Avant le 25 septembre, 95 personnes logées par Adoma dans une résidence du Neuhof doivent avoir quitté les lieux. Mais les solutions de relogement proposées ne permettent pas à ces familles de conserver un cadre de vie décent et menacent la scolarisation des enfants.
« Si on nous déplace à Geispolsheim, il faudra que mon fils se lève à 5 heures du matin pour continuer d’aller à l’école à l’heure ». Maka, 39 ans, semble décontenancée. Dans la cour du complexe Adoma au 18 rue Welsch, jeudi 14 septembre, la mère de famille attend son tour. « La directrice va nous rencontrer pour trouver des solutions », poursuit-elle sans grande conviction. Au milieu des bâtiments jaunâtres récemment rénovés, une trentaine de personnes patientent.
En cause, la fin du dispositif « plan des réductions des nuitées hôtelières » (PRNH) de 95 places, géré par la société anonyme d’économie mixte Adoma. « Fin juin, nous avons décidé de ne pas renouveler notre convention avec les services de l’État car nous travaillons à d’autres projets », explique au téléphone Nathalie Burger, la directrice territoriale de la structure.
Réorientées « selon leurs situations »
La représentante d’Adoma, qui a rencontré la famille de Maka la veille au soir, poursuit :
« Les familles sont réorientées selon leur situation administrative vers d’autres dispositifs. Elles n’ont plus de place dans les dispositifs que nous avons dans cette résidence pour cette raison-là. Dès lors qu’elles ont une solution qui leur est proposée, il n’y a pas de raison qu’elles n’y aillent pas. »
Les personnes logées dans ce dispositif attendent d’être régularisées et ont passé pour la plupart plus de cinq ans en France. Leurs demandes d’asile ont pour la plupart déjà été rejetées, même si certains enfants sont nés en France et ne parlent pas un mot de la langue maternelle de leurs parents – l’albanais ou le géorgien pour beaucoup.
Pourtant, la proposition qui est arrivée le 26 août par courrier recommandé à Maka et ses deux enfants lui fait peur. « Mon contrat d’hébergement avec Adoma allait jusqu’au 12 décembre 2023 », explique-t-elle, document à l’appui. « Et là, je dois partir au plus tard le 25 septembre pour déménager au centre d’hébergement d’urgence de Geispolsheim géré par Coallia », poursuit-elle.
Une solution trop loin des écoles
Après avoir étudié les trajets nécessaires pour amener ses enfants de sept et neuf ans à l’école, les craintes de Maka se sont accentuées:
« Je n’ai pas de voiture, ni de vélo. Mes enfants ont leurs amis ici, ils y sont à l’école depuis la crèche. Je veux simplement pouvoir rester à un endroit où il y a plus d’un bus par heure. En plus, les enfants ont des activités comme la piscine ou le judo, ça participe à leur intégration et je ne veux pas qu’ils soient obligés de les arrêter. »
Peu après 18 heures, les enfants courent dans l’allée de la résidence. Soudain, une jeune femme sort du bureau de la directrice avec sa pochette cartonnée. Les autres familles guettent sa réaction, a-t-elle eu plus de précision sur cette échéance du 25 septembre ? « On m’a dit que si on ne partait pas à temps, la police viendrait nous chercher », assène Celaj, 32 ans. L’albanaise semble sonnée. « C’est comme si ma tête était bloquée », poursuit-elle.
Au téléphone, Nathalie Burger se veut rassurante. « Si les familles ne partent pas d’elles-mêmes, nous n’envisageons pas de faire appel aux forces de l’ordre », assure-t-elle d’abord.
Avant de préciser :
« Nous les avons rencontrées pour leur faire comprendre que la fin du dispositif dans lequel elles vivent ne signifie pas la fin de leur prise en charge par les services de l’État. C’est juste un autre hébergement qui leur est proposé. »
Un centre de préparation au retour pour une famille qui veut rester
Celaj, son mari et leurs trois enfants ont été invités à déménager à Bouxwiller, au « centre de préparation au retour ». Un établissement a priori destiné aux étrangers sans papiers qui acceptent de retourner dans leur pays d’origine. À Bouxwiller, pas d’école, pas de collège (voir notre reportage). « Je ne veux pas rentrer en Albanie », rétorque Celaj à la lecture de sa lettre de relogement.
Elle est en France depuis dix ans. Son mari a travaillé pendant deux ans en CDI et ensemble, avec leurs trois enfants, ils ont demandé à la préfecture de les régulariser. « Je veux juste qu’on soit honnête avec moi et et qu’on me dise ce qui se passe, mes enfants ont peur de devoir abandonner l’école, ils sont choqués, ils ne comprennent pas ».
À ses côtés Morina, 41 ans, a aussi été redirigée vers le centre de Bouxwiller :
« Pourtant j’ai un certificat du médecin qui explique que je dois rester proche de l’hôpital car je me suis faite opérer. Et un autre certificat du collège qui atteste que mon fils est un excellent élève. Et un autre du psychologue disant qu’il souffre de troubles anxieux liés à notre situation administrative. »
Des lieux excentrés et une intégration plus compliquée
Au-delà de la peur de devoir interrompre la scolarité de son fils, Bobo, 50 ans, craint de ne plus pouvoir être bénévole aux Restos du coeur. Elle a été redirigée à Geispolsheim elle aussi, au centre d’hébergement d’urgence. « Je cherche des moyens de faire partie de la société, de la ville, bref de m’intégrer, là ça va être plus difficile ».
Sans papiers, la mère de famille craint aussi de ne pas pouvoir s’alimenter correctement une fois logée à Geispolsheim :
« Il n’y a pas de cuisine. Dans les colis alimentaires qui nous permettent de nous nourrir, il y a des aliments qu’il faut cuisiner, je ne sais pas du tout comment on pourra faire. »
Destinés eux aussi à l’hôtel Coallia de Geispolsheim, Ekatarina, ses enfants et son mari craignent eux la promiscuité. « On va être dans une chambre à quatre, ce n’est pas idéal pour faire ses devoirs le soir ».
En filigrane, la crainte de l’expulsion
Au bout de quelques minutes de discussion, la géorgienne de 33 ans continue de tordre ses doigts vernis de nacre dans tous les sens en expliquant son inquiétude pour la scolarisation de ses enfants. Puis finalement, elle concède : « Moi ce qui me fait vraiment peur, c’est que si je refuse l’hébergement, on ne me donne pas de papiers. »
Nathalie Burger insiste au téléphone : il n’y a pas de lien entre la situation d’hébergement et le fait d’obtenir ou non des papiers. Seule la priorité d’accès à l’hébergement diminue dans le cas où une famille refuse une orientation.
À l’écrit, Ekararina explique qu’elle a finalement compris que ses papiers et son logement n’étaient pas dépendants. « Je dois tellement à la France et j’aimerais tellement pouvoir lui rendre tout ce qu’elle m’a donné, à mes enfants et moi », insiste-t-elle.
Toutes les personnes rencontrées dans la cour de la résidence Adoma jeudi 14 septembre ont expliqué avoir peur de l’arrivée de la police si elles ne partent pas avant la date butoir.