Pour la troisième année consécutive, la préfète du Bas-Rhin prévoit un couvre-feu pour les mineurs de moins de 16 ans, le soir de Nouvel an. Dans un arrêté publié vendredi 1er décembre 2023, elle multiplie les arguments relatifs aux interpellations de 2021 et 2022 pour appuyer cette décision.
Depuis 2021, les mineurs de moins de 16 ans non accompagnés sont interdits d’être dans la rue après 22 heures, le soir de Nouvel an à Strasbourg. La Saint Sylvestre 2023 ne dérogera pas à cette nouvelle habitude. Dans un arrêté signé le 1er décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin Josiane Chevalier réitère l’instauration d’un couvre feu.
Six communes de l’Eurométropole concernées
Entre 22h le 31 décembre 2023 et 6h le 1er janvier 2024, « la circulation et le stationnement » des mineurs de moins de 16 ans non accompagnés « sont interdits sur les territoires des communes » de Strasbourg, Hœnheim, Bischheim, Schiltigheim, Illkirch-Graffenstaden, Lingolsheim et Ostwald.
Pour justifier cette interdiction, la préfète considère que cette nuit est sujette à des « violences et dégradations urbaines » depuis 1987 à Strasbourg. Elle estime que les statistiques des interpellations de 2019 révèlent l’implication accrue de mineurs dans des faits d’incendie de voitures et qu’il faut donc « protéger » les 13-16 ans.
Josiane Chevalier vante le couvre-feu du 31 décembre 2020, à l’époque lié à l’épidémie de Covid-19, comme une mesure réduisant de trois quart les incendies de véhicules. Pour le Nouvel an du passage de 2021 à 2022, 95 véhicules ont été incendiés malgré le couvre-feu, contre plus de 200 au Nouvel an 2019-2020.
L’arrêté précise également que malgré les mesures de couvre-feu des deux dernières années, « de nombreuses interventions de force de l’ordre et de secours » avaient été nécessaires étant donné les « violences urbaines », avec 44% des personnes interpellées âgées de moins de 16 ans.
Avec plus de 9 000 affaires jugées en 2023, le tribunal administratif de Strasbourg est chargé de régler les conflits avec les administrations. Méconnue du grand public, l’institution doit parfois juger des dossiers éminemment politiques mais aussi de simples querelles de voisinage. Rencontre avec son président, Xavier Faessel.
Installé dans un ancien hôtel particulier du quartier des Contades à Strasbourg depuis 1919, le tribunal administratif (ou TA) est le plus ancien de France. Chaque année, environ 8 500 affaires y sont jugées. Un chiffre en constante augmentation : « Nous nous attendons à atteindre 9 300 dossiers en 2023 », estime son président, Xavier Faessel, en poste depuis 2019.
Des affaires médiatiques, d’autres plus banales
Avec ses deux salles d’audience, et les dossiers de plus en plus nombreux à traiter, le bâtiment devient étroit pour la juridiction qui doit juger des affaires mettant en cause les administrations (préfectures, municipalités, collectivités territoriales…) dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle. En plus du président, sept vice-présidents, vingt premiers conseillers et quatre conseillers sont chargés, tout au long de l’année, d’étudier les litiges qui leurs sont soumis. Toutes et tous sont des magistrats professionnels, des juges employés par le ministère de la Justice et accompagnés d’agents de greffe et de personnels d’aide à la décision.
« Nous sommes saisis de questions très spectaculaires, comme l’enfouissement des déchets à Stocamine, l’autorisation de survol du marché de Noël par des drones (ou l’évacuation de squats et campements de sans-abris, NDLR). Mais nous devons aussi trancher des questions relatives à des permis de construire, des candidats qui ont échoué à un examen ou encore des désaccords sur des garages à vélo ! Nous sommes des juges du quotidien et notre rôle est de faire en sorte que la vie continue, malgré les conflits. Pour que les gens contestent une décision, c’est que l’enjeu pour eux est significatif. »
Environ 50% des affaires soumises au TA concernent le droit des étrangers – contestation d’une obligation de quitter le territoire français ou refus de régularisation par exemple. « Mais cela ne représente pas 50% de notre charge de travail », précise Xavier Faessel. Le nombre de dossiers augmente constamment (environ 700 de plus entre 2022 et 2023). « Nous sommes tributaires du nombre de décisions prises par les administrations : plus il y en a, plus il y a de probabilité qu’elles soient contestées », poursuit-il.
Les dossiers sont répartis selon le type de droit auquel ils s’apparentent :
« Nous avons six chambres : fonction publique, marchés publics, droit fiscal, droit de l’environnement, responsabilité hospitalière, social et travail, et urbanisme. Les magistrats changent de chambre et tous font du droit des étrangers, car ce contentieux peut être répétitif et qu’il implique une grande charge humaine. »
Cette répartition est spécifique au tribunal administratif de Strasbourg. Pour Xavier Faessel, il est essentiel que les professionnels du droit soient polyvalents. Un juge administratif peut par ailleurs demander à être détaché temporairement dans une juridiction judiciaire (pénale ou civile), et inversement.
Des requêtes en ligne ou sur papier
Toute personne qui estime qu’une décision d’une institution est injuste ou illégale peut saisir le tribunal administratif, en urgence – procédure appelée « référé » – ou selon une procédure ordinaire. En moyenne, en 2022, une affaire était traitée en sept mois et dix jours par le TA de Strasbourg, selon les chiffres communiqués par l’institution.
La requête s’effectue en ligne ou sur papier auprès du greffe du tribunal. Elle peut être résumée « en des termes très simples », explique Xavier Faessel :
« Une personne peut estimer que la loi a été violée ou que l’administration s’est trompée. Il y a des règles de procédure, par exemple joindre la décision contestée à la requête pour qu’on sache quel acte administratif est mis en cause. Une fois la demande reçue, le greffe du tribunal administratif va l’étudier et contacter le requérant s’il manque des éléments. »
Il n’est pas obligatoire d’être représenté par un avocat pour plaider sa cause, même si « la plupart du temps, les requêtes sont présentées pas des professionnels, car l’argumentaire doit être juridique », nuance le magistrat. « On ne peut pas saisir les juges juste parce qu’on s’est levé du mauvais pied ».
Devant le TA, la procédure est écrite. « Les institutions communiquent à l’écrit, donc les requérants doivent eux aussi produire des écrits », résume Xavier Faessel. Une manière de procéder qui « peut sembler rigide » mais qui, selon lui, permet aux juges d’être plus efficaces, étant donné le nombre d’affaires traitées. « Les personnes sont obligées de tout expliquer dans les pièces écrites, c’est un bon système », estime-t-il, « même si des précisions peuvent être faites à l’oral lors de l’audience ».
Travail collectif et rapporteur public
Après qu’une requête a été faite, un juge de la chambre concernée par la question se saisit du dossier. « C’est le magistrat rapporteur, il s’occupe de contacter l’administration mise en cause, de communiquer les réponses avec le demandeur et assure les allers-retours entre les deux », explique Xavier Faessel. Une fois les échanges complets, les magistrats se rassemblent lors des séances d’instruction.
« Deux semaines ou huit jours avant l’audience, on se présente nos affaires entre juges pour en discuter, relever nos difficultés ou nos doutes, s’il y en a. Si nous estimons que le dossier est prêt, nous décidons de le programmer en audience. Sinon, on se remet à travailler dessus. »
Un des magistrats du TA a un rôle un peu particulier : c’est le rapporteur public.
« C’est l’un des juges qui prend ce rôle pour une durée d’un à trois ans. On le fait tous à un moment donné. Sa fonction consiste à présenter une solution à l’affaire jugée au tribunal, en son âme et conscience, selon le droit applicable. C’est son avis indépendant. »
Présent dans presque tous les dossiers, il est parfois dispensé de conclure (pour des affaires de retrait de permis de conduire par exemple) et ne participe pas au délibéré (le moment où les juges décident, après l’audience).
L’intérêt ? Selon Xavier Faessel, « il présente son raisonnement et ses conclusions à l’oral, lors de l’audience. Comme ça, le public entend ce que pense un juge. Il se rend compte qu’il peut y avoir des hésitations, des doutes », explique-t-il. « Parfois, les avocats utilisent les doutes exprimés par le rapporteur public lorsqu’ils font appel de nos décisions », poursuit-il.
Souvent, le tribunal suit les conclusions du rapporteur public :
« C’est un juge comme nous, avec la même culture juridique. Donc la plupart du temps, sur un même dossier, nous arrivons aux mêmes solutions. Mais parfois pas. En novembre 2023 au Conseil d’État par exemple, le rapporteur public a estimé que la dissolution des Soulèvements de la Terre était justifiée. C’est pourtant une autre interprétation qu’a retenue le Conseil, qui a décidé d’annuler leur dissolution. »
Quant aux dossiers plus politiques dont est saisi le tribunal administratif de Strasbourg, comme l’enfouissement des déchets ultimes à Stocamine, la légalité du contournement ouest de Strasbourg (GCO), celle du contournement de Châtenois ou encore la vidéosurveillance par drones du Marché de Noël, Xavier Faessel l’assure : il n’y a aucune autre boussole que la légalité des actes contestés qui entre en jeu dans les décisions.
« Évidemment que nous sommes prudents. Mais nous nous contentons de dire ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. En tant que juges, notre travail consiste à établir les limites des règles de droit. Lorsque l’on rend un jugement en référé (en urgence, NDLR), on peut par exemple être en formation collégiale (trois juges, NDLR) alors que ce n’est pas obligatoire selon la procédure, pour être sûrs d’avoir bien compris tout le dossier. Nous tâchons d’être encore plus méthodiques et d’afficher encore plus de neutralité. »
Neutralité et temps long pour les affaires sensibles
Un exercice dans l’apparence du tribunal donc, mais également dans la manière de rédiger les décisions afin qu’elles soient compréhensibles par le grand public.
