Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Les détails de la fermeture de l’Université de Strasbourg cet hiver

Les détails de la fermeture de l’Université de Strasbourg cet hiver

Le conseil d’administration de l’Université de Strasbourg a voté le changement de calendrier universitaire pour intégrer les mesures de « sobriété énergétique » annoncées par Michel Deneken en septembre. Le rétropédalage, annoncé par Rue89 Strasbourg, est désormais acté.

Malgré les critiques de toutes parts, le point a été adopté par le conseil d’administration de l’Université de Strasbourg (Unistra). Mardi 8 octobre, vers 16 heures, par 21 voix pour et 13 contre, le nouveau calendrier universitaire 2022/2023 a été adopté. Cette modification était nécessaire pour appliquer le projet du président de l’Unistra, présenté sur les réseaux sociaux lundi 19 septembre 2022. Michel Deneken annonçait alors la fermeture des bâtiments accessibles aux 57 000 étudiants du 3 au 9 janvier 2023. Pour le mois de février, le président prévoyait une fermeture d’une semaine supplémentaire avec des cours qui n’auront lieu qu’en distanciel.

Mais ce nouveau calendrier universitaire ne correspond pas tout à fait aux annonces initiales du professeur de théologie Deneken. Comme nous le révélions dès la fin du mois de septembre, le président de l’Unistra a payé le manque de concertation en amont de sa communication sur la sobriété énergétique de l’université strasbourgeoise. Isolée, la présidence de l’université a ainsi dû rétropédaler. Dès le lundi 26 septembre, Michel Deneken a ouvert la possibilité pour les personnels de continuer à travailler sur le campus en février.

Une assemblée générale des étudiants à l’initiative du syndicat Solidaires, mardi 8 novembre. Photo : GK / Rue89 Strasbourg

La deuxième semaine de fermeture sera pendant les congés

La modification du calendrier universitaire votée par le conseil d’administration réunie le 8 novembre est conforme à ce rétropédalage. Certes, il est toujours question « d’introduire deux semaines de fermeture des bâtiments de l’Université de Strasbourg ». Mais l’une de ces deux semaines de fermeture n’est plus contrainte, comme le détaille la délibération, que Rue89 Strasbourg a pu consulter :

« La première semaine concernée est celle du 2 janvier 2023 qui suit les congés de Noël. L’Université serait donc fermée jusqu’au dimanche 8 janvier inclus. Il sera donc procédé à une trêve pédagogique du 3 au 6 janvier 2023.

La deuxième semaine de fermeture est celle des congés universitaires du 20 février au 27 février (les étudiant.e.s ne sont donc pas impactés, les laboratoires sont concernés par exemple, NDLR). Les composantes, laboratoires et services qui le peuvent sont également invités à fermer la semaine du 13 février, semaine de vacances scolaires qui précède la semaine de vacances universitaires obligatoire. »

Le point voté confirme « l’ouverture de certaines bibliothèques même pendant les périodes de fermeture ». Il évoque aussi des « mesures d’accompagnement » pour garantir « les meilleures conditions possibles d’études et de révisions », sans plus de détails… En restant tout aussi vague, le texte voté appelle les composantes de l’université « à réorganiser les activités pédagogiques pour libérer ces deux semaines sans suppressions d’enseignements. »

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Le collectif Piquet féministe réclame la démission de Serge Oehler, condamné pour violences conjugales

Le collectif Piquet féministe réclame la démission de Serge Oehler, condamné pour violences conjugales

Lundi 7 novembre, six membres du collectif Piquet féministe manifestaient devant le conseil municipal strasbourgeois. Leur premier objectif : la démission du conseiller municipal et départemental Serge Oehler.

« Hommes violents, hors de nos représentants », « Oehler démission », « La sororité nous sauvera »… Devant le palais des fêtes, six membres du collectif Piquet féministe portent leurs revendications sur des pancartes en carton. Elles attendent les hommes et femmes politiques à l’entrée et à la sortie du conseil municipal strasbourgeois. Leur premier objectif : la démission du conseiller municipal et départemental Serge Oehler suite à sa condamnation pour violences habituelles sur son ex-femme (dont le témoignage est à lire ici). Comme l’explique l’une des membres du Piquet féministe, Emmanuelle Artiguebieille :

« Aujourd’hui, Serge Oehler continue de représenter des citoyens au niveau de la ville et du canton. Il siège aussi dans plusieurs conseils d’administration de collèges. Qu’est-ce que ça renvoie comme message aux collégiens ou aux hommes condamnés pour violences conjugales ? Détendez-vous, même condamné pour violences conjugales, il ne vous arrivera rien. »

Lundi 7 novembre, six membres du collectif Piquet féministe ont manifesté à l’entrée du conseil municipal pour la démission du conseiller municipal Serge Oehler. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Serge Oehler refuse de démissionner

Les rassemblements pour la démission de Serge Oehler ont commencé après sa condamnation en décembre 2021. Selon Emmanuelle Artiguebieille, cette pression militante reste nécessaire tout en reconnaissant « une attention croissante des politiques, même de droite, sur la question éthique posée par un homme condamné pour violences conjugales qui garde son mandat. »

Deux jours après la condamnation de Serge Oehler, la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian et la présidente de l’Eurométropole Pia Imbs avaient décidé de lui retirer les délégations confiées en sa qualité d’élu du conseil municipal et du conseil de l’Eurométropole. L’homme politique a ainsi été contraint de quitter ses fonctions au sein du Marché Gare, du pôle funéraire, de la commission des foires et marchés et de la commission des jardins familiaux.

Si Serge Oehler a accepté de quitter le Parti Socialiste (PS), il a refusé de démissionner de ses mandats malgré la demande de la section locale du PS. Dans un communiqué publié le 10 décembre 2021, les meneurs des socialistes du Bas-Rhin ont dit regretter ce refus de l’ancien adjoint aux Sports et du quartier de Hautepierre-Cronenbourg de Roland Ries.

« Le problème, ce n’est pas qu’Oehler »

Aucune réaction du côté de la présidence du conseil départemental. Puisque Serge Oehler a fait appel de la décision du tribunal judiciaire, Frédéric Bierry (LR) attend la décision de la cour d’appel. « On attend impatiemment l’audience en cour d’appel… mais la justice traîne », regrette Emmanuelle Artiguebieille.

Présent lors du conseil municipal fin septembre, Serge Oehler a donné procuration de son vote à Dominique Mastelli, un élu PS, pour le conseil de novembre. Mais pour Emmanuelle Artiguebieille, cette absence est déjà une petite victoire : « J’espère que c’est nous qui l’avons fait fuir », affirme-t-elle, le sourire aux lèvres. Et la militante de rappeler que l’ambition du collectif va bien plus loin que la démission d’un homme politique : « Nous sommes ici pour dénoncer les propos et pratiques sexistes, ainsi que les hommes violents parmi nos représentants. Le problème, ce n’est pas qu’Oehler. »

Le délicat temps de « Pause » des chercheurs en exil à Strasbourg

Le délicat temps de « Pause » des chercheurs en exil à Strasbourg

Depuis 2017, des chercheurs ou des artistes menacés dans leur pays sont pris en charge par le programme national Pause. À Strasbourg, l’Unistra en a accueilli treize depuis le lancement. Neuf dossiers de plus ont été présentés en septembre. Si la mise à l’abri et la poursuite des recherches sont assurées, mener une vie normale reste souvent hors de portée.

Ça a été une « bouée de sauvetage », une « porte ouverte dans un couloir de portes fermées », une « main tendue qui redonne espoir ». Les analogies qui viennent à la bouche des chercheurs bénéficiaires du programme Pause sont éloquentes. Elles révèlent autant du cauchemar auquel ils ou elles tentaient d’échapper, que du refuge qu’a représenté l’entrée dans ce programme de soutien.

Mis en place depuis 2017, le Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil (Pause), propose de financer des contrats de chercheurs ou d’artistes dont la vie ou les travaux sont en danger dans leur pays d’origine. Les dossiers sont proposés par des labos et centres de recherche partout en France, à raison de trois appels à candidatures par an. Depuis le début de la guerre en Ukraine, des mesures exceptionnelles ont été prises : plus de dossiers acceptés et une prolongation de six mois des chercheurs et artistes ukrainiens. 

13 chercheurs et chercheuses accueillis depuis le début à Strasbourg

L’Université de Strasbourg (Unistra) a participé à la mise en place de ce programme, et accompagné depuis le début 13 chercheurs et chercheuses, comme l’explique Mathieu Schneider, vice-président culture, sciences, société et action solidaire : 

« Nous avions déjà accueilli et soutenu Pinar Selek, doctorante turque persécutée par les autorités de son pays entre 2011 et 2014. Cette expérience nous a permis de participer aux réflexions lancées au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à l’époque en 2015. Depuis, l’Unistra répond à presque tous les appels à candidatures, à chaque fois avec deux ou trois noms. »

Pinar Selek, chercheuse turque en exil a été accueillie à l’Unistra de 2010 à 2014, est aujourd’hui enseignante-chercheuse à l’Université côte d’Azur (UCA).

Accueillir l’excellence en danger

Le financement du programme est assuré à 40% par l’établissement d’accueil. À Strasbourg, le budget est abondé par les fonds Idex (initiatives d’excellence), et représente 100 000 euros par an (150 000 en 2022 en raison de la prolongation des chercheurs ukrainiens). Les labos de sciences humaines  ayant moins de moyens, une enveloppe globale est mise en place pour que tous les profils aient le même appui financier de l’université. 

Pour Mathieu Schneider, puiser dans les fonds d’excellence se justifie totalement. Les savoirs et les recherches poursuivies par les chercheurs en exils sont une chance et une richesse pour l’université française :

« C’est tout à fait cohérent. L’excellence, ce n’est pas que les prix Nobel, mais aussi la variété de la recherche et l’accueil que l’on réserve aux chercheurs étrangers. »

À la suite de la guerre en Ukraine, le programme Pause a mobilisé des fonds spéciaux et une procédure en urgence. Manifestation du 26 février 2022 à Strasbourg Photo : Danae Corte / Rue89 Strasbourg / cc

Natalia (prénom d’emprunt) vient de rejoindre le programme. Elle est arrivée à Strasbourg début octobre pour poursuivre des recherches en biologie. Russe d’origine ukrainienne, elle a quitté son université en Russie après des mois d’angoisse. Elle ne veut pas être plus précise sur sa ville, et ne veut pas être prise en photo. Elle a peur qu’on la retrouve, elle ou sa fille qui a fui dans une autre ville française pour continuer ses études :

« Partir, j’y pensais depuis un moment, mon mari me disait de temporiser. Mais avec le début de la guerre en Ukraine c’est devenu évident. J’entendais sans arrêt mon patron et ses collègues au labo dire : ”il faut éliminer tous les Ukrainiens”, ”on va tous les tuer”. Et il savaient très bien que j’étais d’origine ukrainienne. La situation est devenue intenable, j’entendais cela dans le bus, sur le marché, partout… »

La chercheuse d’une quarantaine d’années a déjà résidé en France pour ses recherches. Elle contacte peu après le début de la guerre l’Inserm, où elle dispose de relations professionnelles et expose sa situation. Mais personne ne lui répond ni n’accuse réception de ses messages. C’est finalement l’Unistra qui lui propose d’appuyer son dossier, en avril 2022, pour rejoindre Pause :

« J’ai appris par la suite que l’Inserm avait donné consigne à son personnel de couper les liens avec les ex-collègues russes. J’ai envoyé 50 messages, et je n’ai eu une seule réponse : celle de l’Unistra. »

Des vies fragiles hors du labo

Chaque mois, Natalia bénéficie d’un salaire de 2 700 euros bruts, qui doit lui permettre de se loger avec son mari et d’aider financièrement sa fille. Le salaire est généreux reconnaît Natalia, mais d’autres problèmes ont émergé et Pause ne peut tous les résoudre.

Son mari, par exemple, n’est pas en règle. Il est venu en catastrophe avec un visa touristique. Le couple a entamé des démarches pour régulariser son titre de séjour, mais la réponse de la préfecture tarde à venir. Ils ne sont pas les seuls dans cette situation : Natalia connaît deux autres scientifiques venus via Pause en France dont les conjoints se retrouvent suspendus à une décision de l’administration, moins prompte à réagir que le dispositif pourtant issu de l’État.

