature et la Collectivité européenne d’Alsace, pour que les deux parties trouvent un accord sans jugement. L’association environnementaliste l’a refusée, considérant que le délai de deux mois demandé par la CeA ne laisserait pas le temps de trouver des solutions acceptables. Comme le rappelle Alsace Nature, définir des mesures compensatoires fonctionnelles demande des études complexes qui prennent bien plus de temps que quelques mois.
Plusieurs élus ont réagi en s’exprimant publiquement contre Alsace Nature. Sur Facebook, le député Renaissance Charles Sitzensthul a fait part de son incompréhension face au « refus d’Alsace Nature de saisir la médiation offerte par la justice ». Avant d’ajouter : « l’écologie ne peut pas être prétexte au dogmatisme et au jusqu’au-boutisme décroissant ». Pour l’élu de la majorité présidentielle, l’association devrait subitement accepter une route qu’elle combat « depuis plusieurs décennies » alors que la justice vient de lui donner raison… Impossible de s’y résoudre pour François Zind, avocat d’Alsace Nature :
« Cela serait une négation de nos combats. Nous ne pouvons pas nous contenter de cette politique du fait accompli. Sinon, nous vivrons le même processus de façon systématique : nous sommes contre un projet, son chantier démarre et la justice nous donne raison lorsqu’il est déjà presque construit, donc on est censé l’accepter quand-même. Une décision de la Cour d’appel en notre faveur serait un précédent important pour nous, et un message pour les élus : si un dossier comporte des irrégularités, ça a des conséquences. »
De gauche à droite, Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, Michèle Grosjean, présidente d’Alsace Nature, et François Zind, avocat d’Alsace Nature. Photo : TV / Rue89 Strasbourg
Un dysfonctionnement de la justice administrative
Le cas du contournement de Châtenois rappelle le dossier du GCO, dont l’autorisation du chantier avait aussi été jugée illégale quelques mois avant sa mise en service. Le tribunal administratif avait alors considéré que les travaux étaient trop avancés pour être stoppés. Pour François Zind, « dans le cas des recours contre des projets qui impactent l’environnement, il y a une forme de dysfonctionnement de la justice administrative, avec des délais de décision beaucoup trop longs ».
Contacté par Rue89 Strasbourg, Luc Adoneth est d’accord avec Alsace Nature sur ce point : « La lenteur de la justice est un vrai problème. » Lors de la manifestation du 3 juin, il a même interpellé Charles Sitzenstuhl pour qu’il fasse une proposition de loi afin « d’interdire tout arrêt de travaux une fois qu’un chantier autorisé est démarré ». Le député Renaissance a répondu qu’il se pencherait sur la question.
Pour François Zind, il s’agirait surtout de permettre une procédure de justice administrative accélérée pour traiter les recours d’associations agréées concernant de tels projets. Et les travaux ne pourraient pas commencer avant que ces recours ne soient traités. Mais l’avocat d’Alsace Nature tient aussi à saluer la décision du tribunal administratif :
« Le tribunal administratif a établi qu’il y avait des illégalités substantielles. Ce renversement qui consiste à dire qu’Alsace Nature est la coupable de l’histoire est sidérant. Les défenseurs de cette route nous en veulent à nous, mais c’est absurde, c’est notre rôle de défendre les écosystèmes, surtout lorsqu’il y a des manquements comme dans le cas de ce contournement. »
« Notre association ne demande que l’application des lois en vigueur »
L’entreprise de discréditation de l’association s’est intensifiée avec les propos du maire de Châtenois Luc Adoneth dans les colonnes des Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) le 3 août, « sidéré par le comportement d’Alsace Nature » qui témoigne selon lui d’un « mépris de la population ». Il s’agirait d’un « mauvais coup à la santé de la population de Châtenois que [Alsace Nature] laisse asphyxier dans les gaz d’échappement ». Au téléphone, Luc Adoneth expose que « des riverains de l’axe surchargé de Châtenois pourraient porter plainte contre l’association s’ils attrapaient un cancer du poumon ».
Une amélioration de la qualité de l’air était l’un des principaux arguments pour obtenir l’autorisation de construire cette route, qui dévierait la circulation de l’intérieur du village. Mais il se trouve que l’État, pourtant porteur du projet, a fourni une étude démontrant que la qualité de l’air n’allait quasiment pas s’améliorer.
Les analyses anticipent même pour 2030 une pollution supérieure par dix substances en comparaison avec un scénario sans ouvrage. Ces augmentations sont liées à la croissance attendue du trafic et des vitesses de circulation avec le contournement. C’est notamment pour cette raison que le tribunal administratif a stoppé les travaux en considérant que l’intérêt public majeur du projet n’était pas suffisamment justifié. Il s’avère d’ailleurs que le tracé de la route en construction passe à quelques mètres du service d’accueil de jour d’adultes en situation de handicap Le Moulin, de l’association Apei Centre Alsace.