« Le dossier GCO, par exemple, était extrêmement complexe en droit. On y a consacré autant de temps d’audience que pour 20 ou 30 dossiers. C’est le temps qu’il nous a fallu pour le traiter avec soin, tout en étant le plus transparent possible. »
Le TA a rendu une dizaine de décisions sur le GCO, dont une très contestée malgré ces précautions. Depuis un peu moins de dix ans, le TA dispose d’un service communication, géré par la magistrate Laetitia Kalt et l’adjointe administrative Claire Andres-Kuhn, qui précise : « Les décisions ne peuvent pas être simplifiées en droit, mais elles peuvent l’être dans les communiqués que nous rédigeons et qui apportent une lecture plus claire ».
Ces communiqués concernent les affaires les plus médiatisées, ou celles qui présentent une nouveauté dans l’état du droit. C’est le cas de celle du 7 novembre 2023, où les juges ont décidé de prendre en compte le droit des générations futures pour suspendre l’autorisation d’enfouissement des déchets ultimes sur le site de Stocamine – première utilisation concrète de ce droit après une décision du Conseil Constitutionnel de fin octobre 2023.
« Il n’y a pas d’intérêt à rester dans notre confort. Quand il y a une belle idée, on le dit et on l’applique. Ce droit des générations futures a été soulevé par les avocats et il pose une bonne question. L’État s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État, qui jugera de notre bonne application de ce principe. »
Car les décisions du tribunal administratif de Strasbourg sont susceptibles d’être remises en cause. Soit par la Cour administrative d’appel (à Nancy) soit directement par le Conseil d’État dans le cas d’une procédure d’urgence. Ce dernier est la plus haute juridiction administrative française – sa décision est finale.
« Un autre objectif de notre travail est de permettre à l’administration de prendre de meilleures décisions, nos jugements permettent de faire avancer le débat », poursuit Xavier Faessel. Dans le cas de Stocamine et du droit des générations futures par exemple, les décisions de l’État devront désormais prendre en compte ce droit-là, au risque d’être annulées.
« La politique du fait accompli, ça ne marche pas »
« Il faut permettre aux Alsaciens de rouler en voiture, mais pas que. Peut-être que plein de gens se disent que notre décision complique tout, parce que le chantier est à l’arrêt alors que le projet est presque terminé. Sauf qu’il faut tenir compte de la règle de droit, et que la politique du fait accompli, ça ne marche pas. »
Quelles que soient les conséquences de leurs décisions, les juges administratifs doivent rester impartiaux, quelle que soit la personne qui les saisit. « Ce n’est pas à nous de dire ce qui est bon ou mauvais, ce qui est blanc ou noir », conclut Xavier Faessel. « Parfois, dire non à un étranger qui conteste une obligation de quitter le territoire français est cruel, mais c’est ce que dit le droit », assène-t-il.
Jusqu’au 1er janvier, le cinéma Star invite ses publics à célébrer ses 40 ans. À la manière d’un calendrier de l’avent, une activité est proposée chaque jour pendant 40 jours. De la projection de Bridget Jones en pull moche en passant par la soirée Butch de Noël : petit tour d’horizon.
Quarante ans d’existence, la meilleure année depuis 18 ans et des nouveaux projets à succès : le cinéma Star a de nombreuses raisons de se réjouir en cette fin d’année. Pour célébrer son anniversaire de jeune quadra, le cinéma a donc décidé de proposer chaque jour, jusqu’au 1er janvier, une activité différente à ses spectateurs. Stéphane Libs, directeur depuis 17 ans du Star, détaille :
« L’important pour nous est de célébrer le cinéma tout en remerciant les spectateurs de toutes les générations de nous rester fidèles. Aujourd’hui, à l’heure où l’on est tenté de rester dans son canapé pour regarder des films sur un petit écran, aller au cinéma est un acte militant ».
Bridget Jones en pull moche et Snowpiercer en plaid
Un grain de folie. C’est sans doute ce qui fait le charme des cinémas Star. Stéphane Libs en est bien conscient et il est heureux de l’alimenter :
« Je suis aussi président d’un syndicat national, le Syndicat des cinémas d’art, de répertoire et d’essai (Scare). Ce poste implique que je sois en lien avec des exploitants de toute la France et le Star est connu nationalement comme précurseur de l’extra-cinéma, c’est-à-dire des activités originales que nous mettons en place au-delà de la pure projection de films. On est connus pour être un peu foufous ! »
Pour surprendre et amuser ses spectateurs, le Star propose dans sa programmation d’anniversaire plusieurs événements insolites. Amoureux de sucreries et de films futuristes ? Rendez-vous le 12 décembre pour la soirée plaid – à ramener – et pop-corn (ça, c’est le cinéma qui offre) avec la projection du chef d’œuvre de Bong Joon Ho, Snowpiercer (l’histoire d’un train gigantesque condamné à tourner autour de la terre, dans un futur post-apocalyptique, inspirée d’une bande dessinée toute aussi incroyable, réalisée par deux Français, Jacques Lob et Jean-Marc Rochette).
Après le plaid sur les genoux, les spectateurs sont invités à participer à la projection du Journal de Bridget Jones avec leur plus moche pull de Noël le vendredi 15 décembre, à 19h45. De quoi donner fière allure à la salle.
Pour un autre type d’immersion, une salle sera transformée en cockpit de « Star Airline », avec une équipe d’hôtesses de l’air et de stewarts prêts à faire embarquer les participants à destination du film Les Amants passagers de Pedro Almodovar, le 14 décembre à 19h45. Le 17 décembre, le cinéma propose une « séance qui fait du bien » où l’on expliquera aux spectateurs stressés comment se détendre grâce à des auto-massages shiatsu. Une soirée « Butch de Noël » sera également proposée le 21 décembre, comme un avant goût des fêtes de famille avec le film queer Ma belle famille, Noël et moi.
Animations pour les plus jeunes
Le Star a également prévu des animations pour les plus jeunes. Le vendredi 1er décembre sera rythmé par un atelier de cartes de vœux et d’écriture de lettres au père Noël. Une séance spéciale du « Doudou Club » aura lieu le 3 décembre, avec la projection d’Ernest et Célestine en hiver, en présence de Doudou – la mascotte -, évidemment. Un goûter sera servi lors de cette séance accessible à partir de 2 ans.
Mercredi 13 décembre à 15h30, ce sera au tour de Shaun le Mouton d’être la star de l’écran. Une séance un peu particulière puisque la mère Noël y fera une apparition pour un « Secret Santa ». Les participants sont donc invités à ramener un cadeau (d’une valeur inférieure à 5€) pour l’offrir à un autre spectateur.
Les adultes seront également invités à se prendre au jeu le 7 décembre, lors d’un quiz sur « Noël au cinéma ». Ils pourront aussi se trémousser aux notes de l’ensemble vocal Koïra, invité pour la journée mondiale des chorales, le lundi 11 décembre à 19h30. Une visite du cinéma est prévue pour les curieux, le 2 décembre à 18h30 sur inscription. « Cet anniversaire est aussi l’occasion de refaire découvrir le lieu aux spectateurs et leur permettre de se l’approprier« , précise Stéphane Libs.
Mannele, vin chaud et sucre d’orge
Entre les apéros pour le Club des jeunes cinéphiles, ses avant-premières et ses participations à différents festivals, Stéphane Libs fait le choix d’intégrer le Star au sein d’un quartier, d’une ville.
« On voit que dans le regard des gens, nous sommes passés d’un cinéma d’Art et d’essai à un cinéma de proximité. Nos quarante ans sont donc aussi rythmés par de petits gestes du quotidien, comme partager un verre de l’amitié avant d’assister à la projection de notre traditionnel film surprise, ou participer à une récolte de jouets pour le magasin Carijoux ».
Le cinéma prévoit également tout un tas de rendez-vous gourmands : distribution de mannele le 6 décembre, du vin chaud le 10 décembre, des sucres d’orge le 22 décembre et d’autres confiseries les 24 et 29 décembre.
Pour l’occasion, le cinéma lance également sa boutique en ligne avec des produits équitables illustrés par deux artistes passés par les Arts décos de Strasbourg : Anouk Ricard et Blutch. On y retrouvera également les anciens goodies du Star, comme le traditionnel tote bag portant l’inscription « Cinéphile /si.ne.fil/ adj. et n. : personne qui a tendance à se rendre au Star plutôt qu’au St-Ex ou inversement. »
Au cœur du quartier de la Krutenau se niche le Jabiru Café, enseigne de la cuisine et des cultures panafricaines. En 2022, le café et des étudiants de la Haute École des Arts du Rhin ont collaboré sur un projet d’affiches. Elles sont exposées depuis le 14 novembre dans la salle du restaurant.
Ouvert depuis 2019 au milieu des maisons à colombages de la Krutenau, le Jabiru Café a fait du panafricanisme son concept. Ce terme désigne un espace géographique ayant une parentalité historique avec les cultures du continent africain, qui s’étendent au-delà de ses frontières. Loin de réduire leur diversité, il s’agit plutôt de les mettre en avant, tout comme leur influence dans nos sociétés, hier comme aujourd’hui.
En novembre, le plat mis en avant est le « hudut », une préparation à base de lait de coco, origan et bananes plantains, issu de la culture Garifuna – un peuple issu du métissage d’esclaves noirs naufragés au large de Saint-Vincent, et des populations autochtones.
De l’assiette à l’affiche : 12 suggestions, 12 affiches
En 2021, une collaboration est imaginée entre les professeurs de la section « Illustration » de la Haute école des arts du Rhin (HEAR) et Gilles Dolatabadi, gérant du Jabiru. Un projet est présenté aux étudiants de 3e année pour que des petits groupes réalisent 12 affiches qui illustrent les thèmes des douze « suggestions du mois » de l’année 2021-2022.
