« Fêtes d’Alsace », épisode 1 – Dans les vallées du sud de l’Alsace, les feux de la Saint-Jean marquent le début de l’été et des fêtes de village. Mais à Berrwiller, les habitants et ceux des alentours, viennent avant tout à la « Humpafascht » du club de foot pour chercher un esprit festif et familial qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Reportage à la soirée de lancement de six jours de fêtes.
À Berrwiller, la Humpafascht n’est pas juste l’histoire d’une fête de village. C’est l’histoire d’un club de foot, l’Association sportive Berrwiller Hartmannswiller (ASBH), devenu une référence dans le Haut-Rhin, autant pour ses performances sur les terrains que son double week-end festif au début de l’été : la Humpafascht qui célèbre sa 44e édition. Un événement que beaucoup d’habitants de l’ancien bassin minier ne rateraient pour rien au monde.
Pour le club fondé en 1965, c’est aussi tout son équilibre économique et social qui repose sur ces six jours de fêtes. « La Humpafascht représente 60 à 70% des recettes annuelles du club », précise Alexis Wintenberger, responsable des sections jeunes. Une manne qui permet de proposer des licences au prix de 150€, survêtement et cotisation à la ligue compris, dans ce club « où il n’y a que des bénévoles et aucun salarié ».
La soirée d’ouverture est la plus intergénérationnelle et rassemble jusqu’à 4 000 personnes, bien plus que la population de Berrwiller et ses 1 200 âmes. Au programme, un grand feu d’artifice, un feu de la Saint-Jean et une « ambiance années 90 – 2000 ».
Parmi les premiers, Tony et Monique, 150 ans à eux deux
Face à l’entrée, Bertrand s’affaire avec un regard concentré pour mettre en marche un deuxième four à tartes flambées arrivé « ce matin ». Ce bénévole cinquantenaire participe chaque année à la Humpafaschst depuis « au moins 25 ans, c’est sûr ». Et même s’il ne tape plus dans les ballons, il est membre du comité des fêtes. Autour de lui, une équipe de huit personnes, « de toutes les générations », cinq hommes et trois femmes, qui vont enchainer jusqu’à 2h30. Ici, on connait la valeur d’une grande équipe de bénévoles, et de son renouvellement. « Une fête de village qui perdure c’est important. Il y en a beaucoup qui ont arrêté, à cause du manque de bénévoles, des bagarres ou tout simplement parce que les organisateurs ne rentraient pas dans leurs frais », relève Nicolas, la quarantaine, à ses côtés.
Tony et Monique, 75 ans, font partie des premiers participants à passer la grille. « On a nos habitudes » explique le mari, une canne à la main. Ce soir-là, il s’agit de commencer avec un crémant « dans un gobelet en carton », ce qui ne satisfait pas complètement l’ancien routier qui avale également quelques frites. « Dans le temps on dansait, mais c’était une autre musique », complète Monique, sandwich à la main.
Le couple domicilié à Wattwiller vient « tous les week-end » à Berrwiller depuis 40 ans. Il faut dire que la famille est très impliquée : la fille est secrétaire générale du club, les petits enfants jouent et les arrière-petits enfants doivent rejoindre U7, les « pitchouns ». Et le gendre, dirigeant-arbitre le reste de l’année, « ce soir, c’est Monsieur frites ! », décrit sa belle-mère. Tony, lui, n’a joué au foot que jusqu’à ses 20 ans, avant de se marier après son service militaire, puis d’être sur les routes de France et d’Europe une bonne partie de ses semaines. Ils resteront jusqu’au bûcher, vers minuit.
À en croire Valérie, épouse d’un des entraineurs et bénévole au bar « la Humpafascht est une institution dans le secteur, les jeunes découvrent vers 15 / 16 ans. » À l’instar de ce groupe de collégiens venus de Soultz une semaine avant de passer le brevet. « On est venus s’amuser. À 5 euros l’entrée, ça a intérêt à être une bonne soirée », prévient Mejdi. Les quatre amis ont peu de lien avec le club. Seul le père d’un des adolescent est un habitué de cette fête.
