Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Designeuse, architecte, ingénieure, scientifique… Les moteurs de la low-tech à Strasbourg

Designeuse, architecte, ingénieure, scientifique… Les moteurs de la low-tech à Strasbourg

À rebours de la high tech, la low-tech vise à favoriser l’émergence de technologies utiles, durables et accessibles au plus grand nombre. À Strasbourg, une communauté de sympathisants et de pratiquants s’est fédérée depuis le mois de novembre et propose des événements. Rencontres.

Comment faire en sorte que la technologie réponde à un besoin, que son développement et son fonctionnement soient durables et qu’elle soit accessible à tous ? Telle est la réflexion au cœur du mouvement low-tech. S’il fédère beaucoup d’ingénieurs et de designeurs, le courant se veut cependant ouvert au plus grand nombre, dans son questionnement de la technologie. À Strasbourg, une communauté s’est fédérée à l’automne 2021. En voici quelques visages.

Les ateliers Circul’R de l’ingénieure Marion Roullet

Scientifique des matériaux originaire de Nice, Marion Roullet, 29 ans, travaille sur la fabrication de nouvelles matières à partir de déchets organiques depuis un an. Dans son laboratoire, entre les murs du CNRS à Cronenbourg, les fanes de carottes et les peaux d’oignons se transforment en fines feuilles de papier. Le marc de café, en objets de toutes sortes, comme des petits pots de semis compostables.

Marion Roullet a été sensibilisée à la question des déchets et a cherché à appliquer la démarche low-tech dans la science des matériaux. « Lorsque l’on réfléchit développement durable, on pense assez spontanément à la question de l’énergie, mais assez peu aux matières », détaille t-elle. Photo : A.M / Rue89 Strasbourg / cc

Son objectif : pouvoir proposer ses matériaux biosourcés à des designers artisanaux et mettre en place des circuits courts de récupération des biodéchets nécessaires à leur confection. En marge de son activité de recherche et développement, l’ingénieure anime également des ateliers au cours desquels les participants sont invités à créer eux-mêmes de petits objets à partir de déchets organiques, grâce aux techniques qu’elle a développées.

« Je suis tombée sur ce courant au moment où je cherchais un sens à mon travail, retrace Marion Roullet. En plein développement en France, le mouvement se veut « technocritique » sans être technophobe. Il ne s’agit pas de se passer de technologie, mais de questionner son élaboration et son utilisation. La low-tech s’articule autour de trois axes : favoriser l’émergence de technologies moins gourmandes en énergie et en ressources, utiles – qui répondent à un besoin – et accessibles au plus grand nombre.

La cheville ouvrière de la communauté low-tech

L’ingénieure a pensé sa jeune entreprise, les Ateliers Circul’R, à partir de ces principes. Création de matières durables avec « une réflexion de tous les aspects de leur cycle de vie », transmission de savoirs lors d’ateliers… Reste de la question de l’accès :

« C’est ce à quoi je me heurte aujourd’hui. Plus une matière est technique, moins elle est accessible – moins il est facile de la produire et de la reproduire sans connaissances poussées, sans ingrédients très spécifiques ou outils techniques. Je pense que la création de mobilier à partir de biomatériaux pourrait être une première étape pour concilier les deux. »

Marion Roullet

Marion Roullet est un pilier de la communauté low-tech à Strasbourg. « Un groupe Facebook avait été créé il y a trois ans, mais personne n’avait vraiment le temps ou la motivation de s’en occuper, et il ne vivait pas beaucoup en dehors des échanges virtuels », retrace t-elle. En novembre 2021, l’ingénieure a co-organisé un évènement avec comme invité Kevin Loesle, responsable développement de la communauté au Low Tech Lab, une structure pionnière du mouvement en France, située à Concarneau. Suivront des ateliers publics et des apéros low-tech.

Maurine Koeberlé, créatrice de Lowarchitech

Issue d’une formation d’architecte, Maurine Koeberlé a découvert la low-tech à la fin de ses études. « Je préparais un mémoire sur une méthode écologique et sociale de construire. La démarche low-tech a totalement collé à mes représentations en matière de construction durable et créatrice de liens, détaille l’Alsacienne de 26 ans qui travaille sur des constructions utilisant des matériaux abandonnés, issus de la récupération ou d’origine naturelle.

Pour pouvoir continuer à travailler sur des projets de construction Low Tech, Maurine Koeberlé a renoncé à s’installer comme architecte à la fin de ses études. Photo : A.M / Rue89 Strasbourg

Maurine Koeberlé poursuit :

« J’utilise beaucoup le mélange-terre paille. C’est une technique ancienne qui offre un excellent confort thermique. Elle a également l’avantage d’être très accessible au grand public, c’est donc une ressource idéale pour l’auto-construction. C’est quelque chose qui a du sens aujourd’hui. Si on sait comment est construit un bâtiment, on va pouvoir le réparer. »

Une seule difficulté : les techniques utilisées aujourd’hui par la jeune femme sont encore considérées comme étant expérimentales par la règlementation. Conséquence : aucune assurance professionnelle n’accepterait de la couvrir en tant qu’architecte sur ces projets. Maurine Koeberlé a donc fait le choix de ne pas s’inscrire à l’ordre des architectes, pour pouvoir continuer à travailler dans le bâtiment low-tech. Elle a créé Lowarchitech, un blog pour accompagner ceux qui souhaitent se lancer dans l’auto-construction. Elle organise également des ateliers et a travaillé sur le chantier participatif de l’Orée 85 cet hiver.

Lola Ott, co-fondatrice d’Octop’Us

Juriste en droit international humanitaire de formation, Lola Ott est l’une des fondatrices de Octop’Us, une ONG qui met la low-tech au service de la protection des océans :

« J’ai découvert le mouvement à travers l’initiative Precious Plastic, quand je travaillais dans un camp de réfugiés en Grèce. Le projet formait les habitants au recyclage des déchets plastiques. Il s’agissait à la fois de dépolluer le camp, et d’améliorer les conditions de vies des réfugiés en leur permettant de créer des objets à partir des plastiques récupérés, grâce à des machines low-tech. »

Lola Ott est la directrice opérationnelle de l’ONG Octop’Us, qui veille sur la mer depuis les bords de l’Ill et prévoit une opération de dépollution du Rhin en septembre 2022. Photo : A.M / Rue89 Strasbourg / cc

Après cette expérience professionnelle, la jeune femme décide de se réorienter en droit de la mer, dans l’optique de travailler sur la protection des récifs coralliens. Problèmes : créer des récifs artificiels coûte cher, et ce type de projet peine à intéresser le grand public.

« Un kilo de cheveux permet d’absorber jusqu’à huit litres d’hydrocarbure »

De retour à Strasbourg, la jeune femme fonde d’Octup’Us, avec une solution de dépollution à partir… de cheveux et de poils. « Un kilo de cheveux permet d’absorber jusqu’à huit litres d’hydrocarbures ». En août 2020, l’ONG s’est d’ailleurs fait connaître en envoyant 20 tonnes de déchets capillaires à l’Ile Maurice, pour lutter contre la marée noire. Cette solution fonctionne aussi en paillage, pour dépolluer les sols.

Installée aux Ateliers éclairés, dans le quartier de la Coop, l’ONG a également ouvert une antenne Precious plastic à Strasbourg. Elle organise des ateliers permettant de faire des objets à partir de déchets plastiques, grâce à quatre machines facilement transportables : une injecteuse, une extrudeuse, un broyeur et une presse. « C’est une façon de montrer que l’on peut faire plein de choses avec des déchets plastiques, sans que ce soit chronophage ou ennuyeux. »

Laura Conill et Morgane Lohazic, designeuses à l’Atelier Bouillons

Après des études de design à la Haute école des arts du Rhin (Hear), Laura Conill a également été influencée par Precious Plastic : « C’est un projet qui rend les gens acteurs du travail du plastique, et je trouvais que cela pouvait tout à fait s’appliquer au design », raconte-t-elle. Associée à Morgane Lohazic, Louna Desveaux et Chloé Stenger, elles ont fondé l’Atelier Bouillons, spécialisé dans le design durable.

Morgane Lohazic et Laura Conill sont toutes les deux designeuses à l’Atelier Bouillons. Sur cette photo, une pièce du broyeur à jarre que prépare Morgane pour concasser de la céramique et en faire de la poussière ou du sable réutilisable. Photo : A.M / Rue89 Strasbourg / cc

Les designeuses utilisent des rebus comme matières premières. Spécialisée dans la création de papier, Laura Conill travaille sur le recyclage des fibres naturelles. Jusqu’à présent, elle utilisait un mixeur à soupe, mais « ce n’est pas un outil pérenne pour faire du papier », explique-t-elle.

La découverte d’une machine du XVIIe siècle, la pile hollandaise

« En faisant des recherches, j’ai découvert qu’il existait une machine traditionnelle très intéressante pour raffiner de la pâte à papier. Cela s’appelle une pile hollandaise. » Mise au point à la fin du XVIIe siècle, elle permettait de traiter des fibres de lin ou de chanvre en quelques heures. Laura Conill planche sur sa fabrication :

« En école d’art, personne ne parlait de low-tech. Pourtant, quand on sort d’école sans avoir de moyens, je trouve ça tout à fait cohérent de créer ses propres outils. Cela permet de se réapproprier tout un processus de fabrication. »

Les designeuses organisent aussi des ateliers créatifs su les processus de fabrication et l’utilité des objets. Car est-ce vraiment utile de fabriquer une nouvelle assiette, même à partir de matériaux de récupération, quand il y en a déjà des centaines à vendre chez Emmaüs ? Morgane Lohazic explique :

« Si la finalité d’un projet c’est de donner lieu a un moment festif de transmission, alors sa fabrication a du sens. S’il est produit localement, qu’il permet de créer du lien entre plusieurs acteurs, et qu’il s’inscrit dans un processus de fabrication pensé de A à Z, aussi. Mais l’objet n’est pas forcément une fin en soi ».

