Dans le nouveau pack agricole, une des mesures les plus importantes est l’harmonisation des aides directes aux agriculteurs entre les pays et les régions, avec un niveau minimum de 196 euros par hectare et par an toutes cultures confondues. L’Alsace va sûrement perdre au change. Actuellement, les exploitations de la région touchent 330 euros par hectare en moyenne, pour des exploitations de 40 hectares, en moyenne toujours. Ces aides sont proportionnellement plus élevées que la moyenne nationale car elles ont récompensé pendant des années une haute productivité sur de petites surfaces et comptent parmi les meilleures terres du territoire national.
Denis Ramspacher est président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Bas-Rhin :
« Si tout converge et que les cultures spéciales ne sont plus prises en compte, cela sera problématique en Alsace car on a tout fait pour mettre nos hommes et nos produits en avant, avec de gros rendements sur de petites surfaces. Si seul le nombre d’hectares compte quelle que soit la culture, avec des charges salariales plus élevées sur certaines cultures qui demandent beaucoup plus de main d’oeuvre à l’hectare, ce sera très injuste. Les éleveurs devraient toucher plus que les céréaliers. Et l’Europe n’est pas assez réactive pour soutenir les secteurs qui en ont le plus besoin d’année en année. Nous essayons de retarder le plus possible cette échéance pour nous laisser le temps de nous adapter. »
L’aide à la surface, et non à la personne, pousse en outre les exploitants qui ont les moyens d’agrandir encore leurs fermes, alors que la pression foncière est déjà forte en Alsace.
La nouvelle PAC pourrait renforcer la domination du maïs
Marc Moser, président du Comptoir agricole, une coopérative regroupant plus de la moitié des producteurs bas-rhinois, est lui aussi inquiet :
« Même si les mesures compensatoires prévues, qui surpriment (sic) les 50 premiers hectares pour avantager les petites exploitations, peuvent adoucir la réforme, le risque est de paupériser les agriculteurs et de construire une population de double actifs, obligée de cumuler leur activité agricole avec une activité annexe. »
C’est déjà le cas pour la moitié d’entre eux, avec comme conséquence directe, la propension à se tourner vers des cultures rémunératrices. Au premier rang desquelles le maïs, qui occupe déjà 45% des 200 000 hectares de surface agricole en Alsace et 60% des terres labourables, à replanter chaque année. Résistant, bien coté sur le marché mondial, nécessitant peu de travail manuel, c’est la solution idéale pour occuper des terres au meilleur prix.
Quid de la diversification ? Marc Moser regrette :
« Je crains que l’agriculture alsacienne ne soit trop simplifiée. J’aimerais qu’on maintienne toutes les cultures. Un des grands loupés de la PAC est d’avoir manqué d’ambition dans la réorientation et dans le dialogue avec la grande distribution : elle aurait dû réguler les marges, oser communiquer avec le consommateur, lui expliquer le coût des marchandises produites localement, les bénéfices pour l’emploi et les promouvoir davantage ».
La culture du houblon menacée
Dans la famille des cultures menacées, on compte le maraîchage, très peu subventionné et pourtant primordial en terme de dynamique rurale et d’impact social, l’élevage, qui subit de plein fouet la hausse du prix des matières premières, les scandales alimentaires et autres variations du prix de la viande, le tabac, mais aussi le houblon, symbole historique de la région.
Le houblon alsacien, qui représente 95% de la production française, renaît doucement de ses cendres après avoir perdu son principal client en 2009. En outre, ce secteur est touché par la fin des aides spécialisées prévues par la PAC. Mais elles n’étaient que de 80€ par hectare et par an, ce qui ne représente pas grand-chose au vu des 500 ha qui subsistent après le brutal resserrement du marché, par rapport aux 860 ha en 2008.
Bernard Ingwiller, président du Groupement des producteurs de houblon de France, reste assez optimiste malgré quelques obstacles au développement de la filière en France :
« Nous remontons la pente au niveau de la production grâce à la mise en place de nouvelles variétés, récupérons progressivement des marchés à gauche à droite. La Région Alsace nous a soutenu pour une grande action de prospection à l’étranger. Mais l’Europe devrait financer une vraie politique de recherche, à hauteur de 400 à 500 000€ par an pour trouver de nouvelles variétés et nous permettre de nous retourner facilement en cas de perte de marchés ».