Sur chacune des douze affiches, on retrouve le titre de la thématique mensuelle, le nom du plat ainsi que le texte historique. Mais surtout, on peut y voir des illustrations sérigraphiées qui représentent les histoires de ces plats.
Échanges culinaires, artistiques et historiques
Les étudiants ont pu goûter les différents plats et ont eu accès à de nombreux éléments : listes de mots et de visuels, descriptions historiques et échanges avec les salariés du restaurant.
« Pour les artistes, ça a été l’occasion de découvrir des cultures différentes. J’ai pu partager nos connaissances via ces douze thématiques et eux m’ont partagé un peu sur leurs pratiques artistiques et la manière dont ils ont travaillé ensemble. »
Gilles Dolatabadi, gérant du Jabiru Café.
La question de la légitimité à illustrer des histoires de peuples dont ils et elles ne sont ni originaires, ni spécialistes a été soulevée par une des étudiantes de la HEAR. Pour Gilles Dolatabadi, l’important est d’exposer les faits, de continuer à faire exister cette mémoire pour en respecter le souvenir. « Ces histoires dérangent, elles sont souvent borderline » analyse le gérant du Jabiru Café, « parce qu’elles parlent d’esclavage, de guerres et de religions, des sujets trop peu abordés en France métropolitaine ». En mai 2022, au Jabiru Café, la suggestion du mois était justement en lien avec l’abolition de l’esclavage en Martinique et en Guadeloupe.
D’autres thématiques abordent le métissage issu des déplacements (souvent forcés) de populations. Ces récits de l’histoire mondiale peuvent croiser des histoires singulières, quelquefois locales. Ce fut le cas avec le thème « Romance et Casamance » qui mettait à l’honneur Fatou Diome, romancière strasbourgeoise et sénégalaise. Les affiches permettent de faire perdurer sur les murs du Jabiru ces récits multiples.
Étudiante en Master Écritures critiques et curatoriales de l’art et des cultures visuelles, ses recherches se concentrent sur les études de genre et l’art thérapie.
Ce jeudi 30 novembre, le collectif écologiste Dernière rénovation a badigeonné de peinture orange le grand sapin de Noël de la place Kléber, en déployant une banderole dénonçant la COP28 aux Émirats arabes unis.
Au milieu des touristes émerveillés par le grand sapin de Noël de la place Kléber surgit subitement une poignée de militants écologistes jeudi 30 novembre vers 17h. Sous les regards médusés des badauds, ils franchissent une petite barrière séparant le conifère de la foule, sortent des extincteurs et badigeonnent ses branches d’une peinture orange. Deux membres du collectif Dernière rénovation tendent une banderole et dévoilent leurs t-shirts, avec des messages critiquant l’organisation de la COP28 à Dubaï (Conférence internationale de l’ONU sur les changements climatiques).
Le collectif écologiste a voulu profiter de l’exposition du Marché de Noël pour alerter sur la tenue de la conférence internationale, qui a démarré le même jour aux Émirats arabes unis. Les militants dénoncent des « COP qui s’enchaînent et se ressemblent, sans progrès significatif ni accord contraignant ». Ils critiquent le choix d’organiser cette COP à Dubaï, capitale d’un des États exportant le plus de pétrole au monde.
« On souhaitait souligner l’hypocrisie d’organiser une COP à Dubaï »
Cinq minutes à peine après le début de l’action, deux hommes dans la foule viennent s’interposer. L’un arrache la banderole, l’autre écarte un militant par le bras en pestant contre les écologistes. Très vite, des policiers interviennent et mettent à l’écart les militants après avoir relevé leur identité. En fond sonore, un jeune chante un air mièvre, alors que la situation revient à la normale.
« C’était important de marquer le coup », explique Simon, membre de Dernière rénovation :
« On souhaitait souligner l’hypocrisie d’organiser la COP à Dubaï mais aussi de confier la présidence de la conférence à Sultan Al-Jaber (également président directeur général de la Abu Dhabi National Oil Company, NDLR), qui pourrait profiter de ce sommet pour réaliser des contrats. »
Au sujet de la peinture ayant aspergé l’arbre, il assure qu’elle partira avec un peu d’eau. « Et même si le sapin était détérioré, qu’est-ce qui est le plus choquant ? De la peinture sur un sapin, ou ce que vivent les pays du Sud, qui subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique ? », questionne le militant.
À l’heure de publier cet article, les cinq militants ont été interpellés par les forces de l’ordre mais il n’y a pas d’information sur de potentielles arrestations.
Après la manifestation des enseignants du collège Kléber jeudi 30 novembre suite au dépôt de plainte d’un enseignant pour menace de mort, le recteur de l’Académie de Strasbourg Olivier Faron a annoncé lors d’une conférence de presse la mobilisation d’une équipe de sécurité dans l’établissement.
« Je condamne fermement et sans appel ce qu’il s’est passé. Les propos tenus par l’élève à l’encontre du professeur sont inadmissibles et inacceptables. » Olivier Faron, recteur de l’académie de Strasbourg, a annoncé soutenir la plainte déposée par l’enseignant du collège Kléber, lors d’une conférence de presse jeudi 30 novembre.
Le même jour, les enseignants de l’établissement se sont mis en grève pour demander une meilleure prise en charge des violences récurrentes constatées dans l’établissement. Cette mobilisation fait suite au dépôt d’une plainte, par un professeur, pour menace de mort. Selon l’enseignant, l’élève aurait menacé de le tuer à la sortie de l’établissement, après que le professeur ait confisqué son téléphone mardi 28 novembre.
Exclusion temporaire et signalement à la procureure
Sur place dans l’établissement jeudi matin, Olivier Faron a rencontré les enseignants en grève et assure avoir pris des mesures concrètes :
« L’élève est temporairement exclu et passera en conseil de discipline le 19 décembre. Si l’enseignant le demande, nous l’appuierons dans sa plainte en couvrant les frais d’avocat. Il pourra aussi bénéficier d’une protection fonctionnelle de la part de notre administration. Une équipe mobile de sécurité est présente au collège Kléber depuis jeudi matin : deux personnes expertes en gestion de crise sur des questions de sécurité et la prise en charge psychologique. »
Jean-Pierre Geneviève, directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen), précise qu’un signalement a été fait auprès de la procureure de la République de Strasbourg, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale – qui exige que « [t]oute autorité constituée [qui] dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenue d’en donner avis sans délai au procureur de la République ».
Lors de cette conférence de presse, le recteur a précisé attendre des équipes de direction des écoles, collèges et lycées des remontées systématiques des incidents de ce type. « Nous faisons en sorte que ces remontées soient le plus opérationnelles possibles. Elles sont classées selon leur niveau de gravité, entre 1 et 3 », poursuit-il. Précisant qu’il prend personnellement en charge les remontées de type 2 et 3.
« Il faut rétablir l’autorité, comme l’a déjà dit Gabriel Attal (ministre de l’Intérieur, NDLR). Les enseignants ont l’autorité sur les élèves et le moindre fait d’incivilité doit être remonté. Tous ceux qui commettent des faits graves feront l’objet de sanctions adaptées. »
Olivier Faron, recteur de l’Académie de Strasbourg
Travailler sur la sécurisation
Réaffirmant son soutien aux équipes de direction, d’enseignement et de vie scolaire, Olivier Faron a souligné que le groupement scolaire Kléber est un exemple de mixité sociale. « Mais cela pose des questions de sécurisation et d’organisation de l’espace », a-t-il précisé. Plus de 3 000 élèves y sont scolarisés.
« Nous travaillons avec la Collectivité européenne d’Alsace et la Région Grand Est pour sécuriser l’accès aux établissements, car c’est à eux qu’appartiennent les bâtiments. »
Admettant que les établissements avaient des « points de faiblesse » concernant leur sécurisation, Olivier Faron assure que des travaux pourront être faits en « extrême urgence » pour y remédier. Une sécurisation par ailleurs définie largement par le recteur qui n’exclut pas d’y inclure de la « cybersécurité ».
Pas d’éducation prioritaire avant 2024
Les enseignants mobilisés souhaitaient aussi disposer de plus de moyens, en passant le collège en réseau d’éducation prioritaire (REP). Mais ce ne sera pas le cas avant, au moins, 2024 :
« Notre académie a un indice de positionnement social qui décline par rapport à 2022. La carte de l’enseignement prioritaire va être ouverte car elle date de 2015. Nous allons y travailler en 2024 avec la carte de la politique de la Ville, qui va également impacter les quartiers politiques de la ville (QPV, NDLR). »
Olivier Faron, recteur de l’Académie de Strasbourg
Selon le recteur, la carte de l’éducation prioritaire devrait alors être étendue pour l’Alsace. « Avec 31 000 personnels sur l’Académie, je souhaiterais que nous ayons le double de moyens. Mais pour le moment, la question centrale est celle de la répartition des moyens actuels ».
Après trois heures d’occupation de l’école élémentaire des Romains, dans le quartier de Koenigshoffen à Strasbourg, deux familles sans-abris ont été relogées dans un bâtiment de la Ville de Strasbourg, jusqu’au 31 mars.
La satisfaction est partielle pour Cécilia Quintiliani, porte-parole du collectif Pas d’enfant à la rue, qui avait annoncé l’occupation de l’école des Romains, mercredi 29 novembre. L’objectif était de loger deux familles sans-abris dont les enfants sont scolarisés dans cet établissement. Finalement, la Ville de Strasbourg leur a trouvé une solution d’hébergement. « Jusqu’au 31 mars, elles pourront habiter un appartement chacune », précise Cécilia Quintiliani.