Trouver un logement s’avère également un casse-tête : les agences immobilières n’ont que faire de son salaire, de sa situation, de l’absence de garant ou de preuves de revenus antérieurs, tout les effraie… Et Natalia ne peut même pas demander un logement social, tant que la situation de son mari n’est pas réglée. Natalia aimerait se consacrer entièrement à son travail car, comme elle le dit :   

« C’est un réconfort, quand je me mets à ma recherche, j’oublie ma situation. Je ne suis pas seule, ça me donne de l’espoir et je suis mieux que mes collègues qui sont restés en Russie. »

Le bâtiment de la formation continue à l’Université de Strasbourg Photo : Manuel Magrez / Rue89 Strasbourg / cc

Pour bénéficier du programme Pause, les candidats doivent répondre à trois critères indispensables : avoir un statut dans son université d’origine (de doctorant à enseignant chercheur) ou d’artiste, justifier d’une situation d’urgence, être encore dans le pays ou l’avoir quitté depuis moins de trois ans. Marie Déroche, en charge des chercheurs et étudiants en exil pour l’Unistra, insiste sur l’examen approfondi des dossiers :

« Il y a une exigence scientifique forte. Par ailleurs, venir d’un pays en guerre ne suffit pas. Il faut montrer l’urgence de sa situation, pour sa sécurité ou celles de ses recherches, cela peut être un document de radiation, des e-mails ou des détails qui prouvent l’urgence d’un départ. »

Face aux crises : pouvoir agir rapidement

L’appui des universitaires de France est aussi essentiel. Certains gardent le lien avec les ex-thésards ou chercheurs qui ont été de passage, prennent des nouvelles et se mobilisent pour leur ex-collaborateurs. Un mentor est désigné dans chaque unité de recherche pour accompagner le lauréat, faciliter son intégration et la poursuite de son travail. 

L’une des grandes forces du programme Pause, c’est de pouvoir agir rapidement. Au moment où le programme est mis en place en 2017, la guerre en Syrie fait rage, de même que les purges dans l’université en Turquie. Beaucoup de lauréats des premières années sont originaires de ces deux pays. Ils ont parfois été exfiltrés. 

Ukrainiens et Russes aujourd’hui, quid des autres pays ?

Aujourd’hui, Ukrainiens et Russes représentent une bonne partie des dossiers présentés, mais à l’Unistra, Mathieu Schneider insiste sur le fait que ce n’est pas au détriment des autres :

« Chaque année, l’Unistra présente deux à trois candidats. Nous avons augmenté le nombre de dossiers présentés : neuf pour le dernier appel, clos en septembre. Un scientifique syrien et un haïtien font partie des candidats. » 

La faculté de droit. Chaque laboratoire peut présenter un ou plusieurs candidats Photo : SW/ Rue89 Strasbourg / cc

Certains pays ne sont que peu représentés comme l’Afghanistan notamment. Et ce même si de nombreux réfugiés ont fui ce pays après la prise de pouvoir par les Talibans en août 2021 et que la situation des chercheurs, la liberté d’expression et la simple présence des femmes à l’université sont remises en cause. Pour comprendre, il faut regarder du côté du ministère des Affaires étrangères et des autorités françaises, selon Mathieu Schneider qui préside aussi le MeNS (Migrants dans l’Enseignement supérieur). Il déplore :

« En tout, seulement 39 étudiants afghans ont été accueillis en France. J’ai entendu au ministère des Affaires étrangères : ”l’Afghanistan est un pays pacifié”. En vérité, les autorités françaises ne veulent pas accueillir les Afghans. » 

Une pause de courte durée : la difficile sortie du programme

Si Pause est une bouée de sauvetage, la prise en charge des chercheurs est très limitée dans le temps. Six mois, un an, deux maximum. Peu adaptés à la fois au temps long de la recherche, mais aussi à l’installation d’une personne en fuite et à celle de sa famille dans un pays étranger. Un accompagnement est cependant prévu à la sortie du programme, précise Marie Déroche :

« À peine arrivés, ils doivent penser à la suite. Ils n’ont que très peu de chances de continuer à l’université, ils sont beaucoup moins bien placés pour les recrutements, leurs dossiers sont moins solides, ils ont des parcours accidentés et moins de publications ou pas du tout en français. »

C’est ce que Jean-Jacques Madianga s’apprête à découvrir et il appréhende un peu. Le docteur en droit doit soutenir en décembre sa thèse en sciences juridiques comparées, mais il s’est déjà inscrit à Pôle emploi en prévision de la suite. Pause lui permet d’obtenir un an de séjour en plus, et ce qu’il a perçu en salaires (de 900 à 1 200 euros par mois) lui ouvre droit à des allocations. 

Jean-Jacques Madianga a pu terminer sa thèse en sciences juridiques dans le cadre de Pause Photo : SW / Rue89 Strasbourg / cc

Il espère pouvoir exercer en tant que juriste. Il ne fait pas du tout ses 50 ans, un âge qui ne joue pas en sa faveur auprès des recruteurs. Son projet est de faire venir sa femme et ses deux petites filles desquelles il vit séparé depuis six ans, lorsqu’il a dû fuir en urgence la République démocratique du Congo.

À l’époque, l’opposition monte dans le pays contre le président Joseph Kabila, qui malgré la Constitution, veut briguer un troisième mandat. Jean-Jacques Madianga, avocat et enseignant en droit constitutionnel et en libertés publiques, fait partie des opposants à ce coup de force. Menacé de mort, tabassé chez lui par des hommes lourdement armés, il rejoint en urgence un programme d’échange en Allemagne pour poursuivre son doctorat. Mais au bout de trois ans, à la fin du dispositif, il n’a toujours pas d’issue :

« Sans Pause, je n’aurais pas avancé, je me demandais si je ne devais pas rentrer au pays et perdre les trois années de thèse. J’ai une gratitude immense : sans ce programme je n’aurais pas pu réaliser ce que je suis en train de finir. Mais là, je suis dans l’incertitude : je sais que je n’ai plus droit à un financement, mais j’aimerais être orienté et mieux informé sur les perspectives en dehors du milieu académique, qui m’est inaccessible. »

Et après ?

Beaucoup essayent en effet de s’orienter vers le secteur privé. Ce n’est pas toujours facile, cela veut dire faire le deuil d’une carrière académique. En fonction des spécialités, les entreprises sont plus ou moins intéressées également. Les sciences dures offrent plus de débouchés. Des bilans de compétences sont offerts, un lien avec des associations comme Kodiko ou Singa qui aident à l’emploi des réfugiés.  

L’Unistra n’opère pas de suivi des ex-lauréats Pause, mais Marie Déroche garde la trace et le lien quand c’est possible. Un des ex-chercheurs syriens s’est fait embaucher par un labo pharmaceutique, un autre lauréat a envoyé des nouvelles : il est prof dans le secondaire à Lyon. Mais certains ne répondent plus aux messages, regrette-t-elle : 

« Être en situation d’exil, laisser sa famille derrière soi, avoir vécu des expériences de violences extrêmes, cela s’accompagne aussi de traumatismes : tout ceci laisse des traces. Cela peut être encore plus difficile de se réinsérer professionnellement en traînant ce passé derrière soi. »

Au conseil municipal, l’urgence sociale en débat

Au conseil municipal, l’urgence sociale en débat

Le conseil municipal de ce lundi 7 novembre va se pencher sur les difficultés sociales grandissantes dans Strasbourg et l’ouverture d’un nouveau lieu d’accueil d’urgence, « La T-Rêve ». Un sujet de plus en plus clivant dans l’hémicycle. À suivre en direct et avec nos commentaires à partir de 12h30.

En septembre, le conseil municipal a pris des allures d’univers parallèle. L’opposition Renaissance a par exemple tenté une comparaison hasardeuse entre la victoire de l’extrême-droite en Italie et la fermeture des musées un deuxième jour par semaine à Strasbourg. Un peu plus tard, le mandat écologiste a été qualifié de « chapitre parmi les plus sombres de notre histoire », une expression d’habitude réservée à la période nazie… C’est le problème quand les séances durent une dizaine d’heures, on finit par raconter n’importe quoi.

En face, les écologistes peinent parfois à répondre clairement à des questions simples, se perdant dans de longues déclarations fourre-tout. Sur les nerfs face aux attaques, leurs élus ne contribuent pas à apaiser les tensions. Lorsqu’ils ont vu « un relent d’islamophobie » chez leurs opposants lors du débat sur le financement des lieux de culte, ce type de propos a eu le don d’outrer l’opposition et de tendre un peu plus les échanges.

C’est donc dans ce contexte de franche camaraderie, et d’une polémique sur le marché de Noël qui a fait les choux gras des oppositions, que les élus strasbourgeois se retrouvent lundi au Palais des Fêtes pour célébrer un nouveau moment de démocratie locale.

La question sociale se politise

La séance du 7 novembre va traiter d’un univers bien réel pour plus d’un quart des Strasbourgeois, à savoir la précarité. En 2018, 26% de la population vivait sous le seuil de pauvreté, soit moins de 1 083 euros par mois. La moyenne française est de 22%.

La question sociale est symptomatique des sujets devenus plus clivants depuis ce mandat, ressuscitant le clivage gauche-droite. Sous l’ancien maire Roland Ries (PS, passé chez Renaissance), l’ouverture de 100 places pour sans-abris avait été saluée. L’ancienne majorité avait aussi adhéré à l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), malgré les abstentions de la droite locale.

Lorsqu’en début de mandat, les écologistes ont poursuivi avec l’ouverture de 100 nouvelles places d’hébergement d’urgence, tous les groupes avaient voté favorablement. Mais au fil du temps, les critiques ont émergé sur la politique sociale. Suite à plusieurs gestes (retrait de l’arrêté anti-mendicité, poursuite de l’ouverture de places, absence d’évacuation de squats), Jeanne Barseghian est accusée d’être responsable du retour de campements de sans-abris dans la ville depuis la fin de la crise sanitaire. La situation dramatique du camp de l’Étoile fait l’objet d’une interpellation de l’élue PS Céline Geissmann.

Désormais, le « principal reproche » de l’ancien maire envers Jeanne Barseghian (EE-LV) et son équipe est d’avoir « ouvert largement les vannes », a déclaré Roland Ries sur BFM Alsace. Au niveau national également, le gouvernement a renoncé à son projet de suppression de places d’hébergement sous pression de maires de villes de gauche et écologistes.

Le conseil municipal se réunira de nouveau au Palais des Fêtes en raison des travaux dans le bâtiment de la Place de l’Étoile. Photo : JFG . Rue89 Strasbourg

Un diagnostic sur l’augmentation des difficultés

La séance du conseil municipal va débuter (point 2) avec la présentation d’une « analyse des besoins sociaux » à Strasbourg, conduite par les services du Centre communal d’action sociale (CCAS).

Parmi les constats :

    Strasbourg compte 21% de population immigrée en 2017, la moitié résidant dans les quartiers aisés, ce qui s’explique probablement par la présence des institution européennes. Le taux de pauvreté estimé en 2017 est compris entre 8 % (Orangerie-Conseil des XV) et 51% (Neuhof-Cités) selon les quartiers. En 2019, 15 786 ménages strasbourgeois (12%) sont totalement dépendants des prestations sociales, en hausse de 27% par rapport à 2013. Fin 2021, plus de 2 600 personnes étaient hébergées à l’hôtel au titre de l’hébergement d’urgence, dont une majorité de familles avec enfants (47%). De 2016 à 2020, le nombre de demandeurs d’emploi à Strasbourg oscille autour de 30 700 et le taux d’emplois précaires est de 22,4%. Selon les quartiers, cette part varie de 13,4% (Neuhof-Village) à 34,1% (Port du Rhin). La mortalité prématurée, avant 65 ans, est de 204 décès pour 100 000 habitants, une moyenne supérieure au reste du Bas-Rhin, du Grand-Est et de la France. Elle est trois fois plus élevée dans les quartiers populaires, qui présentent un déficit d’offre de soins. Entre 2013 et 2019, le nombre d’allocations adulte handicapé (5 592 allocataires) et d’allocations d’éducation de l’enfant handicapé (903 allocataires) ont augmenté respectivement de 35 et 26%, résultant d’une meilleure prise en compte des situations.

