Annulation d’un rassemblement néonazi, suspension d’un enseignant au comportement problématique, augmentation des moyens alloués à la protection de l’enfance… Cette année encore, les enquêtes de Rue89 Strasbourg ont eu de forts impacts.
Verser cinq euros par mois, ou cinquante euros par an, à un média local et indépendant, c’est donner la parole à celles et ceux qui l’ont rarement. Soutenir Rue89 Strasbourg par l’abonnement, c’est permettre aux lanceurs d’alerte alsaciens d’être écoutés et de bénéficier d’un journalisme qui prend le temps d’enquêter et d’assurer la protection de ses sources. C’est ainsi que chaque année, notre petite équipe d’une douzaine de « journalistes engagés pour la justice sociale, le respect des minorités ou la protection de l’environnement », parvient à changer les choses localement.
Cette année encore, Rue89 Strasbourg a continué de grandir. Au-delà de l’embauche de Roni Gocer au poste de journaliste politique, Camille Balzinger est venue renforcer les rangs des journalistes salariés avec un poste à mi-temps. Du côté des ressources financières, la rédaction a continué de progresser pour atteindre plus de 1 900 abonné·es, soit 200 abonnements supplémentaires par rapport à fin 2022. Une évolution positive mais insuffisante, d’où le recrutement d’une personne chargée des abonnements à partir de janvier. Nous espérons accentuer la dynamique jusqu’à obtenir 3 000 abonné·es, ce qui nous permettra d’être rentable tout en rémunérant nos journalistes salariés à un niveau plus en accord avec leurs qualifications et leur engagement.
Pas d’impact sans travail au long court
Il y a des dossiers qui intéressent notre rédaction depuis plusieurs années. Nous sommes convaincus que le travail journalistique au long cours finit souvent par produire des effets. C’est le cas pour notre suivi de la sphère néonazie dans l’Est de la France. Pour rappel, Rue89 Strasbourg vous révèle depuis 2019 les agissements des hooligans néonazis Strasbourg Offender. Ainsi, lorsque nous révélions l’existence d’un festival néonazi programmé dans les Vosges en février, la pression médiatique suscitée a été telle que le ministre de l’Intérieur a fait interdire l’événement.
Le Centre international de recherches artistiques a été placé en liquidation judiciaire, après 42 ans d’existence. Il cumule plus de 50 000 euros de dettes. Les dernières salariées ont été licenciées mi-novembre, les enseignants et les élèves ne retourneront pas en cours en janvier.
C’est la fin d’une sombre période pour le Cira, institution de la danse strasbourgeoise depuis 1981. Depuis le mois d’août, la rumeur bruisse déjà. Forte.
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La préfecture du Bas-Rhin demande à des agents de sécurité privée de filtrer toutes les entrées du Marché de Noël de Strasbourg. Payés au Smic, pour beaucoup immigrés, ils sont en place tous les jours de 10h à 21h30 et font parfois face à des Strasbourgeois ou des touristes excédés par le dispositif.
« Certains jours où il fait très froid, j’ai mal aux doigts. Les douleurs dans les jambes, c’est tout le temps, parce qu’on n’a pas le droit d’avoir de chaises. » Hocine (prénom modifié) est employé par Polygard. Il assure un point de contrôle sur un pont qui mène au Marché de Noël de Strasbourg. Capuche sur la tête, il se balance déjà pour lutter contre le froid à 11h50.
« Bonjour », lance t-il à une passante, pointant son sac du doigt. Dans une chorégraphie désormais bien connue des Strasbourgeois, elle le lui présente. Sans trop y croire, il jette un regard furtif et lointain à l’intérieur avant d’indiquer à la femme qu’elle peut continuer sa route par un « merci ». Un groupe de trois adolescents s’approche mais Hocine décide de ne pas les arrêter : « Je laisse les collégiens et les lycéens », glisse t-il.
Près d’un million d’euros
Comme les années précédentes, la préfecture du Bas-Rhin impose des barrages filtrants sur les 21 ponts d’accès au centre-ville. Elle demande à des agents de sécurité privée de réaliser des « contrôles aléatoires » des sacs et des bagages. Et la municipalité doit payer. C’est Polygard qui a obtenu le marché de la sécurité privée en 2023. L’entreprise a transmis des devis à la Ville, que Rue89 Strasbourg a pu consulter : la facture prévue est de 945 875€.
Du 24 novembre au 24 décembre 2023, tous les matins, à 10h, 88 employés de Polygard commencent à installer les barrières sur les ponts et au niveau des arrêts de tram. Ils y restent jusqu’à la fermeture du Marché de Noël à 21h, et ont ensuite une demi-heure pour ranger le matériel avant de rentrer chez eux. Huit agents de sécurité surveillent le site pendant la nuit, de 22h à 8h.
« Je ne connais pas beaucoup de personnes qui seraient d’accord de rester toute la nuit dehors, sans aucun abri pour se reposer », estime Christophe (prénom modifié), salarié chez Polygard depuis plus de dix ans :
« Ce sont surtout des immigrés qui viennent des pays de l’Est, des Tchétchènes, qui font le travail que les autres ne veulent pas faire. C’est très ingrat parce qu’on subit aussi le regard des gens qui se disent qu’on n’a rien dans la tête. On est payé au Smic avec juste une prime d’ancienneté, notre métier est mal considéré. Mais il demande des compétences, il faut savoir faire face à la violence, toujours avec du dialogue, en gérant son stress. »
« Je ne peux pas parler »
Les professions de la sécurité privé sont encadrées : les agents ont une carte professionnelle et ont été formés pendant 175 heures, soit cinq semaines, avant d’exercer. « C’est assez pêchu. Il y a des mises en situation où on apprend la diplomatie pour désamorcer les situations », témoigne Christophe : « On fait même du démontage d’armes comme des kalachnikovs, pour qu’on sache comment les manipuler si c’est nécessaire. Par contre, on n’a le droit de rien faire quasiment, tout est dans la négociation. Quand il se passe quelque chose de grave, notre rôle c’est de passer un message d’alerte et de porter assistance aux blessés. »
Un métier difficile donc, et sans avantage. Ce qui crée une sévère pénurie de main-d’œuvre dans le secteur. Depuis la loi Sécurité globale du 25 mai 2021, « les ressortissants étrangers ne peuvent [devenir agent de sécurité] que s’ils sont titulaires d’un titre de séjour depuis au moins 5 ans ». Le niveau B1 de maîtrise de la langue française est également requis.
« Moi je travaille, je suis payé et voilà », balaye un agent positionné sur un pont, cache-cou remonté jusqu’au nez. Il ne semble pas avoir envie de se plaindre. Après un court échange, la plupart des salariés de Polygard rencontrés au niveau des points de contrôle coupent rapidement la conversation. Ils redirigent vers leur direction. « Je ne peux pas parler, je n’ai pas le droit », regrette un homme d’une voix étouffée, vêtu d’un chasuble jaune. Malgré de nombreuses relances, l’entreprise de sécurité titulaire de ce marché public n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de Rue89 Strasbourg.
Seulement une demi-heure de pause
Ceux qui acceptent d’échanger quelques mots évoquent de « longues journées » éreintantes de onze heures et trente minutes, entrecoupées « d’une seule pause d’une demi-heure ». « Le plus dur, c’est le froid et la station debout », confie Youssef El Arbaoui. Il a travaillé sur ces barrages filtrants en 2017 et 2018, l’année de l’attentat, pour la société GVS. Il est désormais gérant de l’entreprise Citadelle surveillance :
« À la fin de mes journées, je me souviens que je n’arrivais plus à marcher, j’avais très mal au dos. C’est difficile physiquement. Dans ma boîte, je fais en sorte qu’il y ait un maximum de roulements pour que les agents puissent changer de poste toutes les deux heures, et parfois être dans l’équipe mobile qui patrouille. »
Mikail (prénom modifié), expose que le rapport avec le public peut-être difficile : « Les gens râlent un peu, surtout au début du Marché, ensuite ils s’habituent. »« Ça fait partie du métier », lance un autre agent : « Des personnes disent que c’est embêtant les contrôles. On répond délicatement. Moi je dis qu’il faut aller voir la maire ou la préfète. » Aucun des employés rencontrés ne se rappelle d’un incident plus grave que des personnes réticentes pour montrer leur sac lors de l’édition 2023.