Un hébergement trouvé en trois heures
En tout, six enfants seront donc à mis l’abri pour l’hiver. Certains d’entre eux dormaient sous une tente depuis cinq mois. Portée par le collectif et l’association de parents des élèves indépendants de l’école des Romains, l’occupation s’est déroulée entre midi et 15h30. « Des élus sont venus pour trouver une solution, comme lors des occupations précédentes », explique Cécilia Quintiliani, faisant référence à l’école de la Ziegelau notamment – où une solution temporaire d’hébergement par une association avait été proposée à une mère et ses enfants en juin.
Pour la première fois cependant, la solution trouvée pour sortir ces deux familles de la rue est un relogement, temporaire, dans un bâtiment appartenant à la Ville de Strasbourg. « Nous avons pu proposer cela grâce à l’association Les petites roues, qui se porte garante », explique Floriane Varieras, adjointe à la maire en charge des solidarités.
Un bâtiment de logements du quartier de Koenigshoffen, dont la Ville est propriétaire, abritera jusqu’au 31 mars 2023 les deux familles, dans deux appartements de 100 mètres carrés. L’association Les petites roues est signataire d’une « convention d’occupation temporaire du domaine public » avec la Ville et payera 75 euros par mois et par logement. « Je viens de souscrire à une assurance habitation pour pouvoir signer la convention », explique Sabine Carriou, présidente de l’association.
Une solution exceptionnelle
« C’est la première fois que nous procédons comme ça », poursuit-elle. Habituellement, l’association fait appel aux dons pour pouvoir payer quelques nuits d’hôtels aux personnes vulnérables qui ne sont pas prises en charge lorsqu’elles demandent un hébergement d’urgence en appelant le 115.
« La solution trouvée cette fois-ci est exceptionnelle et nous permet d’absorber ces deux cas », expose Floriane Varieras, « mais ma satisfaction est modérée », expliquant que les précédents locataires des logements qui seront rénovés et dans lesquels les familles sont relogées venaient tout juste de partir :
« C’est très bien pour les deux familles qui dormiront au chaud dès ce soir, mais dès qu’on dé-zoom un peu, la situation est tragique. La semaine du 20 novembre, la maraude du Service d’accueil a rencontré 192 personnes personnes sans-abri et 50 enfants. Et c’est un chiffre plancher car il ne prend pas en compte toutes les personnes qu’elle n’a pas rencontré. »
Floriane Varieras, adjointe municipale en charge des solidarités
En juin, une enquête de Rue89 Strasbourg estimait à au moins 35 les signalements effectués auprès du rectorat par les chefs d’établissements scolaires relatifs au sans-abrisme de leurs élèves. « Ce serait bien qu’on ne soit pas à chaque fois réduits à occuper une école pour que les enfants à la rue bénéficient d’un hébergement », tranche Cécilia Quintiliani.
Appel à ouvrir les gymnases
Pour Floriane Varieras, il est temps que la préfecture décrète le plan « Grand Froid » et ouvre conséquemment des gymnases pour mettre au chaud celles et ceux qui dorment dehors, enfants et adultes inclus : « J’ai l’impression que chaque semaine sont battus les records de personnes à la rue et que le gouvernement ne prend pas la mesure du problème. »
Quant aux discussions entre Ville et préfecture – cette dernière est responsable de l’hébergement d’urgence -, Floriane Varieras explique qu’elles existent. « Mais eux aussi travaillent à moyens constants, ils n’ont pas plus d’argent du gouvernement alors que la demande augmente », explique-t-elle.
Pour le moment, Floriane Varieras assure que la solution de louer à des familles sans-abri des appartements qui appartiennent à la Ville, via des associations, « n’est pas systématisable », ces appartements étant très rarement disponibles.
Suite à une plainte contre un élève pour menace de mort déposée par un professeur mardi 28 novembre, la quasi-totalité des enseignants du collège Kléber seront en grève jeudi 30 novembre. Ces derniers demandent une meilleure prise en charge des violences récurrentes constatées dans l’établissement.
« Vous allez voir à la sortie du collège, dans la rue avec mes copains. Je te tue. » Daniel Elbaz, professeur de musique et délégué syndical Sgen au collège Kléber, rapporte les termes précis issus d’une plainte pour une menace de mort subie par l’un de ses collègues, mardi 28 novembre. Un peu avant-midi, l’enseignant aurait confisqué le téléphone d’un élève, qui lui aurait répondu ainsi.
Cet événement a provoqué une réaction immédiate de la part de l’équipe enseignante qui a décidé à la quasi-unanimité d’entrer en grève jeudi 30 novembre et de se rassembler devant l’établissement dès 8h. « Ce n’est pas un syndicat qui est à l’origine de cette mobilisation, mais tous les professeurs de façon spontanée », assure une enseignante. « Il y a eu des réunions informelles en salle des professeurs, des discussions dans les couloirs et sur WhatsApp », indique Gilles Comte, enseignant d’histoire-géographie et délégué CGT.
Des explosions de mortiers, des agressions…
L’équipe du collège Kléber réclame une réponse concrète de la direction à ce type d’incidents, qui arrivent régulièrement selon les professeurs interrogés par Rue89 Strasbourg. Daniel Elbaz affirme qu’une enseignante a porté plainte après le vol de son portefeuille par des élèves mardi. Il énumère d’autres cas similaires :
« La veille, lundi, un puissant mortier a explosé dans un couloir faisant trembler les murs de l’établissement. C’était déjà arrivé avant les vacances de la Toussaint. Début octobre, une conseillère principale d’éducation et une professeure ont été bousculées et insultées par des jeunes qui n’étaient pas élèves mais s’étaient introduits dans l’enceinte du collège. L’une des deux est encore en arrêt maladie fin novembre. »
« Il y a aussi les agressions entre élèves », dénonce une professeure : « Un jeune de confession juive s’est fait asperger la tête avec du déodorant par un autre élève qui lui a dit qu’il allait le gazer et que c’était dommage que les camps de concentration n’existent plus. » Face à ces violences, les enseignants demandent « l’ouverture d’un véritable dialogue avec la direction », comme l’explique Jean-Pierre Gavrilovic, délégué syndical du Snalc :
« Lorsque j’échange avec la cheffe d’établissement, elle me dit qu’il n’y a pas de problème particulier. Le fait que ces incidents ne soient pas pris au sérieux par la direction est très difficile pour les enseignants. Il faut qu’on se mette tous autour d’une table, qu’on fasse une réunion extraordinaire. Les choses ne peuvent pas continuer comme ça. »
Les enseignants demandent des réponses concrètes
Gilles Comte, de la CGT, détaille ce que devrait faire la direction du collège dans de telles circonstances :
« On attendrait des réponses immédiates, des mails ou des réunions pour parler des faits, et des sanctions disciplinaires. Là, on a l’impression qu’ils nous cachent ces événements. Il n’y a aucune communication dessus. On est au courant parce qu’on en parle entre nous. »
Daniel Elbaz évoque le fait que des élèves du collège Kléber viennent de l’école élémentaire des Romains à Koenigshoffen et ne sont vraisemblablement pas acceptés, par manque de places, au collège Twinger, qui est dans un réseau d’éducation prioritaire (REP) :
« Aujourd’hui, le collège Kléber n’a pas suffisamment de moyens comme il n’est pas en REP. Les effectifs ne sont pas réduits par exemple… »
Contactée, la direction du collège Kléber n’a pas fait suite à la sollicitation de Rue89 Strasbourg. Elle a cependant déclaré à France 3 que les événements du mardi 28 novembre étaient « d’une gravité extrême », que l’élève nie les faits et qu’il fait l’objet d’une mesure conservatoire lui interdisant de se rendre dans l’établissement.
Les États généraux de la presse indépendante débutent. Une centaine de médias se sont mobilisés pour apporter 59 propositions au débat public sur l’avenir des médias. Objectif : garantir une presse libre, plurielle, en capacité de produire des révélations, et loin des grandes fortunes. Deux rendez-vous : une journée de lancement à Paris jeudi 30 novembre, à suivre en direct, et une soirée de débats à Strasbourg vendredi 15 décembre.
Comment lutter contre la concentration des médias alors qu’en Alsace, les deux titres de presse quotidienne appartiennent tous les deux à une filiale du Crédit mutuel, la principale banque de la région ? Comment éviter que des journalistes se retrouvent en garde à vue pour avoir fait leur travail ? Comment garder les journalistes libres d’informer sans craindre de pressions de la part des actionnaires de leur média ?
Ce jeudi 30 novembre, à Paris, un journée de débats ouvrira les États généraux de la presse indépendante (EGPI). Une initiative portée par une centaine de médias indépendants, dont Rue89 Strasbourg, rassemblés pour faire entendre une autre voix dans le débat public, alors que débutent les États généraux du droit à l’information, organisés par le gouvernement et qui risquent bien de ne déboucher sur rien. La journée de lancement des EGPI est à suivre en direct ci-dessus à partir de 17h.
La presse indépendante fait ses propositions
Après plusieurs semaines d’échanges, une centaine de médias indépendants ont formulé 59 propositions pour améliorer le sort de la presse française. Elles sont à découvrir dans ce livret, publié avec le concours du Fonds pour une presse libre. Parmi celles-ci, on peut compter pêle-mêle :
La refonte complète de la loi de 1986. L’objectif est de renforcer, en les abaissant, les seuils de concentration des médias.
Doter l’équipe rédactionnelle d’un média d’une personnalité juridique, qui lui confère un droit d’opposition en matière éditoriale lorsque son indépendance est mise en cause par un actionnaire, par la direction ou par un annonceur. Ce droit collectif complète les droits individuels des journalistes : clause de conscience, de cession.
Travailler afin que le délit de presse n’ait pas sa place devant les tribunaux de commerce. Il faut prévoir des immunités de poursuites civiles (notamment dénigrement commercial, secret des affaires, etc.) et empêcher les poursuites en référés visant à censurer avant toute publication des contenus journalistiques.
Ou encore :
Élargir le champ des bénéficiaires de la protection du secret des sources au sein des médias et des organisations qui accompagnent les lanceuses et lanceurs d’alerte.
