À rebours de la high tech, la low-tech vise à favoriser l’émergence de technologies utiles, durables et accessibles au plus grand nombre. À Strasbourg, une communauté de sympathisants et de pratiquants s’est fédérée depuis le mois de novembre et propose des événements. Rencontres.
Comment faire en sorte que la technologie réponde à un besoin, que son développement et son fonctionnement soient durables et qu’elle soit accessible à tous ? Telle est la réflexion au cœur du mouvement low-tech. S’il fédère beaucoup d’ingénieurs et de designeurs, le courant se veut cependant ouvert au plus grand nombre, dans son questionnement de la technologie. À Strasbourg, une communauté s’est fédérée à l’automne 2021. En voici quelques visages.
Les ateliers Circul’R de l’ingénieure Marion Roullet
Scientifique des matériaux originaire de Nice, Marion Roullet, 29 ans, travaille sur la fabrication de nouvelles matières à partir de déchets organiques depuis un an. Dans son laboratoire, entre les murs du CNRS à Cronenbourg, les fanes de carottes et les peaux d’oignons se transforment en fines feuilles de papier. Le marc de café, en objets de toutes sortes, comme des petits pots de semis compostables.
Son objectif : pouvoir proposer ses matériaux biosourcés à des designers artisanaux et mettre en place des circuits courts de récupération des biodéchets nécessaires à leur confection. En marge de son activité de recherche et développement, l’ingénieure anime également des ateliers au cours desquels les participants sont invités à créer eux-mêmes de petits objets à partir de déchets organiques, grâce aux techniques qu’elle a développées.
« Je suis tombée sur ce courant au moment où je cherchais un sens à mon travail, retrace Marion Roullet. En plein développement en France, le mouvement se veut « technocritique » sans être technophobe. Il ne s’agit pas de se passer de technologie, mais de questionner son élaboration et son utilisation. La low-tech s’articule autour de trois axes : favoriser l’émergence de technologies moins gourmandes en énergie et en ressources, utiles – qui répondent à un besoin – et accessibles au plus grand nombre.
La cheville ouvrière de la communauté low-tech
L’ingénieure a pensé sa jeune entreprise, les Ateliers Circul’R, à partir de ces principes. Création de matières durables avec « une réflexion de tous les aspects de leur cycle de vie », transmission de savoirs lors d’ateliers… Reste de la question de l’accès :
« C’est ce à quoi je me heurte aujourd’hui. Plus une matière est technique, moins elle est accessible – moins il est facile de la produire et de la reproduire sans connaissances poussées, sans ingrédients très spécifiques ou outils techniques. Je pense que la création de mobilier à partir de biomatériaux pourrait être une première étape pour concilier les deux. »
Marion Roullet
Marion Roullet est un pilier de la communauté low-tech à Strasbourg. « Un groupe Facebook avait été créé il y a trois ans, mais personne n’avait vraiment le temps ou la motivation de s’en occuper, et il ne vivait pas beaucoup en dehors des échanges virtuels », retrace t-elle. En novembre 2021, l’ingénieure a co-organisé un évènement avec comme invité Kevin Loesle, responsable développement de la communauté au Low Tech Lab, une structure pionnière du mouvement en France, située à Concarneau. Suivront des ateliers publics et des apéros low-tech.
Maurine Koeberlé, créatrice de Lowarchitech
Issue d’une formation d’architecte, Maurine Koeberlé a découvert la low-tech à la fin de ses études. « Je préparais un mémoire sur une méthode écologique et sociale de construire. La démarche low-tech a totalement collé à mes représentations en matière de construction durable et créatrice de liens, détaille l’Alsacienne de 26 ans qui travaille sur des constructions utilisant des matériaux abandonnés, issus de la récupération ou d’origine naturelle.
Maurine Koeberlé poursuit :
« J’utilise beaucoup le mélange-terre paille. C’est une technique ancienne qui offre un excellent confort thermique. Elle a également l’avantage d’être très accessible au grand public, c’est donc une ressource idéale pour l’auto-construction. C’est quelque chose qui a du sens aujourd’hui. Si on sait comment est construit un bâtiment, on va pouvoir le réparer. »
Une seule difficulté : les techniques utilisées aujourd’hui par la jeune femme sont encore considérées comme étant expérimentales par la règlementation. Conséquence : aucune assurance professionnelle n’accepterait de la couvrir en tant qu’architecte sur ces projets. Maurine Koeberlé a donc fait le choix de ne pas s’inscrire à l’ordre des architectes, pour pouvoir continuer à travailler dans le bâtiment low-tech. Elle a créé Lowarchitech, un blog pour accompagner ceux qui souhaitent se lancer dans l’auto-construction. Elle organise également des ateliers et a travaillé sur le chantier participatif de l’Orée 85 cet hiver.
Lola Ott, co-fondatrice d’Octop’Us
Juriste en droit international humanitaire de formation, Lola Ott est l’une des fondatrices de Octop’Us, une ONG qui met la low-tech au service de la protection des océans :
« J’ai découvert le mouvement à travers l’initiative Precious Plastic, quand je travaillais dans un camp de réfugiés en Grèce. Le projet formait les habitants au recyclage des déchets plastiques. Il s’agissait à la fois de dépolluer le camp, et d’améliorer les conditions de vies des réfugiés en leur permettant de créer des objets à partir des plastiques récupérés, grâce à des machines low-tech. »
Après cette expérience professionnelle, la jeune femme décide de se réorienter en droit de la mer, dans l’optique de travailler sur la protection des récifs coralliens. Problèmes : créer des récifs artificiels coûte cher, et ce type de projet peine à intéresser le grand public.