« Un homme a refusé d’ouvrir son bagage au début du Marché de Noël. Les gendarmes ont dû venir pour le forcer. C’est le pire cas que j’ai eu », relate un agent de sécurité. À quelques mètres, un policier affirme de son côté « qu’il n’a rien vu de particulier pour l’instant ». « Ça arrivait que des personnes aient des canifs sur eux, ou des couteaux suisses. On ne pouvait pas les laisser rentrer », se remémore Youssef El Arbaoui : « Là, il faut expliquer à la personne qu’elle doit le déposer quelque part. »
Un dispositif vraiment utile ?
Les agents de Polygard n’ont pas l’autorisation de réaliser une fouille, mais uniquement un contrôle visuel. Un jeune homme raconte traverser le barrage sur le pont Saint-Guillaume tous les jours comme il habite à proximité : « Je passe avec des outils régulièrement, on ne m’a jamais rien dit, je les cache un peu au fond de mon sac. »
Nadia Zourgui (Strasbourg écologiste et citoyenne), adjointe à la maire en charge de la sécurité, détaille la mission des agents de Polygard :
« Il n’y a pas de fréquence de contrôle définie. Les agents doivent vérifier les valises, les gros sacs, ou identifier si des personnes ont des comportements suspects. C’est un premier filtre. Le but est aussi qu’ils regardent bien les passants, pour montrer qu’il y a une vraie surveillance. Les retours que j’ai des Strasbourgeois sont très variés. Certains sont agacés par le dispositif mais d’autres trouvent que les contrôles ne sont pas assez stricts… »
Une femme s’engage entre les barrières du point de contrôle du pont de Paris, à côté des Halles : « C’est fatiguant d’être contrôlée alors que si un terroriste veut commettre un attentat il y arrive. »« Il y a des failles, tout le monde les identifie. On peut entrer dans le centre-ville avant l’installation des barrages par exemple », abonde Youssef El Arbaoui. Le créateur de Citadelle Surveillance est aussi un ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur chargé de questions de sécurité :
« Ces points de contrôle sont là pour donner un sentiment de sécurité. En réalité, les attentats on les évite grâce aux services de renseignements qui font de la prévention en repérant des personnes qui se radicalisent. Ce n’est pas le rôle des agents de sécurité privée. Si une personne devait ouvrir le feu, ce sont les policiers et les gendarmes armés qui interviendraient. »
Une négociation entre la Ville et la préfecture
La préfecture du Bas-Rhin n’a pas donné suite aux interrogations de Rue89 Strasbourg sur le rôle concret des points de contrôle dans la sécurisation du Marché de Noël. Ce dernier coûte pourtant près d’un million d’euros d’argent public et a un fort impact sur les habitants.
L’élue Nadia Zourgui précise que « dés le début du mandat en 2020, la municipalité a négocié un assouplissement maximum des barrages avec la préfecture » : « Nous n’avons plus les contrôles systématiques. Mais avec la montée du plan Vigipirate et les événements internationaux, la préfète était obligée de conserver un gros dispositif. »
Un million d’euros d’argent public pour « donner un sentiment de sécurité » ?Photo : Fantasio Guipont
Bien que l’État n’hésite pas à avoir recours massivement aux agents de sécurité, il semble peu sensible à leur faible rémunération et à la pénibilité de leur travail. Le gouvernement s’inquiète cependant de ne pas avoir suffisamment de professionnels pour l’encadrement des Jeux Olympiques à Paris en 2024. « Les syndicats ont un moyen de pression avec les JO, peut-être qu’ils en profiteront pour obtenir des accords », espère Christophe.
En défendant deux propositions de loi visant à supprimer le financement des cultes et l’heure obligatoire d’enseignement religieux en Alsace-Moselle, le député insoumis Emmanuel Fernandes assume de s’attaquer frontalement au Concordat, dont il questionne la pertinence.
« Ne nous trompons pas, ce que visent les députés de la LFI, c’est la destruction du droit local dans son ensemble. » Au ton belliqueux adopté par Frédéric Bierry, on devine la portée de son agacement. Dans le viseur du président de la Collectivité européenne d’Alsace, la proposition de loi « visant à l’application du principe de laïcité » de la France insoumise, enregistrée le 6 décembre par la présidence de l’Assemblée nationale.
Portée par le député insoumis Bastien Lachaud, cette proposition de loi vise à l’abolition du Concordat en Alsace-Moselle. Son premier article énonce l’application de la loi de 1905 sur l’ensemble du territoire français, traduite par la suppression du droit local des cultes dans l’article 2. Le texte précise en revanche que les « droits sociaux hérités du régime bismarckien », c’est à dire le régime local d’assurance maladie ou les jours fériés supplémentaires, seront préservés.
Cosignataire du texte de Bastien Lachaud avec d’autres parlementaires insoumis, le député LFI de la deuxième circonscription du Bas-Rhin enfonce le clou une semaine plus tard. Avec la députée de Moselle Charlotte Leduc (LFI), Emmanuel Fernandes présente en décembre une proposition de loi abrogeant l’heure d’enseignement religieux obligatoire. Dans son article premier, le texte dispose que l’enseignement religieux ne pourra être donné qu’en « dehors du temps scolaire » et « uniquement de manière facultative ». Avec ce nouveau texte, l’élu alsacien cherche une remise en question moins frontale du Concordat, en s’attaquant à une disposition spécifique.
Rue89 Strasbourg :Pourquoi présenter ces propositions de loi maintenant ?
Emmanuel Fernandes : L’occasion, c’était l’anniversaire de la loi de 1905 (adoptée le 9 décembre 1905, NDLR). Bastien Lachaud m’a proposé, ainsi qu’à l’ensemble du groupe parlementaire, de cosigner cette proposition de loi qui n’a rien de nouveau ou de surprenant puisqu’elle reprend nos propositions inscrites dans le livret « laïcité » de notre programme l’Avenir en commun, présenté en 2017.
Ce que nous voulons avec cette loi, c’est mettre fin au financement des cultes. Que des contribuables de toute la France ne payent pas pour les agents des cultes catholique, protestant et israélite ici. La loi mettrait fin également à des actes administratifs désuets et bizarres du Président de la Répubique, qui doit recruter et révoquer les représentants des cultes, comme avec l’ancien archevêque de Strasbourg Luc Ravel. Emmanuel Macron a sûrement des choses plus importantes à faire pour le pays.
Frédéric Bierry vous reproche de vouloir « la destruction du droit local dans son ensemble, et ses bienfaits ». Est-ce le cas ?
Bien sûr que non. Ce que fait Frédéric Bierry, c’est essayer de bloquer toute discussion rationnelle sur le sujet. Il nous prête des intentions qui ne sont pas les nôtres. Tout le procès qui nous est fait, c’est d’expliquer qu’on est des laïcards qui ne comprendraient rien au droit local. Nous sommes au contraire le camp de ceux qui souhaitent, par exemple, étendre le régime locale d’assurance maladie, en le généralisant à l’ensemble du pays. Nous ne souhaitons abroger que les dispositions qui concernent les cultes et les religions.
Au lieu de prendre le temps de déverser ses mensonges, monsieur Bierry ferait mieux de s’occuper à défendre les intérêts des personnes sur son sol. J’aimerais rappeler qu’il est à la tête d’une collectivité ayant 260 millions d’excédent budgétaire, qu’il rechigne à utiliser.
Le sort du Concordat est l’une des questions qui ne fait pas l’objet d’un accord, au sein de la Nupes.Photo : Fantasio Guipont / Rue89 Strasbourg
Vous assumez donc clairement votre opposition au Concordat. Ce n’est pas un handicap, pour un élu alsacien ?
Avant le second tour de l’élection législative, mon adversaire Sylvain Waserman (MoDem) faisait explicitement campagne sur le fait que j’étais pour la fin du Concordat, au point de présenter l’élection comme un référendum autour du Concordat.
Effectivement, je suis pour son abolition, je l’ai dit publiquement sans me cacher, notamment durant le débat d’entre-deux tours, et ça ne m’a pas empêché d’être élu. Si on reprend la logique de Sylvain Waserman, j’imagine que les Alsaciens n’y sont pas aussi attachés qu’il le pensait.