Une soirée de débats à Strasbourg
À Strasbourg, Rue89 Strasbourg organise une soirée de débats autour des États généraux de la presse indépendante, vendredi 15 décembre à partir de 18h30 à l’auditorium de la Bibliothèque nationale universitaire. Avec des membres de la presse indépendante alsacienne, des universitaires et des représentants d’organisations de journalistes, il sera question de l’écosystème des médias en Alsace.
Le collectif Palestine 67 appelle à une mobilisation le samedi 2 décembre pour l’adoption d’un cessez-le-feu définitif à Gaza. La manifestation débutera à 14h place Dauphine.
Alors que la trêve fragile entre Israël et le Hamas doit s’achever le jeudi 30 novembre au matin, le collectif Palestine 67 organise une nouvelle manifestation ce samedi 2 décembre à Strasbourg pour exiger un cessez-le-feu définitif à Gaza. Depuis le début de la trêve, 60 otages israéliens ont été libérés et de l’aide humanitaire a été acheminée vers Gaza.
Le parcours de la marche sera le même que celui de la semaine dernière. La manifestation débutera place Dauphine puis le cortège passera par la rue de la première Armée, le quai Finkwiller et les ponts couverts pour rejoindre la place de la Gare.
Alerter sur la situation sanitaire
« Au-delà du cessez-le-feu définitif, nous voulons aussi profiter de la manifestation pour alerter sur la situation sanitaire à Gaza, à cause de l’ampleur des destructions et de la mise à l’arrêt d’une bonne partie des hôpitaux », explique Hervé Gourvitch, l’un des porte-paroles du collectif Palestine 67. « Nous voulons aussi alerter sur la situation en Cisjordanie, où l’on donne des armes aux colons israéliens », continue le militant.
Lorsque le cortège atteindra la place de la Gare, une série de prises de paroles sera organisée pour alerter les passants sur le bilan humain désastreux du conflit.
Alors que des changements abrupts de présidence plombent le club de foot amateur Pierrots Vauban, des adhérents pointent un matériel défaillant, un encadrement insuffisant et des tarifs excessifs.
Sous une pluie fine, une poignée de supporters en capuche conversent en regardant leurs enfants finir leur match de foot. Régulièrement, l’entraîneur lance un cri en l’air en direction de ses petits joueurs, parfois un encouragement, parfois une consigne. Parfois juste un cri, indéchiffrable. Malgré les efforts du coach pour animer le stade Émile Stahl au quartier Vauban, ce samedi 25 novembre reste une journée morose, au camp d’entraînement de l’AS Pierrots Vauban (ASPV). Et la pluie n’explique pas tout : depuis plusieurs semaines, le club est plombé par des remous au sein de sa direction et une colère sourde des adhérents.
Quelques jours plus tôt, un article de Rue89 Strasbourg révélait que l’ancien directeur du club de foot amateur, Philippe Weiss avait porté plainte pour « menace de crime contre les personnes avec ordre de remplir une condition » contre deux adhérents de l’ASPV. Concrètement, il les accuse de l’avoir forcé à démissionner sous la contrainte, le mardi 7 novembre. La semaine suivante, il quittera de lui-même son poste avec plusieurs membres du comité de direction.
Addition de déceptions
« Les problèmes au sein du club ? Les gamins ne s’en rendent pas compte heureusement… » Dans les couloirs du club-house, Guillaume fait tout de suite la moue quand on le questionne sur les répercussions de la crise au sein de la direction. Père d’un enfant de neuf ans inscrit à l’ASPV, il raille le discours du club :
« On m’a dit qu’ici, c’était l’élite du foot amateur. Mais pour la saison dernière, on a eu un entraîneur des jeunes, qui était retraité et un peu perdu. Il était très gentil mais ce n’était pas vraiment le coach qu’on espérait. Et l’année d’avant, c’était le flou artistique, avec plusieurs coachs qui ne restaient pas en poste. »
Avant que son fils ne rentre du vestiaire, Guillaume précise, avec un sourire :
« Écoutez, je n’ai pas de “projet Mbappé” avec mon fils, s’il n’est pas vraiment bon, c’est pas vraiment grave. Mais j’attends quand même qu’on lui apprenne à faire un contrôle ou une passe correcte, dans de bonnes conditions… »
Derrière lui, Ihab descend de la cafétéria avec son fils Iyed, déjà changé. En nous observant avec les yeux grand ouvert, ce dernier essaye de comprendre : « Le président il faisait pas ses devoirs, papa ? » Ihab lui répond avec un sourire, avant de partager son sentiment sur la situation du club :
« Ça fait un an qu’on demande plus de moyens. Il aurait fallu plus de ballons pour les enfants, plus d’encadrants aussi, moins de turn-over parmi les coachs… Et derrière, on nous demande de payer beaucoup d’argent. 290€ pour mon gamin, ce n’est pas rien. »
La question de la cotisation revient fréquemment chez les parents interrogés. Zuhal, qui a aussi un garçon dans le club, détaille :
« Mon fils a débuté en U8 en 2018. À l’époque, les frais d’inscriptions étaient de 190€. Aujourd’hui, c’est 100€ de plus, c’est trop. Cette différence de tarifs, on ne la comprend pas en tant que parent. »
Critiques sur la gestion financière
En plus des soucis de matériel et de finances, les parents rencontrés ne digèrent pas les accusations de l’ancien président, Philippe Weiss, qui assure avoir été contraint à la démission. « J’étais présent le soir où il aurait été retenu, et ce n’était pas de la séquestration », assure un parent de joueur, également en charge d’administrer l’une des sections de jeunes : « C’est clair que c’était tendu, puisqu’il avait tout le club à dos, mais on voulait simplement qu’il prenne la parole, qu’il nous donne des explications sur la situation financière, sans esquiver. »
Avec 375 licenciés, le club n’est pas dénué de ressources nettes. Mais le club a dû baisser ses dépenses, en raison d’une rétrogradation de National 3 en Régional 2.
Selon les comptes fournies par Philippe Weiss, le budget prévisionnel du club s’élèverait à 220 000€ pour l’année 2023-2024. Les recettes obtenues par les cotisations des licenciés représentent 48 000€. Mais surtout, le club doit composer avec une dette de 92 000€ à rembourser, une situation décriée par les parents rencontrés.
Contacté par Rue89 Strasbourg, l’ancien directeur Philippe Weiss précise :
« Pour un club comme le notre, 92 000 euros d’emprunts, ce n’est pas colossal. Comme dans une entreprise, on doit gérer des avoirs, des créances, des dettes… L’un des problèmes que les mécontents ne mentionnent pas, c’est les cotisations impayées. Ça représente 18 000€ pour l’année 2021-2022, rien que pour les 14-17 ans. En 2022-2023, 25 000€ de cotisations ne sont pas rentrées. Avant, les subventions de la Ville pouvaient cacher ces trous mais avec la diminution de ces dernières années et la baisse des revenus liés au sponsoring, ça compte. »
Philippe Weiss raille ses détracteurs qui « râlent sur les montants des cotisations » tout en « réclamant de l’équipement supplémentaire ». Son successeur par intérim, Ziad Fajr El Idrissi, assure que les problèmes d’équipement vont cesser mais il prévient :
« Moi je ne fais que la transition. Une assemblée générale sera bientôt organisée qui élira le futur président et je ne me présenterai pas. »
Sous pression des syndicats, le président de la Collectivité d’Alsace Frédéric Bierry (LR) a initié un « baromètre social » pour recueillir les avis des agents du Département sur l’ambiance de travail. Démarré en septembre, ses premières conclusions témoignent d’un mal être parmi les cadres dirigeants.
Depuis septembre, la Collectivité d’Alsace (CeA) bruisse de causeries sur son « baromètre social », une grande enquête sur le climat interne à la collectivité départementale, menée par le cabinet KPMG. Les syndicats et les conseillers d’Alsace de l’opposition de gauche demandaient depuis début 2023 un audit externe suite à des dénonciations anonymes envoyées à plusieurs médias. Ces messages visaient Myriam Stenger, la directrice de cabinet du président de la CeA Frédéric Bierry (LR), pour des faits assimilables à du harcèlement moral à l’encontre de ses collaborateurs de cabinet.
En mars 2023, Frédéric Bierry a refusé cet audit externe ciblé sur les collaborateurs du cabinet, préférant un baromètre social, une procédure recueillant les retours de l’ensemble des 6 000 agents de la CeA. Une décision contestée par quatre syndicats représentatifs sur cinq, qui ont estimé qu’il fallait se concentrer sur les cadres. Finalement, 4 003 fonctionnaires ont participé à cette enquête interne.
Les conclusions de ce « baromètre social » devraient être présentées au début de l’année 2024 mais certains éléments ont déjà fuité. Ils témoignent d’un mal-être important parmi les cadres dirigeants au sein de la collectivité alsacienne.
Mal-être marqué chez les encadrants
Les DNA reprennent ainsi les commentaires de KMPG, qui souligne que les agents ressentent « une insécurité face aux changements [induits par la fusion des collectivités du Bas-Rhin et du Haut-Rhin au sein de la CeA, NDLR] à toutes les strates hiérarchiques ». Parmi eux, les « encadrants stratégiques » (directeur, adjoint…) sont les plus touchés. Selon le baromètre, 68% d’entre eux ne se verraient pas rester à la Collectivité d’Alsace plus de trois ans.
Selon les informations obtenues par Rue89 Strasbourg issues du rapport de KPMG, 59% de ces cadres stratégiques sont « en train de vivre ou s’attendent à vivre » une détérioration de leurs conditions de travail, une proportion supérieure à toutes les autres catégories interrogées.