« La T-Rêve »: nouveau lieu d’accueil jusqu’en 2024

Comme souvent, les écologistes compilent des statistiques et des chiffres. Pour quelles suites ? La municipalité tente de formuler une réponse avec l’ouverture d’un nouveau lieu d’accueil, qui sera créé dans l’ancien foyer Saint-Joseph à Koenigshoffen (point 28). Ce bâtiment a été acquis à l’origine par la Ville pour créer une cantine et une salle de gym, à côté de l’école Camille Claus, mais le chantier ne débutera qu’en 2024. Entre temps, la municipalité utilise ce délai pour mettre en œuvre de « l’urbanisme transitoire ».

Dès le 29 novembre 2022 et jusqu’au début des travaux, un nouveau lieu d’accueil baptisé « La T-Rêve » sera donc ouvert en journée dans le foyer et permettra aux personnes exilées d’avoir un endroit pour passer du temps et être orientées vers les différents dispositifs. L’adjointe en charge des solidarités, Floriane Varieras, détaille les premiers contours de ce lieu qui sera « évolutif » :

« Son nom fait référence à un lieu de pause. Et au rêve de faire une société moins abîmée. En plus des associations spécialisées dans l’accueil, le lieu sera ouvert aux voisins ou à toute personne pour que chacun puisse participer à l’accueil de personnes en exil. »

Avec ce projet estimé à 400 000 euros, la Ville compte en quelque sorte répliquer au centre d’accueil place de la Bourse pour les Ukrainiens, mais ouvert à tous les exilés quel que soit leur pays d’origine. « Nous ne trierons pas entre les gentils et les méchants », ajoute Jeanne Barseghian.

Acheté dans le quartier de Koenigshoffen par la Ville à côté de l’école Camille Claus, le foyer Saint-Joseph dans le quartier va provisoirement être un lieu d’accueil pour les personnes exilées. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Ce bâtiment avait été proposé à l’État pour ouvrir des places d’hébergement d’urgence, mais la préfecture a écarté la proposition. Il faut dire qu’entre la hauteur sous plafond, de grands espaces sans cloison et le manque de sanitaires, le lieu n’est pas vraiment adapté à du logement temporaire.

La Poste, le vélo et le stationnement en fin de séance

Parmi les autres points à l’ordre du jour, il sera question de la mise à disposition gratuite de la boutique rue Mercière (point 22). Ce lieu accueillera la future « conciergerie », avec notamment les services de La Poste, qui va fermer son bureau de l’autre côté de la place de la Cathédrale (voir notre article).

En fin de cette séance à l’ordre du jour restreint (29 points), ce sera la moment des interpellations, résolutions et autres motions avec une douzaine de débats supplémentaires. Pour le groupe « Renaissance » et ses alliés, l’omniprésent Pierre Jakubowicz (Horizons) est à l’origine de six des huit textes déposés. Au programme notamment, « des choix d’investissements contestables dans le cadre du plan vélo », les amendes de stationnement, un soutien à l’Arménie ou encore l’installation de poubelles de tri dans l’espace public.

Assises alsaciennes de la Protection de l’enfance : « Au-delà de la communication, des décisions attendues »  

Assises alsaciennes de la Protection de l’enfance : « Au-delà de la communication, des décisions attendues »  

Alors que la Collectivité européenne d’Alsace organise les Assises alsaciennes de la prévention et de la protection de l’enfance les 9 et 10 novembre, les quatre élus du groupe écologiste et communiste à la CeA s’interrogent sur cet évènement inédit. Dans cette tribune, ils réclament davantage d’actions de la part de la collectivité.

« La protection de l’enfance est une des compétences centrales de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA). Le secteur est confronté à quatre difficultés majeures : l’augmentation du nombre d’enfants confiés, la sortie des jeunes majeurs du dispositif, la saturation de tous les dispositifs et les difficultés de recrutement.

Plus d’enfants confiés, faibles accompagnements des jeunes majeurs

La première est la forte augmentation du nombre d’enfants confiés en Alsace. En six ans, ce sont 440 mineurs supplémentaires qui ont été confiés, soit une hausse de 12%. L’accueil des mineurs non accompagnés fait aussi face à une forte augmentation depuis septembre 2021. L’accueil en milieu ouvert dans le Bas-Rhin est lui passé de 1 400 enfants en 2012 à près de 1 900 enfants dix ans plus tard.

La seconde difficulté est la faiblesse de l’accompagnement pour d’anciens mineurs confiés qui viennent d’atteindre la majorité. Les conséquences sont dramatiques : 25% des personnes sans abri sont aujourd’hui issues de l’ASE. Dans le Haut-Rhin, seuls 178 jeunes majeurs font l’objet d’un accompagnement à travers le Contrat Jeunes Majeurs dont la généralisation a été rendue obligatoire par la loi Taquet du 7 février 2022. Par ailleurs, le déficit de construction de solutions d’hébergement pour les jeunes majeurs tend à opposer les mineurs et les jeunes majeurs. Ainsi, dans le Bas-Rhin, sur 430 jeunes ayant atteint la majorité en 2020, plus d’une centaine bénéficient d’un hébergement au détriment de solutions pour les nouveaux mineurs confiés. 

Florian Kobryn, Ludivine Quintallet, Damien Fremont et Fleur Laronze sont conseillers d’Alsace à la CeA, membres uniques du groupe d’opposition écologiste et communiste dans l’assemblée qui rassemble 80 conseillers au total. Photo : remise

Saturation des dispositifs et problèmes de recrutement

La troisième difficulté est la saturation de l’ensemble des dispositifs empêchant l’accueil de tous les enfants confiés par le juge. La situation est dégradée au point que Frédéric Bierry (président de la CeA) et Nicolas Matt (Vice-Président de la CeA en charge de cette thématique) se retrouvent contraints d’organiser une véritable omerta sur le sujet. Tous deux refusent de communiquer le nombre de placements non exécutés : refus de répondre à cette question par mail, par courrier, en commission ou même en séance plénière le 20 octobre dernier. Combien d’enfants sont ainsi laissés exposés à une situation que le juge a qualifié de dangereuse ? 

La quatrième difficulté concerne le recrutement des travailleurs sociaux. Dans le contexte décrit plus haut, la dégradation des conditions de travail conduit à une perte de sens dans leurs missions. C’est un véritable cercle vicieux qu’il faut rompre : la dégradation des conditions de travail met en danger les travailleurs sociaux, il en découle de nombreux départs ou arrêts maladie, ce qui entraîne une nouvelle dégradation des conditions de travail et d’accueil des enfants, etc. 

Une demande de Mission d’information et d’évaluation déposée par le groupe écologiste refusée

Face à ces constats, notre groupe Alsace écologiste, citoyenne et solidaire a déposé en février 2021, une demande de Mission d’Information et d’Evaluation (MIE). Elle visait à établir un état des lieux transparent et public, d’une part, de la prise en charge des mineurs confiés, et, d’autre part, des conditions de travail des professionnels. 

Le président, Frédéric Bierry a refusé cette MIE et lui a préféré l’organisation des Assises de la Protection de l’Enfance prévues les 9 et 10 novembre prochains. Nous partageons bien sûr la nécessité d’associer l’ensemble des parties prenantes et de développer de nouvelles approches complémentaires. 

Toutefois, en l’absence d’une enquête officielle et approfondie, ces Assises se profilent comme une opération de communication, voire une tentative de diversion de la majorité. Les structures et les acteurs et actrices de la protection de l’enfance attendent pourtant des décisions à la hauteur de l’urgence vécue par les mineurs et par les travailleurs sociaux. 

Propositions : baisser le taux d’encadrement, augmenter les salaires, et créer des lieux d’accueil

Pour tenir compte des difficultés que connaît le champ de la protection de l’enfance, nous proposons trois mesures : baisse du taux d’encadrement par travailleurs sociaux, augmentation des rémunérations et création de solutions d’accueil pour tous les enfants confiés.

Aujourd’hui, 30 voire 31 ou 32 enfants sont confiés pour un éducateur en milieu ouvert. Il est temps que la CeA décide de confier au maximum 25 enfants par travailleurs sociaux. Dans les foyers, l’encadrement doit aussi être revu à la baisse face à la complexité des situations. Pour l’accueil en milieu ouvert, le Bas-Rhin se distingue en outre par un prix de journée particulièrement bas : 7,04€/ jour quand le prix de journée au niveau national est compris entre 8 et 20€/jour. Ce prix impacte directement le nombre de travailleurs sociaux pouvant être embauchés par les structures.

Il est temps que la CeA décide de revaloriser fortement la rémunération des travailleurs sociaux, qui souffre de disparités entre les métiers et entre les services. Le Segur de la santé n’a pas concerné la rémunération de base. Il a de plus laissé au bord de la route une partie des associations délégataires de services publics relevant du département et aussi les métiers administratifs tout autant indispensables au fonctionnement des actions de solidarité. 

« Nous demandons à Frédéric Bierry de prendre ces trois décisions »

Il est temps que la CeA décide d’apporter à chaque enfant confié une solution adaptée. La saturation des dispositifs est issue d’un décrochage entre l’augmentation rapide du nombre d’enfants confiés et celle, insuffisante, des nouvelles capacités de placement. C’est ce décrochage qu’il faut rattraper aujourd’hui. Seules 105 nouvelles places étaient prévues au budget 2022 pour combler ce rattrapage. Et faute de les avoir toutes créées, ce sont à nouveau 20 enfants qui auraient dû être accueillis en 2022 et qui ne le seront toujours pas. Des solutions doivent aussi être apportées en urgence aux enfants porteurs de handicap aujourd’hui exclus de la plupart des dispositifs. 

Nous, élus du groupe Alsace écologiste, citoyenne et solidaire, demandons à Frédéric Bierry de prendre ces trois décisions. Nous lui demandons d’assumer la responsabilité qui est la sienne en tant que président d’une collectivité départementale. 

« Nous demandons une protection de l’enfance ambitieuse et exemplaire »

En 2022, la CeA n’a réalisé qu’en partie l’ampleur de la tâche à accomplir et a mobilisé de nouveaux moyens : engagement à créer une centaine de places, application du Segur du social à une partie seulement des établissements tarifés, compléments de rémunération pour les assistants familiaux alors que nous préconisons une revalorisation des salaires…

Nous lui demandons d’aller plus loin et de mobiliser les capacités financières du département au profit d’une protection de l’enfance ambitieuse et exemplaire. Les moyens sont là, mobilisables, y compris en contexte inflationniste. 

La Collectivité a terminé l’année 2021 avec 243 millions d’euros dans les caisses. Quand bien même le niveau d’endettement est au plancher (4 ans de capacité de désendettement pour un seuil d’alerte à 10-12 ans), la dette reste une obsession pour la majorité. Les 43 millions d’euros d’excédent présentés à la séance plénière du 20 octobre dernier ont simplement été mobilisés vers la réduction de la dette et de l’emprunt à contracter sans améliorer le service rendu aux Alsaciens et aux Alsaciennes.  Ces chiffres sont à comparer aux 900 000 € nécessaires pour la revalorisation du prix de journée en milieu ouvert de 1,33€/jour (pour le porter de 7,04€ à 8,37€) pour le Bas-Rhin.

« Nécessité d’augmenter les dépenses de fonctionnement »

Nous réaffirmons la nécessité d’augmenter les dépenses de fonctionnement pour répondre aux besoins du territoire. Il ne s’agit pas de gaspillage comme cela a été affirmé par certains le 20 octobre dernier. Deux leviers sont actionnables. Le premier est le recours raisonnable à l’emprunt pour assurer les investissements et dégager de la marge de manœuvre pour le fonctionnement des services publics dont la protection de l’enfance. Le second est de limiter progressivement les dépenses de prestige ou le soutien peu justifiable à certains secteurs économiques alors même que la loi NOTRe de 2015 a retiré la compétence économique aux départements.

Nous réaffirmons enfin la nécessité d’écouter la population et les acteurs du terrain. Quand Frédéric Bierry annonce en séance publique qu’il n’y a pas d’enfants à la rue à Strasbourg, nous sommes alarmés par ce déni de réalité. 

Ainsi, les constats sur la protection de l’enfance sont connus. La CeA a les compétences et les moyens pour y faire face. Il ne manque que la décision politique de Frédéric Bierry.