D’autres voix à gauche défendent le maintien du Concordat, et prônent pour son extension à l’islam. À défaut d’une suppression, pourriez vous le soutenir ?
Non. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, c’est l’architecture même du Concordat qui est mauvaise. C’est un contrat qui permet par essence à l’Etat de contrôler les religions, et ce n’est pas ce que nous voulons. La loi de 1905 doit s’appliquer à tout le monde : séparation des Églises et de l’État, liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de conscience et libre exercice des cultes, dans la limite de ce que la loi autorise. En somme : l’État chez lui, l’Église chez elle.
Le 14 décembre, vous avez présenté une proposition de loi sur l’enseignement religieux à l’école en Alsace-Moselle. Elle s’inscrit elle aussi contre le Concordat ?
Elle vise d’abord à plus d’équité, comme son intitulé complet l’indique (« Proposition de loi visant à rendre le temps d’enseignement scolaire égal sur l’ensemble du territoire de la République », NDLR) Bien sûr, elle contribue aussi à ouvrir davantage le débat sur le Concordat, après la proposition de Bastien Lachaud. Mais ici, on amène la discussion sur les conséquences négatives concrètes du Concordat, à savoir le problème d’équité entre les élèves alsaciens et mosellans et les autres.
Pourquoi l’enseignement religieux nuit à l’équité entre les élèves du Concordat et les autres ?
Il prive d’une heure d’apprentissage les élèves. Concrètement, pour des enfants scolarisés à l’école élémentaire ayant 24h de cours par semaine, on ponctionne une heure pour l’enseignement religieux. Ils ne leur reste que 23h pour l’apprentissage des savoirs du tronc commun, ils auront donc moins de temps que les autres pour apprendre autant.
Ce que nous voulons avec Charlotte Leduc, c’est rétablir l’égalité des temps scolaires. Cette loi ne supprime rien, elle renforce l’égalité républicaine en rendant l’éducation religieuse facultative, et pas incluse dans le temps dédié au tronc commun. Le texte garantit ainsi qu’un programme scolaire dimensionné pour 24 heures sera enseigné en 24 heures.
Surtout, il faut laisser aux enfants la possibilité de croire ou de ne pas croire. Notre proposition de loi permettra également de sortir du grand flou que constitue l’heure de « morale » pour les élèves dispensés de religion, dont le contenu est très disparate.
Pensez-vous que cette proposition de loi aura des chances d’être adoptée ?
En tout cas, son format est court et son contenu est de nature à rassembler toutes celles et tous ceux qui pensent que c’est important pour des élèves de pouvoir choisir. Ceux qui refuseront devront expliquer pourquoi ils souhaitent que les enfants en Alsace et en Moselle soient obligés d’absorber 24h de programme en 23h. Tout ce que la proposition de loi fait, c’est donner de l’air aux profs et aux élèves.
Le député insoumis strasbourgeois Emmanuel Fernandes a saisi le Conseil constitutionnel au sujet de Stocamine, vendredi 22 décembre. Il dénonce un article de la loi de finances qui vise, selon lui, à influencer les juridictions administratives chargées de statuer sur l’enfouissement des déchets.
Le tribunal administratif de Strasbourg avait suspendu l’autorisation de confiner les 42 000 tonnes de déchets toxiques de Stocamine situés sous la nappe phréatique le 7 novembre. Donnant raison à Alsace Nature, il considérait alors qu’il existait un doute sur la légalité du processus étant donné le risque de pollution de la ressource en eau potable pour les générations futures.
Dans le projet de loi de finances 2024, le gouvernement a introduit un article « qui prévoit que l’État s’assurera de l’extraction des déchets du site de Stocamine […] lorsque deux conditions seront remplies : que des techniques de robotisation rigoureusement éprouvées, au regard de la sécurité des travailleurs et de la protection de l’environnement seront disponibles, et dès lors qu’il [sera] mis en évidence un impact lié à la remontée de l’eau saumurée sur le stockage des déchets ».
Un article « parfaitement inutile »
Emmanuel Fernandes (LFI), député de Strasbourg, annonce ce 22 décembre avoir saisi le Conseil constitutionnel au sujet de cette disposition qu’il qualifie de « grossière manipulation » :
« L’objectif assumé du gouvernement est de tenter d’afficher sa prise en compte des “générations futures” pour essayer de manipuler deux juridictions administratives : le Conseil d’État dans le pourvoi en cassation contre la suspension de l’enfouissement définitif des déchets toxiques de Stocamine et le tribunal administratif de Strasbourg dans le recours en annulation en cours d’instruction. »
L’insoumis analyse que la démarche vise à « feindre une hypothétique réversibilité, dans plusieurs centaines d’années, du confinement souhaité par [le ministre de la Transition écologique] Christophe Béchu ». Emmanuel Fernandes expose qu’il serait plus judicieux de « déstocker les déchets aujourd’hui ».
« L’article n’est que textuel, il ne contient aucun crédit alloué », estime par ailleurs l’élu strasbourgeois : « C’est parfaitement inutile car le déstockage des déchets toxiques n’a besoin d’aucune base légale mais seulement de moyens financiers ». Il juge enfin que cette « manœuvre » est un « cavalier budgétaire », puisqu’il ne s’agit « ni d’une disposition affectant directement les dépenses budgétaires de l’année 2024, ni d’une garantie financière ».
Selon Emmanuel Fernandes, le Conseil constitutionnel devrait rendre sa décision début janvier.
Vendredi 22 décembre 2023, une unité mobile a été installée aux urgences du nouvel hôpital civil à Strasbourg. Elle vise à raccourcir l’attente des véhicules sanitaires en créant une salle d’attente exceptionnelle.
« Nous avons observé l’épuisement physique et mental de tous les professionnels, incluant les médecins, les paramédicaux et les agents administratifs. » Dans un communiqué diffusé vendredi 22 décembre, le syndicat Force Ouvrière des Hôpitaux Universitaires des Strasbourg (HUS) explique la mise en place d’une unité mobile en face du service des urgences du Nouvel Hôpital Civil (NHC). Cette solution, « très exceptionnelle » selon la communication des HUS, intervient huit jours après la mise en place du plan blanc par l’Agence Régionale de Santé, le 14 décembre.
Un préfabriqué comme salle d’attente
Demandée à deux reprises par le syndicat depuis le début du mois de décembre, cette unité mobile consiste en un bâtiment préfabriqué pouvant accueillir huit patients. Comme une première salle d’attente, elle permet aux véhicules sanitaires de ne pas être immobilisés trop longtemps aux urgences si les patients ne peuvent pas y être immédiatement pris en charge. Par communiqué, le syndicat Force Ouvrière décrit la gravité de la situation des urgences :
« Le blocage des véhicules a engendré des tensions pour le CRRA [Centre de Réception et de Régulation des Appels, là où arrivent les appels au 15, NDLR], qui n’a pas pu honorer les demandes dans un délai raisonnable. Les professionnels et les patients sont mis en danger par ces situations qui se répètent. »
Communiqué FO-HUS, vendredi 22 décembre 2023
« En moyenne, on estime à 30 minutes le temps d’attente acceptable pour une ambulance qui vient déposer un patient », explique la communication des HUS. « C’est parfois beaucoup plus », précise-t-elle, expliquant tout de même que le 22 décembre, le temps d’attente moyen des ambulances était de 15 minutes.
Aucun personnel médical formé
L’unité mobile est mise en place en collaboration avec le service d’incendie et de secours du Bas-Rhin et ne comporte aucun personnel médical formé, précisent les HUS dans leur communiqué. Des infirmiers sapeurs-pompiers, des sapeurs pompiers et des sapeurs pompiers volontaires seront en charge de surveiller les patients.
Si le syndicat FO salue « les efforts mis en oeuvre par la direction », il déplore que ce système « n’apportera donc pas de lits d’aval supplémentaires » alors que neuf lits viennent d’être supprimés dans le service des urgences hospitalières de courte durée.
Ces lits ont vocation à être rouverts, « dès que nous pourrons les médicaliser », expliquent les HUS. Toujours selon l’hôpital, l’établissement ne force par le personnel à revenir travailler et compose donc au jour le jour pour le nombre de patients qu’il est en mesure de prendre en charge.