Parmi les 4 003 agents ayant répondu, 2 496 livrent leurs commentaires : 14% de ces retours évoquent le besoin d’un « cap et d’orientations claires », davantage de « visibilité » sur les « projets de la collectivité » et une meilleure délimitation entre la sphère de « l’administration » et celle du « cabinet » du président du Département. L’ingérence de la directrice de cabinet du président, Myriam Stenger, est donc bien toujours parmi les préoccupations majeures des agents.
« Pour moi, cette collectivité est malade à cause de sa tête »
« Il faut qu’ils aient le cœur sacrément bien accroché, pour qu’ils continuent d’exercer leurs missions au quotidien », commente un ancien directeur général des services (DGS), ayant travaillé avec Frédéric Bierry, à Rue89 Strasbourg. En apprenant les premiers résultats du baromètre social, il blâme le besoin de contrôle du président de la CeA :
« Je ne suis pas du tout surpris. Frédéric Bierry se comporte comme un populiste, au sens premier du terme : pour lui les cadres dirigeants ne servent à rien. Il n’y aucune forme de reconnaissance de leur travail, ce sont des parasites qui embêtent les agents et, dans une moindre mesure, les politiques. Or, ce sont eux la base de l’organisation, il ne réalise pas à quel point la collectivité fonctionne grâce à leur engagement et à leur dévouement. »
À propos du reproche formulé par plusieurs cadres sur les interférences régulières du politique dans la sphère administrative, l’ancien DGS abonde :
« Ces interférences ne devraient exister qu’à la marge, sur les grandes orientations. Mais quand des agents prennent des décisions mineures sans tenir le président Bierry au courant, ce qui est inévitable dans une collectivité de cette taille, ce dernier se vexe. Il voudrait que tout lui remonte, que la moindre décision passe par lui, qu’il tranche à chaque fois. C’est ça qui est épuisant. Dans un Département, ça ne fonctionne jamais comme ça. Vraiment, en matière de gestion de personnel, cette collectivité est rendue malade à cause de sa tête. »
Quelle réaction de Frédéric Bierry ?
Contacté, l’un des représentant syndicaux du personnel de la CeA, suivant l’avancement du baromètre social, refuse de donner davantage d’éléments mais partage le diagnostic :
« Même si nous aurions préféré un audit interne, le baromètre a le mérite de révéler que les cadres dirigeants ne se sentent pas bien du tout au sein de la collectivité. Maintenant, la question qui se pose c’est la réaction de Frédéric Bierry. Au regard des conclusions qui ciblent directement sa gouvernance, on espère une prise en compte débouchant sur des mesures concrètes. »
Interrogé sur les retours des agents sur le fonctionnement de la Collectivité d’Alsace, le cabinet de Frédéric Bierry a répondu par écrit : « Les conclusions seront remises prochainement et permettront de définir un plan d’actions dans une volonté continue de l’amélioration du bien-être des collaborateurs. »
Sidi, 45 ans, a dû prouver à la Caisse d’allocations familiales qu’il était bien vivant pour continuer à percevoir ses allocations. Après que Domial, son ancien bailleur social, l’a déclaré mort, il a dû entamer une série de démarches afin de ne pas perdre son existence légale.
« Apparemment mon ancien bailleur social pensait que j’étais mort mais franchement c’est très bizarre parce qu’en fait, je suis vivant. » Cette situation ubuesque est celle de Sidi, 45 ans. Dans sa chambre au rez-de-chaussée d’un immeuble bas de Lingolsheim, aux volets fermés, il a préparé tous les documents qu’il consigne précieusement dans une pochette en carton depuis juillet 2023. Parmi ceux-là, un certificat de vie.
Au début de l’été, Sidi a été averti par Ophéa, son bailleur social actuel, que le prélèvement pour payer son loyer n’a pas pu aboutir, faute de fonds suffisants. Après vérification de son relevé bancaire, le père de famille constate que la Caisse des allocations familiales (CAF) du Bas-Rhin, dont il dépend en partie financièrement, ne lui a pas versé les allocations auxquelles il a droit. « Je paye toujours mon loyer à temps, ça m’a tout de suite alerté car ce n’était pas normal », explique Sidi.
Il informe immédiatement son assistante sociale de la situation. Aux sollicitations de cette dernière, la CAF du Bas-Rhin répond le 17 juillet dans un document scanné que Sidi a été déclaré mort par son précédent bailleur social, Domial. « Je ne suis plus locataire chez eux depuis décembre 2022 », explique Sidi, qui peine encore à comprendre.
« Bonjour,
Nous avons suspendu le dossier de l’allocataire suite au signalement du bailleur Domial nous informant du décès de l’allocataire.
Nous avons demandé confirmation à la Ville de Lingolsheim sans réponse à ce jour.
J’ai fait une note en urgent dans le dossier de l’allocataire afin de régulariser les droits prochainement.
Cordialement. »
Mail envoyé par la CAF du Bas-Rhin à l’assistante sociale de Sidi
Contactée, la chargée de communication du bailleur social Domial, Magali Ritzman, explique ne pas avoir la trace d’une telle déclaration transmise à la CAF. « J’ai fait le tour de nos équipes et en aucun cas nous n’avons annoncé le décès » de Sidi, assure-t-elle, déplorant que la vérité soit entre « la parole de la CAF contre la nôtre » et réitérant la bonne foi de Domial. « D’autant plus que Monsieur n’est plus locataire chez nous depuis mi-décembre 2022 et que l’état des lieux s’est bien passé », conclut-elle.
Pas de problème pour la CAF
Du côté de la CAF, la communication de son antenne Bas-Rhinoise confirme par écrit à Rue89 Strasbourg la suspension des allocations, sur la seule foi du signalement de Domial. Le mail s’attache ensuite à assurer que cette affaire a été régularisée rapidement :
« À réception de l’information du décès de cette personne (adressée par son bailleur), nous avons pris contact avec sa commune de résidence afin d’obtenir un certificat de décès (pièce permettant d’attester de ce décès) et les droits de cet allocataire ont alors été suspendus dans l’attente de la confirmation ou non.
Avant d’avoir un retour de la commune, grâce à un contact pris par le travailleur social en charge du suivi de cet allocataire, l’ensemble des droits de cet usager ont pu être à nouveau ouverts et ses prestations versées. »
Communication écrite de la CAF 67 à Rue89 Strasbourg, mardi 21 novembre 2023
Le décès administratif de Sidi aura tout de même duré plusieurs semaines. Et les implications de cette erreur ont été plus importantes que l’arrêt temporaire du versement de ses allocations.
Malade chronique, Sidi a dû être hospitalisé en urgence pendant quatre jours en octobre 2023. Mais l’hôpital a refusé d’avancer le montant pris en charge par la Sécurité sociale, car la carte vitale de Sidi ne fonctionnait pas. « Pour la première fois, j’ai eu une facture de l’hôpital, je devais la payer », déplore-t-il. « Au laboratoire aussi, j’ai dû payer pour la première fois en 20 ans », poursuit-il. Avec environ 1 300 euros de revenus mensuels, impossible pour le père de quatre enfants de payer toutes ces factures. « J’ai même arrêté de chauffer chez moi par peur de ne pas être en mesure de régler mes frais de santé », poursuit-il.
Le 16 octobre, Sidi a pu se rendre à la Caisse primaire d’assurance maladie pour actualiser sa carte vitale. Depuis, elle fonctionne à nouveau à la pharmacie. « Je pense qu’eux aussi pensaient que j’étais mort », confie-t-il.
Un millier de « je suis vivant » par an
De même, Sidi est titulaire d’un titre de séjour, qu’il doit renouveler tous les dix ans. « Je ne sais pas s’il est encore valable ou si là aussi, je dois effectuer des démarches », explique-t-il. « Est-ce que je peux même aller en Allemagne ? Si on me contrôle, est ce que je suis en règle ? », poursuit Sidi. Ses craintes se sont multipliées et ses démarches, amoncelées.
Pour prouver qu’il est en vie, Sidi est finalement allé faire établir un certificat de vie auprès de la Ville de Strasbourg en octobre 2023. Un acte que les services municipaux ont tout de même produit 1 055 fois en 2022, explique Djemel Kharradji, adjoint au chef du service accueil de la population – soit un pour cent des 200 000 pièces produites par son service. « Si la personne est en état de se déplacer, il suffit de venir se présenter aux services avec une pièce d’identité pour que nous établissions un certificat de vie », explique-t-il.
« Si la personne est âgée ou alitée, un tiers peut demander ce certificat et nous l’établissons sur présentation d’une pièce d’identité et d’un certificat médical datant de moins de 24 heures », poursuit Djemel Kharradji. Selon lui, la majorité des gens qui demandent ces pièces en ont besoin pour continuer de percevoir une prestation sociale, en France ou à l’étranger. « La plupart du temps, une attestation sur l’honneur suffit à prouver qu’une personne est vivante, mais le certificat de la Ville a une plus grande force probante », conclut-il.
Depuis le 22 novembre, la carte vitale de Sidi fonctionne à nouveau correctement, il n’a plus à payer pour ses médicaments ni ses analyses en laboratoire. « C’est comme avant », explique-t-il, « mais je me demande toujours ce qu’il s’est passé chez Domial ». De son côté, la préfecture du Bas-Rhin lui a confirmé que son titre de séjour était toujours valide. « Je suis rassuré », affirme-t-il même s’il s’est désormais engagé dans des démarches pour être remboursé de ses frais d’hospitalisation, a posteriori.
Votée par le Sénat le 14 novembre, la transformation de l’aide médicale d’État en aide médicale d’urgence pourrait éloigner les sans-papiers du parcours de soins et favoriser la prolifération de maladies infectieuses. À Strasbourg, cette perspective inquiète les soignants interrogés.