Clément Carrato, fondateur d’Arkéale

Ingénieur mécanique, Clément Carrato a travaillé pendant six ans au sein grands groupes industriels avant de fonder la start-up Arkéale, en 2020. Un virage professionnel né d’une envie de se consacrer à un projet plus riche de sens, un projet ayant « une valeur sociétale » : le recyclage des biodéchets urbains.

Incubée chez Sémia, la start-up travaille sur de petites unités de valorisation énergétique des biodéchets baptisées BioCapsules. « Aujourd’hui, 80% de ces déchets sont détruits. Mais la législation va évoluer et en 2024, les producteurs de biodéchets auront l’obligation de les recycler. » Ce qui risque de surcharger les infrastructures actuelles :

« Un bac prend aujourd’hui six mois et nécessite un coût de main d’œuvre important pour produire du compost, poursuit l’entrepreneur. Et en ce qui concerne les méthaniseurs, leur installation génère aujourd’hui beaucoup de méfiance et des allers-retours de camions. »

À 32 ans, Clément Carrato est le fondateur d’Arkéale, une entreprise spécialisée dans la valorisation des biodéchets. L’entreprise est déjà en discussion avec l’Eurométropole pour l’installation d’une capsule pilote.
Photo : A.M / Rue89 Strasbourg / cc

Des stations de recyclage compactes

Arkéale a donc planché sur des stations de recyclage compactes, destinées à être installées en ville. Chacune sera capable de valoriser jusqu’à 600 tonnes de déchets par an – l’équivalent de production de 5 000 foyers – et d’alimenter de grandes infrastructures comme des écoles et des piscines en gaz renouvelable. Une unité produira également environ 100 m3 d’engrais vert par an, une quantité permettant de fertiliser 15 hectares de culture. Le tout pour un coût de traitement à la tonne presque deux fois inférieur à celui des unités des méthanisations.

« Dans la low-tech, beaucoup de projets associatifs, peu d’entreprises »

Si le projet Biocapsule répond bien à un besoin, en se voulant le plus durable possible – sa simplicité lui permettant d’être facilement réparable – reste la question de l’accessibilité :

« Au sein du mouvement, on trouve beaucoup de projets associatifs ou individuels, mais pas forcément des entreprises ayant la nécessité d’être viables économiquement après avoir engagé des frais en recherche et du développement. Certains sont même méfiants vis-à-vis de ce modèle et n’ont pas forcément envie que la low-tech puisse être utilisée par le secteur économique classique. Le financement de la low-tech se cherche encore à ce jour. »

Après les « convois de la liberté », les anti-passe vaccinal d’Europe appelés à converger à Strasbourg samedi

Après les « convois de la liberté », les anti-passe vaccinal d’Europe appelés à converger à Strasbourg samedi

Après Bruxelles le 14 février, une manifestation « internationale » contre le passe vaccinal est prévue samedi à Strasbourg. Une partie du convoi de la liberté pourrait converger vers la capitale alsacienne.

Toma Grcic a participé au convoi de la liberté qui est passé par Paris samedi 12 février, et Bruxelles deux jours plus tard. Il fait partie des trois personnes du collectif Alsace Révoltée qui déclarent une manifestation à Strasbourg ce samedi 19 février. Le rendez-vous est fixé à 13h place de l’Étoile. Il s’agit d’un « appel international », comme « il y a des institutions européennes à Strasbourg », explique l’organisateur.

« Nous avons du mal à jauger l’ampleur de la mobilisation pour l’instant. Il n’est pas impossible que des personnes du convoi de la liberté (mouvement mobile de contestation des restrictions sanitaires, NDLR) convergent vers Strasbourg », glisse-t-il.

Sur l’événement Facebook, près de 1 000 personnes ont répondu en fin d’après-midi le 17 février. Au même moment, environ 650 personnes sont inscrites sur un groupe Facebook dédié à l’organisation des covoiturages et de l’hébergement pour la manifestation. « On s’organise aussi sur Telegram », complète Toma Grcic.

De nombreuses revendications

« Rien ne justifie encore le passe vaccinal à ce jour. C’est une atteinte à nos libertés », déclare Toma Grcic, qui avait également pris part au mouvement des Gilets jaunes. Il insiste aussi sur les revendications sociales de la mobilisation : « Le prix de l’essence, du gaz, et d’autres produits de première nécessité, explosent, alors que les salaires n’augmentent pas. »

Le mouvement anti-passe est appelé à se retrouver à Strasbourg. Photo : ML / Rue89 Strasbourg

L’appel à manifester dénonce aussi les lois plus anciennes de sécurité globale et contre le séparatisme. Il agglomère, en général, de nombreuses revendications en opposition à la politique du gouvernement français, jugée liberticide.

Contrairement à l’événement du 12 février à Paris, la manifestation strasbourgeoise est autorisée par la préfecture du Bas-Rhin. Toma Grcic explique :

« Suite à notre déclaration, nous avons été convoqués au commissariat central de Strasbourg le 16 février. Nous avons alors fixé que la manifestation durera de 13h à 17h et ira de la place de l’Étoile jusqu’à l’Orangerie, en passant par le quai des Bâteliers. »

La manifestation en voiture interdite

Le 18 février, Josiane Chevalier, préfète du Bas-Rhin, a pris un arrêté interdisant un « convoi de la liberté » au départ de Mulhouse et à destination de Strasbourg prévu également le 19 janvier. Toute manifestation sur la route est interdite dans le département le même jour. Les forces de l’ordre seront mobilisées pour faire respecter l’arrêté en question.

Bloqués par les CRS devant les portes, les surveillants de prison rêvent d’un meilleur salaire

Bloqués par les CRS devant les portes, les surveillants de prison rêvent d’un meilleur salaire

Les surveillants pénitentiaires contestent une réforme de la grille de salaire qui ralentit l’avancement de carrière et l’atteinte de l’échelon du salaire maximal.

Une vingtaine de surveillants comptaient bloquer la Maison d’Arrêt de Strasbourg (MAS) ce jeudi 17 février à 6 heures du matin. En arrivant, les manifestants ont eu la surprise de découvrir huit camionnettes de CRS devant l’établissement pénitentiaire. « Je n’ai pas de souvenir d’une telle anticipation des forces de l’ordre face à la contestation d’une réforme », analyse Fabrice Meder, secrétaire régional du syndicat Syndicat Pénitentiaire des Surveillant(e)s (SPS). Le groupe patiente dehors. La plupart des personnes sont vêtues d’un chasuble du SPS.

Lorsque les surveillants sont arrivés pour « bloquer » la maison d’arrêt, ils ont été accueillis par huit fourgons de police. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Contestation de la réforme des salaires

Cet appel à bloquer les prisons françaises émane d’une intersyndicale réunissant les syndicats SPS, CGT et UFAP-UNSA. Dans un communiqué commun du 16 février, les formations syndicales déplorent plusieurs aspects de la réforme salariale en préparation pour les surveillants : « C’est non seulement le peu de revalorisation qui pose problème, mais surtout l’allongement de la durée de la carrière pour les surveillant(e)s, allant jusqu’à 5,5 années supplémentaires et donc une perte d’environ 5 000 euros. » « Aujourd’hui, on passe les échelons tous les deux ans, explique Estelle Eckstein, surveillante et secrétaire régionale adjointe du syndicat SPS, après la réforme, les derniers échelons seront espacés de trois ans et demi. Il ne faudra plus 19 ans de carrière, mais 24 ans de carrière pour atteindre notre salaire maximal. »

Face à une réforme dont de nombreux surveillants estiment qu’elle ne donne que quelques miettes aux agents, « on veut la baguette », affiche les manifestants. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Surveillant depuis 2004 à la Maison d’Arrêt de Strasbourg, Léo sourit lorsqu’on lui demande s’il aime son métier. Il parle d’un « travail alimentaire ». À 48 ans, l’homme à la casquette Motorhead s’estime « perdant de la réforme ». Avec son niveau d’ancienneté, sa rémunération n’augmente pas, et il devra attendre un an et demi de plus pour atteindre l’échelon suivant, et la rémunération correspondante.

Une progression salariale plus lente

Père de deux enfants, Léo décrit une carrière où 15 ans sont nécessaires pour obtenir une salaire supérieur à 2 000 euros. L’habitant de Schirmeck, à 40 kilomètres, se plaint du gazole à 1,75 euros le litre et des prix de l’immobilier inabordables à Strasbourg et environs. Puis l’homme à la veste de l’administration pénitentiaire jette un œil aux CRS tout autour : « On a l’impression qu’une partie de la population est choyée, tandis que l’autre est méprisée. » Léo rappelle alors que l’indice de rémunération des policiers est bien supérieur à celui des surveillants. « En même temps c’est normal ils ont sauvé Macron », lâche ce soutien des Gilets jaunes.

Un peu plus loin, Julien se plaint aussi d’une réforme dont il sort perdant. Surveillant depuis cinq ans à Strasbourg, il gagne actuellement un peu plus de 1 500 euros net. « Une personne qui rentre dans l’administration pénitentiaire maintenant gagnera autant que moi. C’est tant mieux pour les nouveaux, mais de mon côté je vois surtout une progression salariale beaucoup plus lente… »

Heures supplémentaires et surpopulation carcérale

Julien a commencé dans l’administration pénitentiaire sur le tard, à 35 ans. Avec cette réforme, le surveillant se plaint aussi d’un plan de carrière où son salaire maximum ne sera atteint qu’à 63 ans, soit à l’âge de son départ à la retraite… Mais au-delà de sa situation personnelle, l’ancien salarié d’une entreprise de sécurité regrette les tensions qu’occasionne la faible rémunération et la nécessité de faire des heures supplémentaires :

« Tous les jours on regarde notre planning pour faire des heures supplémentaires. On est presque à se tirer dans les pattes parce que l’un ou l’autre a fait plus d’heures supplémentaires… »

Pour les surveillants de la maison d’arrêt située dans le quartier de l’Elsau, cette réforme s’ajoute à des conditions de travail dégradées depuis plusieurs années. L’un évoque l’absence de fenêtre dans le bureau des surveillants, « rien n’a changé malgré nos demandes répétées liées au risque de contamination au covid », souffle l’un.