De leur côté, les HUS expliquent avoir « lancé un appel interne à la déprogrammation d’activités médicales non urgentes sans rappel de personnels médicaux ou soignants » et « font appel à la solidarité territoriale impliquant l’ensemble des acteurs de santé pour prendre en charge les patients les plus fragiles en cette période de fêtes de fin d’année ».
Avocat et président de la commission des Droits de l’Homme du barreau de Strasbourg, Julien Martin explique pour Rue89 Strasbourg les effets de la loi immigration, votée mardi 19 décembre 2023, sur les droits des étrangers qu’il défend.
« Confrères, consœurs, travailleurs sociaux…Nous trouvons tous que la loi immigration est très dure ». Au-delà de l’évidence, l’avocat strasbourgeois Julien Martin, veut expliciter les effets négatifs du texte sur les immigrants qui viennent s’établir en France en respectant les conditions pour avoir des titres de séjour valides. « Ce sont les personnes qui respectent les règles qui pâtissent de ce texte », tranche-t-il, à rebours du discours prôné par Gérald Darmanin, qui souhaitait contrer l’immigration irrégulière et favoriser l’intégration de ceux qui suivent les procédures.
Spécialisé en droit des étrangers, mais aussi en droit international et européen, Me Julien Martin est ainsi amené à conseiller et défendre des étrangers qui peuvent venir en France par le biais du regroupement familial.
Six mois qui changent tout
Avant la loi de 2023, il fallait prouver 18 mois de présence en France pour que le conjoint majeur ou les enfants puissent rejoindre une personne. Désormais, il faudra prouver 24 mois. Seuls les conjoints de 21 ans et plus pourront venir – contre 18 ans auparavant.
« Six mois de plus, ça peut paraître anecdotique. Mais pour une maman coincée au Cameroun dont les enfants sont en France, ça fait toute la différence. Surtout que ce délai ne comprend pas le temps nécessaire à la procédure administrative pour réunir les documents dans le pays d’origine et le pays d’accueil, ni les durées d’instruction de la demande qui sont longues. »
En plus du temps de présence effective en France, il faut ainsi compter six mois supplémentaires maximum pour que l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) réponde à la demande. Des conditions de revenus « stables, régulières et suffisantes » deviennent nécessaires pour demander le regroupement familial. « Mais cette stabilité n’est pas définie par la loi et laisse un pouvoir discrétionnaire immense à l’administration », déplore l’avocat.
D’autant plus que pour demander le regroupement familial, des conditions de revenus et de logement existent déjà. Elles sont définies très précisément dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Pour faire venir son partenaire à Strasbourg, la personne qui demande le regroupement familial doit gagner 1383 euros nets par mois depuis un an, habiter dans un logement d’au moins 22m2 et avoir un titre de séjour valable au moins un an.
Selon Julien Martin, la nouvelle disposition législative sur le regroupement familial pourrait être contraire au droit fondamental à la vie privée et familiale, consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH).
« Faire passer la condition de séjour de 18 à 24 mois n’est pas justifié par une nécessité réelle. On a l’impression qu’il s’agit juste d’une disposition répressive sortie de nulle part, qui stigmatise les ressortissants étrangers qui ont droit au regroupement familial. »
Cette disposition n’entrerait donc pas dans le but affiché de réduire l’immigration clandestine et ne favoriserait pas l’intégration des immigrants. Elle pourrait, a contrario, encombrer davantage les juridictions de dossiers où des demandeurs tenteraient de faire respecter leur droit.
« Contester des demandes de visa rejetées, je le fais souvent. Avec cette disposition, il y a fort à parier que le contentieux augmente et que les gens saisissent de plus en plus le tribunal administratif. Et là, le délai entre la demande et l’obtention du visa pour le partenaire étranger devient extrêmement long. »
« Autant dire tout de suite que la France ne veut pas d’étudiants étrangers »
Une autre mesure qui semble indigne à Me Julien Martin est celle qui concerne la « caution de retour » pour les étudiants étrangers extra communautaires (hors UE, Suisse, résidents du Québec, ou d’un pays membre de l’Espace économique européen…) – et contre laquelle les étudiants de l’Université de Strasbourg ont manifesté jeudi 21 décembre. La somme sera définie par décret du Conseil d’État et sera rendue à l’étudiant à l’issue de son séjour en France, ou utilisée pour financer une mesure d’éloignement si l’étudiant se maintient sur le sol français sans visa après ses études.
« L’accès au titre de séjour étudiant est déjà extrêmement restrictif et sélectif sans cette disposition », commence l’avocat, avant préciser le parcours d’obtention d’un titre :
« Les candidats doivent passer par Campus France et déposer une demande à travers l’Institut français de leur pays. Ils doivent se soumettre à un test de langue très difficile. Puis ils ont un entretien avec un agent de l’Institut français pour discuter de leurs projets professionnels. Ils sont déjà triés sur le volet. »
D’autant plus que des conditions de revenus existent aussi déjà pour pouvoir venir en France avec un titre de séjour étudiant. « Il faut avoir une certaine somme d’argent sur un compte en banque français, dans une banque officielle », poursuit le conseil. « Et la vie étudiante est déjà chère pour un étudiant français, alors imaginez pour un étudiant algérien (…). Autant dire tout de suite qu’on ne veut pas d’étudiants étrangers. Ça ne me semble pas correspondre au discours d’intégration, mais plutôt à une mesure de désintégration. »
Se conformer aux règles de la Convention européenne des droits de l’Homme
Pour les personnes qui sont en train de demander l’asile, la loi immigration ne devrait pas avoir d’effet négatif instantané. La loi ne peut être rétroactive. Elle vient cependant supprimer une spécificité française en matière d’examen de la demande par la Cour nationale de droit d’asile (CNDA) :
« Historiquement, un assesseur du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies est présent lors des auditions de la CNDA. Il permet d’apporter un éclairage géopolitique pour étudier les demandes d’asile, c’était unique à la France. La loi supprime cela. »
Elle vient également interdire le placement des mineurs de moins de 16 ans en centre de rétention administrative (CRA). Une mesure dont se félicitent des députés de la majorité présidentielle mais qui fait doucement sourire l’avocat strasbourgeois :
Risque d’augmentation du contentieux des étrangers
Me Julien Martin accompagne des étrangers qui contestent le refus de leur titre de séjour devant le tribunal administratif. « Désormais, je devrai aussi peut-être les représenter au pénal », explique l’avocat. Car le texte instaure un « délit de séjour irrégulier » : l’article 1er L de la loi prévoit que l’étranger qui reste après l’expiration de son visa, peut être condamné à payer 3 750 euros et à trois ans d’interdiction de séjour en France.
« Donc en plus de contester les obligations de quitter le territoire français (OQTF) devant la juridiction administrative, nous serons amenés à défendre nos clients devant une juridiction pénale pour faire en sorte qu’ils ne soient pas condamnés à payer cette amende. Ça double le nombre de contentieux. »
Il dénonce une mesure qui s’attaque à une population déjà précaire. « Je ne vois pas l’intérêt », poursuit-il, « c’est surtout une mesure très démagogique ». Selon lui, elle risque de ne pas passer le contrôle de constitutionnalité car « non conforme au principe d’égalité et de proportionnalité de la peine ».
Revenant à l’effet de la loi sur ses clients, Julien Martin estime que la loi ne dissuadera pas les immigrants de venir en France. « Ce ne sont pas deux ou trois conditions supplémentaires qui empêchent quelqu’un d’immigrer », considère-t-il. « Ça ne dissuadera pas non plus les personnes qui ont des droits de se battre pour les obtenir, jusque devant les tribunaux ».
« Il faut mettre en miroir ce qui se passe au niveau européen »
L’analyse de la loi immigration française doit selon Julien Martin s’effectuer à la lumière du Pacte européen sur la migration et l’asile. Les États membres de l’Union européenne viennent de décider, le 20 décembre 2023, de réformer en partie le système de répartition des demandeurs d’asile dans l’Union.
« La loi immigration s’inscrit dans ce que préfigure ce Pacte. Les eurodéputés sont en accord avec l’idée de quotas migratoires. Les États qui ne respecteront pas les quotas seront sanctionnés par une amende, ce sera le cas de la Hongrie notamment, qui préférera payer qu’accueillir. C’est cynique : ça permet aux États de monnayer le droit à la demande d’asile. »
Il compare les compromis effectués entre États membres à ceux opérés par le gouvernement de Macron avec le Rassemblement national : « Même au niveau européen, on voit que la politique se durcit dans les idées et qu’il est difficile de mettre tout le monde au diapason, tout en limitant la marge de manœuvre de l’extrême droite ».