« Adultes, ils reviennent tous ici »
Vers 15 ans, c’était aussi l’âge de la première Humpafascht de Sandra, aujourd’hui 47 ans et responsable des « Pitchouns », les joueurs de moins de 7 ans. Elle est venue avec deux copines de l’adolescence. Pourtant, la soirée a tout de même des allures de « première » pour les trois amies. Les maris sont partis assister à un concert de Metallica en Allemagne. « Ils étaient dégoûtés de voir que ça tombait le même soir », décrit-elle. Face à elle, Christelle, coiffeuse qui a découvert le club il y a 17 ans, loue le sérieux de l’ASBH :
« Le club a une réputation d’être convivial et très pédago. Mes deux gamins ont ensuite fait sport études à Colmar, même s’ils ne sont pas devenus professionnels. Quand ils sont adultes, les joueurs reviennent tous ».
Un attachement qui n’est pas sans poser des problèmes à l’équilibre conjugal. « À un moment, c’était le foot ou moi ! », avertit Christelle. Le compromis pour ne pas perdre ce lien si fort avec le club ? Entraîner les petits, qui ont moins d’entrainements, des matches plus courts et moins loin.
Il y a quelques années, c’était au tour de ses enfants de faire découvrir la Humpafascht à des amis adolescents de Paris. « Ça les a un peu décoincés », rigole la mère de famille. Et pour faire dormir les convives, « il suffisait de traverser les champs et d’aller dans les tentes dans le jardin ».
En attendant le tournoi déguisé…
Derrière le bar, Joseph (ou « Seppi » en alsacien) a une mission précise : le ravitaillement ! Il doit veiller à ce qu’il ne manque jamais de fûts de bière ni de bouteilles au bar. Ce grand défenseur de 32 ans est arrivé au club à 18 ans, il n’a raté aucune Humpafascht depuis. « Tous mes potes sont ici maintenant ». Une situation qui l’a convaincu de quitter Cernay pour acheter à Berrwiller, « un village qui bouge ». Mais ce n’est pas le jour le plus important pour lui. Sa grande responsabilité, c’est d’organiser le Grempelturnier, le tournoi de foot déguisé qui clos la Humpafascht le deuxième dimanche :
« Il y a une cinquantaine d’équipes et quatre terrains. Le premier, c’est le folklore total : on a eu une équipe de touristes qui ont ramené les transats et le sable, ainsi que des animations type rugby, le foot-pong, ou ventriglisse, un deuxième pour les enfants et mamans, le troisième où ça joue déguisé mais plus sérieusement, et le dernier où là, ça joue vraiment. On est là dès 6h pour l’installation et le tournoi est de 8h à 19h non-stop ».
Pour se remettre, Joseph a une autre habitude : « À chaque fois, je prends mon lundi ». Ça tombe bien pour ce réparateur-chauffagiste « en été, ce n’est pas là qu’on a le plus de boulot ».
La soirée débute et les allées du club se garnissent. Chez les plus jeunes, on se regarde, on se jauge, on se drague. Et même si on vient à la cool, beaucoup ont soigné leur apparence, nouvelles coupes, ongles repeints…
La vie sociale du club ne se limite pas à deux week-ends de fête. Il y a aussi les soirées Nouvel an, les soirées moules-frites, les crêpes après les matches… « Le niveau et surtout l’ambiance », c’est ce qui a convaincu Émilien, 20 ans, à quitter le club de Richwiller pour venir à Berrwiller à l’âge de 16 ans. « Je suis arrivé seul, mais on s’intègre vite ici. Et la famille, ça suit ».
À cette soirée, il croise un ancien camarade du CFA de Mulhouse. « Ici il y a des potes, des gens du club, de la famille ». Habitant de Wittelsheim, il travaille comme carrossier en Suisse. « C’est 1h15 de route, mais on a le temps, je suis encore chez mes parents, je profite encore un peu ». Le reste du temps libre, c’est le foot et « la copine à côté ». Même s’il n’est pas dans l’équipe de bénévoles ce soir-là, on le retrouve plus tard à porter des fûts de bière avec Joseph.