Partir de l’intimité pour parler à l’humanité : cinq histoires de famille à Stimultania

Partir de l’intimité pour parler à l’humanité : cinq histoires de famille à Stimultania

Cinq auteures poursuivent leur exploration du thème de la famille dans l’exposition « Cinq histoires de famille » à Stimultania, jusqu’au 7 janvier. Focus sur les écritures singulières d’un sujet qui hante.

Conter la famille, les familles. Déjouer un portrait de famille heureux et unifié. Entre les quatre murs de Stimultania, la curatrice Céline Duval dirige cinq auteures ayant pour trait commun d’avoir collaboré avec les Filigranes Éditions sur le thème de la famille. Alexandra Bellamy, Sylvie Hugues, Catherine Poncin, Rima Samman et Laure Vasconi, réunies dans l’exposition « Cinq histoires de famille », introspectent leur passé trouble et troublant. 

Cinq histoires de famille est une plongée sinueuse dans les abîmes des auteures. À mille lieues des canons esthétiques des représentations de la famille, elles élaborent des récits alternatifs aussi confidentiels qu’universels. Maniant le médium photographique — mais pas que — à des fins cathartiques voire thérapeutiques, les artistes dévoilent la survivance sinon la récurrence de fantômes. En interrogeant leurs souvenirs, elles matérialisent le retour du refoulé et mettent à nu des secrets intimes et souterrains.

Un riche dialogue se profile entre les particularités des narrations grâce à une scénographie tentaculaire qui répartit les cinq histoires dans des espaces semi-ouverts. Depuis le centre, le cœur de la pieuvre, une vue d’ensemble de l’exposition interconnecte les singularités en une unité. Cette libre communication tempère la densité émotionnelle des chroniques. Elle élimine le risque d’étouffement suscité par la présentation éparse des fragments intimistes. Un agencement spatial en partie cloisonné qui, de façon astucieuse, contrarie peut-être le discours angoissé blâmant l’omniprésence des images.

Vue d’exposition, séries El Pueblo, Par Monts et Vallons, et L’Amour se porte autour du cou Photo : Thomas Bernolin

L’épreuve du temps

En proposant un laboratoire visuel qui croise les recherches, commandes et esquisses artistiques de Laure Vasconi, « L’Après-jour » se déroule tel un parchemin moderne. L’auteure édite un montage de mémoires instantanées d’une sensibilité esthétique étonnante. Quitte à déclencher une forme sous-jacente de voyeurisme, d’intrusion dans le cadre privé, que la photographie n’exclut jamais totalement de son dispositif.

Par ce carnet de route qui défie la chronologie, Laure Vasconi s’exprime au nom de toutes et tous. Elle compose une prose visuelle sur la construction de l’identité, un chantier qui passe par la création individuelle. 

Ici, il n’y a pas de mise en garde alarmiste sur la dangerosité des flux continus. L’artiste se met à distance d’une critique convenue sur la quantité ou la valeur de l’image. Peu importe leur provenance, l’utilité parfois élémentaire qu’on leur assigne, les archives témoignent d’une volonté commune d’inscrire le moment présent. Ces documents survivent aux décennies, car ils disent d’abord quelque chose de nous.

Vue d’exposition, série L’Après-jour Photo : Thomas Bernolin

Après une immersion dans les Archives départementales de l’Orne, Catherine Poncin décide de composer littéralement, avec son projet « Par Monts et Vallons », des dyptiques à la croisée du réel et du fictif. Elle rencontre quelques habitants du département qui lui confient, non sans réticence, leurs albums de famille. À ces extraits, elle associe, par une pratique de collage, des prélèvements des fonds patrimoniaux.

Les anomalies de certains clichés – orbes de lumière (cercles transparents), flou – séduisent par leur aspect accidentel et attribuent étrangement une sorte de pureté à la matière « détériorée ». Il faut parfois se pencher, s’éloigner, approcher le visage du bord, pour identifier les subtiles opérations de collage.

Le dévoilement d’un paysage et d’un temps révolus assure le pouvoir illusoire d’immortalisation de la photographie. À l’instar du « split-screen » cinématographique (divisions de l’écran en plusieurs cadres), l’épatante discrétion de l’assemblage de deux époques différentes échafaude un circuit en dehors du temps.

Vue d’exposition, série « Par Monts et Vallons » Photo : Thomas Bernolin

Chasser les maux par des mots

Le bal des spectres débute et se conclut par « L’Amour se porte autour du cou » de la cinéaste Rima Samman. Le titre rappelle non sans coïncidence la bande originale du Peau d’Âne de Jacques Démy (1970), tant le style plastique de l’artiste perpétue l’imagerie enchantée du conte de fées. L’expérience ludique côtoie une esthétique du merveilleux par l’apport d’une colorimétrie saturée sur le matériau noir et blanc issu de photographies personnelles, de prélèvements d’archives de cousins, tantes, oncles, etc. Le geste « infantile », qui remémore le gribouillage ou le coloriage, permet surtout à l’artiste de dessiner une trace subjective sur des empreintes impersonnelles. 

Vue d’exposition, série « L’Amour se porte autour du cou » Photo : Thomas Bernolin

Pas d’enjeu résurrectionnel en vue. Remodeler une histoire vécue pour exalter les souvenirs collectifs, voici ce qui prime pour la petite fille de jadis. Par le recours à une amusante palette de couleurs contrastantes, elle met en scène une mémoire qui traduit les effets de la distance sur l’immuabilité fantasmée des relations familiales.

« À l’instant où tu rentreras dans la salle d’exposition, où tu auras posé tes pieds au centre de la scène-pieuvre, tu convoqueras ta propre histoire, tu penseras à Solange, Saïd, Patou, à ton oncle numéro deux et aux cinq autres. Tu penseras que tout s’emboîte aussi, que tout est là. Que tout peut être dit. Oui. Tes histoires. »

Céline Duval, curatrice de l’exposition

Une démarche introspective que Sylvie Hugues aborde dramatiquement dans la série segmentée « El Pueblo », une frise mêlant quinze photographies de ses parents et quinze souvenirs manuscrits. Un licenciement violent et spontané ravive en elle un cauchemar latent. Au retour d’une sortie scolaire, alors qu’elle vit dans un village près de Valence en Espagne, on lui apprend que sa mère vient d’être victime d’un féminicide causé par son deuxième mari, un policier. Elle doit alors quitter son pays à l’âge de douze ans.

À la douleur du deuil se superpose celui de l’exil. C’est en pistant et en enquêtant sur les raisons du passage à l’acte de son beau-père que Sylvie Hugues absorbe et digère la brutalité du meurtre. À l’aide d’un album de famille, du jugement du tribunal et de quelques documents jaunis, elle exorcise les démons d’un passé subtilisé en proposant une œuvre autonome et épisodique. 

Vue d’exposition, série « El Pueblo » Photo : Thomas Bernolin

Si le regard se déplace mécaniquement sur les courts paragraphes, la dominance du texte au détriment de l’image s’explique par la présence d’un calque transparent sur les photographies. Il vient obstruer et altérer la visibilité des événements. Une manière simple mais efficace de rendre compte de la naïveté et de la potentielle fausseté des représentations mémorielles mises en exergue par la photographie. 

Enregistrer les fantômes

C’est peut-être dans l’installation de « Bellamy/Bellamy » que les multiples dynamiques de l’exposition fourmillent, fusionnent entre elles, jusqu’à provoquer une intensité sans équivoque. Le projet s’inscrit dans la lignée des récits mythologiques, entrelaçant l’affect et le secret de famille. 

Par son organisation anti-spectaculaire, parsemée et non-linéaire, l’œuvre d’Alexandra Bellamy éclaire une part d’ombre aussi bien frontale qu’abstraite : l’absence de son père biologique. À l’âge de 22 ans, sa mère lui révèle l’identité d’un géniteur inconnu. En soulignant le manque à travers la fétichisation d’un lit double, d’un râteau ayant appartenu à son père, elle reproduit un vide figural qui invite à méditer sur la fonction symbolique de la photographie. C’est aussi en appelant à un imaginaire de la mort, du non-vivant, qu’elle capture les ruines d’Auschwitz sans s’engoncer dans un effet sensationnaliste malvenu. 

En variant les matériaux, allant du dessin enfantin idéaliste jusqu’à une séquence de film fragmentée, Alexandra Bellamy observe le monde qui l’entoure. Elle annote un journal intime qui lui sert d’échappatoire. Mais son point de vue se fait sans jugement ou ressentiment légitime. Après les dix minutes de l’interview dans lequel elle interroge sa mère sur son passé, se dégage une paisible douceur. On entendrait presque l’enfant lui chuchoter : « je ne t’en veux pas ».

Vue d’exposition, série « Bellamy/Bellamy » Photo : Thomas Bernolin

« Cinq histoires de famille » se délecte d’une définition claire et précise de la famille : elle symbolise autant la présence que l’absence, représente à la fois la meilleure et la pire des choses. Une vérité sur laquelle l’exposition ne manque pas de nous éclairer : la famille constitue, in fine le moteur de la genèse artistique.

#Céline Duval

Le promoteur Stradim indemnisera finalement tous les artistes participant à son jeu-concours

Le promoteur Stradim indemnisera finalement tous les artistes participant à son jeu-concours

Après avoir proposé à des graffeurs de participer à un jeu-concours en cédant leurs droits d’auteur, et sans rémunération assurée, le promoteur immobilier Stradim fait finalement marche arrière et promet 300 euros à chacun des participants. 

Moins de 24 heures après la publication de notre article sur un concours un peu particulier qui proposait à des graffeurs de créer – gratuitement et en cédant leurs droits d’auteur pour 10 ans – des œuvres sur des panneaux, le promoteur Stradim a finalement fait marche arrière.

300 euros de frais et rétrocession des droits aux artistes

Le concours Street Art Challenge s’est en effet attiré les foudres des critiques, une publicité dont Stradim se serait bien passé. Depuis jeudi 3 novembre, les utilisateurs d’Instagram peuvent toujours voter sur la page du promoteur immobilier pour leur œuvre favorite. Mais, petite nouveauté depuis le lancement du concours : tous les artistes (et non plus les deux seuls premiers à qui il sera versé 1 000 et 2 000 euros) recevront, finalement, 300 euros pour couvrir leurs frais de matériel. L’entreprise dit même vouloir aller plus loin et rétrocéder leurs droits à tous les artistes.

À l’origine, il était précisé dans le règlement du concours que « le matériel pour réaliser le graffiti est entièrement à la charge du participant » et « qu’aucune indemnisation ne pourra être demandée ».

Des conditions de participations qui avaient fait réagir l’artiste Florent Schmitt, dont l’oeuvre, dénonçant avec des mots l’exploitation des artistes par l’entreprise, n’a finalement pas été retenue par le promoteur.

« Une maladresse qui a pu heurter les artistes »

Quelques heures après la publication de notre article, Stradim a publié un long commentaire. Et tente de justifier sa démarche avant d’annoncer cette nouvelle clause du règlement :

« Conscient que notre démarche n’a pas été formulée dans le droit esprit de mécénat qui nous anime depuis tant d’années, nous nous permettons d’ajouter un point complémentaire à notre concours. À savoir l’indemnisation des artistes quant à leurs frais de matériel. »

Selon les termes de Stradim, tous les artistes pourront donc bénéficier de ce remboursement, quelle que soit la taille ou la complexité de l’œuvre réalisée. Quant à la cession de droits, Stradim assure, toujours dans cette réponse écrite, que :

« Les artistes sont les seuls propriétaires intellectuels de leurs œuvres, sans limite de temps. Les droits patrimoniaux sont rétrocédés aux auteurs à l’issue de notre concours et aucune utilisation commerciale ne sera faite à postériori par notre Groupe ».

Enfin, le groupe regrette une « maladresse » et présente ses excuses aux artistes heurtés par sa démarche. Contactée au téléphone, mais injoignable depuis la publication de l’article, Lucie Kessler, la responsable communication de Stradim n’a pas précisé à Rue89 Strasbourg les modalités de versement des 300 euros, ni celles de rétrocession des droits à l’issue du concours.

En Alsace du Nord, un supermarché local tente de convertir les consommateurs au bio et au zéro déchet

En Alsace du Nord, un supermarché local tente de convertir les consommateurs au bio et au zéro déchet

Sur les bords de la route départementale à Niedermodern, dans l’Alsace du Nord, le supermarché indépendant Le Colibri fait le pari d’introduire le bio et le zéro déchet auprès d’une population jusque-là habituée à la grande distribution. Un engagement de valeurs autant que financier.