Il regrette également le manque d’harmonisation européen au niveau des produits phytosanitaires, pour traiter les maladies de la plante :
« Au nom du principe de précaution, la France nous interdit plein de produits alors qu’ils sont autorisés par l’Europe. Les Allemands ont le droit d’asperger ce qu’ils veulent alors que nous perdons 10% de la production chaque année, bouffée par les charençons ».
Marc Moser pointe une autre difficulté chronique pour la compétitivité alsacienne : les coûts de main-d’oeuvre moindres outre-Rhin :
« Les Allemands paient leurs saisonniers 7€ de l’heure, nous 12 à 13€. Avec 250 heures de main-d’oeuvre par hectare, la différence est vite vue. En plus, depuis des années, ils ont regroupé leurs subventions dans des coopératives qui ont fait de gros investissements, alors que chez nous elles ont été distribuées individuellement aux houblonniers pour qu’ils puissent survivre ».
Aujourd’hui, la cinquantaine de houblonneurs de la région reprend confiance avec la signature de nouveaux contrats, bien que la filière ne survive toujours que grâce aux paiements directs.
La viticulture fait son entrée dans la PAC
En parallèle, les viticulteurs font leur entrée dans le système PAC alors qu’ils n’ont jamais été subventionnés par l’Europe qui considérait que le travail de la vigne était l’activité agricole la plus rémunératrice et ne nécessitait pas d’aide extérieure. C’est de moins en moins vrai, à cause de la crise qui sanctionne les « produits de luxe », la hausse des coûts de l’énergie et des charges, la stagnation du prix de vente au kilo et la baisse globale du rendement alsacien.
Jérôme Meyer, président du syndicat d’initiative de Blienschwiller, est un jeune viticulteur très impliqué dans l’évolution de son activité :
« Dans la nouvelle réforme, ils ne peuvent plus nous exclure. Ils nous ont donc proposé le système de paiement direct, que nous avons refusé car nous craignons que cela fasse baisser le cours du vin, comme pour les autres cultures ».
A la place, la profession a opté pour l’OCM Vin, une politique d’aide à l’investissement, conditionnée à des contraintes administratives et environnementales et rattachée pour la première fois à la PAC. Pour la période 2008-13, ce procédé, qui permet de déduire 35 à 40% du montant de l’investissement (export, prospection à l’étranger, amélioration du matériel), avait été géré par France Agri Mer. De façon désastreuse selon Jérôme Meyer :
« L’enveloppe qui aurait du tenir cinq ans a été dilapidée en un an. Les coopératives agricoles se sont jetées dessus, il ne restait plus rien pour les particuliers. Dans la nouvelle réforme, l’enveloppe est versée annuellement mais il n’y a toujours pas de plafond et ce sont les premiers arrivés les premiers servis ».
Cette année l’enveloppe de 280 millions a été épuisée en trois semaines.
Pas de réel verdissement de l’agriculture
La nouvelle PAC avait également pour objectif de rapprocher la protection de l’environnement de l’agriculture, mais selon Rémi Picot, agriculteur à Pfaffenhoffen et membre de la Confédération paysanne, il n’y a rien à attendre de ce côté là :
« Nous regrettons qu’il n’y ait pas beaucoup de changement en faveur de la souveraineté alimentaire : les aides ne sont que des palliatifs, les cours devraient être rémunérateurs pour qu’enfin, la production soit relocalisée plus près des consommateurs. Ce ne sera pas le cas. »
Pour cet éleveur d’ovins bio, l’Europe a manqué l’occasion de pousser les gens à la transition, du soja vers un système herbager par exemple, notamment en passant pratiquement à la trappe l’aide aux petites fermes. Trop compliquée à mettre en œuvre, une « petite ferme » en France et en Roumanie ne signifiant absolument pas la même chose. Hormis dans les zones à chrysomèle, la rotation des cultures a aussi été supprimée, et l’obligation de diversification des cultures reste bien timide (trois cultures au moins, maximum 70% pour la première, minimum 5% pour la dernière).
La base de ses revendications ? Que l’agriculture et l’alimentation reviennent au premier plan des préoccupations de la société, pour retrouver la confiance des consommateurs, et enfin vivre des prix d’achats et non des primes.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Couvents, crèches, hôpitaux… Ils reçoivent aussi la PAC
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