« un discours ultra répressif mais sans les moyens qui vont avec »

Son voisin rappelle alors la surpopulation carcérale au sein de la maison d’arrêt de Strasbourg : 650 détenus pour 447 places. Il enchaîne avec le non-respect par la prison strasbourgeoise de la règle « Un détenu, une cellule » depuis des années : « La plupart des détenus sont deux dans neuf mètres carrés. » Et le surveillant, qui considère François Hollande comme un traitre de la gauche française, de conclure « avec philosophie », comme il le décrit lui-même : « En France, il y a un discours ultra répressif mais sans les moyens qui vont avec. Soit on change notre politique pénale, soit on construit des prisons. »

Protection de l’enfance : une demande de mission d’information qui agace à la CEA

Protection de l’enfance : une demande de mission d’information qui agace à la CEA

Les quatre élus d’opposition au conseil départemental demandent un travail approfondi sur la protection de l’enfance en Alsace via une mission d’information et d’évaluation (MIE). Une « posture politicienne », selon le vice-président en charge Nicolas Matt.

La question de la protection de l’enfance devient un sujet de tension à la Collectivité européenne d’Alsace (CeA). Les quatre élus et élues écologistes proposent une mission d’information et d’évaluation (MIE – voir encadré) sur le sujet. Une demande de transparence de la part de l’opposition qui . . .

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Avec « Un autre monde », Stéphane Brizé clôt sa trilogie sur la machine infernale du capitalisme

Avec « Un autre monde », Stéphane Brizé clôt sa trilogie sur la machine infernale du capitalisme

Après avoir interprété un chômeur puis un syndicaliste en lutte, Vincent Lindon retrouve le réalisateur Stéphane Brizé pour se glisser dans la peau d’un chef d’entreprise, tout aussi broyé par le système. Rencontre avec un metteur en scène qui place l’humain au cœur de sa réflexion.

Philippe Lemesle (Vincent Lindon), chef de site d’une multinationale, doit supprimer 58 emplois. Une liste de noms, c’est tout ce que demandent ses supérieurs, pour envoyer un signal fort aux actionnaires. La machine, dont il devient un simple rouage, se met en branle, pour arriver à ce résultat qui va à l’encontre du fonctionnement même de l’entreprise. L’absurdité de la tâche se lit sur le visage épuisé de Vincent Lindon, qui interprète magistralement cet homme au bout du rouleau, dont la famille explose, emportée elle aussi par ces années de stress.

La trilogie se termine côté chefs

Stéphane Brizé, après avoir dépeint le sort d’un chômeur dans la Loi du marché puis d’un syndicaliste dont l’entreprise va fermer dans En guerre, se place maintenant du côté des chefs : à l’intérieur d’un système hiérarchique où chacun met la pression sur celui d’en-dessous en se dédouanant sur celui d’au-dessus. Jusqu’à ce que l’engrenage déraille, laissant la possibilité d’Un autre monde ?

Bande annonce.

Rue89 Strasbourg : Philippe Lemesle, interprété par Vincent Lindon, est un rouage du système capitaliste, à la fois bourreau et victime. Ce personnage de patron d’entreprise a-t-il été plus difficile à construire que le chômeur de La loi du marché ou que le syndicaliste d’En guerre?

Stéphane Brizé : Oui, parce qu’il ne fallait pas qu’on se dise « ah ces pauvres riches ! ». L’approche qui va convoquer l’empathie du spectateur ne doit pas le dédouaner de ces actes. Il faut réussir à faire partager la problématique de quelqu’un qui peut faire le mal. Vous avez utilisé le terme de « patron », mais il n’est pas le patron de l’entreprise, il ne l’a possède pas : il a un patron. Quand il doit réduire les coûts, Philippe Lemesle n’a aucune autorité. Toutes les compétences qui lui sont demandées pour organiser le travail dans l’entreprise lui sont retirées à ce moment-là : on attend de lui qu’il soit un simple exécutant. Jusque-là, il n’a jamais interrogé ces injonctions, il a trouvé des solutions qui ont mené à l’épuisement et à la souffrance de tous : les salariés, sa famille, lui-même. Sa grande difficulté est d’accepter qu’il n’est pas le problème mais qu’il est pris au piège.

La tension est très forte tout au long des négociations avec ses supérieurs. Les dialogues sont extrêmement justes, mélange de flatterie et de coup de pression, de rappels hiérarchiques et de connivence. Où êtes-vous allé chercher cette matière pour écrire ?

SB : Ce que vous décrivez, ce sont les stratégies de management ! Dans ma vie professionnelle, je ne suis pas à cet endroit-là de contraintes donc j’ai été à la rencontre de ces cadres, hommes et femmes, qui ont vécu une rupture avec l’entreprise. La plupart du temps, le départ est involontaire. Mais parfois ce sont eux qui sont partis. Sur mon précédent film En guerre, j’avais déjà travaillé avec des cadres mais aussi avec un cabinet d’outplacement : ce sont des agences, souvent payées par l’entreprise qui a licencié, qui vont prendre en charge les cadres virés pour essayer de leur retrouver une place.

Philippe Lemesle (Vincent Lindon) acculé par ses supérieurs (docs remis).

Les personnes que j’ai rencontrées m’ont raconté leur histoire : elles n’avaient pas toutes digéré leur licenciement de la même façon. Certaines disaient s’en être sorties, d’autres avaient encore beaucoup d’amertume. Les termes utilisés étaient les mêmes que lors d’une rupture amoureuse. Il y avait cette injustice à se retrouver dans cette situation alors qu’ils avaient tout donné, et notamment sacrifié leur vie privée. C’est pourquoi c’était pour moi une nécessité de commencer et de terminer le film sur cet aspect personnel. Si on résume l’histoire à la partie professionnelle, cela peut paraître aride… Ce qui m’intéresse c’est l’être humain. Comment nous, hommes et femmes, nous nous questionnons à l’intérieur d’un système qui nous contraint ? Comment nous allons réagir ? Qu’est-ce que nous sommes prêt à sacrifier ?

Avec une mise en scène très sobre, centrée sur des bureaux, des tableaux Excel et des visages, vous arrivez à provoquer une émotion intense…

SB: Tout se passe dans des bureaux effectivement. D’ailleurs son chez-lui est devenu son bureau. On ne fait plus de distinction entre les deux. Il n’y a plus d’extérieur dans sa vie. D’autre part, la représentation de ce monde-là existe très peu au cinéma. Je voulais montrer les êtres, les corps malmenés dans un système qui a l’air très aseptisé. L’incarnation de Vincent (Lindon) est assez dingue, sur les cinq films que nous avons fait ensemble, c’est sa partition la plus difficile. Après, les moyens de dramaturgie sont les mêmes que pour un polar et on a peur pour lui.

Bref moment de respiration avec son fils (Anthony Bajon) (doc. remis).

Comment vous est venue l’idée de la maladie du fils (Anthony Bajon), comme un écho à l’absurdité du système ?

SB: En psychologie, on appelle ces enfants des « enfants symptômes ». Ils sont un reflet du système absurde qu’est le système capitaliste et qu’est devenue sa famille. Lui-même est dans une école de commerce. Dans les bouquins que j’ai lus pour préparer le film, je suis tombé sur ces jeunes, de plus en plus nombreux, qui commencent des études de ce genre et qui explosent en plein vol. Souvent ils partent pour faire quelque chose de très concret et qui a du sens. La dégradation psychologique de son fils est un événement fort, un surgissement du réel, qui va permettre au personnage de Vincent Lindon de sortir de son immobilisme.

Tout comme la demande de divorce de son épouse, interprétée par Sandrine Kiberlain.

SB : Oui, elle et son fils y participent, mais elle veut sauver sa peau. Elle ne demande pas le divorce avec l’idée de sauver Philippe Lemesle. Elle est très courageuse parce que ça ne l’arrange pas : elle l’aime, elle a 50 ans et a sacrifié sa vie professionnelle pour lui. Mais sans ces électrochocs, il pensera toujours que c’est lui le problème et il continuera à pédaler sans fin, comme un hamster dans sa cage.

Plus d’eau chaude ni de chauffage au squat de la Meinau, où vivent des familles

Plus d’eau chaude ni de chauffage au squat de la Meinau, où vivent des familles

L’agence In’li, propriétaire de l’immeuble squatté rue de Bourgogne à la Meinau, et la Ville de Strasbourg, assurent que le problème est lié à une coupure d’électricité provoquée par l’intervention d’une personne non habilitée. Depuis mardi 15 février, la centaine d’occupants, dont des familles et des personnes malades, n’ont plus de chauffage ni d’eau chaude.

En décembre, des personnes isolées et des familles, d’origine géorgienne et arménienne, ont investi un bâtiment de 54 appartements en instance de démolition rue de Bourgogne à la Meinau. Depuis mardi 15 février, le chauffage et l’eau chaude ne fonctionnent plus dans l’immeuble.

Le bâtiment compte neuf étages. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« On est environ 130 habitants », indique Nino, en cette matinée du mercredi 16 février. Dans la cuisine, elle porte une fille de moins d’un an. Le four est allumé avec sa porte frontale ouverte, pour réchauffer la petite. Dans les autres pièces, les radiateurs alimentés par le chauffage central de l’immeuble sont froids.

« C’est inquiétant. Tout le monde va utiliser des appareils électriques. Il y a un risque d’incendie si cette situation perdure », commente Nicolas Fuchs, coordinateur régional de Médecins du Monde, dont l’association intervient dans ce squat.