Il y a longtemps que la vie commerçante du bassin du Val-de-Moder, dans le bourg de Pfaffenhoffen, s’est effacée face à la vaste zone commerciale de Haguenau, à 17 km plus à l’est. Le centre-ville du regroupement de villages compte encore deux bouchers, deux épiceries de dépannage, plusieurs boulangers, et plus d’une dizaine de coiffeurs.

Pour faire leur courses, les quelque 7 500 habitants ont désormais le choix entre les enseignes de grande distribution Lidl et Match. Pierre Andres, 28 ans, n’entend pas réveiller le commerce de proximité de sa vallée de naissance, mais parie sur une offre alternative, durable et écoresponsable bien moins familière aux consommateurs ruraux qu’aux citadins.

Avec une superficie de 450 m2, Le Colibri assume son statut de supermarché alternatif et s’en donne les atours depuis les bords de la route départementale. Photo : Crédit : Claire Gandanger / Rue89 Strasbourg cc

À l’entrée de Niedermodern, sa bâche tendue annonce aux automobilistes de la départementale D919 l’ouverture de son magasin bio, local et zéro déchet. Campés sur la zone artisanale de la commune, caddies empilés devant l’entrée, les lieux ont des allures de supermarché, avec 4 000 produits en rayons. « Nous faisons le pari d’une économie la plus circulaire possible », défend Pierre Andres. Ici, 95 % des emballages alimentaires sont en verre ou en inox consignés. Et 60% des fournisseurs sont bas-rhinois, tandis que les produits frais sont produits à 30km maximum.

Passages pendulaires

« On compte 8 000 passages pendulaires sur la route à hauteur de l’accès au magasin », a étudié le directeur. C’est sur ce public qui se rend ou revient de son travail à Haguenau que l’entrepreneur compte. Huit mois après son ouverture en mars 2022, l’équipe accueille chaque semaine 260 clients réguliers. Une soixantaine a déjà pris l’habitude de venir remplir des caddies complets. « On se donne un an pour constituer notre clientèle de base », explique Pierre Andres.

À 28 ans, Pierre Andres a transformé l’ancienne menuiserie de son père en magasin alternatif pour défendre une économie circulaire et bio. Photo : Claire Gandanger / Rue89 Strasbourg / cc

En ce début d’après-midi, une unique curieuse se promène dans les rayons soignés du Colibri. Caroline Steiner fait une halte sur son chemin de Haguenau à son domicile d’Ingwiller. La jeune femme a déjà ses habitudes chez un maraîcher bio de Bouxwiller, ouvert un vendredi par semaine et qui vend aussi de la charcuterie et des produits laitiers. « J’évite le plus possible la grande distribution », assure-t-elle. La jeune femme se dit séduite par Le Colibri :

« Le magasin est quatre fois plus grand que ma petite ferme. Il y a vraiment du choix, plein de sortes de pâtes par exemple. Et puis j’aime l’aspect zéro déchet. »

Après de fortes ventes à son ouverture grâce à un « effet curiosité », la fréquentation du Colibri s’est rétractée. Elle remonte aujourd’hui lentement. Pierre Andres se donne un an pour constituer et fidéliser sa clientèle de base. Photo : Claire Gandanger / Rue89 Strasbourg / cc

La caisse a enregistré ce matin une dizaine de clients, une vingtaine pour la journée de la veille. Pierre Andres reste positif :

« Avec les mises en bocaux, le tri et le nettoyage des consignes, les employés sont toujours occupés même dans les heures creuses. Les gens peuvent passer, nous sommes là et ça ne nous coûte pas plus d’être ouverts en continu de 9h à 19h. »

« Les gens adorent le local mais le bio n’est pas encore dans les mœurs »

Pierre Andres le sait, tout le monde dans sa région n’est pas encore aussi sensible que Caroline Steiner aux causes qui l’animent :

« En ville, le bio et le vrac, c’est plus commun. Ici, les gens adorent le local, mais le bio et le zéro déchet, ce n’est pas encore dans les mœurs, même si la vieille génération y est plus sensible. »

L’un de ses fournisseurs, Quentin Lambry, maraîcher de Rothbach, abonde en se basant sur son expérience des marchés :

« À Rothbach ou Niederbronn, je vois beaucoup d’anciens qui veulent surtout soutenir le local. Ils sont encore d’une génération qui a touché à la terre. Les gens ne sont pas des consommateurs de bio avertis comme la clientèle très aisée et citadine que j’avais quand je faisais les marchés en tant que salarié à Obernai, mais ils ne demandent qu’à connaître. »

Pour convertir sa clientèle rurale au zéro déchet, Le Colibri mise sur la variété. Les consommateurs doivent pouvoir y faire l’intégralité de leurs courses. Photo : Claire Gandanger / Rue89 Strasbourg / cc

Réduire ses marges pour maintenir des prix abordables

Pour casser les représentations sur le bio qui en retient beaucoup de passer les portes du magasin, Pierre Andres affute ses arguments :

« Les gens ont des idées reçues sur le bio, qui serait très cher par rapport au conventionnel. Mais c’est oublier que dans un magasin comme le nôtre, on n’est pas tenté d’acheter d’autres produits dont on n’a pas besoin comme en grande surface. »

Dans les étals, aucun emballage marketing n’accroche le regard. Pierre Andres s’efforce de maintenir les prix des produits bio et locaux abordables. À l’inverse des grandes enseignes de grande distribution ou même des chaînes spécialisées dans le bio, qui s’appuient sur des grossistes ou des coopératives, les transactions en direct avec les producteurs lui épargnent les coûts des intermédiaires.

L’équipe de quatre personnes du Colibri met chaque semaine en bocaux consignés une centaine de kilos de denrées alimentaires. Photo : Crédit : C.G. / Rue89 Strasbourg / cc

Des prix citadins qui ne sont pas nécessaires

Le système de la péréquation des prix, pratiquée comme dans tous commerces, compense les moindres marges sur les produits d’appel, tels les fruits et légumes ou le pain. Les vêtements de seconde-main et les produits de soin et d’hygiène le leur rendent bien. Mais Pierre Andres l’assure, penser que le public rural tire les prix du bio vers le bas n’est pas la façon la plus pertinente de poser le problème.

« J’ai vu par exemple, sur un marché à Strasbourg, un fromage vendu à 30 euros le kilo alors que je le vends à 16. Ça ne partirait pas plus cher ici, et ce n’est pas dans nos valeurs de vendre plus qu’il ne le faudrait alors que ma marge me convient. On ne se met pas la pression du chiffre. Nous travaillons avec des producteurs à taille humaine, sans gros investissement ni grosses charges. C’est cette agriculture paysanne qui a de l’avenir. Nous ne négocions pas les prix avec nos producteurs. J’estime qu’ils font les prix qui sont dans le marché. Je garde un œil sur le prix du bio du supermarché concurrent pour être sûr que les nôtres ne sont pas déraisonnés, et sur les quelques produits qui passent par les grossistes, je fais jouer la concurrence entre deux ou trois partenaires. »

La livraison pour du zéro déchet clé en main

Mais même s’il a pensé des solutions clé en main pour atteindre le zéro déchet, Pierre Andres a conscience que sortir les clients de leur zone de confort ne lui facilite pas les affaires :

« Ici, rien n’est emballé. Nous aurions plus de clients si nous n’avions pas de consigne. Les gens trouvent ça compliqué, même si cela demande moins d’efforts que le vrac. »

Le jeune homme se félicite quand même que 40% des bocaux et boîtes mis en circulation par le magasin lui soient retournés, « un bon taux » qu’il veut voir comme un signe d’encouragement. Après huit mois, l’entreprise se rapproche tout juste de l’équilibre économique.

« Ma compagne et moi, nous partageons un smic et nous assurons les salaires de nos deux employés. J’estimerai que l’entreprise sera rentable quand nous pourrons garantir des revenus suffisants pour tout le monde. »

Pour simplifier encore plus la démarche de ses futurs convertis, le jeune homme mise sur la livraison à domicile, en camionnette électrique, lancée en juin. Pour l’heure, elle ne représente que 10% de son chiffre d’affaires, mais l’objectif est d’atteindre 30%.

« L’inflation et la guerre en Ukraine n’étaient pas dans notre prévisionnel »

Après une ouverture en mars, Pierre Andres a du mal à projeter l’évolution de ses affaires :

« L’inflation et la guerre en Ukraine n’étaient pas dans notre prévisionnel. Le marché du bio en général s’est tendu. Il est en recul pour la première fois. Pour ce qui est de la fréquentation, il n’y a plus de normes. C’est complétement aléatoire. En ce moment, ça marche mieux le jeudi, avant c’était le mercredi. C’est très compliqué pour la gestion du frais. »

Pour s’adapter à une fréquentation très aléatoire, Le Colibri a dû réduire son étal de charcuterie et de boucherie. Les grosses pièces sont désormais vendues sur commandes. Photo : Claire Gandanger / Rue89 Strasbourg / cc

Ces conditions l’ont conduit à renoncer à son étal de viande. Désormais, les entrecôtes se vendent sur commande. Le « To good to go », une application de vente d’invendus en fin de journée, et les paniers promotionnels sauvent les surplus de produits frais. 

Entraide avec les petits fournisseurs

Dans ce contexte flou, Le Colibri n’a pas établi de contrat sur les volumes avec ses fournisseurs. Quentin Lambry s’en satisfait :

« Certes on ne sait jamais en quelles quantités le Colibri va acheter, et on ne peut pas vendre au même prix qu’en vente directe à la ferme ou sur les marchés, mais le supermarché reste l’un de mes plus gros clients et il est régulier. »

Ces conditions arrangent aussi Éric Hauswald, producteur de fromages de brebis qui estime que Le Colibri représente aujourd’hui 10% de son chiffre d’affaires. « Pierre prend ce que je peux lui livrer, voire un peu plus quand j’ai du surplus », se satisfait le fromager. Sa clientèle se partage, comme celle de Quentin Lambry, entre particuliers sur des marchés, restaurants et Le Colibri.

Génération post-covid

Sous l’effet du Covid, Éric Hauswald, Quentin Lambry et Pierre Andres ont démarré leurs affaires en même temps, aux côtés de quelques autres producteurs bio de leur génération. L’émulation du Colibri permet l’émergence d’un éco-système. « Nous apprenons en même temps. On se parle de nos projets et on les commente ensemble », résume Éric Hauswald, anciennement à la tête d’une entreprise de pneus. Son prochain objectif est de réussir à augmenter sa production. Car trop souvent, « au marché, à 10h, je n’ai plus rien », ajoute-t-il. Les deux producteurs privilégient la vente directe, plus profitable que les prix de gros.

Quentin Lambry, un ancien logisticien qui a transformé l’ancien terrain de football de Rothbach pour en faire son exploitation, voit dans la dynamique créée autour du Colibri un marchepied :

« Je ne suis pas du coin, je viens de la ville. Le Colibri m’a ouvert les portes du milieu. Ça a été un levier qui m’a permis de connaître d’autres producteurs et d’avoir de la visibilité. Certains clients qui m’ont connu par Le Colibri sont ensuite venus me voir directement. »

Dans le secteur, les petits producteurs bio relèvent de l’exception et ne se font guère concurrence.

Une marche de solidarité avec le peuple iranien samedi

Une marche de solidarité avec le peuple iranien samedi

Le Collectif de solidarité avec le peuple iranien de Strasbourg appelle à une nouvelle manifestation samedi, en soutien avec les Iraniennes et les Iraniens en lutte contre le pouvoir religieux depuis mi-septembre. Sur place, le pouvoir continue de tuer et d’enfermer chaque voix dissidente sur laquelle il peut mettre la main.

Depuis le début du soulèvement en Iran le 16 septembre, suite à l’assassinat dans les geôles de la police des mœurs d’une jeune fille, Mahsa Amini, qui refusait d’ajuster son voile, la violence de la répression a fait 287 victimes civiles, dont 46 enfants, selon un comptage de Human Rights Activists News Agency (HRANA).

Chaîne humaine en solidarité avec les Iraniens en lutte, dimanche 30 octobre Photo : Mehdi Pourarab / doc remis

Le Collectif de solidarité avec le peuple iranien de Strasbourg (Csapi) appelle à une nouvelle manifestation samedi 5 novembre de 16h à 18h, une courte marche de la place du Corbeau à la place de la Solidarité. Le Collectif dénonce les nouvelles cibles du régime, étudiants et lycéens.