Un blind test sur les films américains
Peu avant 22h, la foule s’anime. Une centaine de personne se presse autour des enceintes pour le blind test : Iron Man, The Mask, Pretty Woman, Jurrassic Park… Seules quelques notes sont jouées et chacun crie le plus fort possible dans l’espoir que la bonne réponse arrive aux oreilles du DJ, qui distribue quelques cadeaux. De grands « oooooh » de déception répondent aux « c’est pas ça » de l’homme au micro.
Aux platines, c’est Ian Kaçara, 34 ans, qui s’occupe de l’ambiance. « Je n’étais pas au club, mais la Humpafascht, c’était l’événement pour les jeunes des alentours », se souvient-il. Ce sont des « camarades de primaire », membres du club, qui l’ont contacté pour rajeunir l’événement il y a six ans et donner « une ambiance discothèque » aux soirées.
Sa nuit est loin d’être finie. À 1h, il laisse les commandes à un autre DJ et fonce vers le Rota, la boîte de nuit de Colmar où il officie chaque week-end. La Humpafascht est la seule fête de village qu’il anime cet été. Mais pour le samedi soir, il a même pris congés. Il reste jusqu’à la fermeture à 3h pour la soirée « Tsunami », à destination des plus jeunes. Au programme, percussions, body painting, show de flammes ou encore gogo danseuses…
Sous le chapiteau justement, c’est encore calme. Une simple musique de fond et de nombreuses tables permettent de se retrouver. En famille, Clément raconte avoir vite décidé d’inscrire son fils Enzo au club après avoir affronté l’ASBH. « On a joué ici avec mon équipe de Bollwiller et on pris une piquette ! » Cet ancien militaire de 30 ans, aujourd’hui électromécanicien, est très satisfait de l’ambiance. « Ils ont de superbes infrastructures. J’ai fait plusieurs gros clubs par le passé, mais il n’y avait pas cet esprit », explique ce natif de Haute-Marne, qui a notamment vécu à Mulhouse et à Brunstatt. L’ASHB, c’est 475 licences au total, ce qui en fait l’un des 5 plus gros clubs du Haut-Rhin. Les inscriptions y sont limitées, car le nombre de terrains et de bénévoles n’est pas extensible.
« Ici, c’est le bonheur »
Il discute avec Bruno, une figure du club. « Ici c’est le bonheur » dit le retraité qui vient « quatre jours par semaine ». Seule inquiétude pour Bruno, la réaction des jeunes qui n’ont pas connu de fête d’ampleur pendant deux ans, pour cause de Covid. D’ailleurs, la Humpafascht dispose d’un imposant dispositif de sécurité avec une quinzaine d’agents de sécurité en coupe vent jaune fluo. Un mauvais souvenir est dans les mémoires : en 2007, une personne exclue de la soirée avait foncé avec son véhicule dans la foule causant un mort et 16 blessés. Tous les ans se tient un match à la mémoire du joueur de 21 ans décédé.
Dans quelques semaines, la famille de Clément va quitter l’Alsace « avec regret ». Il va rejoindre la Haute-Saône, se rapprocher de sa famille. Surtout, il a pu construire une nouvelle maison, pour le quart du prix de leur maison actuelle avec un terrain bien plus grand. « On n’a pas l’accent du coin et à Bollwiller, il y a comme une fracture entre le village et le lotissement, qui est en fait une cité dortoir. On n’a pas été complètement acceptés », regrette un peu le père de famille.