La route devait être mise en service fin 2023. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc
« Que craignent aujourd’hui les élus qui nous vilipendent d’une décision de justice, si le dossier qu’ils défendent est conforme ? », demande ironiquement Alsace Nature dans un communiqué faisant suite aux propos de Luc Adoneth rapportés dans les DNA :
« Notre association ne demande que l’application des textes de loi en vigueur. Nous ne pouvons que nous étonner du peu de cas qu’accordent des représentants de la République au droit et à la justice, ainsi que des règles de fonctionnement de notre pays. À chacun de prendre les responsabilités qui lui reviennent. »
Les pro-contournement en colère contre la justice
Mais les promoteurs du contournement ne semblent pas enclins à prendre acte de la décision du tribunal administratif. Le 12 mai, la Collectivité européenne d’Alsace, porteuse du projet, publiait un communiqué dénonçant « une décision incompréhensible ». Deux jours plus tard, son président Frédéric Bierry (LR) s’emportait sur France 3 Grand Est :
« Nan mais franchement c’est scandaleux ! (…) On a pris toute une série de mesures, de prairies, de haies, pour préserver la biodiversité, et quelques jours avant la fin de ces travaux on l’arrête. C’est de la gabegie d’argent public. (…) Mais où va t-on dans notre pays ? »
Frédéric Bierry, président de la CeA (avec le micro), a pris la parole lors de la manifestation du 3 juin. Photo : Capture d’écran YouTube
L’élu se garde alors de préciser que sur le terrain, certaines de ces mesures compensatoires ont simplement échoué malgré une obligation de résultat. Le chantier a par exemple détruit un écosystème dans lequel vivait le papillon azuré des paluds. Après deux années, aucun de ces papillons ne s’est établi dans la zone compensatoire prévue, l’espèce a disparu de la vallée.
Dans les prairies censées accueillir l’Azuré des paluds, aucune trace du papillon protégé. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)Photo : TV / Rue89 Strasbourg
Les porteurs du projet avaient aussi prévu de déplacer 1 400 plants de gagée jaune, une fleur protégée. La plupart sont mortes, il n’en reste plus que quelques dizaines. Contactée, la Collectivité européenne d’Alsace n’a pas fait suite aux sollicitations de Rue89 Strasbourg.
Ces fleurs protégées sont situées dans un enclos mais elles ne sont pas visibles en août comme elles fleurissent au début du printemps. Sur les 1 400 plants de gagée jaune présents sur le tracé du contournement, quelques dizaines ont survécu.Photos : TV / Rue89 Strasbourg / cc
Devant les manifestants le 3 juin, Luc Adoneth assurait sans trembler que si le Tribunal administratif de Strasbourg a suspendu l’autorisation du chantier, c’est simplement parce qu’il « a cédé au lobby écolo bobo, qui ne mesure pas ce que c’est de se lever à 6h du matin pour aller gagner sa vie à 70 km quand on sort du fond de la vallée ». Il ponctuait en s’exclamant « oui au travail, et oui au contournement ».
À Rue89 Strasbourg, il rapporte qu’une très large majorité des habitants de Châtenois et de Sainte-Marie-aux-Mines soutient le projet de contournement parce qu’ils souhaitent la fin des ralentissements : « Alsace Nature se trompe, ils sont à côté de la plaque sur ce coup-là, contre l’avis de la population locale. » Une pétition intitulée « reprise immédiate des travaux du contournement de Châtenois » lancée le 17 mai a recueilli plus de 4 700 signatures début août.
« C’est une stratégie pour discréditer nos arguments »
Bruno Dalpra est membre de La déroute des routes, une coalition nationale des collectifs contre les projets d’infrastructures routières. Il est l’une des figures de la lutte contre l’autoroute du Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg. L’écologiste ne s’étonne plus de constater que les promoteurs de la route « font passer Alsace Nature pour ceux qui sont déconnectés de la réalité » :
« C’est une stratégie pour discréditer nos arguments. La construction d’une route est souvent présentée à la population comme la solution évidente, et les écologistes sont mécaniquement isolés comme ils veulent remettre en question le modèle du tout-voiture. Localement, le contournement de Châtenois est soutenu par la population parce que rien d’autre n’est proposé, mais il pourrait il y avoir des alternatives, même plus efficaces contre les embouteillages, comme la mise en place d’une politique de transports en commun ambitieuse. »
Opposée à la construction du contournement de Châtenois, Alsace Nature avait déposé un recours en 2019. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)Photo : TV / Rue89 Strasbourg
Les prises de position virulentes d’élus locaux à l’égard d’Alsace Nature ont aussi probablement participé à provoquer un projet de manifestation devant le siège de l’association. Un membre du groupe Facebook « Collectif RD1059 Contournement de Châtenois – Alsace » appelait à un rassemblement le 17 août, mais il a finalement annulé l’événement à cause du « peu de retours » reçus.
La Cour administrative d’appel de Nancy n’a communiqué aucune date pour le rendu de sa décision. Elle peut désormais suspendre le jugement du tribunal administratif et permettre la poursuite du chantier. Mais le juge peut aussi refuser la demande de la CeA de reprendre les travaux. Les automobilistes des alentours de Châtenois seraient alors contraints d’attendre une audience pendant plusieurs mois. Alsace Nature pourrait demander une remise en l’état du site.
Ce scénario semble peu probable mais pas impossible. Après plusieurs années d’arrêt des travaux, le conseil départemental de Dordogne a commencé début juillet la démolition de la déviation de Bleynac-et-Cazenac, comme la justice avait estimé en 2018 qu’elle n’était pas d’intérêt public.