Les blessés sont directement arrêtés dans les hôpitaux par la police, selon le Collectif qui dénonce également des arrestations d’étudiants et d’artistes en pleine nuit, chez eux et des pressions sur les familles des manifestants arrêtés, appelées à témoigner contre eux devant les caméras de la télévision nationale.

Le slogan des rassemblements en soutien aux Iraniens est « Femme, vie, liberté » Photo : Mehdi Pourarab / doc remis

Depuis le début du soulèvement, les autorités iraniennes ont arrêté 51 journalistes. Parmi ceux-ci, Niloufar Hamedi et Elaheh Mohammadi qui ont raconté l’histoire de la jeune iranienne dans leurs journaux respectifs. Elles ont été arrêtées par les Gardiens de la révolution, la police politique du régime, qui les accuse de travailler pour la CIA. Vahid Shamsoddinnezhad a également été arrêté le 28 septembre. Âgé de 30 ans et récemment diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, il s’était rendu en Iran pour Arte.

Hautepierre, Neuhof et Écrivains : coup d’envoi de la rénovation dans trois quartiers au conseil de l’EMS

Hautepierre, Neuhof et Écrivains : coup d’envoi de la rénovation dans trois quartiers au conseil de l’EMS

Le conseil de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) du vendredi 4 novembre va délibérer sur le deuxième plan de renouvellement urbain, qui s’étendra jusqu’en 2032. Ces travaux à plus d’un milliard d’euros concerneront 11% de la population, et ont été agrémentés de mesures plus écologiques. À suivre en direct à partir de 9h.

En raison du 11 novembre férié, le conseil de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) se tient exceptionnellement le vendredi qui précède le conseil municipal de Strasbourg, programmé lundi 7 novembre. Une petite inversion de calendrier sans grande incidence, puisque l’ordre du jour reste fourni, avec 62 points prévus.

Les principaux votes (points 3, 4 et 5) concernent la rénovation urbaine des Quartiers prioritaires de la ville (QPV), qui s’étalera jusqu’en 2032. Au total, ce deuxième programme de renouvellement urbain concernera sept quartiers dans cinq communes, pour un total de plus d’un milliard d’euros. Ces chantiers impacteront 11% de la population.

Plus d’un milliard pour la rénovation urbaine

Le conseil de vendredi votera précisément les contours des projets pour les deux mailles qui restent à rénover à Hautepierre (Éléonore et Brigitte), la poursuite des opérations dans le Neuhof et le début de la rénovation du quartier des Écrivains à Schiltigheim et Bischheim. Ce quartier des années 1960 n’a pas encore fait l’objet de rénovation.

Les rénovations de ces trois quartiers représentent plus de 600 millions d’euros, abondés en majorité par les bailleurs sociaux. D’autres secteurs, comme l’Elsau (plus de 200 millions d’euros), feront aussi l’objet de rénovations, mais le vote sur le projet est prévu un peu plus tard, en 2023. Pour d’autres QPV, les montants sont plus faibles car il est seulement question de terminer la rénovation engagée lors du premier programme (les Hirondelles à Lingolsheim, Libermann à Illkirch-Graffenstaden, la Meinau ou Cronenbourg à Strasbourg).

Sur le fond, rien de très nouveau puisqu’après le premier programme de rénovation urbaine, piloté par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) dans les années 2010, les discussions sur le deuxième programme ont été engagées à la fin du mandat précédent. Il s’agit de détruire les immeubles les plus vétustes, d’en rénover d’autres et de construire des logements neufs. À cela s’ajoute une réfection des abords des immeubles et des espaces publics.

À Hautepierre, la rénovation des mailles Brigitte et Éléonore était par exemple présentée aux habitants début 2019. Mais entre les nouvelles lois, un budget de l’État légèrement rehaussé, et les souhaits de la nouvelle équipe à Strasbourg, les projets ont pu être légèrement modifiés.

En raison de travaux au centre administratif, les conseils municipaux et de l’Eurométropole se tiennent pour quelques mois au Palais des Fêtes. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Continuité et nouvelles exigences environnementales

Dans la classe politique strasbourgeoise, la nécessité de retaper les quartiers populaires fait consensus. Le conseil ne devrait donc pas donner lieu à des débats houleux. La rénovation urbaine est une politique emblématique des élus socialistes qui ont mené à bien le premier programme lors des deux mandats précédents. Désormais dans l’opposition, ils devraient relever les différences d’approche. Mais pas sûr que les critiques soient trop intenses, car c’est aussi une élue socialiste, la seule à avoir intégré la majorité, qui est désormais aux commandes de cette politique : Nathalie Jampoc-Bertrand.

Cette élue de Schiltigheim et vice-présidente de l’Eurométropole en charge de la rénovation urbaine, parle d’ailleurs de continuité :

« Quand on est arrivé en 2020, on s’est inscrit dans la continuité de nos prédécesseurs. On a souhaité aller plus loin dans les ambitions environnementales, avec des mesures d’économie circulaire pour le choix des matériaux, atteindre des performances énergétiques de niveau B (contre C ou D auparavant, NDLR), ou permettre l’infiltration de l’eau de pluie dans le revêtement des parkings. Le programme vise à ranger les quartiers, les rendre accueillants avec des îlots de fraîcheur. »

À l’issue du premier programme de rénovation (dit « Anru 1 »), les habitants concernés répondaient souvent que ces opérations avaient certes changé le cadre de vie, plus agréable, mais pas la vie dans les quartiers en elle-même. Le deuxième programme se donne-t-il cette ambition ?

L’Anru 2 ne résoudra pas tout convient Nathalie Jampoc Bertrand, mais certaines dispositions visent à créer des bénéfices économiques :

« La rénovation urbaine est un pilier de la politique de la Ville. Mais elle est complétée par un ensemble de dispositifs, comme les Cités éducatives, les Cités de l’emploi, les quartiers de Reconquête républicaine… L’Anru ne change pas le revenu des habitants, mais elle peut faire ce lien entre les politiques. On a élevé les clauses d’insertion sur les chantiers à 25%, alors que le minimum légal n’est que de 5%. La demande d’avoir plus d’économie circulaire va aussi créer de nouveaux métiers. « 

Le quartier populaire des Écrivains, à cheval entre Schiltigheim et Bischheim, n’a pas fait l’objet de grande rénovation. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Le PLU va s’attaquer aux dark stores

En fin de séance (point 50), il sera encore question d’urbanisme avec le début du processus d’une quatrième modification de Plan local d’urbanisme (PLU), la deuxième depuis le changement de majorité. La précédente modification visait à mieux intégrer les enjeux de qualité de l’air dans les prescriptions d’urbanisme. Celle-ci prévoit notamment :

    De modifier le seuil où il est obligatoire d’intégrer des logements sociaux dans une construction neuve : il serait désormais de six logementsMieux lutter contre les coulées de boues qui concernent 14 communes sur 33 de l’EurométropoleRenforcer la réglementation pour intégrer des locaux à vélo fermés et sécurisés dans les immeublesRéglementer « les dark kitchen et les dark stores », des cuisines ou des entrepôts au cœur des villes, afin d’être idéalement placé pour des activités de livraison.

Même si Strasbourg est encore relativement peu concernée par les implantations de « dark stores » (des « magasins invisibles » en français), la vice-présidente en charge du PLU, l’écologiste Danielle Dambach estime que c’est l’occasion de clarifier les règles :

« Dans les centre-villes, il faut encadrer l’arrivée de ces entrepôts qui ne relèvent pas de l’artisanat ni du commerce de détail. Aujourd’hui, on peut opposer un refus via la police de l’urbanisme, mais les règles ne sont pas forcément claires. »

Une première consultation pour le public se tiendra dans les mairies et sur internet du 23 novembre au 23 décembre. Après une enquête publique au printemps, la révision numéro 4 doit être adoptée fin 2023.

Pour voir les effets de ces prescriptions d’urbanisme sur les constructions neuves, il faut attendre cinq à six années… D’ici là, la majorité procèdera encore dans le mandat à une cinquième modification, qui ciblera notamment les terrains en friche. La majorité veut également engager « un projet de territoire » concernant le PLU, qui aboutira éventuellement à une « révision », c’est-à-dire un changement plus profond des règles instaurées en 2016. Mais ce travail avec les maires interviendrait « au-delà du mandat », selon Danielle Dambach.

Les bâtiments les plus énergivores retapés en 2023

Dans les conseils d’Eurométropole, le très long terme percute parfois le court terme. Ainsi, dès le point 2, une délibération engagera de manière beaucoup plus concrète la rénovation de six bâtiments parmi les plus énergivores de l’Eurométropole.

Il s’agit de locaux techniques des services de la collectivité (district propreté à Koenigshoffen, site de la Fédération à la Meinau), ou qui accueillent du public (Maison de l’Insertion au Neuhof, bâtiment d’honneur de l’ancien hôpital militaire Lyautey avec des places d’hébergement d’urgence), ou, plus surprenant, les archives de la Ville et de l’Eurométropole, avenue du Rhin, un bâtiment pourtant construit en 2004.

« On ne concevait pas les bâtiments avec les considérations énergétiques actuelles », remarque à ce titre Danielle Dambach. Des économies de 40 à 70% des consommations d’énergie sont attendues. Ce levier est bien plus efficace que les mesures de sobriété (20% d’économies espérées) ou les petits gestes (10%). Ces rénovations sont budgétées à hauteur de 19,4 millions d’euros, pour lesquelles l’Eurométropole espère recevoir des aides de 10 à 20%.

Violences policières et surveillance de masse : Strasbourg bientôt doté d’un observatoire des libertés publiques

Violences policières et surveillance de masse : Strasbourg bientôt doté d’un observatoire des libertés publiques

Mi-novembre, le Syndicat des avocats de France et la Ligue des droits de l’Homme lanceront à Strasbourg un observatoire pour dénoncer les atteintes locales aux libertés publiques, des techniques de surveillance aux restrictions du droit de manifester.

Dans une petite salle en sous-sol du centre-ville de Strasbourg, une dizaine de personnes attendent la présentation de « l’observatoire strasbourgeois des libertés publiques », l’Oslib. Mercredi 19 octobre, 19 heures, la présidente de la section strasbourgeoise de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) Ingrid Boury prend la parole. Depuis un an, elle prépare le lancement de ce laboratoire avec deux avocates de la branche strasbourgeoise du Syndicat des avocats de France (SAF), Me Florence Dole et Me Nohra Boukara.

La rencontre vise à convaincre le public, principalement composé d’étudiantes en droit et de futures avocates, de participer à cette nouvelle institution locale. Ingrid Boury en décrit les principales missions :

« L’Oslib recueille des informations sur les atteintes aux libertés publiques, en particulier concernant la liberté de manifester. Des membres de l’observatoire se rendent en manifestation et font des observations et des captations d’images dans le but d’alerter et d’informer sur les potentielles entraves aux libertés publiques. On a aussi besoin d’aide pour des recherches juridiques pour faire des rapports à partir de ces données. »

Une formation et une charte à signer

L’avocate Nohra Boukara enchaîne sur la surveillance de masse :

« L’État projette de développer l’utilisation de drones de surveillance en manifestation. Il y a aussi des pratiques de copie de carte d’identité en manifestation. L’Oslib doit permettre de recueillir des données sur ces pratiques et leur légalité. »

Pour participer à l’observatoire strasbourgeois des libertés publiques, il faut d’abord participer à une journée de formation avec la Ligue des droits de l’Homme (LDH). De quoi découvrir les différentes forces du maintien de l’ordre, apprendre à se placer en manifestation et à récolter les informations recherchées. Il faut ensuite signer une charte déontologique de huit principes qui impose notamment aux volontaires d’être identifiable en tant qu’observateur, de rester neutre lors de ces observations et de toujours veiller à sa sécurité et celle de ses camarades.

Violences policières à Strasbourg

Les observatoires des libertés publiques ont été lancés en France suite aux violences policières qui ont émaillé les manifestations contre la Loi Travail en 2016. La LDH a officialisé la démarche en 2019 au niveau national et il existe des observatoires dans plus d’une dizaines de villes françaises.

