Après la révélation de Rue89 Strasbourg sur la mort, suite à un défaut de prise en charge, d’un patient admis aux urgences du Nouvel hôpital civil de Strasbourg, les proches de la victime ont porté plainte le week-end du 2 et 3 avril. Une enquête du parquet a été ouverte.
Pour rappel, le patient avait été admis aux urgences du Nouvel hôpital civil le 16 mars vers 23 heures. Après avoir passé près de 12 heures dans un espace dédié à la répartition des patients, il a finalement été pris en charge pour une transfusion avec beaucoup de retard, comme le service était débordé d’après Sébastien Harscoat. Il est décédé jeudi 17 mars vers 13 heures. Le médecin urgentiste expliquait dans notre article du 31 mars :
« Par manque de lits d’hospitalisation en aval, les malades restent aux urgences… On n’arrive plus à évacuer les patients. Dans la nuit qui a précédée la mort de ce patient, nous étions à 170% de nos capacités. »
La direction des Hôpitaux universitaires de Strasbourg a réagit en indiquant à nos confrères d’Actu Strasbourg que des lits en médecine, soins critiques et chirurgie étaient tout de même disponibles à ce moment là. Le parquet ne nous a pas transmis d’informations supplémentaires concernant la plainte.
Le printemps se fait attendre mais heureusement, les Fat Badgers sont en concert ce qui devrait augmenter la température de quelques degrés, au moins pendant quelques heures samedi soir du côté de la Péniche mécanique.
Les Fat Badgers, l’un des groupes les plus chauds de Strasbourg, font leur grand retour post-covidalyptique, à la Péniche mécanique samedi 9 avril. Juste ce qu’il fallait pour tout décompenser le stress de la guerre et de l’élection présidentielle…
Il y a des groupes qui devraient être remboursés par la Sécurité sociale. Fat Badgers est de ceux-là, une soirée face à ces quatre trentenaires à paillettes produit plus d’endorphine et de dopamine qu’une vie passée devant une armoire de pharmacie. Biberonnés au disco, à la soul et au groove, ces musiciens strasbourgeois produisent une fois ensemble sur scène un cocktail de note explosif, une injonction à la danse.
Ce n’est pas pour rien qu’ils ont régulièrement squatté l’Espace Django pour y proposer leurs « soul trains », sorte de résurrections en salle d’un rituel télévisé américain des années 70, faisant à chaque fois salle comble. Il se dit qu’on a vu des gens rajeunir après avoir été à ces soirées… Leur mix de tonalités contemporaines électro avec les riffs du funk des années 70 ne laisse personne indifférent.
Leur dernier album, sorti en 2019, s’appelle d’ailleurs « Soul Train » mais il ne reproduit qu’une partie de l’ambiance du groupe car, comme l’indique Cyprien Steck, aka Leopard Da Vinci, aux claviers, au chant et à l’électro, « Fat Badgers est un groupe de scène, on improvise beaucoup à chaque set. Comme on se connait bien, ça se fait tout seul… On produit un sentiment de liberté grâce à ça, c’est la base du funk. »
Composé également de Jérémie Revel à la guitare, Rémy Bouvet à la basse et de Victor Binot à la batterie, les Fat Badgers se sont faits les dents aux grandes heures du Mudd Club il y a plus de dix ans, c’est dire si le groove et le funk coulent dans leurs veines. « C’est ce qu’on aime, indique Cyprien, des petites salles avec de la chaleur tout en proposant de bonnes conditions d’accueil… Depuis la fermeture du Mudd, on avait du mal à jouer au centre-ville de Strasbourg, on est bien content de pouvoir y revenir ! »
En 2017, le centre social du Neuhof avait mené une large opération de mobilisation des quartiers populaires pour inviter leurs habitants à participer à l’élection présidentielle. Mais cette initiative est retombée et l’abstention de masse est de nouveau à craindre dans ce quartier dont les habitants « n’attendent rien » de la future ou du futur président.
Devant l’emblématique bâtiment de la Demi-lune au Neuhof, un jeune homme en survêtement promène d’un pas pressé un petit chien. « Moi, personne ne m’a jamais écrit pour aller voter. Allez peut-être demander à des personnes âgées, il y en a qui votent… » À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, le scrutin n’est pas dans toutes les têtes.
En 2017 pourtant, le Neuhof avait fait parler de lui en France et même à l’étranger. Pendant des mois, le centre socioculturel du Neuhof, et notamment son emblématique animatrice Jamila Haddoum, avait mis au défi les différents quartiers d’inscrire leurs habitants sur les listes électorales lors d’une opération appelée « Challenge citoyen ». Une tournée et un succès d’image dans 35 villes et 50 quartiers. En avril 2017, certains bureaux de vote du Neuhof avaient affiché une participation d’environ 80%, conforme à la moyenne strasbourgeoise. Mais cinq ans plus tard, que reste-t-il de cette mobilisation exemplaire ? Les souvenirs sont diffus et les préoccupations ont changé.
Voter blanc ou ne pas voter ?
Dans un parc de jeux, deux jeunes femmes surveillent leurs enfants. Le nom du Challenge citoyen n’évoque rien à Mégane, 26 ans et habitante du quartier depuis sa naissance. Néanmoins, elle a vaguement « vu des posts de Jamila sur Snapchat », le réseau social d’images éphémères utilisé par les plus jeunes, qui incitent à voter. Elle suit de loin la campagne présidentielle. « J’ai quelques échos, mais avec mes deux petits je ne suis pas trop. » De toute façon, « tout ce qui se passe est catastrophique », juge-t-elle en mentionnant le Covid et la guerre en Ukraine même si « tout n’est pas la faute de Macron ». Plus près d’ici, elle remarque que le quartier « ne s’améliore pas ». Cette salariée avec des enfants insiste sur le fait qu’elle n’a « aucune aide de l’État ».
Au sujet des élections, même si elle confesse en avoir « raté quelques unes », Mégane pense néanmoins que c’est un devoir de voter, y compris avec un bulletin blanc. Son amie Belinda, plus jeune, désapprouve. « Ça sert à quoi ? » Elle n’ira pas voter. « Faudrait que ce soit Le Pen pour que ça change », tente son amie, un brin provocante. Bélinda hausse les épaules. « Tout le monde est un peu raciste à sa manière », conclut-elle. « Passez le message à Macron, qu’il reste chez les riches, on ne veut plus de lui », lance Bélinda, en fermant le coffre de sa voiture.
« L’essence à 2€, c’est très grave »
Assise sur une table de pique-nique, Inès, 19 ans, discute avec des amis. Le Challenge citoyen lui évoque aussi un vague souvenir. « Ma tante avait voté suite à ça », se rappelle-t-elle. Mais elle ne pense pas que cela suscitera une participation similaire en 2022. « On n’est tellement plus en accord avec cette société, qu’on ne va plus voter », explique cette employée d’un tabac du quartier. Elle note que « Mélenchon a de bonnes idées », comme un certain… « Emmanuel Macron qui a fait pleins de promesses », mais dont les gens sont « très déçus » selon elle. À l’écouter, sa mère ne votera pas non plus, car elle a des préoccupations plus concrètes : « Elle n’en peut plus de l’essence à 2€, c’est très grave ». Quant à elle, habitante du Port-du-Rhin, elle se projette difficilement sur ses futurs déplacements : « D’ici que j’ai le permis, le litre sera à 3€ ! Si ça se trouve, je vais me déplacer en trottinette ! »
Le rejet d’Emmanuel Macron revient souvent dans les paroles des habitants de ce quartier populaire. Sur l’avenue du Neuhof, le président compte cependant au moins un soutien. « J’aime bien tout ce qu’il a fait. J’ai voté pour lui en 2017 et je revoterai pour lui en 2022 », fait savoir Boualem, 63 ans, qui cite par exemple la gestion du Covid et le « quoi qu’il en coûte ». Boualem n’est pourtant pas le portrait-robot des riches que rejette Bélinda. Ce salarié dans la logistique n’est « pas encore à la retraite ». Actuellement arrêté, il soigne des douleurs articulaires. Qu’attend-il de plus du président en cas de second mandat ? « Faire peut-être un peu plus pour l’emploi des jeunes. Il y en a beaucoup qui cherchent sans trouver ».
L’impossibilité de s’inscrire en dernière minute
À première vue, la lassitude, le rejet, semble augurer d’une abstention bien plus massive qu’en 2017. Mais il y a aussi des personnes qui n’avaient pas voté et qui ont changé d’avis. Sur un banc ensoleillé près du tram, Mohammed, 36 ans, ne s’est pas déplacé cinq ans plus tôt. « On avait l’impression que c’était soit Macron, soit Le Pen ». Mais le quinquennat l’a décidé. « Ça a été dur économiquement ces 5 ans et là encore plus ces derniers mois. Les salaires, eux, n’ont pas bougé », relate cet assistant d’éducation. Cette fois-ci, il pense voter Jean-Luc Mélenchon. « Même si on n’est jamais sûr », tempère-t-il. Comme beaucoup de jeunes personnes, le nom de Jamila et ses prises de position pour inciter à voter lui évoquent quelque chose, sans forcément se rappeler du nom du « challenge citoyen ».
Attablée à une terrasse avec un café, Djamela, 59 ans, ne connait pas non plus le challenge mais votera et « incite ses enfants à voter ». Pour elle, le problème de l’abstention des quartiers vient des difficultés du quotidien. Ainsi, le rapport au temps pour s’intéresser à la campagne est différent, analyse-t-elle : « Ici, les gens n’anticipent pas trop. Si c’était possible de s’inscrire sur les listes le jour-même, juste avec une carte d’identité, davantage de personnes voteraient ».