Au premier plan, le chantier du bâtiment de Hautepierre qui va accueillir la centrale de pompes à chaleur. Au second plan, la chaufferie à gaz historique, rénovée, avec les nouvelles cheminées (grises). La cheminée historique rouge et blanche n’est plus fonctionnelle et a vocation à être détruite. Elle sert désormais de nichoir à un couple de faucons pèlerins.Photo : Fantasio Guipont / Rue89 Strasbourg.
Depuis qu’Evos a repris le réseau de chaleur de l’ouest de Strasbourg, des habitants de Hautepierre ont subi plusieurs coupures de chauffage et d’eau chaude. Le gestionnaire du réseau de chaleur explique devoir procéder à d’importants travaux de rénovation, et s’excuse auprès des particuliers.
« Pendant six jours, on s’est lavés au gant de toilette et à l’eau froide. Certains habitants sont allés dans leur famille, ou chez des amis pour prendre une douche ! Il y a une de mes voisines qui est même allée à la piscine pour avoir une douche chaude ! » Lucas Marmin, 30 ans, fait partie des propriétaires qui subissent, depuis l’été dernier, les conséquences des travaux d’Evos, la filiale d’Engie en charge du réseau de chaleur de l’ouest de Strasbourg. « Je comprends que des travaux soient nécessaires, mais faire ça en période de froid, avec des températures négatives, c’est vraiment mal calculé. »
Le jeune homme – qui vit dans cet immeuble rue Albert Calmette depuis 2017 – n’avait jamais connu ça. « Jusqu’ici, on était toujours prévenu deux ou trois semaines avant les coupures. Et ça se passait l’été, donc quelque part, c’était moins gênant. » Evos avait prévenu qu’il y aurait deux jours de coupure entre le 27 et le 29 novembre.
Six jours sans chauffage ni eau chaude pour certains habitants
Mais le vendredi 1er décembre, Lucas Marmin réalise qu’il y a quelque chose d’anormal. Pas d’eau chaude au robinet. Ni dans la douche. Les radiateurs sont – eux aussi – glacials. Dehors, il fait -1°C. Evos n’a pourtant pas évoqué de nouveaux travaux. Le jeune homme se renseigne donc auprès de ses voisins dans l’immeuble, ils sont quasiment tous concernés.
« En fait, ceux qui étaient dans les premiers étages avaient de l’eau à peu près tiède, mais dès qu’on montait dans les étages, l’eau était froide. Il n’y avait plus du tout de chaleur en fin de circuit. Je vis au quatrième étage sur cinq. »
Impossible de connaître le nombre exacte de personnes touchées par la panne. Thierry Willm, chef du service Énergie et Territoire de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), indique que les mailles Éléonore, Karine et Athéna du quartier de Hautepierre ont été touchées. Comme chaque maille compte quatre ou cinq bâtiments, d’après nos estimations, l’eau chaude et le chauffage de 150 à 250 appartements ont dysfonctionné pendant six jours.
Lucas Marmin se démène pour tenter d’avoir des informations. « J’ai essayé de trouver un numéro d’urgence d’Evos, il n’y avait rien sur leur site internet. J’ai fini par trouver, dans un mail que notre syndic nous avait envoyé un jour, un numéro d’astreinte. » Lucas Marmin tombe sur une opératrice de la plateforme d’Engie qui n’a aucune information sur l’état du réseau, mais qui envoie tout de même un technicien sur place.
Lucas Marmin vit rue Albert Calmette. Dans son immeuble, les 33 appartements ont été impactés par une panne d’eau chaude et de chauffage entre le 1er et le 6 décembre. Photo : Fantasio Guipont / Rue89 Strasbourg.
Le propriétaire réussit à faire le tour de la chaufferie de son immeuble, avec le technicien.
« Il m’a confié qu’il y avait de gros problèmes sur le réseau suite aux travaux dans la centrale principale. Il m’a dit qu’il y avait une chaudière en panne, et qu’ils n’arrivaient pas à la remettre en route. »
Finalement, les habitants les plus touchés vont attendre six longs jours avant de voir à nouveau l’eau chaude couler chez eux. Le réseau ayant été remis en marche le mercredi 6 décembre dans la journée.
Une communication de crise défaillante
Et il aura fallu presque autant de jours avant d’être enfin informés. Mardi 5 décembre, à 15h, les habitants de la rue Albert Calmette reçoivent un mail envoyé par leur syndic. Avec la transmission d’un message laconique de la part d’Evos :
« Une panne s’est déclarée le 1er décembre sur une partie des installations (…).
La distribution du chauffage est de ce fait perturbée (…).
Nous sommes conscients des difficultés et de l’inconfort que cette interruption de fourniture de chaleur peut générer en cette période froide.
Nos équipes mettent tout en œuvre pour réaliser les travaux nécessaires au rétablissement… »
Extrait du message communiqué sur le site d’Evos pendant la période de coupure de chauffage.
Une communication de crise totalement défaillante, selon Lucas Marmin, qui a dû appeler à plusieurs reprises la Ville, Engie et son syndic, pour obtenir, au final, quelques informations basiques :
« Le manque d’informations est anormal. On a mis cinq jours pour en avoir ! Et dans ce genre de cas, ne pas savoir ce qu’il se passe peut avoir des conséquences importantes. Dans l’immeuble d’à côté par exemple, ils ont fait intervenir un chauffagiste qui a changé des pièces, alors que ça n’avait rien à voir puisque le problème venait d’Evos, en amont ! »
Même sentiment chez Pascal Cozza, président des co-propriétaires de l’immeuble de Lucas Marmin qui assure : si les habitants avaient été prévenus dès le début, la colère serait moindre :
« Si on nous dit : il y a un problème, une panne ou quoi, on peut le comprendre ! Mais là, c’était vraiment une prise en otage, en période d’hiver en plus. On est prêts à faire des efforts, et on peut être compréhensifs, mais il faut faire les travaux en été et pas en hiver. »
L’énorme chantier d’Evos : transformer un vieux réseau au gaz
Evos (Energies Vertes Ouest Strasbourg), filiale d’Engie, est chargée du réseau de chaleur de l’ouest de Strasbourg depuis juillet 2022, via une délégation de service public (DSP) qui lui a été accordée pour 20 ans. Le principe, acté par la municipalité écologiste en mars 2022 : passer d’une énergie fossile actuellement (au gaz), à une énergie à 90% d’origine renouvelable d’ici 2025 (45% de biomasse, et 45% issu de la récupération de la chaleur émise par l’hôpital d’Hautepierre, issue des équipements de production de froid). Les 10% restants seront toujours du gaz.
Des ouvriers et techniciens travaillent sur le chantier du bâtiment de la centrale à chaleur, sur le site du réseau de chaleur Evos, filiale d’Engie. Evos a obtenu la gestion du lieu depuis l’été 2022. Photo : Fantasio Guipont / Rue89 Strasbourg.
Evos a repris le réseau qui alimente au total l’équivalent de 15 000 logements, en comprenant l’hôpital de Hautepierre. L’ambition est d’atteindre les 25 000 d’ici 2025, sur les secteurs de Hautepierre, Poteries, Cronenbourg et Koenigshoffen.
Pour réaliser ce changement majeur d’utilisation du réseau de chaleur, d’importants travaux sont réalisés depuis 2022. Barthélémy Foubert est le directeur régional Alsace Bourgogne Franche-Comté d’Engie. Il tient à insister sur le caractère exceptionnel du chantier :
« Aujourd’hui, le réseau est relativement simple, et basé sur des générateurs gaz, dont certains sont très âgés. L’un des enjeux, c’est de fiabiliser ces moyens de production et de changer le système de pression en bas de chaque immeuble. Tout ça doit être disponible en 2025, donc en un temps record, avec des installations lourdes. »
Coût de l’investissement engagé par Engie dans ce chantier strasbourgeois : un peu plus de 90 millions d’euros, investis sur les trois premières années de la délégation de service public. « L’objectif final, c’est aussi une réduction tous les ans de 43 000 tonnes de CO2 émises dans l’atmosphère grâce à ce réseau de chaleur », se félicite Barthélémy Foubert.