« Si le texte passe, on continuera de soigner les gens, mais avec des moyens de plus en plus dégradés ». Yvon Ruch est infectiologue aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS). Il traite par exemple des patients atteints du VIH ou de la tuberculose, des maladies infectieuses qui – si elles ne sont pas soignées – conduisent à la mort du patient. « Pour le moment, nous traitons les personnes même aux stades peu avancés de la maladie. Si l’aide médicale d’État est supprimée, nous ne verrons que les cas les plus graves. »
D’une aide d’État à une aide d’urgence
Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » amendé par la majorité de droite au Sénat et transmis à l’Assemblée nationale le 14 novembre prévoit de restreindre les soins accessibles aux personnes sans-papiers en France, en remplaçant le système d’aide médicale d’État (AME) par une aide médicale d’urgence (AMU).
Car actuellement toute personne sans-papiers résidant en France depuis plus de trois mois et ne gagnant pas plus de 9 719 euros par an peut bénéficier de l’AME, c’est-à-dire d’une couverture médicale complète pour les soins médicaux et hospitaliers, dans les limites des tarifs de la Sécurité sociale.
Dans le texte tel qu’amendé par le Sénat, la possibilité d’avoir accès à l’AMU sera conditionnée au versement d’une somme annuelle, fixée par décret – sauf décision individuelle du ministre en charge de l’action sociale. Cette aide d’urgence permettra aux sans-papiers d’avoir accès « gratuitement » aux soins pour « la prophylaxie, le traitement des maladies graves et les soins urgents », « les soins liés à la grossesse et ses suites », « les vaccinations réglementaires » et « les examens de médecine préventive ».
« Beaucoup de nos patients sans-papiers ne savent pas qu’ils sont malades », explique le docteur Yvon Ruch. « Dans les cas de migrants, beaucoup sont contaminés lors de leur parcours migratoire. Supprimer l’AME revient à les éloigner du système de santé et donc n’avoir connaissance de leur maladie que lorsqu’elle est arrivée à un stade avancé », poursuit-il.
Un « mauvais calcul » selon l’infectiologue, qui prend l’exemple de la tuberculose pour appuyer son propos :
« La tuberculose traitée assez tôt se soigne très bien, en consultation. Une tuberculose plus grave nécessite plusieurs jours, voir semaines, d’hospitalisation. Quand on sait qu’une journée coûte entre 1 500 et 2 000 euros par patient, le calcul est vite fait. »
D’autant plus que la tuberculose est une maladie contagieuse si elle n’est pas traitée. « Ne pas permettre à certaines personnes d’être soignées va à l’encontre de tout ce que nous mettons en place en termes de prévention des épidémies ou de complications qui coûtent cher », renchérit Vincent Poindron, praticien hospitalier en immunologie aux HUS.
Une population déjà éloignée du système de santé
Le docteur Ruch craint qu’une grande partie de ces patients ne se déplacent qu’en toute dernière nécessité, lorsque leur état de santé est déjà très dégradé. Une crainte partagée par l’ONG Médecins du Monde, qui estime que les publics pouvant bénéficier de l’AME sont souvent peu informés sur leurs droits.
Son coordinateur en Alsace, Nicolas Fuchs, indique ainsi que huit personnes sur dix qui se présentent dans les centres d’accès aux soins et d’orientation (Caso) de l’organisation ont droit à l’AME mais ne le savent pas. « Souvent, les personnes viennent car elles ont juste besoin d’une consultation chez le médecin et elles ne savent pas comment faire », explique-t-il. Ses équipes aident afin que les sans-papiers puissent suivre un parcours de soin de droit commun, en médecine générale.
« La grande majorité des personnes ont des pathologies classiques, qui ne relèvent pas de l’urgence. Par contre le renoncement au soin et l’absence de prise en charge médicale sont des facteurs aggravants de leurs états de santé, comme pour n’importe quel patient. »
Nicolas Fuchs, coordinateur régional Médecins du Monde
« Si l’AME est supprimée, ce sont nos Caso et la permanence d’accès aux soins de santé (Pass) des HUS qui vont absorber ces nouveaux patients. Et aucun des deux dispositifs n’en a les moyens, » conclut Nicolas Fuchs. Rappelant que pendant l’épidémie de Covid-19, « personne n’aurait remis en cause l’AME ou la gratuité des tests ».
D’autant plus qu’une prise en charge uniquement en cas d’urgence ne permettrait pas de traiter correctement certaines pathologies, car le parcours de soin serait entrecoupé. « Il faut bien définir l’urgence », explique Vincent Poindron. Prenant l’exemple d’une personne atteinte de vascularite, une maladie qui nécessite des soins très lourds au début puis un suivi régulier de deux ans. Si la maladie n’est pas traitée, elle est mortelle.
« Quand un patient vient nous voir, on ne lui demande pas ses papiers »
Pour Vincent Poindron, la fin de l’AME est une mesure uniquement politique qui mettrait les médecins dans une position éthique insupportable : « On a signé le serment d’Hippocrate qui exige de nous que nous soignons tout le monde, quel que soit son genre, sa religion, son origine. L’AME nous permet de le faire sans nous poser d’autres questions que celles liées à la santé du patient. La supprimer nous mettrait en porte-à-faux vis-à-vis de cet engagement. »
Justine (le prénom a été modifié), également soignante aux HUS, partage cette déontologie :
« Quand un patient vient nous voir, on ne lui demande pas ses papiers. Par contre, nous sommes très conscients que notre système de santé est saturé. Supprimer l’AME ne permettra pas une meilleure prise en charge des patients français. »
Dans un appel signé par 3 500 médecins, ceux-ci s’annoncent prêts à désobéir et à continuer de soigner gratuitement les malades si l’AME venait à disparaître. Une promesse que nuance Yvon Ruch : « Il est envisageable de continuer à soigner sans que les patients n’aient de couverture sociale. Par contre si les personnes ont besoin de radios ou de scanners, ça peut être plus compliqué ».
Le ministre de la Santé Aurélien Rousseau s’étant prononcé en défaveur de ce texte, l’AME devrait survivre à l’offensive de la droite lors de son passage devant l’Assemblée nationale.
Samedi 25 novembre, plus de 400 personnes ont manifesté à Strasbourg contre les violences sexistes et sexuelles. Si les participantes saluent des avancées en matière de libération de la parole et de prise de conscience collective sur cette question, le chemin à parcourir leur semble encore bien long.
« Ta main sur mon cul, ma main dans ta gueule. » « Pour que nos vies ne soient plus jamais classées sans suite. » « J’étais pas « mature pour mon âge, t’es juste un pédo. » Au pied du Palais universitaire de Strasbourg, samedi 25 novembre en début d’après-midi, les pancartes se multiplient à mesure que la foule se densifie. Pour cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, plus de 400 personnes ont bravé le froid pour répondre à l’appel à manifester de l’Assemblée féministe de Strasbourg contre les violences sexistes et sexuelles (VSS).
Il est 14h et le cortège n’est pas tout à fait prêt à partir. « La manifestation de soutien à la Palestine vient tout juste d’arriver à la gare. Nous attendons un peu afin que celles et ceux qui le souhaitent puissent nous rejoindre« , annonce une militante avant que les prises de paroles ne s’enchainent. Elles rappellent notamment que les VSS (violences sexuelles et sexistes) désignent tout acte de violence commis à l’encontre d’une personne en raison de son genre. Et qu’elles sont amplifiées lorsqu’elles s’opèrent au croisement d’autres discriminations (sociales, racistes et homophobes par exemple).
Capucine, 15 ans, est venue manifester contre les violences sexistes et sexuelles.Photo : Mathilde Cybulski
« On commence à en parler »
« Frotteurs, fachos, mascus, vous êtes les vraies insultes ». Slogan au poing, elle aussi, Capucine s’apprête à battre le pavé. Si la jeune femme juge que le regard sur les VSS a changé, elle estime qu’il y a « encore beaucoup de méconnaissance sur le sujet ».« Je viens d’entrer au lycée : des insultes sexistes comme « putes » ou « salopes » sont encore très utilisées », détaille celle qui regrette qu’il y ait « très peu d’éducation à l’école sur la question ».
« En début d’année, j’ai pris à partie un garçon qui me faisait tout le temps des réflexions sur le fait que je ne porte pas de soutien-gorge. Si je ne l’avais pas fait, ça aurait pu continuer encore un moment. » Pour la lycéenne, il est plus que jamais nécessaire que « les femmes s’organisent entre elles » :
« Ce qui a changé, c’est qu’on commence à en parler. On arrive plus facilement à discuter de ces sujets-là entre filles, à se dire par exemple: « Ce matin, je me suis fait siffler dans la rue. »
« Les choses n’ont pas vraiment évolué »
Tsipora Wertenschlag, 43 ans, n’a pas de pancarte à brandir, mais elle tenait à être là. Elle aussi salue une libération de la parole sur le sujet des VSS. « On est arrivé à pouvoir mieux le dire parce qu’il y a plein de femmes qui ont eu le courage de faire entendre leur voix« , juge-t-elle avant de citer en exemple Vanessa Springora et Camille Kouchner, toutes deux autrices d’un livre dans lequel elles dénoncent des violences sexuelles subies par elles, ou par leurs proches, au cours de leur enfance. Tsipora Wertenschlag évoque aussi les travaux de la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise) et ceux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase). « Après… bon. À part le fait de pouvoir les dire, les choses n’ont pas vraiment évolué », estime-t-elle, avant d’évoquer « les nombreuses plaintes classées sans suite ».