Les inscriptions sont closes depuis le 4 mars et elle est elle-même préoccupée par son avenir à court terme. En ce jour où elle sort de l’hôpital, elle est sans emploi après avoir travaillé un an dans le centre de vaccination d’une clinique de Strasbourg. Elle recherchera un emploi à partir de mai, avec l’aide d’une association. Elle ne sait pas s’il est possible de voter « juste avec une carte d’identité » ou s’il faut une carte électorale. Il y a 5 ans, elle se rappelle avoir raté le jour du vote et que Macron avait été « élu par défaut ». Mais cette année, elle a pris ses dispositions avec une procuration et ne votera « pas blanc, c’est sûr ». Elle pencherait aussi pour Jean-Luc Mélenchon, en qui elle a « un peu plus confiance » même si « ça fait longtemps qu’on n’attend plus rien ici ».
Le centre social beaucoup moins engagé
Du côté du centre socioculturel (CSC), la structure ne déploie pas autant d’énergie qu’en 2017. Il faut dire que les lendemains n’ont pas été faciles à gérer. « Lors du mouvement des Gilets jaunes, des personnes qui s’étaient inscrites et avaient voté suite au Challenge étaient mécontentes et nous ont en quelque sorte demandé de nous justifier… Or, on n’a jamais appelé à voter pour un candidat, mais simplement à s’inscrire et voter pour la voix des habitants compte », se souvient Jamila Haddoum. Mais pour l’animatrice jeunesse, qui a aussi un groupe de musique avec ses enfants, la lutte contre l’abstention reste un impératif. Après l’abstention record aux élections départementales et régionales de 2021, le service jeunesse du CSC réalise des émissions pour une webTV appelée « Tous à bord ». La petite chaîne dispose d’un studio dans un gymnase mis à disposition par le collège. Pour d’autres enregistrements des politiques locaux échangeront avec le public.
À quelques semaines du premier tour, la webTV tente de faire débattre des personnes de différents quartiers. Ceux qui pensent voter, avec d’autres qui ne veulent plus le faire. Derrière les caméras, Jamila Haddoum donne les consignes aux différents bénévoles pour le lancement, la technique et le ton à adopter. Sur le plateau un vendredi soir, les premiers arguments s’échangent. « Voter blanc, ça exprime au moins qu’on n’est pas représenté. Alors que l’abstention on ne sait pas », tente un invité. Voter quand on vit dans un quartier, « au-delà de faire basculer une élection, c’est représenter ceux qui n’ont pas de carte électorale », plaide Sitana, coach en insertion, en référence aux plus jeunes ou aux étrangers, plus nombreux dans un quartier comme le Neuhof.
« L’affaire Fillon m’a choquée »
Parmi les invités, Lina, demandeuse d’emploi de 24 ans, a certes voté une fois, en 2017. Mais désormais, elle pense « ne plus jamais voter ». En dehors du plateau, elle détaille l’argument qu’elle s’apprêtait à développer :
« L’affaire Fillon, ça m’a choquée. On paie tous des impôts ou des amendes et c’est celui qui a été Premier ministre qui prenait dans la caisse ! Pour moi, si on en prend un, c’est qu’ils le font tous. C’est peut-être injuste de penser comme ça, mais je m’en fiche. Je vois les politiciens comme des personnes corrompues qui n’écoutent pas assez et les gens ni ne s’intéressent pas aux vraies problématiques. »
Et pourtant, elle vient d’une famille où elle est « la seule à ne pas voter ». Au contraire d’Achraf, 19 ans, dont les « parents n’ont pas la culture d’aller voter ». Cet étudiant, qui a passé le Bafa dans l’animation de rue à l’été 2020, fait partie de ceux qui pensent que davantage de personnes iront voter en 2022 qu’en 2017 :
« Avec tout ce qu’on a traversé avec le Covid, les gens se sont rendus compte qu’il y a des gens qui prennent des décisions importantes pour nous, qui peuvent être différentes d’une personne à l’autre. L’arrivée d’Éric Zemmour va aussi mobiliser, elle amène à prendre position. »
Une fois les convives repartis, Djamila Haddoum prend le temps de revenir sur ses souvenirs d’il y a cinq ans. Des images qu’elle aurait aimé voir se répéter :
« Il y avait une énergie folle, partout où on est allés, dans les QPV (Quartiers prioritaires de la Ville, NDLR) de Marseille, Paris ou Lille, le logo était partout. Même le Time ou la BBC se sont intéressés à nous ! Ça a renvoyé une image positive du quartier. Le jour du vote, c’était comme un jour de fête. Alors que d’habitude, les jeunes aiment mettre en avant les drapeaux de leurs origines, ce jour-là, il y avait des drapeaux français sur les scooters. On disait aux personnes d’être fières de leurs richesses. Les plus jeunes allaient chercher des gens pour les motiver à aller au bureau de vote et remporter le challenge. Cette année, c’est deux fois plus dur, c’est comme si on repartait de zéro… »
« On pensait enclencher un mouvement pérenne »
Khoutir Kechab, le directeur du CSC se rappelle notamment avoir généré « 4 000 inscriptions en pied d’immeuble ». En dépit de règles strictes qui empêchaient « d’aller dans le domicile » ou de remplir un formulaire à la place de personnes, même si elles sont mal à l’aise avec le Français.
C’est la suite qui suscite un peu d’amertume pour Khoutir Kechab :
« C’était beaucoup d’énergie et des heures non-payées. Pour ce type d’opération, il faut des moyens. On pensait qu’on enclencherait quelque chose de pérenne et qu’on intéresserait les hommes politiques aux quartiers. Les bases étaient là avec des CSC de toute la France qui avaient participé. On a déposé un dossier à La France s’engage, mais on n’a pas été retenu, sans savoir pourquoi. C’est comme si ce problème de l’abstention dans les quartiers, que ce soit chez les jeunes ou les personnes âgées, ne semblait déranger personne. »
Pour Jamila Haddoum, la mobilisation est une question de volonté des pouvoirs publics. « Pour les gestes barrières, l’État a su communiquer efficacement et rapidement », compare-t-elle.
Lors des scrutins suivants, l’intérêt pour la démarche est retombé. Aux élections municipales à Strasbourg, Khoutir Kechab se rappelle tout de même, à beaucoup plus petite échelle, des « world café » dans les différents centres socioculturels de la ville. Et sur la forme, d’avoir modifié le rapport habituel entre habitants et candidats. « Ce n’était pas un débat particulier, les candidats s’installaient à une table, ils étaient juste à l’écoute et n’avaient que quelques minutes pour conclure ». Mais le jour du vote, en pleine vague Covid, les quartiers ont très peu voté. La campagne s’est jouée dans les quartiers centraux et du nord de Strasbourg.
Seul élément durable de l’opération de 2017 : les personnes inscrites sur les listes pourront bien voter dimanche. Même si elles se décident le jour-même.
Les cinq élus communistes de Strasbourg prennent leur distance avec le grand groupe unique de la majorité municipale, dont ils faisaient partie. Ils estiment qu’en fondant leur propre fraction, ils pourront mieux se faire entendre sur les sujets où ils ont un point de vue légèrement différent, comme la Zone à faibles émissions ou le stationnement. Ils quittent aussi le groupe majoritaire à l’Eurométropole . . .
>
Cet article fait partie de l’édition abonnés.
| Déjà abonné ?
Connectez-vous
Abonnez-vous maintenant pour poursuivre votre lecture
Les personnes sous tutelle, degré le plus élevé des mesures de protection judiciaire, vont pouvoir participer au scrutin présidentiel en avril pour la première fois. Un nouveau droit qui s’apprend. Reportage à l’association l’Arche, qui accueille des personnes en situation de handicap mental.
Dans la file, Justine ne tient pas en place. Cette première participation à une élection lui donne la patate. Ce soir là, les gestes du rituel citoyen ne seront qu’un entraînement pour elle et la quinzaine d’autres novices résidents des habitats inclusifs de l’association l’Arche, à Strasbourg, tous en situation de handicap mental. « Je vais voter parce que c’est mon choix ! Et il faut se faire aider », a retenu la jeune femme des discours des professionnels qui l’accompagnent.
Depuis 2019, les personnes sous tutelle ont automatiquement le droit de vote. Les juges ne peuvent plus s’y opposer. Un combat de longue date des associations de défense des personnes en situation de handicap. Aux élections européennes en 2019, trois mois à peine après le vote de la loi, elles ont été rares à exprimer leurs voix. Puis sont venues en 2020 les élections municipales, mais difficile d’organiser ça en pleine crise du Covid. En 2022, sur une vingtaine de bénéficiaires de L’Arche, quatorze ont souhaité se préparer à l’élection présidentielle. Pour onze d’entre eux, ce sera la première occasion de se rendre aux urnes.