La fille de Nino tremblait dans les autres pièces. Elle est mieux à côté du four allumé. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Plus de gaz, pour des « raisons de sécurité »

Cinq étages au-dessus, Arman ouvre le robinet pour obtenir de l’eau chaude et invite à passer la main dessous. Comme dans tous les appartements, l’eau reste froide. Il témoigne :

« Cela a commencé il y a un mois, après le passage d’un technicien. Certains radiateurs ont commencé à ne plus fonctionner. Les derniers étages, le neuvième et le huitième étaient les premiers touchés. Depuis hier, il n’y a plus d’eau chaude. J’ai vu des professionnels en uniforme intervenir. Pour moi, la situation est gérable, même si le froid est difficile à vivre au quotidien. Mais pour les enfants et les personnes malades ou âgées, c’est très mauvais. »

Contactée le 16 février, In’li Grand Est, une agence de location de « logements intermédiaires » et propriétaire des lieux, admet avoir désactivé l’alimentation en gaz et les ascenseurs « pour des raisons de sécurité ». Dans un court message écrit, elle précise que « le chauffage et l’eau chaude sont produits par le réseau urbain et ne sont pas impactés par ces démarches ».

Le 17 février, les services de la Ville déclarent finalement :

« Le bailleur nous a confirmé que les pompes reliées au réseau de chaleur urbain ont cessé de fonctionner suite à une coupure d’électricité dans le sous-sol de l’immeuble. Cette coupure fait visiblement suite à une intervention sur l’installation électrique, réalisée par des personnes non habilitées. La Ville de Strasbourg a demandé à la direction de In’li de mandater en urgence un professionnel habilité afin de rétablir l’électricité dans les délais les plus brefs, et de relancer ainsi le chauffage et l’eau chaude. »

Et l’agence In’li de confirmer dans la foulée :

« L’arrêt de la fourniture de chauffage et d’eau chaude sanitaire de cet immeuble est indépendant de notre volonté et n’est aucunement lié aux conséquences des mesures sécuritaires engagées mais exclusivement aux interventions illicites réalisées sur le réseau électrique de notre bâtiment en sous-sol. »

« On essaye d’arranger la situation au plus vite »

Pour Nicolas Fuchs, « il y a urgence, pour la dignité des personnes, d’autant plus que le squat est notamment occupé par des individus malades » : « Nous demandons aux acteurs concernés de leur redonner accès au chauffage et à l’eau chaude. »

Sur la porte d’entrée de l’immeuble, les services de la Ville ont laissé un papier indiquant qu’ils ont réalisé, avec Médecins du Monde et Strasbourg Action Solidarité, une évaluation des besoins sociaux et médicaux des occupants du site le 9 février. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

En attendant, Arman garde sa veste à l’intérieur. Spontanément, il justifie sa présence dans le squat. « Le 115 (numéro de l’hébergement d’urgence, NDLR) ne m’a jamais donné de solution », dit-il. Sans papiers, il ne peut travailler ou demander des allocations. Il doit se faire opérer le 22 février et craint les conditions dans lesquelles il devra se rétablir. « Si ça se trouve, il n’y aura même plus d’électricité à ce moment là. On ne sait rien, personne ne nous prévient », souffle-t-il.

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Les recommandations en ligne provoquent des tensions dans l’accès aux gynécologues

Les recommandations en ligne provoquent des tensions dans l’accès aux gynécologues

Le mouvement #balancetongyneco et les sites de recommandation déstabilisent et divisent les gynécologues. À Strasbourg, il faut attendre plus de quatre mois pour un rendez-vous chez un soignant bien noté. Un effort que sont prêtes à faire de plus en plus de patientes pour que leur consultation et leur suivi se déroule bien. 

« Aujourd’hui, pour débuter un suivi gynécologique, je dois choisir entre avoir un rendez-vous rapidement et risquer d’avoir une mauvaise surprise, ou chercher quelqu’un de sûr, mais devoir attendre des mois », résume Léanne, 25 ans. Depuis quelques années, les recommandations en ligne pour les médecins, et particulièrement les gynécologues, se sont multipliées. Elles prennent la forme d’avis sur Google ou de recensement sur des sites comme Gyn&Co – un blog participatif sur lequel des patientes recensent les gynécologues et les sages-femmes qu’elles jugent bienveillants. 

Le nombre de gynécologues chute depuis plusieurs années : en 2018, le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) constatait qu’il n’y avait plus que 1 054 gynécologues médicaux en exercice en France, 82 de moins qu’en 2017 et 891 de moins qu’en 2007 !

« Strasbourg a longtemps été préservé de cette situation tendue, car plusieurs cabinets ont été créés dans les années 80 et accueillent aujourd’hui de nouveaux praticiens qui ne veulent pas s’installer seuls. De plus, la ville est riche et attractive. Mais l’accès au soin se fait de plus en plus difficilement, car toute une génération de gynécologues commence à partir à la retraite. À cela, on peut ajouter le fait que la profession n’attire plus autant les jeunes qu’avant. »

Dr Frédéric Labouz, Gynécologue obstétricien à Strasbourg

Des délais 4 fois plus longs pour les soignants bien notés

En outre, des différences sont apparues dans les délais de consultation entre les soignants bien notés et ceux qui n’ont pas les faveurs des sites de recommandation. En comparant des disponibilités sur Doctolib, ces différences atteignent plusieurs mois ! Ainsi, sur les 13 soignants au centre-ville de Strasbourg recensés comme bienveillants par le site Gyn&Co, le délai pour un premier rendez-vous de suivi gynécologique est de deux mois chez l’une, de cinq mois chez un autre et jusqu’à 10 mois pour un troisième ! En comparaison, au moins dix gynécologues strasbourgeois non recensés sur Gyn&Co ont des disponibilités dans le mois. 

« Attendre, c’est le prix à payer pour avoir un gynéco “sûr” pour son suivi. Après, un problème peut se poser lors de situations d’urgence. Personnellement, j’ai des ovaires polykystiques et on me soupçonne une endométriose. Quand j’ai besoin d’être auscultée rapidement, ce qui m’est arrivé quand j’ai eu mes règles plusieurs semaines d’affilée, je sais que ma gynécologue libère quelques moments dans son emploi du temps pour les impératifs. Sinon, je suis déjà allée aux urgences de l’hôpital qui ont aussi pu m’aider de manière ponctuelle. »

Anne, 23 ans, étudiante.

Une organisation et des délais qui n’ont pas refroidi Juliette, 22 ans, quand elle a voulu changer de gynécologue après une mauvaise expérience, lors de son arrivée à Strasbourg. Alors âgée de 18 ans et venant de d’emménager pour ses études, elle s’est cherché un nouveau médecin pour un nouveau moyen de contraception :

« J’ai commencé à prendre la pilule deux mois et j’ai rapidement su que ça ne me convenait vraiment pas. J’ai eu beaucoup d’effets secondaires : mon caractère a énormément changé, j’ai commencé à être très agressive, j’avais des boutons, parfois, j’avais la tête qui tournait… »

Juliette s’est fait poser son stérilet il y a trois ans et demi. Depuis, elle ressent de l’appréhension avant ses examens gynécologiques. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg / cc

Des patientes ne se sentent pas toujours écoutées

Juliette pense alors au stérilet en cuivre, qu’elle avait déjà envisagé avant de tester la pilule. Après discussion avec sa nouvelle gynécologue, elles en arrivent à la même conclusion : « Je n’avais pas de contre indications, ni maux de ventre ou flux important. C’était la meilleure chose pour moi ». Mais le jour de la pose, c’est un autre gynécologue du cabinet qui la reçoit, car sa soignante est alors retenue à l’hôpital. Dès le début du rendez-vous, il s’oppose à la pose de son stérilet :

« Il a tout de suite commencé à me dire que ce n’était pas normal de se faire poser un stérilet à 19 ans. Je lui ai expliqué que je ne supportais pas la pilule, je lui ai fait la liste de mes effets secondaires et il m’a répondu que ça ne suffisait pas. Voyant que je ne changeais pas d’avis, il me l’a mis de manière un peu brutale et j’ai eu très mal. À ce moment, il m’a regardé dans les yeux en déclarant : c’est le prix à payer quand on veut un stérilet alors qu’on a jamais eu d’enfants. »

La consultation se termine avec des recommandations que Juliette réfute : « Il m’a dit que je ne pouvais plus avoir de rapports pendant mes règles, ni mettre de tampons. Par la suite, j’ai découvert que c’était faux. » 

« J’ai vécu la pose de mon stérilet comme un traumatisme »

Après ce rendez-vous, que Juliette a vécu comme une violence gynécologique, elle décide de ne plus retourner au cabinet. Elle intègre un cabinet de sages-femmes dont elle est aujourd’hui très heureuse : 

« Le rendez-vous dure 30 minutes au lieu de 15, on discute plus et j’ai du temps pour me mettre à l’aise. Elles m’expliquent chacun de leurs gestes, attendent de savoir quand je suis prête. Tout se passe extrêmement bien, mais malgré ça, j’appréhende aujourd’hui les auscultations, alors qu’avant, je n’avais aucun problème. J’ai compris que j’avais vécu la pose de mon stérilet comme un traumatisme. »

Émeline Ludmann est l’une des trois sages-femmes qui suivent Juliette. Formée à Strasbourg, elle a rejoint le cabinet à la fin de ses études, en 2018. Elle confirme qu’elle reçoit couramment des jeunes femmes qui ont vécu de mauvaises expériences. « Environ une fois par semaine, nous recevons une jeune femme dans ce cas, qui n’a parfois plus consulté depuis longtemps, car elle a développé une peur de l’examen gynécologique », déplore-t-elle.