Mère de famille victime de violences conjugales pendant près de quinze ans, Tsipora a « découvert ce qu’étaient les VSS en en étant victime ». « J’ai fait ce que d’autres femmes ont fait avant moi : j’ai commencé à en parler et il y a eu des personnes pour m’aider, pour me dire que ce qu’il se passait n’était pas normal ». C’était en 2015, deux ans avant #MeToo. « Il y a aussi eu beaucoup de gens qui ne m’ont pas crue, qui ont dit que ce que je racontais était faux. »
Une « peur de la justice »
Célia Schneider, 30 ans, à la marche contre les violences sexistes et sexuelles.Photo : Mathilde Cybulski
« Quand je sors je veux être libre, pas courageuse. » Pancarte à la main, Célia Schneider sillonne la foule à la recherche de ses amies. Quand il s’agit d’évoquer la prise de conscience collective autour des VSS, la jeune femme est plutôt circonspecte. « Oui, les choses ont un peu changé. À titre personnel, j’ai moins peur de sortir en jupe. Et maintenant, si je suis suivie quand je rentre, j’arrive à demander de l’aide à un groupe de passants. Ce que je n’osais pas faire avant« , détaille-t-elle.
Mais d’un autre côté, la Strasbourgeoise juge que « les victimes ne sont pas mieux crues ». « J’ai l’impression que les plus jeunes ont toujours peur d’en parler. Qu’elles n’osent pas aller porter plainte ». Elle évoque une « peur de la justice » et « plusieurs connaissances qui ont voulu porter plainte et à qui les policiers ont demandé comment elles étaient habillées au moment des faits ».
Sortir de l’intime
14h30. La manifestation s’élance avec une tête en « mixité choisie » – c’est à dire sans hommes cisgenres hétérosexuels – au son du slogan « Femme, vie, liberté« , porté par le cortège internationaliste. Juste derrière, un cortège de personnes « Racisé-es queer autonomes et révolutionnaires » porte une banderole contre « le patriarcat islamophobe et raciste ».
La foule remonte l’avenue de la Liberté en direction du tribunal. Au mégaphone, les mots d’ordre s’enchaînent. « Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous. De jour comme de nuit… Elle est à nous ! À pied ou en fauteuil… Elle est à nous ! Dans n’importe quelle tenue… Elle est à nous. Avec ou sans voile… elle est à nous !«
Christelle Wieder, adjointe à la maire chargée de l’égalité femmes-hommes.Photo : Mathilde Cybulski
En queue de cortège, des hommes et quelques élus, parmi lesquels les députés Sandra Regol et Emmanuel Fernandes mais aussi Guillaume Libsig, Floriane Varieras et Christelle Wieder. « Il y a eu une évolution dans la prise de conscience autour des VSS, se réjouit l’adjointe à la maire de Strasbourg en charge des droits des femmes et de l’égalité de genre. Quand on allume la radio ou la télévision aujourd’hui, on entend parler de ces sujets. Il y a énormément de mobilisation médiatique sur la question et c’est une bonne chose » détaille celle qui se souvient s’être battue en tant que militante pour que le terme « féminicide » puisse un jour être utilisé en Une du Monde.
L’élue évoque également une hausse de 25% des plaintes liées aux VSS sur le secteur de Strasbourg au cours de l’année écoulée. Une augmentation qui doit beaucoup à la libération de la parole sur la question. Au fait que les personnes concernées osent davantage porter plainte. « La question a fait son chemin dans l’opinion, juge Christelle Wieder. Cela a pris du temps, mais on a sorti ce sujet du fait-divers pour en faire un fait de société ».
« Que fait la police ? Elle est complice ! » Après une petite demi-heure de marche, la manifestation arrive devant le tribunal judiciaire. Les prises de parole reprennent. Sont égrenés au micro les noms des 121 victimes de féminicides en 2023. Membre du Bloc révolutionnaire insurrectionnel féministe (Brif), Jacqueline Hubert, 69 ans, n’en est pas à sa première manifestation.
Jacqueline Hubert, 69 ans, membre du Bloc révolutionnaire insurrectionnel féministe.Photo : Mathilde Cybulski
« Le mouvement #MeToo a été quelque chose de formidable. Il a permis aux victimes de violence de parler. Aujourd’hui ce n’est plus la honte alors que longtemps, ça a été la honte de se dire victime de violence. Ça a eu un effet boule de neige. On est aujourd’hui un peu mieux entendues. Mais on l’est surtout dans les milieux sensibles à ces questions, regrette la militante. Ça a été un pas, mais le mouvement #MeToo ne suffit pas. Il reste encore beaucoup de travail à faire, car les VSS restent avant tout un problème systémique. Et si on ne lutte pas contre la totalité du patriarcat, si on ne renverse pas les rapports de genre, on n’y arrivera pas. »
Charles Fréger, Bretonnes, 2011-2014.Photo : Axelle Geiss
Du 18 novembre 2023 au 14 janvier 2024 à La Chambre, Charles Fréger propose un voyage au cœur des époques et des lieux avec son exposition Silhouettes. De quoi découvrir des corps tout en contours, en parallèle de l’exposition Souvenir d’Alsace au Musée alsacien.
Avec ses photographies habituellement colorées et comblées de détails, Charles Fréger capture des communautés et des groupes sociaux au prisme de leurs costumes et uniformes. En travaillant en série, l’artiste ramène le corps individuel au corps collectif. Un jour, à la suite d’un dysfonctionnement de flash lors d’une prise de vue, seule la silhouette noire du sujet photographié fut saisie. Intéressé par cette représentation par le contour, l’artiste décida alors de renouveler le dispositif pour poursuivre sa recherche visuelle sur les silhouettes.
Symboliser les régions sous diverses représentations
Depuis 2011, l’artiste déploie une réflexion photographique en trois volets sur les identités régionales. Après un travail sur la Bretagne (2011-2014), puis sur le Pays basque (2015-2017), Charles Fréger s’est penché sur l’histoire alsacienne, lors d’une résidence en collaboration entre la Chambre et le Musée alsacien de Strasbourg. Depuis juin, entre les murs du Musée, l’exposition Souvenir d’Alsace laisse entrevoir une iconographie singulière de la région au moyen de silhouettes qui se révèlent sous plusieurs formes, de la photographie aux pains d’épices.
Vue de l’exposition Silhouettes à La Chambre.Photo : Axelle Geiss
D’ordinaire uniquement exposées par séries, les photographies de l’artiste sont associées dans le cadre d’une seule exposition pour la première fois. Des liens esthétiques se créent entre les multiples formes visuelles au sein des deux espaces d’exposition. Une représentation s’exprime alors sous différents supports : la photographie La Danse de L’Aigle se retrouve aux côtés d’un silex biface et d’un crâne d’homme de Néandertal à la Chambre, tandis que l’aigle apparait en vidéo au sein du Musée alsacien.
Charles Fréger, La danse de l’aigle, photographie, série Souvenir d’Alsace, 2018.Photo : Axelle Geiss
Entre fond et contours : des expérimentations multiples
La photographie Bretonnes, seule image de la série éponyme exposée, met en lumière la silhouette d’une femme vêtue de noir au premier plan. Un jeu de textures entre les tissus se joue, mis en avant par les nuances de noir. L’arrière-plan, flouté par la présence d’un voile, laisse entrevoir les silhouettes d’autres femmes. Une impression étrange émane de l’image : la femme du premier plan semble presque avoir été découpée et collée sur le fond.
Charles Fréger, Bretonnes, 2011-2014.Photo : Axelle Geiss
L’artiste joue d’ailleurs de ce procédé au début de l’espace d’exposition. Comme pour intensifier davantage ce jeu de contours, des portraits de profil sont découpés dans du papier noir et contrecollés sur un fond blanc. Exposés en une série de médaillons, ces silhouettes tout en minutie font écho à la photographie Mariage à Seebach. La coiffe de mariage faite de dentelle se dégage de l’arrière-plan beige de l’image. Pour le fond de cette photographie, l’artiste a utilisé un tissu humecté par lequel la lumière transparait. Entre les zones sèches et les celles plus humides, un contraste visuel s’opère, mettant en exergue la délicatesse de la coiffe.
Charles Fréger, Irudi, 2015-16, série La suite basque. Photo : Axelle Geiss
L’exposition dévoile d’autres expérimentations formelles de l’artiste. D’après lui, l’arrière-plan est évocateur, bien qu’il ne dévoile pas toujours tout. Deux photographies de la série sur la préhistoire figurent à La Chambre. La première a été prise dans l’ancien pavillon du plus vieil hôpital psychiatrique de France, tandis que la seconde prend place dans une ancienne salle de cours de médecine de l’école de Rouen. L’artiste parle « d’environnements savants », qui permettent d’enrichir la mise en scène photographique.
Charles Fréger, photographie issue de la série La Préhistoire, 2017-2018.
Une exposition sur un fond de violence
En ne conservant de ses sujets que leur silhouette, l’artiste laisse place à des possibilités de narrations individuelles. Tandis que les signes visuels des photographies font appel à notre imaginaire collectif, la zone presque noire suscite notre imagination et notre culture visuelle personnelle. On ne voit pas vraiment les détails, mais on devine ce qu’il s’y trame.
Et l’artiste aide son public à tisser des liens entre les œuvres, à enrichir l’histoire qui se dessine. La photographie des Bretonnes met l’accent sur la coiffe – sans dentelle – qui s’apparente à un capot de deuil. Une correspondance se joue sur le mur : les femmes basques représentées font écho à l’inquisition basque. L’artiste fait référence à plusieurs centaines de femmes brûlées vives, dont le prétexte donné fut le port de leurs coiffes, jugées obscènes. À côté, se trouve une autre série : des photographies de femmes alsaciennes, dont les coiffes – encore une fois – deviennent un signe visuel d’identification. Pour l’artiste, il s’agit presque d’une scène de deuil, Charles Fréger parle même d’une « sororité en deuil ».
Ainsi, entre les femmes guerrières, celles en deuil, les exilés et victimes de guerres, et autres scènes d’affrontement, l’exposition se dévoile sur un réel arrière-plan de violence.
Vue de l’exposition Silhouettes à La Chambre. Photo : Axelle Geiss
Étudiante en Master Écritures critiques et curatoriales de l’art et des cultures visuelles à l’Université de Strasbourg, ses recherches portent sur les études de genre et les identités.