La difficulté de s’insérer en Alsace est un sentiment que comprend Frédéric, originaire du Doubs, et qui découvre aussi la fête :
« C’est vrai qu’il faut faire l’effort, comprendre la mentalité alsacienne et se faire adopter. Avec un bon vivant et amateur de bonne chair, ça se fait vite. C’est sûr que le vegan qui ne boit pas d’alcool est mal barré… »
Fête du cochon à Ungersheim, braderies, défilé de chars à Riquewihr… Avec sa famille de six personnes, Frédéric est un habitué des fêtes de villages. Des sorties à peu de frais pour toute la famille et une manière de « décompresser de la semaine » pour ce gérant en restauration d’entreprises pour qui il est important d’avoir « les week-ends et les vacances ». Ancien footeux, il entraine l’équipe des enfants de 11 ans au FC Buhl, un club du coin « et à quelques troisièmes mi-temps ».
Alsace terre de fêtes ?
L’Alsace une terre de fêtes qui s’ignore ? « On est surtout connus pour nos marchés de Noël », estime pour sa part Sandra avec son groupe de copine. Mais à écouter les trois femmes, « l’été on profite bien, ça ne manque pas d’endroits ». Parmi leurs sorties préférées, « la fête de la sorcière » à Rouffach.
Pour Frédéric, la renommée festive de l’Alsace est une évidence :
« Quand j’habitais dans le Doubs, c’était la grosse réputation. C’est dans les villages, pas dans les grandes villes que ça se passe, c’est plus petit mais il y en a partout. On faisait jusqu’à 1h15 de route pour sortir à Altkirch. »
Si le sourire est sur toutes les lèvres pour ce retour de la Humpafascht, la fête n’efface pas le souvenir d’une saison galère, avec le pass vaccinal imposé à la rentrée, puis les nombreux joueurs contaminés lors des vagues Omicron. « Dans notre division, six équipes sur douze ont fait forfait général, on n’a pas beaucoup joué. Il y a aussi des gens qui ont vu que la vie sans foot, ça allait aussi. On a galéré en alignant parfois des équipes sans remplaçant, heureusement que des vétérans sont venus dépanner », raconte Joseph. Tout le monde espère que « ça reparte » normalement pour septembre.
Des feux qui se font attendre
Il est 23h. Beaucoup de monde s’est déjà pressé le long du ruban en plastique pour être aux premières loges pour le feu d’artifice et le bûcher dans la nuit noire. On attend. D’autres entament quelques pas de danse sur le fond musical. Au loin, les pompiers s’animent. Pour Marine, venue avec une copine de Wintzfelden, c’est « un peu long ». « On voulait danser, on pensait que la musique démarrerait avant le bûcher ». Les fêtes de villages, « j’ai baigné dedans, c’est un passage obligé », raconte-t-elle : « On cible celles qu’on connait, ça change des boîtes, on y connait du monde et chaque village a son truc ». Les deux amies attendent notamment avec impatience les fêtes du vin en août.
Ce retard n’entame pas la patience d’Amélie et Arthur venus d’Ottmarsheim « fêter leur bac », à près de 30 minutes de route. « On attend la chaleur », explique Arthur qui a vu d’autres bûchers dans la vallée de la Thur. Pour Amélie, c’est une première. Arthur est surtout « étonné de voir autant de monde, beaucoup d’événements ont du mal à reprendre ». Comme une grande partie de sa classe, ils iront en BTS à Fougerolles (Haute-Saône) pour apprendre à gérer des exploitations agricoles. Arthur sait ce qu’il veut, il se voit à la tête d’une entreprise « céréalière et avec des vaches à viande ».
À 23h45, le feu d’artifice démarre enfin. C’est au tour des deux buchers de s’embraser. « Ça nous a pris 4 / 5 soirées avec un gars bûcheron du club », précise Joseph. Les flammes mettent quelques minutes à atteindre le sommet, et diffuser un peu de chaleur. Il éclaire le stade et la foule, happée par cette vision.
Les plus jeunes, eux, ne s’attardent pas face au brasier. Ils font demi-tour, passent devant le four à tartes flambée où l’on continue de s’activer et se pressent sous le chapiteau. Cette fois, les projecteurs multicolores balaient le plafond et le sol. Les tubes des années 1990 et 2000 tournent à plein et Ian Kaçara chauffe la foule. Il n’y a pas de temps à perdre, il reste à peine deux heures de fête.