« Que le virus s’en aille, et que des chanteurs puissent revenir »
Avec son camarade Vincent, Justine s’amuse à reconnaître les candidats dans l’ensemble de portraits assortis sur des polycopiés. « Lui, c’est Macron ! », pointe-t-elle avec évidence. « Et lui… C’est… Poutine ? », tente-t-elle le doigt sur la trombine de Jean-Luc Mélenchon. « C’est bien possible… », hésite Vincent en fronçant les sourcils. « Et Marine Le Pen ! », conclut la jeune femme en touchant les traits de Valérie Pécresse. « Ne vous inquiétez pas », rappelle Laura, en formation d’éducatrice spécialisée :
« Aujourd’hui ce ne sera pas votre vrai choix. On vote pour de faux. »
Les yeux pétillants, Justine dévoile ce qu’elle attend du futur président de la République :
« Que le virus s’en aille et que des chanteurs puissent revenir, comme la dame sur mon t-shirt que je veux voir en concert ! »
« Et si aucun des candidats ne te plaît ? », interroge Esmaella, assistante de maison. « Il faut essayer ! », s’accroche Mathilde. « Quand on n’est pas d’accord, on a le droit de ne pas aller voter », insiste François Petit Ruppert, responsable des trois maisons strasbourgeoises de l’Arche, à l’adresse de tous. Esmaella rappelle que chacun pourra demander de l’aide autour de lui s’il ne sait pas comment s’y prendre dans le bureau de vote. Mais ni à elle, ni à ses collègues. Le jour J, les professionnels de la structure médico-sociale, tout comme les parents des habitants, n’auront pas le droit de les accompagner.
Pour l’heure, Dina a besoin d’assistance. Marylène, en formation d’éducatrice spécialisée, joue le tiers neutre et l’aide à déchiffrer sur les bulletins de vote les noms des candidats associés aux images disposées devant elle. Dina fait son choix derrière le rideau de l’isoloir improvisé, dont François Petit Ruppert maintient la tringle en place. A voté ! Pour la dernière étape de l’expérience, la jeune femme doit encore apposer sa signature sur le registre. Pas si simple. Marylène lui tient la main.
« Qu’il fasse en sorte que tout le monde ait les mêmes droits »
Damien, qui patiente sur un canapé, est l’un des rares initiés du groupe. Il a déjà voté lors des élections municipales de 2020 :
« J’ai voté il y a deux ans avec maman pour la maire de la ville, quand je vivais encore avec elle. Elle m’a aidé à choisir mais j’étais tout seul dans l’isoloir. Je suis content de pouvoir voter tout seul. Ça veut dire que je suis adulte, même si mes parents veillent encore sur moi. »
Le jeune homme dit s’informer principalement sur Internet et discuter en famille. Pour la présidentielle, il n’a pas encore fait son choix mais mesure son poids :
« C’est toujours dur de prendre les bonnes décisions. Je veux que ce président soit capable de diriger la France correctement et qu’il fasse en sorte que tout le monde ait les mêmes droits. La France et cette planète sont chères à mes yeux donc je voudrais qu’il les défende. J’aimerais beaucoup qu’il respecte l’environnement. »
Damien prévient qu’on n’en saura pas plus :
« Ce que je fais doit rester confidentiel. C’est ma vie privée. »
« Nous n’irons pas jusqu’au bureau de vote pour tout le monde », pressent François Petit Ruppert :
« Il va nous falloir mesurer avec chaque personne sa capacité à prendre une décision. Beaucoup ont déjà des difficultés à élaborer un choix très simple de la vie de tous les jours. Alors quel candidat tu préfères, ça peut être compliqué. »
Le début de l’implication politique
Au quotidien, le responsable des maisons repère des aspirations communes aux résidents, centrées sur leur accès au droit commun : avoir un réseau social et une place dans la société par le travail, comme lieu de socialisation où ses compétences sont reconnues, avoir une liberté de circulation dans les transports en commun, et surtout que leur droit à une vie de couple soit respecté.
Ici comme souvent ailleurs, l’ouverture des personnes en situation de handicap mental sur la société en est à ses balbutiements. Depuis peu, des temps de parole « Actu’nouvelles » sont organisés, lors desquels les participants épluchent un article ensemble et débattent autour d’un sujet de leur choix. François Petit-Ruppert observe que les grands thèmes politiques n’entrent encore que rarement dans les préoccupations :
« Ce n’est pas tant par incapacité intellectuelle que de par leur environnement social restreint. Ces personnes ont une vision de l’environnement limité dans l’espace et dans le temps, à leur famille, leur lieu de vie, leur lieu d’activité. La société ne les invite pas à s’ouvrir à un monde plus large que le leur. C’est un véritable enjeu pour l’avenir que de reconsidérer leurs identités autrement que par leur handicap. Nous sommes aujourd’hui à un tournant sociétal dans la façon de les accompagner mais ça implique que tous les acteurs prennent leurs responsabilités. Et ça ne peut être qu’un travail progressif. »
Analyser les programmes
Ces prochains jours, le groupe rentrera dans le vif du sujet : dégrossir les grandes idées des candidats. Ces derniers sont censés produire des supports « faciles à lire et à comprendre ». Les professionnels se devront évidemment de rester le plus neutres possible. François Petit Ruppert réfléchit :
« On va sûrement partir de quatre thèmes qui les concernent et voir ce que les candidats proposent. Ça pourrait être la santé, l’environnement, la sécurité et les transports publics. »
D’ici le premier tour, il va prendre attache avec des associations spécialisées, censées pouvoir mettre à disposition des « tiers neutres », des bénévoles qui peuvent accompagner les personnes qui le demandent. L’association prendra aussi contact avec l’équipe du bureau de vote pour s’assurer que les assesseurs ne soient pas surpris de ce nouveau droit et savoir si des personnes seront bien disponibles sur place pour aider.
« C’est facile de sortir un droit, mais il faut des moyens derrière »
En dernier recours, les électeurs dans le besoin peuvent légalement se tourner vers un gendarme. Mais un agent se déplacerait-il pour dix personnes ? François Petit Ruppert en doute. L’équipe espère qu’il sera possible d’adjoindre aux bulletins de vote les photographies des candidats pour faciliter la tâche à leurs résidents. « Si ce n’est pas possible, peut-être qu’on s’organisera avant de partir. Ils peuvent aussi préparer leur enveloppe chez eux », se projette l’éducateur.
Il sait que son équipe doit encore apprendre comment intégrer ce droit et prend le rendez-vous électoral présidentiel pour ce qu’il est :
« C’est facile de sortir un droit, mais il faut des moyens derrière pour qu’on puisse garantir sa mise en œuvre. On verra, on va expérimenter et on fera un rapport à la fin pour les associations de défenseurs des droits. »
De nombreuses jeunes femmes témoignent d’avoir été droguées à leur insu lors de leurs sorties autour de Strasbourg. Ce phénomène est encore très mal pris en compte par les établissements de nuit et la police nationale.
En réaction à la « recrudescence de cas constatés de personnes droguées à leur insu », la police nationale de Strasbourg a publié le 11 mars une vidéo sur le réseau social Twitter afin de populariser les « bons réflexes » à avoir si l’on est témoin ou victime de soumission chimique. Cette pratique, selon l’association de prévention et réduction des risques Ithaque, consiste à administrer « un produit psychotrope à des fins criminelles » à une tierce personne.
