Spectacles, conférences, rencontres et ateliers : du 18 mars au 2 avril, le Maillon organise plusieurs événements au sujet du travail, son impact sur nos vies et nos corps. Entretien avec la directrice du théâtre Barbara Engelhardt suivi de notre sélection des événements.
« Tu fais quoi dans la vie ? » C’est l’intitulé du « Temps fort » du théâtre du Maillon qui proposera des spectacles, des concerts, des conférences, des ateliers et des rencontres sur le thème du travail du 18 mars au 2 avril. Éclairage sur les intentions de cette programmation avec la directrice du Maillon Barbara Engelhardt.
Rue89 Strasbourg : Qu’est-ce qu’un Temps fort au Maillon ?
Barbara Engelhardt : C’est une activité intense autour d’un sujet qui traverse la société d’aujourd’hui. On choisit toujours un sujet complexe, pour lequel il n’y a pas de réponse simple, qui génère des points de vue différents et donc des dialogues possibles entre générations, approches artistiques, scientifiques et artistiques… On déploie d’ailleurs plutôt des questions que des réponses. Les artistes et les scientifiques invités, les spectacles, les ateliers et les rencontres permettent aux spectateurs de varier les expériences, de se construire des parcours qui vont aiguiser leur curiosité et les faire participer à une réflexion débordante.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder ce sujet ?
C’est un sujet qui nous concerne tous parce que notre identité en dépend. D’où le titre : « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? », souvent la première question qu’on pose à quelqu’un qu’on rencontre. Le travail est lié à l’idée de notre valeur dans la société, qui nous suit depuis la petite enfance, à travers cette autre question : « Qu’est-ce que tu veux devenir ? »
« Le travail n’est pas qu’un sujet intellectuel »
Avec le Covid et le confinement, le détachement d’un quotidien professionnel habituel, s’est introduit le grand sujet du choix de ce qu’on fait de notre temps. Celui du sens du travail s’est aussi beaucoup aiguisé, avec le besoin d’en faire une question très personnelle, pas seulement systémique.
Comment avez-vous construit cette programmation ?
Ce qui est important, c’est de mettre en avant la notion d’expérience pour les spectateurs, de rendre ce sujet tangible, à travers des formats différents et atypiques, comme 12 Last Songs ou L’Âge d’or (précisions sur ces œuvres plus bas, NDLR). Le travail n’est pas qu’un sujet intellectuel, mais très concret dans nos quotidiens, jusque dans notre sommeil.
La programmation a été conçue avant la mobilisation contre la réforme des retraites : l’actualité risque-t-elle de l’emmener ailleurs ?
Ce thème fait d’autant plus sens aujourd’hui qu’on essaye de redéfinir notre rapport au travail comme priorité, de questionner sa durée et la difficulté de nos conditions de vie. La question du profit est omniprésente dans la programmation, celle du temps et de ce qu’on choisit d’en faire est centrale. Nous invitons les spectateurs à venir passer du temps ici, pour habiter un lieu public, croiser les autres, faire ses choix. C’est peut-être la mission d’un théâtre…
Notre sélection
L’Âge d’or
Comme deux guides touristiques, Igor Cardellini et Tomas Gonzalez nous emmènent visiter un immeuble de bureaux, en l’occurrence ceux d’AG2R La Mondiale à l’Espace Européen de l’entreprise. Et nous invitent à nous imprégner de l’espace, des rapports entre collègues qu’ils induisent, ainsi qu’une certaine conception du travail et de la société.
12 Last Songs
Après le projet participatif ARK en 2021, le collectif britannique Quarantine est de retour avec une œuvre collaborative format XXL. Pendant 12h, de midi à minuit, 24 Strasbourgeoises et Strasbourgeois de tous les horizons et métiers monteront sur scène pour parler de leur travail, de la place qu’il occupe et occupera dans leur vie, hier, aujourd’hui, demain, de ce qu’ils ont rêvé et imaginent encore, de leur enfance à la fin de leur vie. En répondant à quelques-unes des 600 questions préparées par les artistes, toujours désireux de réagir au cours du monde et à interagir avec la société, ils complèteront de leurs témoignages les points de vue des chercheurs interviewés par Gérard Mordillat et Bertrand Rothé dans la série Travail, salaire, profit, diffusée en parallèle.
Travail, salaire, profit
Où l’on retrouve le prolifique Gérard Mordillat, qui n’a pas son pareil pour creuser les sujets jusqu’à la moelle. Avec la complicité de Bertrand Rothé, et les savoirs de 21 chercheurs de toutes disciplines et toutes contrées, il éclaire les arcanes de l’économie mondiale, souvent obscures pour les simples citoyens que nous sommes.
Le sens du « travail » en chantier
Une conférence de la sociologue Marie-Anne Dujarier, auteure de Troubles dans le travail (PUF, 2021) et Le Management désincarné (La Découverte, 2015), sur le sens du travail et la nécessaire réforme des institutions qui l’encadrent.
Société en chantier
Compagnon fidèle du Maillon depuis 2007, le collectif suisse Rimini Protokoll (qu’on a vu ici avec Cargo Sofia, Mnemopark, ou Bodenprobe Kasachstan) fait monter sur scène des comédiens non-professionnels, mais « expert.e.s du quotidien », qui partagent leur réalité avec le public. Ils évoluent dans des scénographies qui reconstituent leur univers quotidien et le rendent tangible, ici un chantier dans lequel les spectateurs sont aussi invités à circuler.
Société en chantier fait ainsi intervenir un avocat en droit de la construction, un ouvrier, un urbaniste, un entrepreneur, un spécialiste des insectes bâtisseurs, une conseillère en investissements, une travailleuse chinoise et une représentante d’un organisme anti-corruption, pour tenter d’embrasser toute la complexe réalité qui se déploie à partir du secteur du BTP, où la précarité et la pauvreté percute la recherche du profit à tout prix.
Qui se cache sous ce casque ?
Parallèlement au spectacle Société en chantier, les 8-12 ans sont invités par le collectif Rimini Protokoll à découvrir les coulisses d’un chantier, et à endosser tous les rôles nécessaires à son exécution.
Une histoire de l’argent racontée aux enfants et à leurs parents
Sous la houlette de la metteuse en scène Bérangère Jannelle, deux acteurs-conférenciers un peu bizarres déroulent l’omniprésente (et compliquée) question de l’argent, à partir de produits de consommation que tous les enfants connaissent : pâtes, sauces, conserves. Ils remontent dans le temps et entraînent le public dans les rouages de l’économie et du travail, citant volontiers mais sans assommer des théoriciens de tous bords. Un dispositif ludique et éclairant, pour les petits comme pour les grands.