Émeline Ludmann a été évalué avec 4,9 étoiles sur 5 sur Google. Son cabinet, qu’elle partage avec Walter Laura et Woelffel Aline, est référencé sur Gyn&Co. Photo : Document remis

Les femmes s’investissent davantage dans leur suivi gynécologique

La sage-femme a observé des allongements de délais de prise de rendez-vous pour tout le cabinet. Trois ans auparavant, elle pouvaient proposer un rendez-vous en quinze jours, il faut 8 à 9 semaines actuellement. Un résultat, d’après elle, de leur bonne réputation :  

« En discutant avec nos patientes, on se rend compte qu’elles s’investissent de plus en plus dans leurs soins. La parole s’est beaucoup libérée autour des violences gynécologiques, notamment grâce aux réseaux sociaux. Il y en a qui pensaient être les seules à mal vivre certaines pratiques, et qui se rendent compte qu’elles sont effectivement problématiques. Elles se renseignent davantage, découvrent des sites de recommandation et viennent plus sereinement chez nous. C’est agréable en tant que soignante, car on voit que la bienveillance paie. »

« La gynécologie est devenue politique »

Une analyse que ne partage pas le docteur Jean-Louis Katz, gynécologue-obstétricien depuis 31 ans, qui travaille au cabinet de l’Association de gynécologues libéraux (Agyl). Il associe l’essor des sites de recommandations gynécologiques à une « pression médiatique et militante » :

« Je ne dis pas que les patientes ne doivent pas s’informer, mais l’utilisation d’internet a des effets très négatifs. Je suis de plus en plus confronté à des jeunes filles qui viennent avec une idée fixe, pensent savoir ce qui est le mieux pour elles et veulent presque tenir le stylo à ma place pour faire la prescription. Il faut aussi qu’elles sachent écouter un spécialiste. »

Un des sujets sur lequel il entre souvent en conflit avec ses jeunes patientes : la pose d’un stérilet en cuivre, une demande de plus en plus courante alors que ce dispositif de contraception est contre indiqué en cas de règles douloureuses ou abondantes et qu’il comporte des risques, notamment pour les femmes nullipares.

« Il n’y a plus de relation de confiance », déplore Jean-Louis Katz en pointant la responsabilité des réseaux sociaux et des avis en ligne. Jean-Louis Katz n’est pas référencé sur le site Gyn&Co – qu’il ne connaît pas – et a 3,4 étoiles sur 5 sur Google avec 34 avis, dont plusieurs très critiques. Le Dr Katz regrette :

« Maintenant, dès qu’on est en désaccord avec une patiente, il y a le risque qu’elle déverse sa colère sur internet et cela reste… Tandis que les patientes satisfaites n’ont pas le réflexe d’aller me noter. »

Le docteur Frédéric Labouz a une note de 3,9 étoiles sur 5 sur Google et n’est pas recensé sur Gin&Co (Photo ACC / Rue89 Strasbourg / cc) Photo : Alizée Chebboub-Courtin / Rue89 Strasbourg

Autre gynécologue, le Dr Frédéric Labouz ajoute :

« On a beau avoir aussi de très bons commentaires, les gens ne vont retenir que le négatif. Je ne sais parfois même pas à quoi font référence certains de mes avis sur Google. Ce n’est pas représentatif. »

Les syndicats professionnels demandent de plus en plus fréquemment aux gynécologues de recourir à une assurance pour préserver leur réputation numérique. Un service qui entame ensuite les démarches pour supprimer les commentaires auprès des plateformes notamment en cas de propos diffamatoires ou de cyberharcèlement.

En quelques années, ces deux gynécologues ont l’impression que leur métier a changé. Jean-Louis Katz se sent victime d’un acharnement politique et médiatique : 

« Si on a choisi ce métier, c’est qu’on veut agir pour le bien des femmes. Je trouve très violents des mouvements comme #balancetongyneco. Les violences gynécologiques existent, mais elles sont rares et dues à un manque de temps, parfois de tact, pas à de la malveillance. »

Depuis le mouvement #balancetongyneco, de nombreux comptes Instagram et sites recueillent des témoignages d’agressions lors d’auscultation. C’est le cas du site Balancetonporc qui comprend 454 témoignages dans sa rubrique « Milieu médical » ou encore Balance Ton Uterus qui est consacré aux VOG (Violences obstétricales et gynécologiques) et dont le compte Instagram est suivi par 76 000 personnes.

Les témoignages sont souvent complétés par des conseils, notamment sur la manière de porter plainte ou encore en saisissant le Défenseur des droits.

Plus de journalistes pour plus d’enquêtes et plus d’impact : Rue89 Strasbourg a besoin de vous pour grandir

Plus de journalistes pour plus d’enquêtes et plus d’impact : Rue89 Strasbourg a besoin de vous pour grandir

Du 15 février au 31 mars, Rue89 Strasbourg lance une campagne de financement participatif. Objectif : renforcer notre équipe pour produire plus d’enquêtes et augmenter encore l’impact de votre média indépendant sur la vie locale.

Des journalistes supplémentaires. En trois mots, c’est l’objectif de notre campagne de financement participatif lancée à l’occasion de notre dixième anniversaire. Depuis plus d’un an, notre rédaction est constituée de quatre journalistes salariés et d’une dizaine de journalistes rémunérés à l’article. Cet effectif nous a permis de produire de nombreuses enquêtes (des exemples ici, ici et ) mais pas suffisamment régulièrement. Pour que nous puissions augmenter le nombre et la qualité de nos investigations, nous avons besoin d’au moins deux journalistes à plein temps supplémentaires.

Des embauches pour plus d’enquêtes de plusieurs mois

Nous le répétons sans cesse : l’investigation prend du temps. Prenons l’exemple de l’enquête de Maud de Carpentier concernant le suicide d’un éducateur de l’Arsea à Strasbourg. Son travail a commencé peu après le geste dramatique de ce salarié du Service d’Investigation Éducative, le 8 mars 2021. L’article approfondi sur les raisons de ce décès n’a été publié que le 27 septembre 2021, soit six mois après le début de l’enquête. C’est parfois ce qu’il faut pour obtenir des témoignages, les vérifier en les croisant ou en obtenant des documents. C’est ce type de travail au long cours, qui a quasiment disparu dans les médias locaux, que nous souhaitons développer.

Rue89 Strasbourg a pris ce temps pour produire des enquêtes sur d’autres thématiques. Il y a notre série en trois épisodes sur l’incinérateur strasbourgeois (ici, ici et ) ou notre investigation en plusieurs volets « À qui appartient Strasbourg ? » Thibault Vetter enquête depuis des années sur toutes les formes d’atteintes à l’environnement, de Stocamine à l’agriculture intensive en passant par l’absurdité des élevages industriels en « plein air ». Jean-François Gérard continue de scruter la politique strasbourgeoise tout en enquêtant sur les plans sociaux de Knorr, Aptis ou encore Sanofi.

Nous aimerions faire plus encore. Car nous devons parfois abandonner des sujets malgré des alertes, faute de temps et de moyens pour vérifier les informations et enquêter. Ce fût le cas de la saga des cliniques à Strasbourg par exemple. Il y a aussi des dossiers sur lesquels nous nous sommes mobilisés tout en sachant qu’il reste encore beaucoup à creuser. C’est le cas de Stocamine… Un dossier pour lequel des moyens supplémentaires nous permettraient d’explorer de nouvelles pistes, notamment allemandes, ou pour documenter les moyens techniques pour un déstockage sans s’en remettre à la communication du gouvernement…

Objectif du financement participatif : 30 000 euros

Notre financement participatif est constitué de plusieurs paliers de 15 000 euros, correspondant à l’investissement initial nécessaire pour embaucher un journaliste. C’est la somme que nous mettons de côté, patiemment, pour intégrer une nouvelle personne. Grâce au soutien direct de plus de 1 500 abonnés, et aux quelques annonceurs qui nous font confiance, nous augmentons nos capacités au rythme d’un nouveau journaliste tous les deux ans, à peu près.

Ce financement participatif, s’il réussit, nous permettrait de franchir ces étapes beaucoup plus rapidement. Un premier palier nous permettra de recruter une journaliste d’investigation supplémentaire, le second palier nous permettra d’intégrer les compétences d’un ou d’une journaliste spécialisé dans le traitement des données. Nous constatons que ce travail est de plus en plus nécessaire pour exploiter des sources disponibles qui peuvent servir à produire des articles éclairants sur des sujets complexes à Strasbourg et en Alsace. Quelques exemples : une cartographie des déserts médicaux de la région ou une analyse de l’évolution des loyers selon les zones de Strasbourg.

En contribuant au financement participatif de Rue89 Strasbourg, vous participez à faire croître un média engagé pour des valeurs de justice sociale et environnementale à travers un travail d’investigation fouillé et précis. À l’heure où les médias sont de plus en plus concentrés entre les mains de grands groupes ou d’industriels, nous sommes convaincus qu’il faut étoffer les capacités du journalisme indépendant, le seul qui ira creuser là où aucun média local ne s’aventure. Merci d’avance pour votre soutien !

Une étudiante chinoise espionnait un laboratoire de l’Insa Strasbourg

Une étudiante chinoise espionnait un laboratoire de l’Insa Strasbourg

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Pendant cinq jours, l’Eurométropole a coupé l’eau du squat La Pigeonne à la demande du propriétaire

Pendant cinq jours, l’Eurométropole a coupé l’eau du squat La Pigeonne à la demande du propriétaire

Mercredi 9 février, les occupantes de La Pigeonne ont retrouvé une notification des services de l’Eurométropole de Strasbourg, indiquant que leur accès à l’eau était coupé à la demande du propriétaire. La loi interdit pourtant cette pratique. Lundi 14 février, le service a été rétabli.

La Pigeonne est un squat dans une maison de trois étages au centre de Cronenbourg. Ce lieu est « en mixité choisie », c’est à dire ouvert à tous sauf aux hommes dont le genre est masculin depuis la naissance. Depuis février 2020, des femmes isolées, des personnes queers, des femmes avec enfants et des personnes réfugiées y sont hébergées et vivent en collectif.

Mercredi 9 février vers 10h, les services de l’Eurométropole (EMS) ont soudainement coupé l’accès à l’eau courante de la maison. Une habitante témoigne : « Ils l’ont fait sans prévenir, c’est complètement abusif. » Elle relate que les services de l’EMS ont laissé une brève notification sur la valve d’eau, à l’extérieur de la maison, indiquant que leur branchement était fermé à la demande du propriétaire.