« J’étais incapable d’agir »
Rue89 Strasbourg a recueilli de nombreux témoignages de victimes de soumission chimique. Parmi celles-ci, Pénélope a 19 ans et fait des études de commerce à Strasbourg. Elle aime aller en boîte avec ses amis pour écouter de la musique « qui fait bouger » selon ses mots. Dans la nuit du 15 au 16 octobre 2021, Pénélope a été droguée à son insu. Elle était sortie au Gold Club à Kehl avec des amis. Sur place, ils ont commandé une bouteille servie fermée. Ils étaient les seuls à pouvoir se partager la boisson. Pénélope nous raconte ses derniers souvenirs :
« La dernière chose dont je me rappelle est d’avoir été dans le fumoir pour discuter. J’étais dos à mon verre, donc quelqu’un aurait pu avoir accès à ma consommation sans que je puisse le voir. C’est le seul moment de la soirée où je n’ai pas fait attention à mon verre, ça n’a duré que très peu de temps. »
Contrairement à Pénélope, Mathilde, dont le prénom a été changé à sa demande, se souvient des faits. Cette jeune étudiante en droit a été droguée dans la nuit du 4 au 5 mars, également au Gold :
« J’étais incapable d’agir. On me posait des questions, je souhaitais y répondre mais rien ne pouvait sortir de ma bouche. Je peinais à marcher, je tombais souvent. J’étais encore consciente, mais je n’étais plus du tout maître de ce qu’il se passait. N’importe qui aurait pu me faire subir n’importe quoi si je n’avais pas été entre de bonnes mains. »
Prise en charge tardive
Contacté par Rue89 Strasbourg, le chargé de communication de la police nationale à Strasbourg, Joël Irion, déplore :
« On parle de ce phénomène, mais on ne peut pas quantifier les victimes, car elles ne viennent pas souvent porter plainte. De plus, quand les personnes reprennent conscience, c’est déjà trop tard pour les tests toxicologiques. »
Pénélope n’a porté plainte qu’au bout de quelques jours. Sa mère a été la première à se douter qu’elle avait été droguée. Au début, Pénélope niait ce qui lui était arrivé, elle détaille :
« Je n’avais bu qu’un ou deux verres à cette soirée. D’habitude je bois plus sans pour autant être ivre. Mes amis m’ont dit qu’à la soirée, j’avais tenu des propos incohérents et que j’avais l’air complètement saoule. Mais l’alcool ne m’a jamais fait agir de la sorte. J’ai commencé à douter du fait que j’ai pu avoir été droguée. Je me suis ensuite brouillée avec mes potes parce qu’ils ne me croyaient pas. »
Le 5 mars à 21h, soit moins de 24 heures après les faits, Mathilde est allée au commissariat pour porter plainte contre X. Le mardi 8 mars, soit trois jours plus tard, Mathilde a réalisé un test capillaire :
« Il était trop tard pour faire des tests dans les urines ou le sang mais ils m’ont dit qu’ils me tiendraient au courant des résultats. »
Un phénomène méconnu
Mathilde affirme que la police pense qu’elle aurait été droguée au GHB. Ce psychoactif est autrement connu sous le nom de « drogue du violeur ». Mais selon un rapport de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) datant de 2019 et repris par Ithaque, le GHB ne serait pas la drogue la plus utilisée à des fins de soumission chimique. Julien Anthouard, chargé de projet à l’association Ithaque explique :
« Il s’agit souvent de médicaments détournés de leur usage comme les Benzodiazépines – anxiolytiques comme le Stilnox ou le Valium, de somnifères hypnotiques tels que le Flunitrazepam ou le Zolipdem, ou encore des drogues illégales, telles que l’ecstasy, le LSD ou la Kétamine. Mais l’alcool reste le premier instrument de soumission chimique. »
L’association de réduction des risques Plus Belle La Nuit ajoute sur un post Facebook datant du 15 mars que « la substance qui circule le plus en France, c’est la GBL. Un solvant industriel qui sert à dissoudre les peintures et faire fondre certains plastiques. […] Il se consomme de la même manière que le GHB mais il est beaucoup plus fort : 2,5 ml de GBL peuvent être fatals. »
Une seule condamnation depuis l’automne 2021
Joël Irion n’a pas souhaité communiquer sur les substances psychoactives retrouvées chez les victimes après des plaintes pour soumission chimique. Il n’a pas non plus voulu préciser le nombre de plaignantes concernées par ce phénomène :
« La police ne peut communiquer ce genre d’informations au risque de porter préjudice aux affaires et ce, à l’avantage des agresseurs. Ce phénomène de soumission chimique existe depuis l’automne 2021 à Strasbourg. Je peux seulement confirmer qu’il n’y a eu qu’une seule condamnation durant cette période. »
Selon la thèse de Maxime Samaille sur « La soumission chimique, états des lieux, mutations, prévention et perspectives », le phénomène existerait pourtant depuis plusieurs siècles. Maxime Samaille affirme en effet que les premiers signes de soumission chimique volontaire seraient apparus « au début du XVIe siècle », avec « un phénomène sans violence. Les voleurs utilisaient de la poudre de datura pour endormir leurs victimes et les détrousser sans heurt. »
« Je n’ai pas envie de vivre dans la peur »
Ni Mathilde, ni Pénélope n’ont reçu de suite concernant leurs tests ou leur plainte. Mathilde veille désormais à ne jamais rester seule en soirée et fait toujours attention à son verre. Elle déplore le fait que les victimes soient culpabilisées :
« Je n’ai pas envie de vivre dans la peur, pas envie de payer un vernis cinq euros pour voir si l’on m’a droguée, pas envie d’acheter une protection de verre à chaque fois que je sors… C’est donner raison aux agresseurs et responsabiliser les victimes. Lors de mon prélèvement capillaire, la médecin légiste m’a d’ailleurs demandé si je trouvais normal de sortir avant mes examens partiels… »
Du côté des boites de nuit, le Gold Club n’a pas réagi concernant ces cas répétés de personnes victimes de soumission chimique dans leur établissement. Joël Irion affirme que la police a mené une campagne de prévention dans le milieu festif :
« Nous avons rencontré les représentants de l’Union des métiers de l’hôtellerie (Umih) en mars afin de sensibiliser les responsables et le personnel du milieu de la nuit sur ces questions. »
Campagnes de prévention
Pénélope et Mathilde estiment qu’il est important d’informer sur ce fléau. Mathilde conseille de ne sortir qu’accompagné d’amis sûrs :
« Si on est victime de soumission chimique, il ne faut pas culpabiliser, ne pas se dire qu’on n’aurait pas dû sortir, ni être influencé par des personnes qui dédramatiseraient les choses. »
De son côté, Pénélope fabrique ses propres protections de verres, à partir de ballons de baudruche qu’elle découpe. Elle les distribue ensuite quand elle va en boîte. Elle porte une attention particulière aux autres en soirée :
« Si l’on pense qu’une personne a été droguée, il faut aller la voir afin de la mettre en sécurité, ne pas la laisser seule et la croire. Et surtout, il est important d’aller porter plainte contre X au plus vite. »
L’association Ithaque mène également une campagne d’information et de prévention relative au phénomène de soumission chimique. Que ce soit sur le terrain, sur les réseaux sociaux ou dans ses locaux, elle propose un espace d’écoute pour les victimes afin de mieux comprendre le problème et de mieux le prévenir. L’association a déjà préparé une commande de protections de verres qui, si elles sont acceptées et utilisées, seront largement déployées dans les bars et les boites de nuit.
Quels est le rôle social du théâtre et de la parole ? À quel point peuvent-ils bouleverser l’ordre établi et le regard du public ? Avec Bajazet, en considérant Le Théâtre et la peste, Frank Castorf présente au Maillon sa relecture d’une des pièces les plus politiques de Racine. Du mercredi 6 au dimanche 10 avril, le metteur en scène allemand livrera sa vision chaotique, cathartique et politique du théâtre.
Plus qu’une pièce, le Bajazet qui débarque sur la scène du Maillon, présenté en co-réalisation avec le TNS, se veut être une expérience incisive et bouleversante, à l’image des précédentes productions de Frank Castorf. Connu pour ses mises en scène troublantes et déconstruites, l’artiste allemand, qualifié d’iconoclaste, revisite pour la première fois, en français, une pièce de Racine.
Écrite en 1672, Bajazet est une tragédie au goût de soleil. En mêlant pouvoir et passions, elle retrace le cheminement d’individualités qui se heurtent aux émotions, aux convenances et à la société. En toile de fond, l’Empire ottoman du XVIIe siècle et un sérail de Constantinople. Alors que le sultan est parti en guerre, des conspirations enflent pour le renverser et placer Bajazet, son frère emprisonné, sur le trône. Mais l’histoire se complique au fur et à mesure que l’amour se déclare. Bajazet est aimé par Roxane, la favorite du sultan, tout en étant l’amant secret de la princesse Atalide.
Libération du langage et bouleversement politique
Le scénario posé, Frank Castorf peut à loisir le déconstruire et le confronter aux écrits d’un autre grand homme de théâtre français, le théoricien Antonin Artaud. Une idée étonnante au premier abord, au vu des trois siècles qui les séparent et de l’approche qu’ont les deux hommes du théâtre. Antonin Artaud est surtout un théoricien, alors que Racine a écrit plus d’une dizaine de pièces.
« Dès le début, Frank avait dit “si je travaille sur Racine, ce sera en combinaison avec Artaud”. Il a toujours pensé qu’il y a une filiation presque double : Artaud fils de Racine – par le classicisme de la langue, la violence des passions – et Racine fils d’Artaud. De l’un à l’autre, il y a une traversée de la culture française, cet alliage de l’hyper brutalité et physicalité des rapports de passion, de pouvoir, avec un extrême domptage de la langue par le classicisme rhétorique et prosodique. »
Avec cette adaptation, Frank Castorf questionne la place de la parole et l’impact que sa déconstruction par le théâtre peut avoir sur les hommes et la société. Alors que Racine se sert des mots, exprimés ou tus, pour bouleverser les chemins politiques de ses personnages, Artaud rêve d’un théâtre qui libère des carcans sociaux par la réinvention du langage.
Le metteur en scène se place dans le sillage de ce dernier et, par l’incise de ses théories dans la pièce, prône un théâtre utile, violent et cathartique. Il souhaite se servir des passions qui se déchaînent dans Bajazet pour purger, à son tour, les passions de son public. Ce mécanisme n’ayant pour autre but que de bouleverser les acquis, les préjugés et les cadres sociaux des spectateurs.
Néons, cage et costumes kitsch
Au-delà du texte, Frank Castorf promet une adaptation scénique tout aussi déconstruite, puisqu’il se libère du contexte historique pour mélanger les époques, les costumes et les décors. Une arrière-cousine miteuse côtoie une cage en fer et une immense tête de sultan sur lequel se réverbèrent d’étonnant néons.
Dans cet espace chaotique déambuleront des comédiens vêtus de robes haute-couture ou de costard bling-bling. Parmi eux, Jeanne Balibar, dont la saisissante interprétation de Barbara dans le film de Mathieu Amalric lui avait valu le César de la meilleure actrice en 2018. Elle travaille avec le metteur en scène depuis 2014. C’est elle qui lui a fait lire Bajazet pour la première fois.
Cette mise en scène rappelle que Frank Castorf s’attaque souvent à des classiques (Shakespeare, Brecht Molière ou encore Dostoïevsky) pour mieux les détourner et les découper pour en faire une chimère contemporaine. Les mots du passé doivent être conservés, mais ne peuvent plus être dits aujourd’hui comme il y a 100 ans.
« Un théâtre grave, qui bouscule toutes nos représentations »
En tournée depuis 2019, cette adaptation provoque souvent des réactions très fortes. Du spectateur qui s’enfuit à l’entracte, à celui qui l’ovationne lors des applaudissements, Bajazet, en considérant Le Théâtre et la peste, heurte et bouscule celui qui le regarde.