Chaudière au gaz de co-génération historique sur le site de Hautepierre. Elle est maintenue dans le futur dispositif. Elle alimente une turbine à vapeur qui produit de l’électricité, en plus de fournir de la chaleur au réseau. Photo : Fantasio Guipont / Rue89 Strasbourg
Des travaux qui se sont éternisés
Ainsi, dès cet été, plusieurs travaux engendrant des coupures d’eau chaude ont été réalisés. « Les travaux que nous avons débuté cet été étaient censés se terminer mi-octobre, mais il y a eu un problème avec la livraison de matériel de nos entreprises, reconnaît le directeur régional d’Engie, et nous avons finalement dû continuer pendant la période de chauffe ».
Thierry Willm, chef du service Énergie et Territoire de l’Eurométropole de Strasbourg, explique pourquoi la Ville et le délégataire ont fait le choix de poursuivre les travaux en novembre et en ce début de mois de décembre :
« Le choix, c’était soit de repousser ces travaux au printemps prochain, avec un vrai risque technique, puisque nous aurions eu des stations basculées en basse-pression, et d’autres non, donc on ne pouvait plus envoyer de l’eau à 150°C en haute pression dans tout le système. Le risque c’était de ne plus pouvoir du tout alimenter en chauffage certains habitants, en plein hiver.
L’alternative, c’était de finir ces travaux de bascule en début d’hiver, avec l’inconvénient du chauffage coupé pendant quelques jours. Nous avons revu le planning ensemble, et on a décalé les interventions à un moment où il faisait moins froid (mi-décembre, des travaux ont encore été nécessaires sur le réseau NDLR). Les techniciens sont même venus travailler dès 4h du matin le week-end du 11 décembre, car nous savions qu’il faisait 10°C ce jour-là. »
Pour conclure, Thierry Willm résume : « Nous avons préféré un petit problème pour les habitants en début d’hiver, plutôt qu’un gros problème en milieu d’hiver. »
La panne d’un générateur de 1977
Un décalage des travaux maîtrisé donc, et assumé par Evos et l’EMS. Ce qui n’avait pas été prévu en revanche, c’est la panne du 1er décembre. Barthélémy Foubert, directeur régional d’Engie, raconte comment le plus ancien générateur a impacté tout un quartier :
« Le 1er décembre, on a perdu le principal générateur de la chaufferie, celui qui date de 1977. Il s’agit d’un énorme générateur qui ne se répare pas en quelques heures. Il faut faire des soudures importantes, qui doivent être faites par des techniciens qualifiés. Il faut que ces techniciens soient disponibles et se déplacent. »
Au total, dix jours de travaux ont été nécessaires pour réparer ce générateur. Et Barthélémy Foubert rajoute « qu’il a également fallu les autorisations nécessaires de la DREAL (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, NDLR) pour rallumer la machine, qui doit passer par un contrôle technique drastique avant d’être remise en service ». C’est pour ces raisons cumulées que le réseau de chaleur a dysfonctionné à Hautepierre du 1er au 6 décembre.
Turbine à vapeur qui produit de l’électricité sur le site du nouveau réseau de chaleur Evos, à Hautepierre. Photo : Fantasio Guipont / Rue89 Strasbourg.
Evos et l’Eurométropole s’excusent
« Autant sur le fond du sujet, nous sommes à l’aise, autant sur la communication, nous savons qu’il faut nous améliorer », reconnaît d’emblée Barthélémy Foubert. Thierry Willm, de l’Eurométropole, abonde :
« Du côté de l’Eurométropole, qui contrôle la qualité du service public, on a fait un retour d’expérience : nous avons constaté que la communication était insuffisante, et défaillante en période de crise. Il faut la renforcer. »
Thierry Willm, chef du service Énergie et Territoire de l’Eurométropole de Strasbourg.
Le chef de service explique que de nouveaux moyens seront mis en œuvre, « au travers d’applications mobiles par exemple ». Désormais, lorsqu’on visite le site internet d’Evos, un message d’alerte sur la fin des perturbations s’affiche immédiatement. Et un numéro d’urgence est bien visible, sur la première page. Une nouveauté apparue quelques jours avant la parution de cet article.
Si Thierry Willm critique ouvertement la mauvaise communication d’Evos, il se fait immédiatement plus diplomate lorsqu’il s’agit de réaffirmer son soutien pour son nouveau délégataire, avec qui il a signé pour 20 ans… Pas question ici de désavouer Engie, « qui investit énormément pour ce réseau de chaleur, qui dans 20 ans, appartiendra de plein droit à l’EMS », se félicite Thierry Willm.
Barthélémy Foubert se veut, lui aussi, rassurant : « Cette situation ne se reproduira pas. » Evos a d’ailleurs prévu – au cas où – la mise à disposition de convecteurs électriques en cas de future panne, ainsi que des chaufferies mobiles pour l’hôpital d’Hautepierre par exemple, « car il n’est pas question d’avoir une coupure d’eau chaude ou de chauffage pour les patients évidemment ». Le directeur régional d’Engie affirme également « qu’un geste compensatoire » sera fait pour dédommager les habitants concernés par ces pannes récurrentes.
Enfin, les travaux de bascule du réseau se sont terminés jeudi 14 décembre au soir selon Engie. Les habitants devraient donc passer l’hiver au chaud, en principe.
Les prises de parole se succèdent au mégaphone.Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg / cc
Au surlendemain de l’adoption de la loi immigration, près de 300 personnes ont manifesté place de la République contre un texte dénoncé comme « raciste » et « dégradant ».
Malgré le froid, malgré la pluie, plus de 300 personnes ont manifesté en début de soirée ce jeudi 21 décembre. Un sursaut de mobilisation sociale face à une loi immigration adoptée 48 heures plus tôt et qui a divisé au sein même du parti présidentiel et de la majorité (lire les explications de vote des députés alsaciens). La foule réunie ce soir est inquiète quand elle entend la présidente du Rassemblement Nationale se féliciter d’une « victoire idéologique » derrière le vote de ce texte.
« Nous sommes tous antifasciste », « Pour les MNA (mineurs non accompagnés), on ne lâchera pas » ou encore « Et tout le monde déteste Marine Le Pen »… Les slogans se succèdent face à ce bâtiment de la préfecture où chaque semaine une longue file se forme dehors : des personnes venues renouveler leur pièce d’identité ou leur titre de séjour.
Près de 300 personnes ont manifesté contre la loi immigration en début de soirée jeudi 21 décembre. Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg / cc
« L’époque est grave et dangereuse »
Plusieurs organisations étaient présentes, comme les syndicats Fédération Syndicale Étudiante, Solidaires Etudiant·es et Alternative Etudiante Strasbourg, ou encore l’Union Communiste Libertaire, le NPA, Extinction Rebellion et la France insoumise. Parmi les manifestants, Gabriel Cardoen, militant pour les droits des migrants, s’insurge :
« L’époque est grave et dangereuse. Derrière cette loi, c’est la préférence nationale, l’idéologie fasciste de Marine Le Pen. Macron s’est fait réélire pour faire barrage. Mais il a largement empiré les choses. En réalité, cette poussée de l’extrême-droite, la popularité du Rassemblement National et de ses idées, c’est une catastrophe. C’est catastrophique pour nos luttes. Cela vise l’ensemble des opprimés. Il y a plusieurs dispositions proprement scandaleuses dans cette loi. La police pourra prendre de force les empreintes des migrants. Il faut construire la riposte maintenant, c’est nécessaire. »
Contestation des étudiants et du président
Plus tôt dans la journée, la mobilisation commençait avec le blocage d’un bâtiment universitaire par une vingtaine d’étudiants. Arnaud, 20 ans et membre du syndicat étudiant Solidaires, était présent devant le Patio. Il dénonçait « la préférence nationale pour les aides sociales, la caution pour les étudiants venant d’hors d’Europe et l’augmentation des frais de scolarité, c’est intolérable. Ce sont des mesures d’extrême droite et nous devons nous mobiliser contre, même si c’est la semaine des partiels. »
Mais la contestation est aussi venue du président de l’Université de Strasbourg. Dans un entretien donné le mercredi 20 décembre à Rue89 Strasbourg, Michel Deneken déplore une loi qui « restera comme une cicatrice dans le paysage politique français » avant de poursuivre :
« Si on voulait que nos campus s’embrasent, c’était le bon truc à faire. Maintenant, j’attends du gouvernement un peu de sagesse, d’intelligence et de courage politique. Quand on fait une bêtise, on le reconnaît. Surtout, il faut qu’on arrête de stigmatiser les étudiants étrangers, c’est une richesse pour notre université et notre ville. »
Dégrader des conditions déjà indignes
Sur la place de la République, un étudiant prend la parole et dénonce la caution demandée aux étudiants étranger comme « une mesure dégradante ». Une membre du comité Palestine dénonce « cette loi qui est produite par les mêmes personnes qui acceptent les bombardements à Gaza ».