Si Strasbourg connait en général des manifestations plutôt calmes, le mouvement des Gilets jaunes a été émaillés de plusieurs violences policières dans la capitale alsacienne. Rue89 Strasbourg avait suivi le combat de Lilian et de sa mère Flaure pour faire reconnaître la frappe policière qui a atteint ce jeune de 16 ans, qui ne manifestait pas ce 12 janvier quand il s’est pris une balle de LBD en pleine mâchoire. Si la plainte pour violence avait été classée sans suite, l’État a fini par reconnaître « une responsabilité sans faute » dans la blessure infligée par un tir de LBD à Lilian.

Objectif : « revenir à des manifestations plus apaisées »

Samedi 12 janvier aussi, Marlène, 62 ans, prenait deux coups de matraques à l’arrière du crâne, alors qu’elle ne représentait aucun danger. Le 23 juin 2020, l’auteur des coups a été condamné à 18 mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Strasbourg. Il lui est aussi interdit de porter une arme pendant cinq ans.

Selon Me Nohra Boukara, l’observatoire peut aussi permettre de soutenir une personne victime de violences policières lors d’une audience : « La parole des manifestants est souvent peu audible, sauf si des observateurs neutres confirment la version du manifestant. »

L’avocate continue en élargissant l’ambition de l’Oslib :

« L’objectif est de revenir à des manifestations plus apaisées, sans contact entre la police et les manifestants. On espère bien sûr aussi faire interdire les armes mutilantes. »

L’Oslib prévoit de pouvoir mener ses premières observations à partir de la mi-novembre, si des manifestations sont programmées.

Un promoteur organise un concours qui fait travailler gratuitement des graffeurs

Un promoteur organise un concours qui fait travailler gratuitement des graffeurs

Le promoteur immobilier Stradim organise depuis le 3 octobre un concours où les graffeurs strasbourgeois amateurs et professionnels sont invités à peindre gratuitement des panneaux mis à leur disposition en cédant leurs droits d’auteur. Jeudi 3 novembre, les œuvres sont soumises au vote du public sur le compte Instagram de l’entreprise. Seuls les deux gagnants seront rémunérés.

Les artistes amateurs et professionnels avaient du 3 au 29 octobre pour décorer à leurs frais des panneaux de deux mètres sur deux mètres autour d’une résidence en construction rue Langevin, dans le quartier Cronenbourg de Strasbourg. Un concours organisé par le promoteur immobilier Stradim. Les participants ont cédé des droits d’auteur à l’entreprise et ne seront jamais rémunérés pour leur travail, sauf s’ils gagnent.

Des modalités que dénonce Florent Schmitt, graffeur depuis 15 ans, qui a choisi de participer au concours à sa manière. En guise d’œuvre, il a inscrit ces mots, sur l’un des panneaux disposés par le promoteur :

« Offre d’emploi. Groupe immobilier recherche graffeur pour travail gratuit. Rémunération : 0,00 euros contre cession des droits d’auteur. »

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Le graffeur Florent Schmitt participe au concours… pour dénoncer ses modalités. Photo : capture d’écran / Instagram

Peu de participants

Les conditions de participation au concours intitulé Street Art Challenge sont claires et accessibles en ligne : peindre une œuvre sur un panneau rue Langevin, la poster sur Instagram en mentionnant le promoteur et le hashtag du concours avant le 29 octobre. « Stradim publiera [toutes] les photos sur son compte Instagram @stradim-immobilier le 3 novembre pour que le public puisse voter ». S’ensuit donc le fameux vote du public jusqu’au 14 novembre, 16 heures, pour une annonce des gagnants le lendemain sur le réseau social.

Deux prix sont prévus pour récompenser les participants. Un premier de 2 000 euros décerné par « le comité de direction » de l’entreprise, accompagné du « privilège de décorer le hall d’un des bâtiments de [la] résidence [rue Langevin] », selon les termes du promoteur. Un second de 1 000 euros pour l’œuvre récoltant le plus de mentions « j’aime » sur Instagram. Aucune rémunération, donc, pour tous les autres graffeurs. « Nous avons trois ou quatre participants [éligibles au vote du public], le concours n’a pas suscité l’engouement espéré », précise Lucie Kessler, responsable marketing et communication de Stradim.

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Le 3 octobre, le groupe immobilier Stradim poste sur son compte Instagram une photo des panneaux installés rue Langevin, à côté du règlement du jeu-concours. Photo : capture d’écran / Instagram

Qu’ils soient lauréats ou non, tous cèdent par contre leurs droits patrimoniaux au promoteur : ils « acceptent à titre gracieux que le Groupe Stradim utilise leur œuvre sur des supports print, sur internet ainsi que sur les réseaux sociaux pour une durée de 10 ans sur le territoire mondial », et renoncent à demander compensation si leurs œuvres sont exposées par le groupe.

Un règlement déposé à l’étude d’huissiers de justice Connect’huiss à Strasbourg. Une cession de droits conforme aux dispositions du code de la propriété intellectuelle.

Opportunité ou exploitation ?

Ce concours, selon le groupe, a pour but de « proposer un espace où les artistes peuvent exprimer leur créativité et mettre en avant leurs talents ». Il serait une « opportunité de pouvoir mettre en lumière son art et de pouvoir gagner un prix par la même occasion ». C’est en tout cas la réponse formulée par Stradim à la participation de Florent, justifiant être « très loin d’une rémunération à zéro euros » en citant ses activités de mécénat sur plusieurs projets strasbourgeois. « On ne force personne à participer », rappelle Lucie Kessler.

Mais pour l’artiste, « c’est insultant ». La question selon lui est de voir « qui profite de qui » : « Ils nous donnent un espace dans lequel nous exprimer, alors qu’en tant que graffeur on utilise déjà la rue ». Florent Schmitt y voit une opération de communication du groupe qui profite, gratuitement, du travail fourni par les artistes qu’il prétend valoriser. « C’est exactement ce contre quoi les artistes professionnels se battent », estime-t-il.

Il cite par exemple le projet Économie solidaire de l’art qui propose des lignes directrices aux personnes amenées à travailler avec des artistes visuels, pour s’assurer de respecter la valeur de leur travail.

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C’est autour du projet immobilier rue Langevin qu’étaient accrochés les panneaux destinés au concours de graff. Mais le 1er novembre, ils ont tous été décrochés. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Quant aux droits cédés, l’entreprise assure qu’ils ne sont nécessaires que pour pouvoir poster les photos des œuvres peintes sur Instagram, et « qu’aucune utilisation commerciale » n’en sera faite a posteriori. Elle promet également que les droits patrimoniaux seront rétrocédés aux auteurs à l’issue du concours. Mais dans le règlement mis en ligne, pas de trace de cette intention.

S’il gagne avec son œuvre, Florent reversera la somme perçue à tous les artistes participants, ce qui leur permettra de « couvrir leurs frais de matériel puisqu’aucune indemnisation n’est prévue pour eux ». Encore faut-il que Stradim soumette, comme prévu par le règlement du concours, toutes les œuvres qui lui ont été transmises au vote du public. Et ce n’est pas son intention : « Le message n’est pas en accord avec notre vision des choses », explique froidement Lucie Kessler.

« S’ils ne me publient pas, je m’appuierai sur le règlement pour essayer de participer tout de même », prévient-il. D’autant que dans le règlement, aucune exigence n’est donnée quant aux formes attendues des œuvres proposées.

« Accepter ces conditions, c’est se tirer une balle dans le pied »

Si cela paraît évident pour des artistes professionnels, « même des amateurs, ça se paye », estime Sekuouane, artiste graffeur depuis 20 ans. Il voit les jeux-concours de ce type se multiplier et les jeunes y participer pour tenter de se faire une place dans un milieu « qui se ressert de plus en plus ». « Ce sont des opérations de communication, qui donnent aux entreprises une image jeune », estime-t-il : « Elles en tirent des bénéfices, font plus de vente, tout ça grâce à du travail bénévole. »

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Mardi 1er novembre, les panneaux ne sont plus accrochés rue Langevin depuis fin octobre : « Certaines ont été dégradées », fait savoir Stradim. Il reste des traces de peinture qui ont dépassé des cadres. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

« Accepter ces conditions, c’est se tirer une balle dans le pied », poursuit Sekuouane :

« Plus les artistes participent à ce genre de concours, plus il sera accepté d’en organiser. Même si 2 000 euros, c’est attrayant et ça peut donner envie, ça ne suffit pas pour un artiste professionnel : tu dois être sûr de te faire payer. Et pas seulement en visibilité car ça n’a jamais payé les factures. On ne proposerait jamais ça à un autre corps de métier. »

« Dans le milieu, on considère qu’un tarif est acceptable à partir de 120 / 150 euros par mètre carré, mais ça dépend de l’artiste et du matériel, cela peut monter jusqu’à 5 000 euros s’il y a une réutilisation commerciale », ajoute t-il, ce qui correspond à une cession des droits d’auteur patrimoniaux.

La direction de Stradim assure qu’une rémunération est prévue pour le lauréat, en plus des 2 000 euros, pour réaliser la fresque dans un hall, même si cela n’est pas stipulé sur le règlement : « Ça sera à discuter avec le gagnant, en fonction du nombre d’heures de travail effectuées », expose Lucie Kessler.

Un procédé commun, mais critiqué

Demander de créer sans gage d’être payé et en contre partie d’une cession de ses droits d’auteurs est un procédé répandu, y compris chez des institutions publiques : par exemple, en 2020 l’ARS et la préfecture de la Réunion promettaient de rémunérer uniquement les artistes lauréats d’un concours entre 100 et 5 000 euros suivant les catégories.

Mais les voix comme celles de Florent sont parfois entendues. En octobre, le festival d’Avignon a dû faire marche arrière dans l’appel à projets lancé pour la création de son nouveau logo. Le travail demandé aux graphistes pour tenter de remporter l’appel, sans promesse de rémunération donc, a été estimé trop conséquent par les professionnels. À la place, le festival opèrera finalement une pré-sélection sur dossier et rémunèrera tous les finalistes sélectionnés pour qu’ils fassent leurs propositions.

En septembre 2020, c’est le youtubeur Squeezie qui, après avoir appelé ses fans à créer pour lui un nouveau décor pour sa chaîne, s’est finalement rétracté et a passé commande à un graphiste professionnel. Même s’il promettait de rémunérer les personnes dont il utiliserait le travail, ses fans lui reprochaient, à l’époque, de faire du « travail spéculatif ».

Alertée, la Dreal découvre des cendres hautement cancérigènes partout dans l’incinérateur de Strasbourg

Alertée, la Dreal découvre des cendres hautement cancérigènes partout dans l’incinérateur de Strasbourg

Dans la matinée du lundi 24 octobre, un agent de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) a constaté la présence de cendres d’incinération, hautement cancérigènes, partout dans l’incinérateur de Strasbourg. La problématique dure depuis près de dix ans.

« Il y a des cendres partout. Et certains prennent ça comme si c’était du sable de plage alors que ce sont des produits cancérigènes mutagènes reprotoxiques (CMR). » Délégué syndical CGT à l’incinérateur de . . .

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Sous la pression, le gouvernement renonce à supprimer des places d’hébergement d’urgence

Sous la pression, le gouvernement renonce à supprimer des places d’hébergement d’urgence

Depuis la rentrée, près de 2 000 enfants dorment dans la rue, dont plusieurs dizaines à Strasbourg. Le gouvernement devait supprimer 14 000 places d’hébergement d’urgence et a finalement renoncé devant le tollé suscité par cette décision au moment où l’inflation et l’explosion des factures d’énergie risquent d’augmenter les impayés de loyer. Dans le Bas-Rhin, la préfecture avait annoncé et amorcé la suppression de 1000 places d’ici la fin de l’année 2022.

Olivier Klein a finalement renoncé. Le ministre délégu . . .

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Pourquoi l’agriculture écologiste reste si minoritaire en Alsace, malgré la demande

Pourquoi l’agriculture écologiste reste si minoritaire en Alsace, malgré la demande

L’Union européenne et la Région Grand Est diminuent les aides à l’agriculture biologique. S’ajoute à cela la forte pression foncière en Alsace, qui complique l’accès aux terres pour les jeunes agriculteurs. Dans ces conditions, monter une exploitation agricole écologiste relève de l’exploit.