Une vision du théâtre qu’évoquait Artaud dans Le Théâtre et son double et dont la justification résonne encore très justement aujourd’hui :
« Dans la période angoissante et catastrophique où nous vivons, nous ressentons le besoin urgent d’un théâtre que les événements ne dépassent pas, dont la résonance en nous soit profonde, domine l’instabilité des temps. La longue habitude des spectacles de distraction nous a fait oublier l’idée d’un théâtre grave, qui bouscule toutes nos représentations, nous insuffle le magnétisme ardent des images et agit finalement sur nous à l’instar d’une thérapeutique de l’âme dont le passage ne se laissera plus oublier. »
Le journal papier gratuit « 20 Minutes » ne sera plus distribué à Strasbourg. Le nombre de journalistes sera réduit. Les deux derniers permanents deviendront des correspondants pour une édition nationale.
Depuis 17 ans, c’était devenu un objet lié aux tramways et TER du matin. Le quotidien gratuit « 20 Minutes » ne sera plus distribué à Strasbourg dans les prochains mois. La conséquence d’un plan social pour le média fondé en 2002. Il avait ouvert une édition Strasbourg en 2005.
Trois autres villes, Rennes, Nantes et Nice, sont également concernées par cette disparition. « La direction nous a dit que c’était les agences les moins rentables », raconte Gilles Durand, délégué syndical SNJ-CGT et élu au comité social et économique (CSE) de l’entreprise.
Deux départs parmi les trois journalistes plus la commerciale
La rédaction locale de « 20 Minutes Strasbourg », située rue du Saumon en centre-ville, compte trois journalistes à temps plein, ainsi qu’une commerciale. Le journal a une ligne éditoriale généraliste, avec de courts articles sur le sport alsacien, les sujets de société, la politique, les faits-divers, ainsi que beaucoup de sujets sur les transports, là où le journal est le plus lu.
Le plan de départ de 33 postes (sur environ 200 salariés) vise à diminuer les effectifs en région, puisque 9 commerciaux et 4 journalistes sont concernés par ces départs contraints. Ainsi, un journaliste strasbourgeois et la commerciale vont cesser leur activité selon le délégué syndical SNJ-CGT. Quant aux deux journalistes restants, ils resteraient salariés mais auraient une sorte de rôle de correspondant pour le site et les journaux qui resteront distribués dans sept villes (Lille, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Montpellier et Paris). « 20 Minutes » ne compterait plus qu’une édition Paris et une édition « régions ».
La crainte d’une fermeture totale à Strasbourg
Gilles Durand redoute les conséquences à moyen-terme de cette réorganisation :
« On ne voit pas pourquoi un annonceur local à Lille serait un intéressé pour un journal qui n’a plus de spécificité locale. On a très peur que si cette édition régions ne marche pas, la suite soit de supprimer tous les journalistes en région. »
Le représentant de l’intersyndicale (avec la CFDT et le SNJ) revient sur la spécificité de ces rédactions locales :
« 20 Minutes était le seul journal national avec des agences locales, avec un travail quotidien de localier. Ça nous permettait d’être proche du lectorat et en avance sur certaines informations. Les employés paient des erreurs stratégiques. Il y a huit ans, on a basculé la priorité sur le web, mais les annonceurs n’ont pas suivi, ils ne sont pas intéressés par un site national. On a eu deux ans de perte avec le Covid, où le papier a dégringolé, mais ça repartait depuis trois mois… »
« Il n’y a aucune stratégie »
Le média dont les revenus sont tirés de la publicité indique vouloir se recentrer sur les 18-30 ans et le numérique. « Mais il n’y a aucune stratégie pour y arriver. Il y a trois ans, on nous disait que les régions était la plus-value de 20 Minutes », reproche un autre élu du personnel, qui reste anonyme.
Le basculement sur le web a fait perdre le lien avec un lectorat plus jeune pour Gilles Durand :
« On s’est mis à écrire pour une machine, pour remplir des règles de référencement… On a uniformisé notre écriture, et comme les articles étaient ensuite repris dans le papier, on a perdu le ton 20 Minutes, un style plus jeune qui nous différenciait. »
Tous les gratuits ont disparu
Le chiffre de 33 départs ne prend pas en compte les personnes qui distribuent le journal aux arrêts de transport en commun, employées par l’agence Adrexo à Strasbourg. 20 Minutes était le dernier journal gratuit distribué à Strasbourg, après la disparition de Metro, puis CNews, qui n’avaient pas d’édition locale.
20 Minutes est codétenu par le groupe de presse belge Rossel (qui possède notamment La Voix du Nord) et le groupe Ouest-France. Ce dernier, via sa filiale Publihebdos, a lancé en 2019 une édition « Strasbourg » d’actu.fr, un site web gratuit qui traite de l’actualité quotidienne.
Samedi 2 avril, le collectif Maquis Alsace-Lorraine et Amnesty International organisent un match de foot pour interpeller le public sur l’exploitation des ouvriers migrants dans les stades de la Coupe du monde au Qatar. Le match démarre à 14h à place Kléber.
Le collectif Maquis Alsace-Lorraine continue de se mobiliser pour le boycott de la Coupe du monde au Qatar. Cette fois, les militants s’associent à l’organisation non-gouvernementale (ONG) Amnesty International pour un match de foot sur la place Kléber samedi 2 avril à 14 heures. « Il n’y a pas d’équipes constituées. On fera des trois contre trois ou des cinq contre cinq avec les passants volontaires. Et en dehors des matchs, on informera surtout sur les conditions de vie des travailleurs migrants, la corruption et l’impact écologique de cette compétition », explique Ariel, membre du collectif Maquis Alsace-Lorraine. L’objectif reste donc le même qu’en novembre 2021, lorsque le collectif avait mené une action aux abords du stade de la Meinau : sensibiliser le grand public à l’exploitation jusqu’à la mort des ouvriers migrants sur les chantiers du Coup du Monde au Qatar.
Le Maquis Alsace-Lorraine et Amnesty International n’ont pas le même objectif. Si le collectif alsaco-mosellan exige de l’équipe de France qu’elle boycotte la Coupe de monde au Qatar, l’ONG internationale a pour mission de mettre fin à l’exploitation des ouvriers migrants. Elle n’exige pas de boycott mais demande une prise de position de la Fédération Internationale de football association (Fifa) et des équipes nationales pour qu’elles dénoncent publiquement les conditions de travail, de vie et de mort de la main d’œuvre migrante au Qatar.
Malgré un accord entre le Qatar et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en 2017, les ouvriers migrants au Qatar subissent la « kafala », un système d’exploitation des travailleurs qui les empêche de constituer un syndicat, de changer de travail ou même de quitter le pays sans l’autorisation de leur employeur. Selon le média The Guardian, 6 500 travailleurs migrants sont morts au Qatar depuis que la Coupe du monde a été attribué à Doha.
Rue89 Strasbourg a dix ans et quelques poussières… et grâce à la générosité de ses lecteurs et lectrices, le média local d’investigation, complètement indépendant, va pouvoir grandir plus vite.
Grâce à la générosité de ses lecteurs et lectrices, Rue89 Strasbourg va pouvoir investir dans l’embauche d’un nouveau journaliste permanent. Mille mercis aux 244 contributeurs de cette nouvelle campagne de financement participatif pour avoir contribué à hauteur de 16 705€, leurs noms ont rejoint ceux des contributeurs qui nous ont aidé à nous transformer en 2015, sur le Mur des soutiens de Rue89 Strasbourg. Toutes ces personnes, souvent déjà abonnées, ont à cœur l’existence et le développement d’un média indépendant à Strasbourg. Nous sommes touchés par leur engagement démocratique et nous serons à la hauteur de leurs attentes.
Recruter un nouveau journalistes permanent est toujours une étape importante dans un petit média comme le nôtre. Il y a dix ans, l’équipe permanente était composée de deux journalistes, en 2018 nous sommes passés à trois, puis quatre en 2020. À chaque embauche, c’est la croissance du nombre d’abonnés qui a permis d’embaucher, sauf en 2020 où nous avons bénéficié d’une aide exceptionnelle de Google et Facebook suite aux pertes dues à la pandémie de Covid-19.
Annonceurs effrayés, soutien d’abonnés
L’économie d’une société comme Médialab, l’entreprise éditrice de Rue89 Strasbourg, entièrement indépendante, n’est pas très compliqué. Chaque journaliste permanent coûte environ 32 000€ par an. En tant que dirigeant, mon objectif est donc d’augmenter graduellement les recettes jusqu’à obtenir une trésorerie d’environ 20 000€, période à laquelle l’entreprise a suffisamment d’argent pour envisager la création d’un nouveau poste.
Simple, mais long puisque le nombre d’abonnés progresse lentement. Et surtout, c’est la seule ligne de recettes qui peut augmenter puisque, notre ligne éditoriale s’affermissant, elle tend à effrayer les annonceurs. À ce jour, près de 1 600 personnes soutiennent l’investigation à Strasbourg avec un abonnement à 5€ par mois. Pour financer un nouveau poste, il faut donc attendre d’avoir entre 500 et 600 abonnés supplémentaires… ce qui prend environ 18 mois au rythme actuel.
Cette campagne nous permet donc de gagner beaucoup de temps ! À l’issue de notre dixième anniversaire, elle va nous permettre de consolider notre équipe, d’investir sur les compétences et la connaissance du terrain. Nous serons très heureux d’annoncer prochainement ce nouveau recrutement !
Près de deux ans après l’élection de Jeanne Barseghian et des écologistes à la mairie, leurs électeurs continuent de chercher des changements concrets dans la politique de la Ville.