Les occupantes ont juste trouvé cette notification sur la valve d’eau à l’extérieur de la maison le 9 février. Photo : remise

Les distributeurs n’ont pas le droit d’empêcher l’accès à l’eau courante des occupants d’un squat

Dans un communiqué publié samedi 12 février, les occupantes dénoncent :

« Quelles sont donc ces manœuvres ? Couper l’accès à l’eau est un acte non seulement vicieux mais illégal. Cela revient à mettre en danger la vie d’autrui, nous empêcher de boire, de nous laver, de cuisiner, d’éteindre un feu, donc de maintenir des conditions d’hygiène et de sécurité essentielles dans un contexte sanitaire compliqué, avec des personnes malades. Nous n’acceptons pas cela ! L’accès à l’eau est un droit que nous allons reprendre ! »

Effectivement, depuis 2013, les distributeurs n’ont pas le droit de couper l’eau courante d’un squat, puisqu’il s’agit d’une ressource vitale. En début d’après-midi lundi 14 février, les services de l’Eurométropole ont d’ailleurs rétabli l’accès à l’eau courante.

Pas d’explication sur les raisons du débranchement

Contactée par Rue89 Strasbourg, l’Eurométropole ne souhaite pas donner d’explications sur les raisons du débranchement initial de l’accès à l’eau. Dans leur communiqué, les occupantes rappellent :

« Depuis deux ans, nous, Pigeonnes, prenons soin de la maison qui nous a accueillies, en créant un espace pour les femmes et les personnes queers précaires, qu’on veut pérenne et solidaire, un lieu de vie et d’activité qui nous est vital. Cela nous demande énormément de temps, d’énergie et de moyens. […]

Dès notre arrivée, nous avons envoyé un long courrier de présentation de notre projet au propriétaire, sans réponse de sa part depuis deux ans. Nous savons qu’il possède des domaines et d’autres maisons, celle-ci qu’il a abandonnée et délaissée depuis des années ne semble donc pas lui manquer. »

Avant l’installation de La Pigeonne, la maison était inoccupée depuis au moins 5 ans.

Suzanne Ruhlmann, lanceuse d’alerte alsacienne sur les faux traitements pour « guérir » l’autisme

Suzanne Ruhlmann, lanceuse d’alerte alsacienne sur les faux traitements pour « guérir » l’autisme

L’Alsacienne Suzanne Ruhlmann enquête depuis 2017 sur les groupes d’informations sur l’autisme sur Facebook. Dans les articles de son blog, l’ancienne employée d’un centre de recherche clinique révèle la manière dont des traitements non certifiés et parfois lourds sont brandis pour « guérir » du trouble.

« Le problème, c’est qu’ils arrivent à persuader que l’on peut guérir l’autisme. C’est de la manipulation », dénonce Thomas Ruhlmann. Vivant chez sa mère à Erstein, au sud de Strasbourg, le jeune homme de 28 ans est atteint d’une forme d’autisme. L’air grave, Thomas raconte sa rencontre avec une femme via Facebook, en 2017. Sous l’emprise de cette personne, Thomas part la rejoindre en voiture dans la région parisienne. La visite ne devait durer que quelques jours. Mais la mère de Thomas n’aura pas de nouvelle de son fils pendant trois ans.

Inquiète, la mère de Thomas est convaincue que cette rupture familiale est liée à un désir de son fils de « guérir » de l’autisme. Elle intègre alors plusieurs groupes Facebook qui font la promotion de traitements contre ce trouble. Elle découvre par exemple le groupe aujourd’hui fermé « Troubles du développement – Prises en charge éducatives et biomédicales » qui comporte à l’époque plus de 10 000 membres. Sur ce groupe, Suzanne découvre un message de la compagne de Thomas. Elle y affirme vouloir guérir son « conjoint », ainsi que son fils, de l’autisme. Suzanne comprend alors qu’il est question de Thomas et qu’il prend ces traitements alternatifs.

Suzanne Ruhlmann et son fils Thomas, dans leur maison de Erstein au sud de Strasbourg. Photo : Danae Corte / Rue89 Strasbourg

Un « protocole » lourd à base d’antibiotiques

Loin de sa famille et de sa petite ville d’Erstein, Thomas voit une médecin de Boulogne (92). Elle lui prescrit du Triflucan, un traitement contre les champignons, et de l’homéopathie. En parallèle, le jeune homme a pris un traitement contre l’accumulation de métaux lourds, dont la boite de 90 gélules coûte 22 euros. Le médicament s’achète sur un site domicilié en Afrique du Sud. Toutes les trois heures, même la nuit, Thomas prend un comprimé qui « donne à [son] urine une odeur de plastique ».

Sur d’autres groupes « avec des noms ridicules » comme « L’autisme est une maladie guérissable », Suzanne lit souvent des échanges de parents qui conseillent « l’antibiothérapie ». Ils considèrent que l’autisme peut être traité grâce à un mélange d’antibiotiques, d’antifongiques et d’antiparasitaires. Ils sont aussi convaincus par les thèses d’utilisateurs se présentant comme médecins. Gil Delhoume, par exemple, brandit des études non officielles sur « 3000 enfants autistes » pour lesquels il y aurait eu « 10% de guérisons vraies et 75% de très bons résultats » suite à la prise de ces cocktails de médicaments.

Certains commentaires sont difficiles à comprendre tant ils mélangent différents procédés qui semblent tout à fait aléatoires. Des parents proposent par exemple de combiner les médicaments avec un régime sans gluten, triplé d’un EncéphaloSCAN (un examen médical non reconnu par l’Assurance Maladie et la Haute Autorité de Santé). Cet examen avait valu au professeur Dominique Belpomme une plainte du Conseil de l’Ordre des médecins.

Pour révéler l’activité de certains groupes d’informations sur l’autisme, Suzanne Ruhlmann s’est infiltrée sur une dizaine d’entre eux. Photo : Danae Corte / Rue89 Strasbourg / cc

Des traitements contre les métaux lourds dans l’autisme « formellement déconseillés » par l’ANSM

Pendant plusieurs années, Suzanne approfondit ses recherches. La pilule qu’a achetée son fils sur internet, le DMSA, est un traitement destiné aux victimes d’intoxication grave ou d’empoisonnement. En 2015, des essais cliniques de l‘organisation Cochrane sur ce traitement en particulier n’ont démontré aucun effet sur les symptômes des enfants autistes. En raison des nombreux effets secondaires possibles des traitements contre les intoxications aux métaux lourds (appelés « chélateurs »), ils sont formellement déconseillés par l’Agence Nationale de Sécurité du médicament dans le traitement des enfants atteints d’autisme.

Thomas arrête rapidement le traitement qui « ne marche pas » et s’en sort sans conséquences :

« Moi je voulais être le plus normal possible et sortir de l’autisme. Je m’attendais à des améliorations dans mes relations sociales. J’espérais avoir plus de facilités pour me concentrer. En voyant ces médecins connus qui semblent savoir ce qu’ils font, j’avais tendance à faire confiance… mais tout ça c’est comme croire au père noël »

Des ordonnances avec cinq médicaments différents

Thomas est loin d’être le seul à avoir essayé ces traitements. Dans des groupes Facebook qu’elle infiltre, Suzanne observe certaines personnes inquiètes présenter des ordonnances avec « cinq médicaments différents, dont des antibiotiques », prescrits par des médecins qui promettent de guérir l’autisme. En tant qu’ancienne employée dans un centre de recherche clinique, elle connait bien les protocoles de validation stricts des médicaments avant leur mise sur le marché. Elle s’inquiète donc de potentiels effets secondaires graves :

« Aucun traitement n’est anodin et les gens ne regardent pas la notice. Pourtant même avec du doliprane, il y a des risques de surdosage. Là ce sont des traitements lourds, avec de grosses doses et qui durent longtemps. »

Des groupes hermétiques

En colère contre ces « charlatans », Suzanne part en campagne contre ces faux remèdes. Suzanne a l’habitude de vérifier les études sur les effets secondaires de traitements médicamenteux. Elle apporte donc un contradictoire minutieux dans les commentaires des publications prônant des remèdes miracles contre l’autisme. Elle souligne les études non conformes, ou les condamnations de certains médecins. Son but est de convaincre les familles de ne pas utiliser ces traitements :

« J’ai aussi contacté des gens qui doutaient par message privé, pour qu’ils ne prennent pas ça. C’étaient des discussions sympa, je les abordais en leur disant “si vous avez besoin de plus d’informations n’hésitez pas ». Des fois j’avais l’impression qu’ils étaient convaincus, puis je les voyais quelques temps après tester ces traitements quand même. »

Une dizaine de groupes Facebook infiltrés

Mais l’activisme de Suzanne lui vaut d’être bannie du groupe Facebook « Troubles du développement – Prises en charge éducatives et biomédicales ». La mère de Thomas réintègre la communauté une première fois, mais une administratrice tente de la discréditer en assurant qu’elle est « mentalement instable ».

Suzanne infiltre ensuite une dizaine d’autres groupes sous des pseudonymes. Lorsqu’elle nous montre l’écran, Suzanne s’assure bien que l’on ne photographie pas son pseudo : « C’est très long de refaire un profil, il faut arriver à réintégrer le groupe ensuite ». Elle décrit aussi un activisme éreintant :

« C’était très difficile au début. J’avais l’impression d’être seule contre tous. J’ai aussi reçu des menaces de procès pour diffamation. »

Pas d’études fiables sur le sujet

Ses interventions sur les groupes Facebook ne suffisant plus, elle commence à rédiger son blog intitulé « Enfants autistes cobayes, Scandale Chronimed et autres dérives ». Ses articles répertorient des dizaines de captures d’écrans de conversations autour de ces faux traitements. Suzanne remarque assez vite qu’elle est prise au sérieux.