Hector a terminé sa formation au lycée agricole d’Obernai en juin. Son objectif : fonder une exploitation de maraîchage an agriculture biologique. Mais pour l’instant, faute de terre et d’argent pour se lancer, il cherche un autre boulot. Son témoignage illustre la difficulté de créer une exploitation sans ancrage dans le milieu agricole :

« Dans ma promo, on était trente, dont une vingtaine avec l’option maraîchage bio, beaucoup avec le fantasme de lancer une petite exploitation paysanne. Pour ça, c’est sûr, il y a des candidats, c’est dans l’air du temps. Maintenant, la plupart vont être ouvriers agricoles finalement. À ma connaissance, seulement deux ont la possibilité de se lancer, parce qu’ils ont des terres disponibles dans la famille. »

Des sondages d’opinion révèlent que la société française attend plus d’agriculture biologique et respectueuse de l’environnement. Pour l’instant, en Alsace, le bio concerne 11% de la surface cultivée, contre 5% en 2012. Dans le Bas-Rhin, sur ces 11% de surfaces bio, 60% sont en fait des prairies, pour certaines destinées à l’alimentation des animaux.

La culture intensive de maïs est très répandue en Alsace. (Photo TV / Rue89 Strasbourg)Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Le maraîchage bio, 0,4% de la surface cultivée du département

La culture de fruits et légumes bio couvre 800 hectares, sur un total de presque 200 000 hectares de terres agricoles dans le département, soit seulement 0,4% de la surface cultivée. Les États membres de l’Union européenne se sont mis d’accord en 2021 sur un objectif de 25% des terres cultivées consacrées à l’agriculture biologique en 2030. On est loin du compte.

Les petites fermes maraîchères ou avec plusieurs races d’animaux, en circuit court, sont rares dans la région selon Pierre-Luc Laemmel, porte-parole de la Confédération paysanne, un syndicat agricole minoritaire. D’après les statistiques du ministère de l’Agriculture, le nombre d’exploitations vendant notamment en circuit court n’a augmenté que de 3,8% entre 2010 et 2020 dans le Bas-Rhin. Les petites fermes sont moins nombreuses, elles sont passées d’environ 4 500 exploitations à 3 000 sur la même période.

Le difficile accès à la terre

Pour Joseph Weissbart, directeur technique de Bio en Grand Est, une organisation professionnelle venant en aide aux agriculteurs, il y a deux possibilités pour voir apparaitre de nouvelles exploitations bio, les conversions de fermes existantes ou le lancement de nouveaux projets :

« Tous les ans, des agriculteurs se convertissent mais à un rythme assez lent. Entre 2011 et 2021, nous sommes passés de 536 exploitations bio à 1 240 en Alsace, soit environ 70 de plus par an. Ces transitions comprennent des grosses exploitations céréalières ou viticoles. Mais beaucoup d’agriculteurs n’en ont pas du tout envie. Avec une politique plus incitative, ils pourraient être plus nombreux à faire le pas. Le deuxième levier important serait d’accompagner bien plus intensément ceux qui veulent se lancer, car beaucoup sont intéressés mais n’ont pas la possibilité. »

Après avoir occupé un emploi administratif, Pierre-Luc Laemmel, 35 ans, a créé une exploitation maraîchère bio et un petit élevage de poules pondeuses à Wilwisheim. « Avec ma compagne, nous avons eu la chance de ne pas avoir à chercher nos terres, j’ai hérité de six hectares. Cela nous a beaucoup facilité la tâche », constate t-il.

Même pour lancer une petite exploitation paysanne, les investissements se chiffrent en dizaines de milliers d'euros. (Photo TV / Rue89 Strasbourg)
Même pour lancer une petite exploitation paysanne, les investissements se chiffrent en dizaines de milliers d’euros. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

« Il faut minimum 60 000 euros »

Hector, tout juste diplômé du lycée agricole d’Obernai, n’a pas cette chance. Sa famille possède un champ, mais il ne peut guère compter dessus car il s’agit d’une location. Il doit alors prospecter lui-même, essayer de se constituer un réseau pour savoir si des terres vont se libérer quelque-part. La société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) a le rôle d’attribuer des champs que des propriétaires veulent céder.

Elle fait la publicité des surfaces disponibles pour que les candidats déposent leurs projet. « Au printemps dernier, j’ai fait un dossier pour une parcelle de trois hectares à Weiterswiller. C’est un gros agriculteur du Kochersberg qui l’a eu finalement, pour faire du fourrage », constate Hector :

« Sans compter l’achat du foncier, pour une exploitation maraîchère, l’une des activités qui nécessite le moins d’investissements de départ, il faut minimum 60 000 euros, pour une serre, du matériel d’irrigation, un véhicule… Il faut trouver une banque qui accepte de prêter, s’engager sur des décennies et espérer que ça passe. En général, en agriculture, on doit faire un business plan pour montrer qu’on pourra sortir un Smic au bout de cinq années d’activité. Mais en travaillant bien plus que 35 heures en réalité. »

Suppression de l’aide au maintien de l’agriculture biologique

« Des mesures réellement incitatives, en faveur de l’agriculture biologique et paysanne, seraient possibles. C’est un problème de volonté politique », souffle Benoit Biteau (EE-LV), eurodéputé. Pour lui, le soutien aux exploitations écologiste s’est même dégradé :

« En 2017, la France a supprimé l’aide au maintien de l’agriculture biologique. Cela signifie que des exploitations bio ont perdu 20 000 ou 30 000 euros sur une année. L’écorégime, une nouvelle aide (qui entrera en vigueur en 2023, NDLR), ne fera pas de différence entre les labels exigeants, comme « Agriculture biologique », et ceux qui le sont moins, par exemple « Haute valeur environnementale » (HVE, voir notre article).

Des producteurs industriels profiteront clairement de ces certifications. Parallèlement, il faut savoir que 80% des aides européennes sont déjà captées par seulement 20% d’agriculteurs industriels, car elles sont proportionnelles aux surfaces exploitées. L’argent public sert à financer l’agro-industrie, et je suis à peu près certain que ce n’est pas ce que souhaitent les contribuables. »

À l’échelle du Grand Est, des arbitrages importants se jouent aussi, les Régions ayant la charge de répartir des aides européennes sur l’agriculture. Par exemple, les élus régionaux ont décidé des modifications concernant les dotations jeunes agriculteurs (DJA), censées aider les porteurs de projet dans leurs investissements. Des bonus étaient accordés pour ceux qui lancent une exploitation bio, ou qui sont « hors cadre familial », c’est-à-dire qui ne viennent pas du milieu agricole et ont donc plus de difficultés d’accès aux terres et à du matériel. Ces deux bonus sont supprimés à partir de 2023.

Les productions diversifiées et sans pesticides permettent aux sols d’être plus riches. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Un plan de soutien aux investissements dans les industries agro-alimentaires

Laurent Dreyfus (EE-LV), élu régional d’opposition et agriculteur près de Munster, s’insurge face à « cette diminution supplémentaire de ressource pour les projets avec une dimension écologiste ». D’après Bio en Grand Est, le montant des DJA passera, pour les projets d’agriculture biologique, de 38 938 euros en moyenne à 23 000 euros en 2023. Parallèlement, la Région a notamment mis en place un plan de soutien aux investissements dans les industries agro-alimentaires, avec un plafond à 500 000 euros pour les groupes.

Pour Laurent Dreyfus, ces décisions sont imputables aux liens qui existent entre l’exécutif régional et l’agro-industrie, qui influent sur les politiques publiques. En septembre, le tribunal judiciaire de Strasbourg a reconnu Pascale Gaillot (LR) coupable de prise illégale d’intérêts alors qu’elle était vice-présidente de la Région Grand Est en charge de l’agriculture.

Les liens entre Région Grand Est et agro-industrie

Elle a défendu, lors de la précédente mandature, une subvention de 150 000 euros pour l’association Terrasolis, « un pôle d’innovation de l’agriculture », dont son mari est trésorier. Celui-ci est aussi vice-président de Cristal Union, l’un des premiers producteurs européens de sucre et d’alcool. Pascale Gaillot est désormais présidente de la commission environnement de la Région Grand Est. Le président Jean Rottner (LR) a refusé de la démettre de ses fonctions après sa condamnation.

Le nouveau vice-président en charge de l’agriculture est Philippe Mangin… également président de la société InVivo, grand groupe agro-industriel au chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros. On peut aussi citer Laurent Wendlinger, président de la commission agriculture de la Région, et ancien président de la Chambre d’agriculture d’Alsace élu sous la bannière FDSEA/AVA/JA. La FDSEA est le syndicat agricole majoritaire et défend une vision productiviste de l’agriculture.

Dans le Kochersberg, zone très fertile, le modèle agricole industriel est particulièrement développé. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

La FNSEA dans les instances décisionnelles

La Cour des comptes a dévoilé dans un rapport de mars 2022 que la Chambre d’agriculture Grand Est, aussi présidée par la FNSEA, ne faisait pas assez la promotion et l’accompagnement pour l’agriculture bio : « La chambre n’a pas mis en place un guichet unique de compétence et de service, une mutualisation des outils d’accompagnement ou un plan commun de formations. »

En général, l’agro-industrie, et notamment la FNSEA, mène un travail intense de lobbying pour lutter contre les mesures de verdissement des politiques agricoles, à l’échelle européenne et régionale. « Vue la mainmise de l’agro-industrie et de la FNSEA sur les instances décisionnelles, sans gros changement politique, on peut difficilement espérer un meilleur soutien pour l’agriculture paysanne et biologique », selon Pierre-Luc Laemmel de la Confédération paysanne.

Pierre-Luc Laemmel a bénéficié de quelques hectares pour lancer son activité, mais il est conscient que tout le monde n’a pas cette chance. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Le même problème se pose pour l’accès à la terre. La Safer du Bas-Rhin décide de l’attribution de terres à travers un comité, qu’elle décrit comme un « véritable parlement du foncier », composé de plus de dix représentants de l’agro-industrie et de la FNSEA, sur environ 25 membres.

Les autres syndicats agricoles, la Confédération paysanne et la Coordination rurale, n’ont qu’un siège chacun. Pierre-Luc Laemmel occupe celui de la Confédération paysanne :

« Le comité de la Safer se réunit à peu près tous les trimestres et donne des avis sur 15 à 40 cessions de terres. Dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’agrandissements de structures déjà existantes. Les jeunes qui veulent se lancer savent qu’il est très difficile d’obtenir de bonnes parcelles via la Safer, qui devrait pourtant servir à ça. Les terres sont souvent morcelées, car les meilleurs surfaces ne passent même pas par elle. »

Une hostilité envers les néoruraux ?

Pour vendre leurs terrains, les agriculteurs privilégient souvent les montages sociétaires qui leurs permettent de contourner la Safer : ils créent une société qui devient propriétaire du foncier, et vendent les parts pour céder les terres. Ainsi, il n’y a pas d’appel à la concurrence ni de régulation. La Confédération paysanne plaide pour une loi qui régulerait davantage les montages sociétaires et mette à disposition plus de terres pour les nouveaux projets écologistes.

Philippe Grégoire, producteur de lait bio et engagé sur la question de l’accès au foncier, observe « dans la mentalité des familles agricoles, une hostilité envers ceux qui se lancent et qui ne viennent pas du milieu » :

« Je vois souvent des vieux paysans qui préfèrent laisser des terres en friches plutôt que de les céder à des néoruraux. Pourtant, il y a beaucoup de gens comme ça qui font très bien tourner leur ferme, encore faut-il leur laisser une chance. »

La culture de légumes biologiques occupe une très faible surface en Alsace. (Photo TV / Rue89 Strasbourg)Photo : TV / Rue89 Strasbourg

La moitié des agriculteurs à la retraite d’ici 2030

Interrogés sur les difficultés des agriculteurs à lancer des projets à vocation écologiste, la FNSEA et la Chambre d’agriculture d’Alsace n’ont pas répondu aux questions de Rue89 Strasbourg. La Région Grand Est n’a pas donné suite à nos questions, notamment celles sur la favorisation du modèle industriel et la suppression d’aides aux exploitations biologiques.

D’ici 2030, la moitié des agriculteurs en activité vont partir à la retraite. Il y a ainsi deux possibilités : ou leurs terres seront léguées pour de nouveaux projets agricoles, notamment écologistes comme celui d’Hector. Ou elles se concentreront chez de gros propriétaires.

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