Sur le quai des Bateliers à Strasbourg un vendredi après-midi, Fahima, une professeure d’université se désole :
« Je ne vois pas de changement. Je ne vois aucune différence entre cette municipalité verte et les précédentes. Les constructions à Danube sont moches et pleines de béton. Chaque année, un nouveau sapin de Noël est érigé place Kléber, ce n’est pas très écolo. La gratuité des transports en commun, c’est bien pour les familles avec des enfants, mais pourquoi ne pas l’étendre aux autres personnes ? Si la municipalité a fait ce changement au nom de l’écologie, ils auraient dû l’étendre à tout le monde. »
Fahima, qui a voté pour Jeanne Barseghian en juin 2020 comme toutes les personnes interrogées pour cet article, renchérit :
« Les seuls changements que je vois sont temporaires, quelques arbres place Kléber par-ci, par-là… Or ce qui ne dure pas coûte cher. Et ça les écolos devraient le comprendre… »
Le Plan Canopée mis en place par la municipalité dès les débuts du mandat a permis la plantation d’environ 900 arbres à Strasbourg, selon un état fourni par la Ville. Mais la majorité des personnes interrogées pour cet article ne constatent aucun changement dans leur environnement immédiat. Il est vrai que ces nouveaux arbres se trouvent en bonne partie dans des parcs existants… La municipalité s’est donné pour objectif de planter 10 000 arbres à l’horizon 2030, afin de baisser la température ressentie à Strasbourg, notamment durant les périodes estivales.
« Les écologistes prennent trop de temps »
Un soir de semaine, des habitants de la Krutenau et de la Bourse doivent tenir une réunion de leur assemblée de quartier à la Maison des syndicats. Avant le début de la réunion, Carole s’avoue déçue par l’action, ou – plus précisément – l’inaction, de la municipalité :
« Six ans, ça passe vite. Ils prennent trop de temps pour prendre des décisions. La zone à faibles émissions, c’est bien mais ça se met en place trop lentement… La qualité de l’air n’a pas varié ! C’est un sujet typiquement écologiste pourtant. Si les écolos ne font rien sur l’air et les mobilités, personne ne fera quelque chose ! »
Cécile évoque la même impression alors qu’elle enlève son manteau pour participer à la réunion :
« Je reste dans l’expectative. Pour l’instant, je ne vois ni action positive, ni négative. J’attends en particulier des développements dans les transports doux mais je ne les vois toujours pas… J’aimerais que la municipalité donne envie aux gens d’abandonner leurs voitures mais sans les forcer. Pour ça, il faudrait augmenter la facilité pour se déplacer à vélo, construire plus de pistes cyclables, rendre des zones piétonnes moins dangereuses. Les écologistes pourraient augmenter la vitesse des bus pour que les temps de trajets soient comparables à ceux des voitures… »
« On a une piste cyclable à côté, on a de la chance »
Pour la majorité des électeurs rencontrés, la politique en faveur du vélo est plus visible que le verdissement de la ville. En 2021, l’Eurométropole a débuté le déploiement d’un « plan vélo » qui prévoit d’ajouter 120 kilomètres de pistes cyclables avant 2026. Mais selon ces électeurs, le principal problème à résoudre reste la sécurité. Trop souvent, pointent-ils, il n’y a pas de distinction claire entre les espaces piétons et les pistes cyclables, ce qui provoque de trop nombreux conflits d’usages. Ils regrettent aussi l’absence de séparation stricte entre les voitures et les vélos sur la voirie.
Quelques nouvelles pistes cyclables ont été aménagées en 2021, notamment pour amorcer un « contournement » cyclable de la Grande-Île. À midi, devant l’école Saint-Jean dans le quartier des Halles, Gil attend son enfant. Il fait l’éloge de sa vie de quartier :
« On a de la chance, une piste cyclable a été construite juste à côté de nous, rue de Bitche. Au parc des Contades, ils ont ajouté des arbres et à l’école Schoepflin, la cour a été végétalisée. Celle de l’école Saint-Jean ne l’est toujours pas, mais je pense que c’est prévu. (NDLR : la Ville de Strasbourg n’a pas confirmé cette information, mais l’objectif est de modifier toutes les cours d’ici 2026). »
À la sortie de la même école, Florence donne des smarties à sa fille. Elle a pu repérer des actions municipales, dans le Neudorf où elle habite :
« Je veux que la municipalité poursuive et élargisse le développement de la vie de quartier. Les nouvelles rues piétonnes sont agréables et j’apprécie leur volonté de rencontrer et d’échanger avec les habitants avant de prendre des décisions, par exemple au projet d’art dans la rue Thann, et pour la construction au 92 avenue du Rhin. »
Avenue du Rhin pourtant, le projet de bureaux est loin de faire l’unanimité des habitants. Une partie d’entre eux reproche à la Ville de faire disparaître, avec un bâtiment en bois, un espace encore vide et utilisé par un city-stade. Un nouveau stade sera reconstruit, mais plus petit et accessible seulement à certaines heures à la discrétion du propriétaire.
À l’école élémentaire Sainte-Aurélie, dans le quartier Gare, Élodie regrette que les améliorations urbaines ne concernent pas tous les quartiers. Parent d’élève et également enseignante au Neuhof, Élodie précise :
« Les développements pour les cyclistes sont biens, j’apprécie surtout les aides pour ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter un vélo. Mais en termes de pistes cyclables, pourquoi ne pas en construire des nouvelles au Neuhof ? Quand je prends mon vélo pour aller au travail, la piste cyclable s’arrête à la rue de la Ganzau, or les voitures roulent vite dans cette rue. »
Élodie soulève cependant un raté de la municipalité écologiste, important à ses yeux :
« Malgré quelques efforts, il n’y a toujours pas assez de places d’hébergement pour les personnes sans-abri. À Sainte-Aurélie, il y a des enfants migrants qui n’ont pas de logement. Je connais au moins deux familles dans cette situation. J’ai signalé ces dossiers à la Ville ; ils m’ont répondu mais ces familles n’ont toujours pas reçu de propositions concrètes… »
La Ville et l’Eurométropole de Strasbourg ont promis la création de 500 places d’hébergement supplémentaires durant le mandat. À ce jour, 394 places ont été votées (190 par l’Eurométropole, 204 par la Ville).
« Je suis écolo mais il y a d’autres priorités… »
Devant l’école Finkwiller dans la Petite-France, une mère de famille, Feriel, trouve que les animaux sont mieux protégés que les êtres humains :
« Moi, je suis écolo mais il y a d’autres priorités… Il y a une prolifération de pigeons et de corbeaux en ville. Je suis pour la protection des animaux mais il faut quand même surtout protéger les êtres humains, notamment les bébés et les personnes à risque. »
Maxence, un autre parent d’élève de l’école Finkwiller, a du mal à suivre les politiques mises en place. « Les écologistes interdisent les voitures diesel mais sans proposer d’alternatives abordables », débute-t-il. En effet, les diesel Crit’air 5 seront interdites en 2023, puis les Crit’air 4 en 2024 et Crit’air 3 en 2025. Quant aux Crit’air 2, les diesel les plus récents, leur interdiction est repoussée au mandat suivant, sauf si le calendrier est « accéléré » si la qualité de l’air évolue peu. Des aides complémentaires pour les particuliers à bas revenus, pour changer de véhicule ou de mode de transport, ont été votées à l’Eurométropole. Ils peuvent se renseigner à l’Agence du Climat.
Il poursuit sur la disponibilité des élus locaux :
Ils ont dit qu’il y aura des représentants de la mairie dans toutes les écoles, mais ce n’est pas le cas. L’Eurométropole a tout un projet de compostage, mais inexistant dans nos quartiers… D’une manière générale, il y a un manque d’infos. Par exemple, dans les écoles, j’apprécie la végétalisation des cours mais j’aimerais savoir pourquoi telle école reçoit plus d’argent qu’une autre… »
Maxence indique avoir posé plusieurs questions aux élus, sans qu’il ne lui ait été apporté de réponse concrète. De même, Feriel pointe qu’elle n’a jamais rencontré un élu en charge de son quartier, malgré l’objectif affiché de la municipalité de se rapprocher des habitants en doublant le nombre d’élus de quartiers.
« Ils ont un style désagréable »
Dans la rue du Bain-Finkwiller un jeudi après-midi, Étienne affirme avoir « toujours voté écolo » mais il ne croit pas au dialogue local, affiché dans les objectifs de la municipalité :
« Ils ont un style désagréable. Ils font de fausses opérations de participation où alors ils font semblant d’écouter quand, en vrai, tout est prévu. En plus, je les trouve un peu secs ou froids. Je voudrais qu’ils aient un meilleur rapport avec les habitants, plus humaniste, plus détendu. »
Une opinion que ne partage pas Caroline, rencontrée quai des Bateliers alors que sa fille s’amuse à proximité :
« J’aime la présence de Jeanne Barseghian sur les réseaux sociaux, ça semble naturel, pas trop travaillé. Grâce à ça, j’ai l’impression d’être mieux connectée à l’action municipale. Avant, je ne savais pas du tout ce qui se passait à la mairie. »
Étienne attribue le souci de communication des élus à un « problème de jeunesse » :
« On dirait que les écologistes prennent toujours des décisions sans préparation, il faut avoir de l’expérience pour ça. Strasbourg est une grande ville internationale. Peut être l’exercice de cette gestion se situe à un niveau trop élevé pour eux. Jeanne Barseghian, je la trouve bien, mais elle est un peu novice quoi. »
La rédaction de Rue89 Strasbourg est composée de journalistes toutes et tous prêts à écouter les Strasbourgeoises et les Strasbourgeois pour parler des sujets qui les intéressent. Notre existence et notre moral dépendent du nombre d’abonnements pris pour nous soutenir. 🙏⤵
Un homme atteint d’une hémorragie digestive est mort aux urgences jeudi 17 mars. Un décès occasionné par le manque de personnel et de lits d’hospitalisation, selon un urgentiste. La direction des Hôpitaux universitaires de Strasbourg a demandé l’ouverture d’une enquête interne . . .