Puis Aaron prend le mégaphone. Agent dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, il est aussi bénévole depuis un an au sein de la Cimade, une association de soutien aux exilés.
Pour Aaron, la loi immigration va aggraver la situation de personnes vivants d’ores et déjà dans des conditions indignes.Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg / cc
Aaron cite plusieurs cas de personnes migrantes, déjà victimes de situations indignes, et dont les conditions de vie ne feront qu’empirer avec l’application de la loi immigration :
« Je vous donne l’exemple d’une personne que j’ai rencontrée lors d’une permanence juridique. Elle a vu sa demande d’asile déboutée avant de faire une demande de titre de séjour. Depuis deux ans, elle n’a pas de réponse de la préfecture, qui a reconnu avoir perdu son dossier. Résultat : elle ne peut pas travailler. Elle a trois enfants scolarisés mais ils ne peuvent pas s’inscrire dans une formation parce qu’ils n’ont pas de titre de séjour. C’est ça le droit des étrangers aujourd’hui… »
Au bout d’une heure, les manifestants commencent à se disperser, après s’être donné rendez-vous en janvier, pour « intensifier le mouvement contre la loi immigration ».
Plusieurs organisations relaient un appel non signé pour un rassemblement contre la loi immigration, adoptée par l’Assemblée nationale le mardi 19 décembre. Le rendez-vous est fixé ce jeudi 21 décembre à 19h, devant la préfecture du Bas-Rhin.
Sans être signé, l’appel à la mobilisation évoque la « responsabilité » des « syndicats, organisations politiques, associations », toutes appelées à se mobiliser contre une « loi raciste et anti-migrants (qui) s’inscrit dans le sillage d’une accélération de la dynamique raciste et d’extrême droite en France ». Il est relayé par plusieurs organisations sur leurs réseaux, comme On ne crèvera pas au boulot, Extinction Rebellion Strasbourg, ou le groupe France insoumise Strasbourg.
Jeanne Barseghian en mai 2022.Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg
Dans une rapide interview sur France Inter jeudi matin, la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian (EE-LV) indique se joindre au mouvement de « résistance » contre la loi sur l’immigration. Une trentaine de département gérés par des exécutifs de gauche ont indiqué qu’ils n’appliqueraient par les dispositions restreignant l’accès des étrangers à l’aide personnalisée d’autonomie par exemple.
Selon son analyse, le texte voté mardi 19 décembre par les députés remet en cause l’accueil inconditionnel en hébergement d’urgence, en écartant les personnes déboutées du droit d’asile :
« Une personne en détresse, on regardera d’abord son statut administratif pour savoir si elle est digne d’être protégée, d’être mise à l’abri. [Dans les centres d’hébergement gérés par la Ville de Strasbourg], je me refuse à faire ce tri et je m’y refuserai toujours car notre humanité est inconditionnelle. »
Jeanne Barseghian sur France Inter
L’État est tenu d’héberger à ses frais toute personne qui le demande, quelle que soit sa situation administrative. Sur France Inter, la maire de Strasbourg s’est jointe « à l’ensemble des territoires et à tous les élus locaux qui entrent en résistance pour désobéir à cette loi qui est la loi de la honte, qui vient bafouer les valeurs de notre République et tout ce qui fait la grandeur de la France ».
Dès 6 heures jeudi 21 décembre, une vingtaine d’étudiants et étudiantes ont bloqué le bâtiment du Patio, sur le campus de l’Université de Strasbourg. Veille de vacances et jour de partiels, ils contestent les mesures de la loi sur l’immigration adoptée mardi 19 décembre qui imposent aux étudiants étrangers le dépôt d’une caution et augmentent leurs frais de scolarité.
« Nous aussi on a des examens, ce n’est pas notre faute si le gouvernement a fait voter une loi raciste la semaine des partiels. » Sur le campus Esplanade de l’Université de Strasbourg, les étudiants et étudiantes s’amassent jeudi 21 décembre. Depuis 6h, le bâtiment du Patio est bloqué par des poubelles et des grilles de chantier.
Au-dessus, une banderole dénonce les dispositions de la loi sur l’immigration, adoptée le 19 décembre par l’Assemblée Nationale, visant les étudiants étrangers (l’exigence d’une « caution retour » pour les étudiants non européens, l’augmentation de leurs frais d’inscription à l’université et la mise en place de quotas migratoires chaque année).
Les étudiants mobilisés prévoient d’organiser une assemblée générale devant le Patio, jeudi 21 décembre à midi puis un rassemblement devant la préfecture du Bas-Rhin, place de la République, à 19h.
« C’est un moment charnière »
Arnaud, 20 ans et membre du syndicat étudiant Solidaires, fait partie de ceux qui se mobilisent contre ce texte. « La préférence nationale pour les aides sociales, la caution pour les étudiants venant d’hors d’Europe et l’augmentation des frais de scolarité, c’est intolérable », assène-t-il. « Ce sont des mesures d’extrême droite et nous devons nous mobiliser contre, même si c’est la semaine des partiels », poursuit-il, décrivant « un moment charnière ».
L’action de blocage concerne un bâtiment dans lequel des cours et des examens sont prévus ce jeudi matin. Elle est organisée par deux syndicats étudiants et soutenue par plusieurs collectifs, tels que D’ailleurs nous sommes d’ici, l’Action antifasciste Strasbourg et Extinction Rebellion. Dès 7h30, un agent de l’Université vient à la rencontre des étudiants pour tenter de faire cesser le blocage :
« Expliquez-moi le bien fondé de cette action. C’est pour quoi, le blocage de ce matin ? Riposte anti-raciste ? Et mardi, c’était quoi, pour la Palestine ? Vous êtes ridicules. Ce qui me gêne, c’est que dès 8h, beaucoup d’étudiants ont des examens. On va faire en sorte que les étudiants puissent rentrer. »
Peu après 8h, le bâtiment est toujours bloqué par les étudiants et certains examens ont été reprogrammés après les vacances de Noël.
« On a des droits »
« Pendant un blocage, lorsque les étudiants n’ont pas accès, physiquement, au bâtiment, les examens doivent être reportés, déplacés annulés ou organisés en visio », détaillent deux militantes de la Fédération syndicale étudiante (FSE) de Strasbourg. « En tant qu’étudiantes, on a des droits », assènent-elles.
Pendant que les prises de paroles s’enchainent au mégaphone devant le Patio bloqué, des étudiants en Sciences et techniques de l’activité physique et sportive (Staps) s’approchent. Ils devaient passer des examens en licence 1, licence 2 et en master, dont certains viennent d’être décalés. C’est le cas de celui de Quentin, en deuxième année de licence.
« Le prof vient de nous dire que l’examen était reporté. Je ne savais pas qu’il y avait une mobilisation, je ne comprends pas trop de quoi il s’agit. Je sais juste que j’ai un exam et que j’ai envie de le passer car je suis venu exprès de Haguenau. Bon là, au moins, c’est juste reporté. »
Quentin, étudiant L2 Staps
Un peu plus tôt, son collègue de master Mattéo, regarde le blocage de loin. Encore un peu endormi, il prend le tract rédigé par les militants et écoute l’un d’entre eux expliquer qu’ils tenteront de demander une validation d’examen pour ceux prévus dans le Patio le matin. En un sourire, il se met légèrement à l’écart.