Sur son blog, la lanceuse d’alerte écrit aussi sur Chronimed, une association spécialisée dans les réflexions sur la maladie de Lyme et l’autisme. Elle a été fondée par le prix Nobel Luc Montagnier, décédé le 8 février 2022 et plusieurs fois désavoué par le milieu scientifique notamment pour ses positions anti-vaccin, mettant en lien la vaccination et l’autisme. La théorie selon laquelle le vaccin causerait l’autisme, par l’accumulation de métaux lourds dans l’organisme, est pourtant largement démentie par la recherche scientifique.

En septembre 2020, l’ANSM (Agence du médicament) a saisi le parquet de Paris concernant des médecins de la mouvance Chronimed pour des prescriptions d’antibiotiques contre l’autisme. Or, aucun traitement médicamenteux n’existe contre l’autisme, selon l’institut Pasteur. Seuls des traitements des symptômes de l’autisme existent. La rééducation orthophonique ou psychomotrice, ou certaines classes de médicaments, permettent de diminuer les symptômes de troubles associés, comme l’épilepsie. Mais surtout, ce « trouble envahissant du développement » n’est pas une « maladie ». Depuis 1996, il est considéré par l’OMS comme un handicap.

« Il faut cesser d’appréhender l’autisme comme une maladie »

Pour Suzanne, il faut cesser d’appréhender l’autisme comme une maladie. La mère se souvient d’une psychiatre qui suivait son fils quand il était jeune. Lorsque Suzanne pose la question du diagnostic, la clinicienne prend un air particulièrement grave et silencieux, raconte la mère de Thomas :

« Les médecins sont catastrophés par l’autisme, mais ce n’est pas une maladie dont on « souffre ». Il y a beaucoup d’idée pessimistes qui sont véhiculées, avec des praticiens qui ont un intérêt financier à ce que les parents paniquent. Ce sont des gens qui sont désespérés, ils sont prêts à tester tous les moyens possibles et dépenser des milliers d’euros pour « guérir » leurs enfants de l’autisme. C’est pour ça qu’il est primordial de changer le regard que l’on porte sur l’autisme. On peut très bien être autiste, avoir un parcours et un développement atypique, et vivre une vie épanouie. »

L’identité française est secouée par les Gens du pays, au TAPS

L’identité française est secouée par les Gens du pays, au TAPS

Un jeune homme au poste de police, incapable de prouver son identité. Le même jeune homme dans sa salle de classe, mutique lorsque le professeur lui demande d’où il vient. Entre ces espaces, Martin Martin cherche à recomposer son identité fragmentée. La compagnie Les Méridiens présente Gens du Pays du 22 au 26 février au Théâtre Actuel et Public de Strasbourg.

C’est la nuit. Dans un poste de police, un jeune homme attend, assis. Casque sur le cou, sweatshirt surmonté de grandes boucles noires, il peine à répondre aux questions que l’officier de police judiciaire (OPJ) lui adresse. Il s’appelle Martin Martin, et il est français. Encore faudrait-il le prouver. Pas de papier sur lui, il est incapable de justifier son identité. Lorie Lory, fonctionnaire de police, doute de ce que raconte le jeune homme. Sans les papiers, c’est l’histoire qu’elle lit sur son physique qui prévaudra.

La nuit et la ville, deux manières de s’identifier

Si Martin s’est fait arrêter, c’est pour s’être aventuré au-delà des limites de la ville. Dans l’obscurité tournent les loups, masse informe et insaisissable qui ne rentre dans aucun registre, sous aucun recensement. Le cadre de la fable pose la ville comme le lieu de l‘ordre, du commerce légal et de la lumière électrique. Tout y est règlementé, ordonné, comptabilisé. La policière qui retient Martin n’est pas un individu aux intentions et à la violence propres. C’est le prolongement humain d’un système implacable, conçu pour tourner avec une mécanique parfaite, quitte à broyer les grains de sables qui s’y glisseraient.

La confrontation du jeune homme à l’autorité ne se fait pas dans le calme. Photo : de Still

La pièce va et vient entre ce poste et la journée passée au collège. Dans l’établissement scolaire, le professeur Kevin Kevin s’est lancé dans un grand projet pour sa classe, pour célébrer les diversités. Il veut faire parler les élèves sur leur identité, leurs origines, leur famille. Tout en appuyant son ascendance française « depuis des générations » il se réjouit de la « multitude de couleurs » de sa classe, avec un enthousiasme qui frise la fétichisation orientalise. Martin se dit lui-même qu’il n’est pas un vrai français, qu’il n’en a que l’apparence. Privé de la certitude béate et monolithique des mots « souche » et « nation », il se sent apatride permanent. L’identité est fugace. Les documents officiels en sont l’incarnation la plus tangible. Ce qu’est un individu, son visage, sa peau, son histoire, tout cela pèse peu sous le regard inquisiteur et méfiant de l’autre.

Le professeur passe pour sympathique avant que la violence naïve de ses mots ne commence à frapper. Photo : de Still

La matière puisée dans la parole de la jeunesse

Le spectacle trouve son origine avec un parcours pédagogique datant de quelques années, dans des lycées d’enseignement général et professionnel : Utopies 1.2. En mélangeant des classes et en discutant avec des élèves d’origines et d’établissements variés, le metteur en scène Laurent Crovella voulait collecter leurs réflexions. C’était un projet d’échange. Un espace d’expression où les participants parlaient de leurs aspirations, et de leur façon d’appréhender le futur.

L’équipe artistique a découvert dans ce processus des notions récurrentes. Les jeunes interrogés parlaient souvent de la famille comme d’un socle concret dans le tourbillon d’angoisse du monde. Les jeunes issus de l’immigration, de deuxième et troisième génération, ont évoqué le racisme insidieux auquel il fallait être habitué. Il ont détaillé la sensation perturbante de sentir sur eux des regards qui les classent comme étrangers, au point de les faire douter de leur identité.

Pour ne pas répondre aux questions, Martin Martin va jusqu’à se désigner comme « d’origine loup ». Photo : de Still

L’identité troublée par la pression

Le spectacle vient ensuite de la rencontre avec le texte de Marc-Antoine Cyr, Gens du pays. Cet auteur d’origine québécoise possède la double nationalité, canadienne et française à la fois. L’auteur raconte l’obtention de la nationalité française, et comment l’administration lui a fait sentir qu’être français se mérite. Mais l’écrivain le dit : il parle français, il est blanc. Il se coule aisément dans le moule des attentes préfectorales, à l’inverse d’une femme africaine qui, passant la procédure à ses côtés, n’est pas reçue. Il écrit Gens du pays pour parler de cet écart.

Dans les deux espaces principaux de la pièce, Martin est dans une position similaire. Au poste de police et dans la salle de classe, il est confronté aux questions de l’adulte (policière ou professeur) qui lui intime de se définir. L’identité est troublée, secouée par la pression. Au-delà des lampadaires, le monde des loups semble presque plus attirant, tout libéré qu’il est de ces injonctions identitaires. Martin s’accroche à son nom, à tout ce qu’il sait : il vient d’ici, il est français. Mais cela ne suffit jamais. Alors il se terre dans un mutisme qui devient sa dernière résistance.

Des familles germanophones se mobilisent contre la fermeture de la section internationale allemande à Strasbourg

Des familles germanophones se mobilisent contre la fermeture de la section internationale allemande à Strasbourg

Le deuxième lycée franco-allemand de France a ouvert ses portes à Strasbourg en septembre 2021. Le rectorat a donc décidé de fermer la section internationale allemande qui fait figure de doublon pour les enfants de 11 à 18 ans. Mais cette section concerne aussi des élèves de maternelle et de primaire qui se retrouvent sans alternative convenable selon les parents.  

Les parents d’élèves ont reçu l’annonce de la fermeture de la section internationale (SI) allemande mi-janvier, par mail. Alice Canet, mère de deux petites filles franco-allemandes de 1 et 3 ans, exprime sa colère : « On ouvre un lycée spécialisé, ce qui est très bien, mais on ferme toute la section internationale, y compris les classes de maternelle et de primaire. Personne ne se rend compte qu’il y aura un vide de huit ans ? », s’offusque l’avocate qui a initié une pétition « pour le maintien de la section internationale à Strasbourg ».

La jeune mère s’est installée à Strasbourg en 2013 avec son mari allemand. L’une de ses filles est déjà scolarisée en section internationale allemande en maternelle. Elle souhaiterait que sa cadette puisse suivre le même cursus : 

« Nous avons toujours voulu que nos enfants aient les deux langues et les deux cultures. Elles parlent français avec ma famille et moi, allemand avec leur père et sa famille. Strasbourg est un lieu idéal pour une famille binationale et la section internationale nous a toujours accompagnés dans cette démarche. C’est une richesse que nous ne voulons pas perdre. »

Alice Canet est avocate de profession. C’est elle qui a rédigé les courriers pour interpeller les différences instances au nom des parents d’élèves en SI. (Photo ACC / Rue89 Strasbourg / cc)

Qu’est-ce qu’une section internationale (SI) ?

Selon le dernier décompte de 2017, il y a 377 sections internationales en France (dont 35 en langue allemande), réparties dans 224 établissements. Ce dispositif a été mis en place en 1981 avec 19 pays différents pour permettre aux enfants étrangers ainsi qu’aux Français bilingues de suivre une éducation en deux langues et liée à deux cultures. Les enseignements y sont dispensés par des professeurs français, formés en France et par des professeurs étrangers formés dans leurs pays respectifs. 

À Strasbourg, il est possible d’intégrer une section internationale (SI) dans huit langues différentes, dans des établissements publics ou privés. La fermeture concerne les classes de l’école Vauban, seule école publique de la région à proposer une section internationale allemande. Cet institut a aujourd’hui encore la particularité de commencer l’enseignement en bilingue paritaire dès la maternelle. Une spécificité introduite en Alsace à l’école publique en 1992.