>
Cet article fait partie de l’édition abonnés. Pour lire la suite, profitez d’une offre découverte à 1€.
Toutes les cantines scolaires de Strasbourg sont fermées ce jeudi 31 mars. Pour la sixième fois depuis septembre 2021, les parents devront s’occuper de la pause déjeuner de leurs enfants. La Ville décide de fermer les cantines lors de certains appels nationaux à la grève qui ne concernent pas le personnel périscolaire en particulier.
Vincent est père de deux enfants, tous les deux à l’école maternelle Saint-Jean. Âgés de 4 et 6 ans, les petits ont manqué plusieurs fois la cantine en raison de sa fermeture, décidée par la Ville de Strasbourg suite à des grèves du personnel périscolaire, qui encadrent les élèves pendant la pause midi. En tant que parent, Vincent trouve cette situation « insoutenable » :
« Nous sommes obligés, au mieux, de prendre une pause déjeuner au travail de 11h30 à 14h pour chercher nos enfants pour le repas de midi, au pire de poser des congés de dernière minute pour assurer leur déjeuner. Cela a un impact direct sur notre environnement de travail. »
Depuis la rentrée 2019, plus de 15 fermetures de cantine
Sophie (prénom modifié), est maman de deux enfants, en première et troisième section de maternelle, également à Saint-Jean :
« Depuis que j’ai mis mon premier enfant à l’école maternelle, soit en 2019, il y a eu au moins 15 à 20 jours de fermeture des cantines. Une de mes amies m’avait déjà prévenue à ce sujet, mais je ne l’avais pas crue. »
Pour l’année scolaire 2021/2022, six jours de grève provoquant la fermeture de la cantine de l’école Saint-Jean ont été comptabilisés par « éducartable », une application qui permet la communication entre les parents d’élèves et l’école. La cantine a fermé ses portes les 5 octobre, 14 décembre, 13 janvier, 27 janvier, jeudi 17 mars, et ce jeudi 31 mars.
« Peu importe le nombre de grévistes, la Ville ferme systématiquement les cantines »
Le 17 mars 2022, la CGT, FSU, Solidaires et les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et VL avaient appelé à la grève et à manifester à l’échelle nationale pour l’augmentation des salaires. Cette manifestation réunissait les employés du privé comme du public et portait des revendications similaires à la mobilisation du 27 janvier 2022.
« Ces appels à la grève, comme celui du 17 mars, ont été réalisés au niveau national. Il n’y a pas un taux de grève plus élevé dans le périscolaire comparé aux autres services. Peu importe leur nombre, la Ville ferme systématiquement les cantines lors de préavis de grève. »
Jeudi 31 mars, environ 25% du personnel périscolaire de Saint-Jean devrait être en grève. Ce taux de participation est régulier, selon un membre du personnel de l’école Saint-Jean, qui a préféré garder l’anonymat.
« Pourquoi la Ville ne trouve pas de solution ? »
Soraya Ouldji est adjointe à la maire de Strasbourg en charge de la petite enfance et de la restauration scolaire. Selon elle, « les employés de la restauration scolaire n’ont pas le devoir de déclarer 48h à l’avance leur intention de faire grève ». L’élue explique :
« En fonction du nombre estimé de grévistes, soit les cantines restent ouvertes avec un personnel réduit, soit des repas froids tirés du sac sont mis en place, soit une partie, voir la totalité des cantines – comme ce jeudi 31 mars – doivent fermer. S’il y a un fort relai au niveau local de ces appels à la grève nationaux, il faut s’attendre à une forte mobilisation.
Le 17 mars, nous avions 30% des personnels de la restauration scolaire à Strasbourg en grève, et 25% des agents périscolaires. Nous ne pouvons plus assurer un accueil sécurisé des enfants à partir de 25% de grévistes estimés. Dans ces cas là, nous sommes obligés de fermer les cantines. »
« C’est un problème qui dure dans le temps »
Soraya Ouldji affirme que le service d’accueil est difficile à mettre en place :
« Si nous remplaçons des employés lors de grèves, on risque d’entraver le droit de grève. En temps que parent, je comprends la fatigue générale engendrée par la situation, qui va de pair avec les restrictions sanitaires mises en place depuis deux ans. »
Sophie espère que des mesures seront mises en place pour faire face à ces fermetures intempestives :
« Nous attendons toujours avec angoisse les mails de l’école et de la mairie, au cas où il faut poser un congé ou bien s’organiser autrement en cas d’absence ou de grève. C’est un problème de fond puisque ça dure… Nous ne savons même pas les raisons qui poussent le personnel à faire grève, et je n’ai pas l’impression que la mairie ait pris des mesures les concernant. Je suis attentive à leur situation, mais je ne comprends pas pourquoi la Ville ne trouve pas de solution. »
Pas de revendications spécifiques du personnel périscolaire selon la Ville
Hülliya Turan est adjointe à la mairie de Strasbourg en charge de l’éducation et de l’enfance. Elle affirme également qu’il n’y a pas de revendications spécifiques de la part du personnel de la cantine car les appels à la grève se font à l’échelle nationale :
« Depuis le début de son mandat, la mairie de Strasbourg a mis en place des échanges et des rencontres régulières avec les représentants syndicaux afin de faire face aux difficultés rencontrées et la baisse de moyens dans le secteur de l’éducation, notamment en raison de la crise sanitaire. Nous sommes à l’écoute du personnel périscolaire, nous réfléchissons à des améliorations des conditions de travail, notamment pour les emplois vacataires.
Mais il n’y a pas eu de demandes spécifiques, de prise de contact ou de négociations de la part du personnel des cantines scolaires. La crise du Covid a également provoqué une recrudescence des absences dans le personnel scolaire et périscolaire, en raison des restrictions. Si la situation sanitaire continue à s’améliorer, on espère que les cantines scolaires fonctionneront de manière pérenne, même s’il y a des grèves dans le secteur. »
Contrairement à ce qu’affirme Hülliya Turan, à travers le collectif Strasbourg Animation en lutte, le personnel périscolaire a formulé des revendications précises et a même rencontré des élus.
Aussi, les cantines fermaient déjà souvent en 2019, soit avant la pandémie. Gilles Dimnet, de la CGT, confirme :
« La fermeture systématique des cantines est antérieure au Covid. L’ancienne municipalité le faisait déjà en cas de grève. C’est une décision que nous respectons à la CGT, mais nous n’avons jamais été associés. »
Votre média d’investigation local a lancé une campagne de financement pour recruter un, voire deux journalistes. Chaque jour jusqu’au 31 mars, nous publions dix bonnes raisons d’y participer.
Raison n°10 : un média qui met la pression sur les décideurs
Rue89 Strasbourg ne lâche pas l’affaire. Quand l’un·e de nos journalistes se lance dans une enquête de long-terme, il peut produire parfois jusqu’à dix articles (c’est par exemple le cas de notre série d’enquêtes « La hess aux HUS » ou de notre travail dans le quartier de l’Elsau). Au sein de notre rédaction d’investigation locale, nous savons qu’il faut parfois plusieurs semaines, plusieurs mois ou années pour découvrir toutes les facettes d’un dossier. Nous sommes aussi conscients qu’un seul article suffit rarement à produire des effets. Suite à une seule publication, les décideurs mis en cause se contentent souvent de faire profil bas pendant quelques semaines. Mais si Rue89 Strasbourg apporte régulièrement de nouvelles révélations, les mis en cause finissent souvent par agir.
L’Elsau, devenu « priorité des quartiers prioritaires »
Premier exemple : le projet Quartiers Connectés à l’Elsau vise à organiser des conférences de rédaction ouvertes aux habitants pour aboutir à la publication régulière d’articles à propos de ce quartier. Grâce à une présence régulière sur le terrain, nous traitons des sujets qui concernent les Elsauviens au quotidien : rénovation urbaine à venir, services de proximité de moins en moins nombreux, solidarité en temps de pandémie… Suite à plus de quatre ans de couverture soutenue, l’Elsau est mis en avant comme la « priorité des quartiers prioritaires », comme l’indique l’adjoint en charge de l’équité territoriale, Benjamin Soulet. Certes la rénovation du quartier n’en est qu’à son début, mais elle suscite déjà des changements concrets en entrée de quartier, comme nous le racontions ici. Ainsi, par un travail approfondi au plus proche du terrain, Rue89 Strasbourg a poussé la municipalité à agir dans l’un des quartiers les plus défavorisés de la ville.
Pour mettre la pression sur les décideurs, qui ont une influence sur la vie dans un quartier, sur les conditions de travail d’ouvriers, la qualité de l’air strasbourgeois ou la pollution de la nappe phréatique, il nous faut plus de journalistes. Plus de journalistes, c’est plus de temps pour enquêter. En participant à notre crowdfunding, vous soutenez à la fois votre droit à l’information tout en poussant les directeurs d’entreprises et autres élus politiques à agir pour mettre fin à une injustice, des conditions de travail dangereuses ou des pollutions. C’est la dixième et dernière raison de nous soutenir : pour ne pas lâcher les affaires, Rue89 Strasbourg a besoin d’un journaliste d’investigation supplémentaire.