« J’ai entendu parler de la loi et je suis contre. Mais honnêtement, moi ça m’embête de ne pas pouvoir passer mon exam ce matin. J’ai un train pour Limoges à 15h et l’exam devait se finir à 13h. Et je suis obligé de le passer. Et en même temps, c’est important de manifester, donc je ne suis pas fâché. Si c’est reporté à janvier, il va juste falloir que je réapprenne tout ! »
Mattéo, 21 ans, étudiant en master Staps et Inspé
Dans la cacophonie des rumeurs, une étudiante lit également les raisons de la mobilisation. Une étudiante de 49 ans en master Métiers de l’enseignement n’a pas d’examen ce matin. « Mais j’avais pris les croissants pour le cours », sourit-elle. « Si j’avais su, je ne serais pas venue et j’aurais économisé l’essence », complète-t-elle.
Dès 6h, les étudiants et étudiantes se sont mobilisés devant le bâtiment du Patio, rassurant celles et ceux dont des examens étaient prévus le matin même jeudi 21 décembre 2023.Photo : Fantasio Guipot / Rue89 Strasbourg
Critiques des positions de la présidence
Laurence Rasseneur, co-secrétaire du syndicat d’enseignants-chercheurs Snesup-FSU et professeure de sciences du sport observe elle aussi la mobilisation, adossée à son vélo. « C’est bien que les étudiants s’organisent, pour celles et ceux qui ne mesurent pas encore les conséquences de cette loi », estime-t-elle. Les personnels enseignants ne participent pas au blocage.
Le président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, s’est positionné contre la loi sur l’immigration (lire son interview). « Mais il n’a rien fait lorsque les frais d’inscription en master ont augmenté », raille Laurence Rasseneur. Pour Arnaud, militant Solidaires, « les raisons de son opposition, basées sur l’excellence universitaire, ne sont pas les mêmes » que celles portées par les étudiants.
Belkhir Belhaddad, député Renaissance en Moselle, a voté contre le projet de loi sur l’immigration. Il déplore un texte « déséquilibré » et des dispositions « stigmatisantes ». « L’intégration par la langue et par le travail, c’est mon histoire ». Le député de la première circonscription de la Moselle, Belkhir Belhaddad, fait partie des 20 députés de la majorité présidentielle Renaissance à avoir voté contre le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », mardi 19 décembre 2023. Dans cette loi, le droit au regroupement familial, grâce auquel l’élu a construit sa vie en France, est rendu plus restrictif.
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En réaction au vote de la loi sur l’immigration mardi 19 décembre, le président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, a co-signé une tribune dénonçant l’adoption de « mesures indignes de notre pays ». Il alerte sur les conséquences nocives du texte, pour les étudiants étrangers autant que pour l’université.
Presque 24 heures après l’adoption de la loi asile et immigration, mardi 19 décembre, la colère est encore parfaitement audible dans la voix de Michel Deneken. Le soir du vote, le président de l’Université de Strasbourg – qui compte près de 20% d’étudiants étrangers – signait avec une vingtaine de ses confrères dirigeants les universités d’Aix-Marseille, de la Sorbonne ou de Bordeaux, un communiqué commun dénonçant des « mesures indignes de notre pays » inscrites dans le texte de loi.
Ils critiquent notamment la création d’une « caution » requise pour l’obtention d’un titre de séjour temporaire étudiant, concernant les étudiants extra communautaires. Ces derniers seront également soumis à une majoration généralisée du prix des droits d’inscriptions. Pour Rue89 Strasbourg, le président Michel Deneken explique sa sidération et ses craintes concernant les conséquences de l’adoption du texte.
Rue89 Strasbourg : Vous attendiez vous à ce que la majorité présidentielle fasse voter un texte aussi dur pour les étudiants étrangers ?
Michel Deneken : Je me doutais bien que le gouvernement actuel ne pouvait être sauvé que par la droite. Ce qui m’a beaucoup surpris en revanche, c’est la dérive du débat politique. Hier soir, on pouvait entendre le gouvernement nous dire qu’il s’agissait d’une loi de gauche, le Rassemblement national parler de victoire idéologique, et Les Républicains se réjouir.
Le monde universitaire tenu à l’écart
Au niveau des universités, personne n’a été consulté lors de la rédaction de cette loi. Le fait même de mettre un paragraphe réservé aux étudiants dans une loi intitulée « intégration et immigration », c’est déjà un parti-pris politique, qui désigne les étudiants étrangers comme des fraudeurs potentiels. Cette loi vise à rassurer ceux qui le pensent.
Pourquoi vous êtes vous mobilisé contre ce texte de loi ?
Je ne suis pas connu pour être quelqu’un d’extrême-gauche mais j’ai mon fond d’humanisme et je ne veux pas que les étudiants étrangers soient instrumentalisés pour la politique politicienne, pour rassurer l’électorat bourgeois et le faire voter correctement.
Les autres signataires de la tribune viennent d’horizons très différents mais nous nous retrouvons tous contre ce texte. Comme eux, je trouve cette loi inutile et je pense qu’elle fait des dégâts.
Le président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken.Photo : Fantasio Guipont / Rue89 Strasbourg
Vous dénoncez la création d’une caution pour les titres de séjour étudiants et la majoration des droits pour les étudiants extra communautaires. Quelles conséquences craignez-vous, notamment pour l’Université de Strasbourg ?
On risque un écrémage social, des étudiants étrangers qui ne pourront pas payer. Ces étudiants iront ailleurs, alors que l’apport des étudiants internationaux contribue à la richesse intellectuelle de notre université. Les doctorants étrangers seront moins impactés parce qu’ils peuvent bénéficier d’un financement, mais ceux qui viennent en première année de Master par exemple ? Comment feront-ils s’ils ne peuvent plus recevoir d’aides, en dehors des allocations logement ? Et avec le coût de la caution, et la majoration des droits d’inscription ?
L’université ne contrôlera pas les étudiants étrangers
La loi souhaite créer un contrôle accru des étudiants étrangers, pour renvoyer ceux qui viendraient en France uniquement pour le titre de séjour. Comment cela pourrait-il se mettre en place ?
Qui fera le suivi ? Pas nous déjà. Il faudra beaucoup de personnes, créer des postes, dans un ministère déjà sans le sou. C’est absurde, parce que par définition, un étudiant est déjà sanctionné par ses examens, c’est le même principe pour tout le monde. S’il ne réussit pas ses examens, son titre finit par ne plus être renouvelé. Cette disposition ne sert à rien, à part à montrer les muscles.
Concernant la caution, la Première ministre Élisabeth Borne indiquait mercredi matin sur France Inter qu’elle pourrait être symbolique, d’une dizaine d’euros, que certaines dispositions pourraient ne pas être constitutionnelles. Le gouvernement vous parait-il maîtriser son projet de loi ?
C’est du cirque. Je ne sais pas si ce gouvernement est bien conseillé, puisqu’il ne comprend pas qu’on gouverne avec les symboles. Concernant le discours sur les mesures anticonstitutionnelles, disons qu’un étudiant en première année serait ajourné s’il faisait ça.
Qu’attendez-vous du gouvernement désormais ?
Que la loi soit retirée ou censurée par le Conseil constitutionnel, le mal est fait. Elle restera comme une cicatrice dans le paysage politique français. Si on voulait que nos campus s’embrasent, c’était le bon truc à faire.
Maintenant, j’attends du gouvernement un peu de sagesse, d’intelligence et de courage politique. Quand on fait une bêtise, on le reconnaît. Surtout, il faut qu’on arrête de stigmatiser les étudiants étrangers, c’est une richesse pour notre université et notre ville.
L’hémicycle de l’Assemblée nationalePhoto : Assemblée nationale
L’Assemblée nationale a adopté mardi 19 décembre un projet de loi sur l’immigration présenté par le gouvernement, mais très sévèrement amendé par la droite et l’extrême-droite. Parmi les députés alsaciens, 11 ont soutenu le texte, deux ont voté contre et deux se sont abstenus. Voici leurs réactions et commentaires à l’issue de ce vote.
En Alsace, la grande majorité des députés a voté la loi immigration. Sur les 15 représentants alsaciens à l’Assemblée Nationale, 11 ont voté en faveur du texte et deux se sont abstenus mardi 19 décembre. Seuls les deux représentants locaux de la Nupes se sont opposés au texte. Mais derrière l’apparente unité des députés de la majorité (Renaissance, Horizons et Modem) se cachent des divergences profondes face à ce projet de loi profondément modifié par la droite du parti Les Républicains, lui-même inspiré par les idées xénophobes du Rassemblement national.
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