Le report vers le privé ne convainc pas

À partir de la rentrée de septembre 2022, les cours de la section internationale de Vauban seront pris en charge par le nouveau Lycée Franco-Allemand (cursus LFA) qui, malgré son nom, dispense une formation de la 6e à la Terminale. Les plus jeunes élèves germanophones n’auront donc plus de parcours dédiés. Ils devront se tourner vers les classes bilingues, comme le déplore Alice Canet :

« Les classes bilingues concernent les personnes qui souhaitent apprendre une nouvelle langue. Les enfants ont parfois quelques bases, mais pas d’avantage. Dans la section internationale, les élèves pratiquent déjà la langue au quotidien, ils peuvent jouer ensemble en parlant allemand, entretenir les deux cultures et les deux types de mentalités avec des pédagogies différentes. »

Alice Canet, parent d’élève

Si la fille plus âgée d’Alice Canet devrait pouvoir poursuivre sa scolarité en SI allemande, elle fera partie de la dernière classe à bénéficier de ce dispositif. Pour sa petite sœur, les solutions sont très floues. Alice ne pourra pas scolariser sa deuxième fille à Vauban, puisque ce n’est pas leur établissement de secteur. « En plus de l’alternative bilingue qui ne me convient pas, je ne vois pas comment je vais gérer le fait d’avoir mes enfants dans deux écoles différentes et éloignées », appréhende l’avocate.

Si des dérogations de secteurs ont été évoquées, celles-ci ne sont pas pour l’instant assurées. Une solution serait donc de placer ses filles dans une école privée, ce à quoi elle se refuse : « Le coût est trop élevé et, en tant que fille d’instituteur, c’est important pour moi de soutenir un enseignement accessible à tous. »

Pétition et rencontre avec un député

Cette situation, qu’elle qualifie d’impasse, l’a poussé à lancer une pétition qui compte aujourd’hui plus de 2 630 signatures. Avec d’autres parents, Alice Canet a également envoyé des lettres ouvertes au rectorat du Bas-Rhin, à la mairie, à la région, ainsi qu’au ministère de l’Éducation nationale.

Dans leur lettre à la rectrice, les représentants des parents de l’Apelevis (Association des parents d’élèves des établissements à vocation internationale de l’académie de Strasbourg) regrettent que cette décision ait été prise de manière « unilatérale, sans concertation ». Ils ajoutent que « le système international franco-allemand apporte entière satisfaction aux parents et enseignants des enfants concernés. »

Lettre envoyée par les représentants de parents d’élèves de l’Apelevis, à destination de la rectrice d’Académie du Bas-Rhin. DR

Par la suite, des parents d’élèves ont rencontré le député Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation qui avait publié, en 2018, « 8 propositions pour un enseignement bilingue ambitieux au service du territoire ». L’élu LREM a pu constater « une réelle inquiétude des parents ». Il demande au rectorat de « prendre ce sentiment en considération » et estime qu’ »un rendez-vous est nécessaire pour faire le point. »

Une rencontre des parents d’élèves avec le directeur de cabinet de la rectrice Sébastien Mathey et le directeur académique des services de l’éducation Jean-Pierre Geneviève a été fixée au lundi 21 février. Les parents mobilisés attendent des réponses sur un choix qui leur semble « déconnecté de la réalité ». Ils soulèveront aussi le problème du manque d’enseignants étrangers dans l’académie de Strasbourg. Les défenseurs d’un enseignement polyglotte espèrent surtout qu’on leur proposera une alternative proche pour les plus petits, c’est-à-dire un enseignement dispensé par des professeurs d’origine allemande, dès la maternelle et sans limitation de secteur.

Sollicité à plusieurs reprises, le rectorat n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

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La Ligue des droits de l’Homme alerte sur des pratiques « incompatibles avec la démocratie » de la préfecture du Bas-Rhin

La Ligue des droits de l’Homme alerte sur des pratiques « incompatibles avec la démocratie » de la préfecture du Bas-Rhin

Subtilisation des affaires de sans-abris, difficulté à exercer la liberté de manifester, expulsion de ressortissants afghans malgré la décision d’un juge… l’association a recensé des pratiques de la préfecture du Bas-Rhin entre décembre 2020 et janvier 2022, qu’elle estime non-conformes au droit. Une tendance qui s’accentue depuis l’arrivée de l’actuelle préfète selon ses observations.

« Nous avons commencé à nous dire qu’il fallait avoir une vision d’ensemble des violations du droit de la préfecture lors de la manifestation contre la loi sécurité globale du 5 décembre 2020 », relate Marion Maurer, vice-présidente de la section Strasbourg de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Ce jour là, la police avait utilisé un drone pour filmer le cortège. « Il n’y avait aucune base légale pour faire ça, comme c’était justement la loi sécurité globale, pas encore votée à ce moment, qui devait autoriser la méthode », se souvient la juriste en droit public.

Ainsi, la LDH, composée notamment de professionnels de la justice, a recensé les infractions de la préfecture de décembre 2020 à janvier 2022. Dans un communiqué envoyé ce vendredi 11 février, elle explique :

« Leur nombre important, leur diversité et la gravité des violations nous alertent particulièrement et justifient une remise en cause des pratiques de la préfecture ainsi qu’une vigilance accrue des associations. L’état actuel des pratiques n’est pas compatible avec le respect des droits de l’Homme et de la démocratie. »

Selon Marion Maurer, depuis la nomination de Josiane Chevalier préfète du Bas-Rhin en janvier 2020, qui a remplacé Jean-Luc Marx, les agissements de la préfecture se sont durcis : « Avant, nous avions tout de même constaté des dérives dans le maintien de l’ordre lors de manifestations des gilets jaunes, ou des expulsions de personnes de leur logement pendant la trêve hivernale, mais c’était plus rare. Lors de l’année 2021, nous comptons des violations tous les mois, et la liste n’est pas exhaustive. »

Les actions ordonnées à la police par la préfecture sont contestées par la LDH. Photo : CG/ Rue89 Strasbourg/ cc

« De nombreuses pratiques vis-à-vis des sans-abris sont problématiques »

Concrètement, la LDH dénonce notamment des difficultés à exercer la liberté de manifester :

« Les associations et les syndicats font régulièrement état de difficultés dans les relations avec la préfecture pour établir le trajet des manifestations et récupérer le récépissé qui atteste que la manifestation a bien été déclarée. Souvent, la préfecture fait en sorte que les trajets soient en périphérie du centre, alors que les organisateurs souhaitent être au centre-ville. »

L’organisation de défense des libertés publiques estime aussi que de nombreuses pratiques vis-à-vis des sans-abris sont problématiques. « Il y a eu plusieurs démantèlements de camps, dont celui de Montagne Verte mi-septembre, ou du gymnase Branly cet hiver, souvent avec l’appui de la police aux frontières », rappelle Marion Maurer. Selon elle, toutes les personnes n’ont pas eu de solution d’hébergement, alors que l’État est censé reloger tout le monde de manière inconditionnelle.

De son côté, la préfecture avait informé dans des communiqués qu’elle proposait des solutions « en lien avec les situations administratives des personnes ». Beaucoup d’étrangers déboutés du droit d’asile ont été emmenés par la police aux frontières à Bouxwiller dans un centre qui incite au retour dans le pays d’origine, même pour des personnes en appel.

Plus généralement, la LDH déplore que les dispositifs d’hébergement d’urgence soient saturés, et que de nombreux sans-abris, y compris des personnes vulnérables, sont sans solution à Strasbourg.

Les tentes du camp de sans-abris de Montagne Verte, juste avant qu’elles ne soient enlevées sur ordre de la préfecture. (photo TV / Rue89 Strasbourg).

Expulsion de 4 afghans fin septembre, malgré une procédure en cours

Suite au démantèlement du camp de Montagne Verte, la Protection Civile, mandatée par la préfecture, avait emmené les tentes et certains effets personnels de sans-abris, sans que ceux-ci puissent les récupérer. La préfecture avait aussi fait enlever les tentes et affaires personnelles de deux sans-abris place de l’Étoile le 13 octobre. Floriane Varieras, adjointe à la maire de Strasbourg en charge des solidarités, indiquait alors que toutes les semaines, les services de l’État déposaient des affaires de sans-abris sur le parvis de l’hôtel de Ville, suite à des démantèlements de camps : « Nous devons réaliser un travail d’enquête pour retrouver les propriétaires mais souvent c’est impossible. »

L’association dénonce aussi l’expulsion, le 27 septembre, de quatre ressortissants afghans vers la Bulgarie alors qu’un juge avait ordonné leur remise en liberté la veille. La décision de justice avait mis en avant l’intégrité physique de ces personnes, s’appuyant sur le fait que la Bulgarie refuse systématiquement l’asile aux Afghans, les renvoyant à Kaboul même depuis la prise de contrôle du pays par les talibans.

Une audience le 22 février pour demander une voie d’accès physique pour les étrangers

Enfin, la LDH se mobilise contre la dématérialisation des demandes de titre de séjour. « C’est une fermeture invisible de l’accès au service public pour les étrangers, qui ne peuvent plus se présenter au guichet. Cela peut durer plusieurs mois avant qu’ils obtiennent le rendez-vous censé leur donner accès aux papiers auxquels ils ont droit. Ils restent alors sans-papiers en attendant », observe Marion Maurer. Elle ajoute :

« Nous nous allions au Syndicat des avocats de France (SAF) et à la Cimade dans un recours devant le Tribunal administratif pour contraindre la préfecture à mettre en place une voie d’accès physique pour les étrangers qui doivent demander un titre de séjour. »

L’audience aura lieu le 22 février. Les trois organisations appellent à un rassemblement à 9h, devant le tribunal administratif au 31 avenue de la Paix. « Nous allons en profiter pour sensibiliser le public sur les violations des droits et montrer par la même occasion comment on peut agir contre cela, par la voie juridique », dit Marion Maurer. Selon la LDH, la fermeture des guichets fabrique des « sans-papiers » : des milliers de personnes perdent le bénéfice d’un titre de séjour du seul fait de l’incapacité du service public à respecter ses obligations légales.

Contactée, la préfecture n’a pas répondu à nos questions concernant la démarche de la Ligue des droits de l’Homme.