Le sort du foyer Saint-Louis a agité les deux mandats de Roland Ries. La nouvelle municipalité a repris le dossier pour empêcher la construction de deux parcelles au cœur du quartier. L’aboutissement d’un combat de 10 ans pour un collectif d’habitants… dont l’un des membres actif est désormais un adjoint de premier plan.
C’était devenu un emblème des impasses de la démocratie locale lors des deux mandats précédents. Il aura fallu un changement de municipalité et de curé pour que cette situation du cœur de Robertsau se décante. Comme acté à la fin du mandat précédent, le foyer ne sera pas détruit. Ce lieu héberge une grande salle centrale, des plus petites pièces de réunion, des espaces pour des fêtes de familles, des locaux utilisés par les Scouts, etc.
Mais la nouveauté, c’est que plusieurs parcelles qui devaient être construites deviendront des petits espaces verts en cœur de quartier.
La paroisse voulait un nouveau foyer
Retour sur l’historique. Au début des années 2010, la paroisse Saint-Louis souhaite vendre son foyer pour en construire un nouveau à côté de son église, deux rues plus loin, sur le lieu dit du « jardin du curé » (voir notre article). Cette parcelle lui appartient et a été classée constructible en 2012.
Pour financer l’opération, elle comptait vendre son foyer vieillissant et les terrains attenants, idéalement placés au centre du quartier. L’opération devait permettre la fabrication de 37 logements. Montant de la vente à Icade : 2,7 millions d’euros. Mais c’était sans compter une levée de boucliers d’habitants qui réclament que la municipalité se saisisse du dossier pour s’impliquer financièrement afin de préserver et même améliorer « un Cœur pour la Robertsau ». Le collectif se compose de personnalités de différents bords politiques et attachés à ce lieu historique et à ses fonctions diverses.
Avant de passer la main, Roland Ries pense avoir trouvé un point d’équilibre. Moins de logements (11), quelques bureaux et une maison des services publics. La municipalité achète donc une partie de la cour (pour 142 600 euros) et abonde financièrement la rénovation du foyer (117 400 euros sur 1,3 million estimés), qui est finalement préservé. La délibération est votée fin 2019, avec quelques abstentions dans l’opposition et la majorité.
Mais rien ne bouge jusqu’en 2020, alors que les élections municipales envoient à la mairie une nouvelle majorité. Dans l’équipe de la maire Jeanne Barserghian figure Marc Hoffsess, l’un des piliers du collectif « Un coeur pour la Robertsau ». Devenu troisième adjoint, co-président du groupe des élus écologistes, et élu chargé de la Robertsau, cet ancien conseiller de Jacques Bigot et de Roland Ries est l’un des élus qui compte dans la nouvelle majorité.
La nouvelle équipe reprend le dossier. En face, il y a aussi un nouveau curé, Franck Guichard. Cela tombe bien, les relations étaient très tendues avec son prédécesseur, Didier Mutzinger, devenu archiprêtre à la cathédrale en 2021. Lors d’une conférence de presse épique en 2019 aux côtés du maire, Didier Mutzinger n’avait pas hésité à qualifier « d’idéologues » et « d’anti-cléricaux » les membres du collectif, mettant leur combat sur le compte de « frustrations personnelles ».
Opérations en cascade
Les nouvelles négociations aboutissent notamment sur le rachat de la parcelle à l’arrière du foyer Saint-Louis, qui devait être urbanisé et cédé à Avant Garde Promotion.
Cette décision entraîne une cascade de changements pour la Robertsau :
La Ville achète la parcelle du « jardin du curé » au Conseil de Fabrique, qui gère les biens de l’Église pour 591 000 euros. Cet espace lui est rétrocédée via un bail emphytéotique pour un loyer symbolique de 15€ par an pendant 50 ans. La gestion revient à la paroisse et ne sera pas accessible à tous. La Ville achète aussi le reste de la cour du foyer pour 624 440 euros, prix estimé par les Domaines de France. Le promoteur Avant Garde Promotion avait déboursé 930 000€ en 2019.Deux bâtiments de la Ville situés rue Boecklin, au 84 (mairie de quartier) et 119 (maison des associations) ne seront pas vendus à des promoteurs immobiliers. L’argent tiré de leur vente devait permettre de déménager la mairie de quartier, la direction de territoire, le bureau de l’adjoint-e de quartier ainsi qu’une salle de réunion modulable dans un nouveau bâtiment construit dans la cour du foyer Saint-Louis.Un projet immobilier au 88 rue Mélanie est agrandi. C’est la « porte de sortie » pour le promoteur Avant Garde Promotion.
Le 88 rue Mélanie, une porte de sortie à 22 logements supplémentaires
Le prix de la vente (1 215 440 euros) coïncide – à l’euro près ! – aux dépenses faites par la municipalité pour acquérir les deux parcelles à la paroisse. C’est ce qui permet de dénouer le situation.
À cette adresse, près du parc de Pourtalès, la municipalité avait cédé une maison lui appartenant datant de 1900, avec une grange, un hangar et une dépendance. La vente, pour 300 000 euros au profit du bailleur social Ophéa (ex-CUS Habitat), avait été actée lors du dernier conseil municipal avant les élections municipales de mars 2020. Personne n’avait rien trouvé à y redire, le point n’ayant même pas été retenu. Il prévoyait alors 13 logements sociaux. L’opération telle que votée le 21 mars prévoit cette fois 34 appartements dont 12 sociaux qui reviendront à Ophéa.
Tous les élus, y compris l’opposition, les Socialistes et LREM anciens membres de la majorité ont voté « pour » l’acquisition des deux parcelles auprès de la paroisse qui ne seront donc pas construites. En revanche, les groupes LREM et LR ont voté « contre », la porte de sortie au 88 rue Mélanie.
« Un alignement des planètes »
Passé du côté des décideurs, Marc Hoffsess revient sur ces négociations :
« Certes, la bataille avait évité le scénario du pire pour le foyer. Mais nous avons voulu apporter un regard nouveau. Pour nous, le foyer fonctionne avec ses espaces extérieurs, par exemple pour que les Scouts déploient leur matériel, le stocke ,ou organisent des jeux (Marc Hofsess confie avoir lui-même été scout dans cette paroisse). La solution permet à la paroisse d’avoir plus de recettes pour mener à bien la rénovation jusqu’au bout.
Il faut aussi saluer le nouveau curé Franck Guichard, qui a vite vu que c’était une épine dans le quartier et qui a su faire preuve d’intelligence et de bienveillance, tout comme le promoteur, pour permettre un alignement de planète. Ce qui reste incompréhensible, c’est l’attitude de nos prédécesseur, de non seulement ne pas s’impliquer, mais même d’être facilitateurs en achetant des espaces et déménageant ses services pour satisfaire le projet de la paroisse, mais pas le quartier. Par exemple, le 119 rue Boecklin est l’une des plus anciennes maisons du quartier, dans l’ancienne gendarmerie, et aurait été détruite. »
Pour Jacques Gratecos, dont l’association de défense des intérêts de la Robertsau (Adir) a porté les 7 recours et recueilli les dons pour le collectif, la satisfaction est totale :
« On a enfin eu ce qu’on attendait avec cette municipalité. Certes, au sein de l’association, tout le monde n’est pas satisfait avec l’opération rue Mélanie. Mais il faut faire des arrangements et s’il faut passer par là, il faut l’accepter. Depuis des années, on me dit que cet endroit sera construit. Si le quartier est visé par les promoteurs, c’est aussi car il y a des acheteurs. C’est un cas d’école, plus de monde veut habiter à la Robertsau car c’est un quartier agréable, mais où on ne veut pas sur-construire pour que ça le reste… »
Sur la nouvelle équipe et sa gestion de la démocratie locale qu’elle tente de réformer, le président associatif fait le parallèle avec l’équipe de Catherine Trautmann en 1989 : « Des gens qui ne pensaient pas gagner, mais qui étaient impliqués dans des associations ». Selon lui, il y a « peut-être plus de naïveté », chez les nouveaux élus, « mais aussi plus de volonté à voir des choses se réaliser ».
Un espace vert à construire
Que deviendront donc les espaces centraux achetés par la municipalité ? Depuis l’été 2021 quelques palettes en bois ont été installées sur la parcelle déjà acquise par la municipalité, le 66 rue Boecklin (où devait s’ériger la nouvelle mairie de quartier). « C’est aux Robertsauviens d’inventer l’aménagement, », estime Marc Hoffsess. Le lieu sera néanmoins affecté à un espace vert. « Nous, on a évité l’urbanisation. On fixera un cadre, mais je veux l’aménagement le plus consensuel possible », ajoute-t-il. En conseil municipal, l’opposant et élu du canton de la Robertsau Jean-Philippe Vetter (LR), peu convaincu par les palettes actuelles, a demandé qu’un effort particulier soit fait pour cet espace émblématique.
Jacques Gratecos aurait bien quelques idées, mais « ce n’est pas juste à l’Adir de décider », tempère-t-il. Pour faire fonctionner la démocratie locale, il conseille : « Ce qui marche, c’est quand on confie des missions aux gens, avec un temps donné et des missions claires. »