Un après-midi de début juin, Lola, Maxime et Manon, 27 ans tous les trois, accueillent dans le grand jardin de leur écluse. Rue du Doubs, au croisement des quartiers de l’Elsau, de la Montagne Verte et de la Meinau, ils investissent petit à petit les lieux depuis le 24 décembre. « C’est le jour où on a remporté l’appel d’offre », se rappelle Lola : « Sacré cadeau de Noël ! On a bossé pendant des mois pour ce projet. » Quelques événements auront lieu cet été, mais l’ouverture officielle est prévue en novembre. Elle aura finalement lieu quelques mois plus tard, le samedi 14 mai.
Les trois dévoilent L'Orée 85 :
"Il y aura un espace de restauration, pour toutes les bourses et tous les estomacs, avec des aliments et des boissons locales, fournis par des producteurs locaux comme l'îlot de la Meinau pour les légumes, Perle et Meteor pour les bières. Dehors, on aura une ferme pédagogique, avec un potager en permaculture, des ruches et un poulailler. Et on proposera une programmation culturelle avec des ateliers, des concerts, des dj-sets, des vide-dressing, des projections ou encore des soirées-débat. On a plein d'idées, mais cela dépendra aussi des propositions que nous recevrons. Le but, c'est que tout le monde puisse s'approprier le lieu et le faire vivre."
"On donne tout pour monter un projet qui a du sens pour nous"
En 2020, Voies navigables de France (VNF), propriétaire de l'écluse numéro 85, avait lancé un appel à projet pour mettre les 90 m² d'intérieur et surtout les 700 m² de jardin à disposition, pendant au moins 5 ans, pour un loyer de 650 euros par mois. C'est l'Orée 85 qui a convaincu le jury, composé aussi d'élus de l'Eurométropole de Strasbourg (EMS). Pour l'instant, les fenêtres du bas de la maison sont encore emmurées. Le lieu n'était plus utilisé depuis 2016. "Il doit être réhabilité. On a déjà tout défriché dehors", explique Manon :
"On commencera un grand chantier participatif fin juillet, avec l'aide des architectes de l'Atelier Na, qui utilisent des modes de construction écologiques. Un partie des travaux sera réalisé par des artisans. Pour financer ça, il nous faut 15 000 euros. Nous avons mis en ligne une cagnotte de financement participatif, pour les bonnes âmes qui veulent nous soutenir."
Le financement participatif sur Okoté permet d'obtenir pour chaque don de 1€, un abondement de 1€ de la Ville de Strasbourg, 50 centimes de Quonex Alsatel et 50 centimes de Météor.
À l'ombre d'un arbre, jus de fruits à la main, Maxime relate avoir mis un terme à une carrière qu'il venait de débuter dans des labels de musique comme Universal et Sony. Manon a fait l'école hôtelière mais n'appréciait pas "l'ambiance sexiste et autoritaire du milieu de la restauration." Lola, quant à elle, est fraichement diplômée en médiation culturelle. "On vit en coloc' ensemble et ça fait un moment qu'on cherche à avoir un projet qui a du sens pour nous", raconte Manon. Avant d'ajouter :
"'On est passionnés. On vivra du RSA les premiers mois. Au bout d'un an, on devrait se sortir 1 000 euros par personne, puis le SMIC la troisième année. On va embaucher deux ou trois salariés pour la cuisine et le service. On rémunérera aussi certains intervenants culturels."
Une programmation très accessible
Maxime explique que "l'équilibre économique reposera sur le restaurant et le bar" : seulement 5% du chiffre d'affaires dépendra de la programmation. Tous les événements seront très accessibles ou gratuits. Lola poursuit :
"On veut être un lieu de vie et de rencontre inclusif. Il sera possible de travailler sur place ou simplement de venir se détendre et discuter dans le jardin. Le but c'est aussi de sortir d'une logique capitaliste où le public vient pour consommer."
Un thème revient souvent dans la bouche des créateurs de L'Orée 85 : "être un espace de rencontres entre des personnes différentes, ne surtout pas se cantonner à la classe moyenne du centre-ville". Pour cela, "on veut s'ancrer dans le quartier, en invitant les autres acteurs des environs à proposer des choses. La programmation culturelle sera très variée", explique Maxime. Et Manon de glisser : "Pour que les gens se sentent vraiment inclus, il faut qu'ils puissent investir le lieu. On doit avoir un fonctionnement très horizontal." Elle montre un centre d'hébergement, visible depuis L'Orée 85, où logent des personnes toxicodépendantes : "Certaines sont déjà venues pour aider au jardin. On veut aussi approcher le centre de réinsertion sociale Entraide le Relais, à cent mètres. C'est comme ça qu'on cherche, de manière ultra locale."
"On a clairement un objectif militant"
Lola, Maxime et Manon, enthousiastes, font la visite des lieux. Ils expliquent à quoi ressemblera l'intérieur une fois fini : une cuisine, des tables, et à l'étage, un espace convivial ainsi qu'une salle de projection et de débat. En trame de fond, les nouveaux habitants de l'écluse "revendiquent complètement" une visée militante. Lola indique que "les portes seront entièrement ouvertes aux collectifs et associations écologistes, sociales ou encore féministes". Maxime poursuit :
"Créer un espace alternatif, dont la fonction n'est pas marchande, d'après nous, c'est un acte engagé. Ça ouvre un champ des possibles. Évidemment, on sait qu'on n'est pas seuls, et on veut s'inscrire dans le paysage des lieux alternatifs strasbourgeois comme la maison Mimir ou le Molodoï. Heureusement que ces espaces existent, ils permettent de cultiver une autre façon de vivre."
L'eau du canal du Rhône au Rhin rafraichit l'atmosphère. Maxime saute sur son vélo pour aller déposer des dossiers administratifs pour L'Orée 85. Lui et ses amies donnent déjà rendez-vous à l'écluse les 3 et 4 juillet pour les 48h de l'agriculture urbaine :
"Il y aura des ateliers pour apprendre à dessiner des motifs sur des tissus grâce à des végétaux, pour construire des structures qui font de l'ombre aux plantes ou les aident à grimper, ou encore pour semer et bouturer. Le Samu de l'environnement proposera aussi une exposition sur la pollution des sols et une conférence sur le compostage."
Le tissu des lieux alternatifs comptera bientôt un petit nouveau à Strasbourg. Et les trois jeunes, engagés, se projettent "dans une vie qu'ils ont longtemps rêvé".
Chargement des commentaires…