« Un kilo de cheveux permet d’absorber jusqu’à huit litres d’hydrocarbure »
De retour à Strasbourg, la jeune femme fonde d’Octup’Us, avec une solution de dépollution à partir… de cheveux et de poils. « Un kilo de cheveux permet d’absorber jusqu’à huit litres d’hydrocarbures ». En août 2020, l’ONG s’est d’ailleurs fait connaître en envoyant 20 tonnes de déchets capillaires à l’Ile Maurice, pour lutter contre la marée noire. Cette solution fonctionne aussi en paillage, pour dépolluer les sols.
Installée aux Ateliers éclairés, dans le quartier de la Coop, l’ONG a également ouvert une antenne Precious plastic à Strasbourg. Elle organise des ateliers permettant de faire des objets à partir de déchets plastiques, grâce à quatre machines facilement transportables : une injecteuse, une extrudeuse, un broyeur et une presse. « C’est une façon de montrer que l’on peut faire plein de choses avec des déchets plastiques, sans que ce soit chronophage ou ennuyeux. »
Laura Conill et Morgane Lohazic, designeuses à l’Atelier Bouillons
Après des études de design à la Haute école des arts du Rhin (Hear), Laura Conill a également été influencée par Precious Plastic : « C’est un projet qui rend les gens acteurs du travail du plastique, et je trouvais que cela pouvait tout à fait s’appliquer au design », raconte-t-elle. Associée à Morgane Lohazic, Louna Desveaux et Chloé Stenger, elles ont fondé l’Atelier Bouillons, spécialisé dans le design durable.
Les designeuses utilisent des rebus comme matières premières. Spécialisée dans la création de papier, Laura Conill travaille sur le recyclage des fibres naturelles. Jusqu’à présent, elle utilisait un mixeur à soupe, mais « ce n’est pas un outil pérenne pour faire du papier », explique-t-elle.
La découverte d’une machine du XVIIe siècle, la pile hollandaise
« En faisant des recherches, j’ai découvert qu’il existait une machine traditionnelle très intéressante pour raffiner de la pâte à papier. Cela s’appelle une pile hollandaise. » Mise au point à la fin du XVIIe siècle, elle permettait de traiter des fibres de lin ou de chanvre en quelques heures. Laura Conill planche sur sa fabrication :
« En école d’art, personne ne parlait de low-tech. Pourtant, quand on sort d’école sans avoir de moyens, je trouve ça tout à fait cohérent de créer ses propres outils. Cela permet de se réapproprier tout un processus de fabrication. »
Les designeuses organisent aussi des ateliers créatifs su les processus de fabrication et l’utilité des objets. Car est-ce vraiment utile de fabriquer une nouvelle assiette, même à partir de matériaux de récupération, quand il y en a déjà des centaines à vendre chez Emmaüs ? Morgane Lohazic explique :
« Si la finalité d’un projet c’est de donner lieu a un moment festif de transmission, alors sa fabrication a du sens. S’il est produit localement, qu’il permet de créer du lien entre plusieurs acteurs, et qu’il s’inscrit dans un processus de fabrication pensé de A à Z, aussi. Mais l’objet n’est pas forcément une fin en soi ».
Clément Carrato, fondateur d’Arkéale
Ingénieur mécanique, Clément Carrato a travaillé pendant six ans au sein grands groupes industriels avant de fonder la start-up Arkéale, en 2020. Un virage professionnel né d’une envie de se consacrer à un projet plus riche de sens, un projet ayant « une valeur sociétale » : le recyclage des biodéchets urbains.
Incubée chez Sémia, la start-up travaille sur de petites unités de valorisation énergétique des biodéchets baptisées BioCapsules. « Aujourd’hui, 80% de ces déchets sont détruits. Mais la législation va évoluer et en 2024, les producteurs de biodéchets auront l’obligation de les recycler. » Ce qui risque de surcharger les infrastructures actuelles :
« Un bac prend aujourd’hui six mois et nécessite un coût de main d’œuvre important pour produire du compost, poursuit l’entrepreneur. Et en ce qui concerne les méthaniseurs, leur installation génère aujourd’hui beaucoup de méfiance et des allers-retours de camions. »
Des stations de recyclage compactes
Arkéale a donc planché sur des stations de recyclage compactes, destinées à être installées en ville. Chacune sera capable de valoriser jusqu’à 600 tonnes de déchets par an – l’équivalent de production de 5 000 foyers – et d’alimenter de grandes infrastructures comme des écoles et des piscines en gaz renouvelable. Une unité produira également environ 100 m3 d’engrais vert par an, une quantité permettant de fertiliser 15 hectares de culture. Le tout pour un coût de traitement à la tonne presque deux fois inférieur à celui des unités des méthanisations.
« Dans la low-tech, beaucoup de projets associatifs, peu d’entreprises »
Si le projet Biocapsule répond bien à un besoin, en se voulant le plus durable possible – sa simplicité lui permettant d’être facilement réparable – reste la question de l’accessibilité :
« Au sein du mouvement, on trouve beaucoup de projets associatifs ou individuels, mais pas forcément des entreprises ayant la nécessité d’être viables économiquement après avoir engagé des frais en recherche et du développement. Certains sont même méfiants vis-à-vis de ce modèle et n’ont pas forcément envie que la low-tech puisse être utilisée par le secteur économique classique. Le financement de la low-tech se cherche encore à ce jour. »