Porté par la marque Byfurk, le Revenu de transition écologique vise à soutenir des initiatives respectueuses du vivant, du lien social et de l’humain. Soutenu par l’Eurométropole de Strasbourg à hauteur de 50 000 euros, ce mode de financement pourrait bénéficier à une dizaine de projets en 2023.
C’est une petite révolution dans le monde de l’Économie sociale et solidaire (ESS) à Strasbourg. Arriver à vivre, financièrement, d’un projet qui ne serait pas rentable. C’était le rêve de Benoît Hamon en 2017, avec son revenu universel. Depuis, l’idée a été étudiée par plusieurs chercheurs notamment la suissesse Sophie Swaton, philosophe et économiste, qui a transformé le projet de base du socialiste français en un Revenu de Transition Écologique.
Le principe : avoir une activité qui respecte le vivant, les relations humaines, et qui fasse sens. La chercheuse de l’Université de Lausanne a créé la fondation Zoein, qui soutient les initiatives qui pourraient être bénéficiaires de ce RTE et qui les accompagne. En France, sa soeur jumelle (Zoein France) existe depuis 2019. Elle soutient une dizaine d’associations qui travaillent autour de ce RTE. Byfurk, à Strasbourg, en fait désormais partie.
Un accompagnement humain…
À l’origine de Byfurk, il y a Philippe Kuhn, ancien enseignant de maths et physique, reconverti en acteur de l’ESS depuis une dizaine d’années, Somhack Limphakdy, enseignante chercheuse en philosophie du droit, et Stéphane Bossuet, président directeur général du réseau national Cooperer pour Entreprendre. Avec ce projet, ils espèrent soutenir des hommes et des femmes basés sur l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), soucieux de trouver du sens dans leur activité, souhaitant à la fois respecter la planète, le vivant, mais aussi l’humain et les relations humaines.
« Le but est d’accompagner les gens qui ont envie de changer de job, parce qu’ils ne se retrouvent plus dans les propositions d’entreprises actuelles. Notamment parce qu’ils veulent bosser pour la transition écologique, environnementale ou sociétale. »
Philippe Kuhn, co-fondateur de Byfurk.
Créée au printemps 2023 au sein de Cooproduction (une société coopérative d’intérêt collectif – SCIC qui accompagne près de 300 entrepreneurs depuis 2011), la toute jeune Byfurk propose un schéma d’accompagnement structuré et progressif aux porteurs de projet.
Il y a d’abord une mesure d’impact, faite par un prestataire externe. Le but est d’évaluer les impacts écologiques, sociétaux et sociaux du projet. Pour cette mesure d’impact, le porteur de projet doit commencer par une phase d’écriture. Ensuite, il ou elle est accompagnée par un mentor, quelqu’un d’expérimenté, qui le guidera, prendra du temps – de façon bénévole – « une fois tous les deux mois par exemple », pour l’aider à penser la pérennité du projet.
… et financier innovant
La troisième étape est celle du financement participatif, qui est cruciale. Et particulièrement innovante avec Byfurk, car il est triple.
Le porteur de projet doit commencer par lancer un financement participatif classique sur une plateforme de crowd funding quelconque. Une fois que le « byfurkeur » obtient son seuil minimal, par exemple 5 000€, le financement sera abondé d’autant par l’Eurométropole de Strasbourg. Et une nouvelle fois abondé par des acteurs privés qui auront été sélectionnés au préalable. Au final, le financement est donc triplé. Dans cet exemple, le porteur de projet touchera 15 000€ pour lancer son idée.
« Il y a plusieurs acteurs qui mettent en commun un financement. C’est cette mise de départ que nous considérons comme le Revenu de Transition Écologique, c’est un revenu de lancement. Et si les acteurs du territoire par exemple, se rendent compte que l’activité du byfurkeur fait sens, et qu’ils veulent la pérenniser, ils pourront ensuite devenir prestataires de ce byfurkeur, et lui fournir un véritable RTE, de façon annuelle par exemple. »
Philippe Kuhn.
L’EMS a voté en 2023 un accompagnement à hauteur de 50 000€ au total pour l’ensemble des projets portés par Byfurk. Le dispositif devrait être reconduit en 2024, avec – Philippe Kuhn l’espère – 100 000€ de financement. « Nous espérons ainsi soutenir entre 10 et 20 byfurkeurs », conclut le co-fondateur.
Dernier volet inédit du RTE version alsacienne : une partie de la participation financière allouée au projet sera reversée en Stück au byfurkeur. Tom Baumert, coordinateur de la monnaie locale à Strasbourg explique :
« L’économie reste sur le territoire, et cet argent-là pourra être réutilisé chez des prestataires locaux. Le Byfurkeur pourra dépenser ces Stüks pour son activité. De cette façon, on s’assure qu’on participe bien à l’économie locale. »
Théâtre-forum, culture du safran, cuisine végétarienne : les Byfurkeurs 2023
Parmi la petite poignée de « byfurkeurs » ou jeunes entrepreneurs déjà soutenus par Byfurk, on compte une majorité de femmes. Et des idées variées. Il y a par exemple Françoise Gutmann, 55 ans, qui « a exercé à peu près trente boulots jusqu’ici, le dernier étant prof d’allemand », lance en riant la quinquagénaire. Depuis janvier 2023, Françoise Gutmann propose des ateliers de « théâtre-forum » aux entreprises privées pour résoudre des situations de conflit :
« Le principe : on joue une scène qui illustre la situation tendue vécue dans la structure, et les acteurs concernés vont venir prendre la place des autres sur scène. En jouant ainsi, ça vibre en nous, et on comprend mieux pourquoi notre collègue a agi comme ça. Le but est de chercher de nouveaux possibles. »
Philippe Kuhn accompagne ainsi Françoise Gutmann depuis plusieurs mois dans l’écriture de son projet. « Il m’aide beaucoup à mieux communiquer, et à présenter mon projet. Byfurk va aussi m’aider à me faire un réseau, et surtout à vivre de ce que je fais grâce au financement participatif ». La quinquagénaire intervenait jusque-là de façon bénévole.
Aux côtés de Françoise, on trouve également Anaïs Meyer qui lance son activité de plantation et diffusion du safran à Strasbourg. « Elle cherche à réduire les trajets de cette épice, à la faire pousser sans eau et avec le moins d’énergie fossile possible », explique Philippe Kuhn.
Il y a aussi Justine Rist, une jeune cuisinière végétarienne et végétalienne baroudeuse de 33 ans. Après avoir vécu au Japon, en Australie ou encore en Autriche, la Strasbourgeoise a décidé de revenir chez elle au printemps dernier. Avec un objectif : faire connaître et aimer la cuisine végétarienne et végétalienne.
« Je ne comprends pas pourquoi tellement peu de gens s’y intéressent, notamment dans le monde de la cuisine, alors que c’est une cuisine plus écologique et plus inclusive car tout le monde peut la goûter. Bref, c’est une cuisine qui rassemble et qui peut être ultra-créative. »
Si la jeune femme en est encore à la phase d’écriture de son projet, et a un peu de mal à expliquer concrètement comment elle compte s’y prendre pour démocratiser cette cuisine, elle sait qu’elle veut s’adresser à la fois aux chefs, mais aussi aux écoles et aux centres d’apprentissage, et pourquoi pas toucher également le grand public à travers des évènements. « Il faut éduquer les chefs et le grand public, leur expliquer pourquoi il est important de manger végétal pour la planète ».