Tout commence par un « mystérieux courrier anonyme » dont l’auteur se dit salarié de l’hôpital de Hautepierre. La rédaction du journal Le Point s’intéresse à cette alerte dénonçant à Strasbourg des malades du cancer « traités comme des cobayes » et traités avec des opérations lourdes « absolument inutiles ». Le mis en cause est le chef du pôle pathologies digestives, hépatiques et transplantations aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, le professeur Philippe Bachellier. Chirurgien reconnu dans son domaine, un professeur reconnu pour ses prouesses techniques et ses méthodes avant-gardistes… mais risquées, selon les éléments publiés par Le Point.
« Cela ne sert à rien d’infliger un tel acte au patient »
Pr Michel Ducreux, oncologue
Pour vérifier ces accusations, le journal a d’abord contacté de nombreux chirurgiens et autres oncologues « de très haut niveau ». Sous couvert d’anonymat, par crainte de poursuites de la part du Conseil de l’ordre des médecins, ces spécialistes ont confirmé les agissements répréhensibles, sur la base des compte-rendus opératoires transmis à l’hebdomadaire.
Le professeur Michel Ducreux, oncologue à l’hôpital Gustave Roussy à Villejuif (Val-de-Marne), précise ainsi au Point que « la chirurgie est possible quand la tumeur est assez petite, qu’elle n’atteint pas les veines ni les artères voisines et ne produit pas de métastases sur le foie. Car il est montré que, même si on l’enlève, elle va récidiver. Cela ne sert donc à rien d’infliger un tel acte au patient. »
L’enquête du Point révèle que le professeur Bachellier a repoussé les limites de la chirurgie pour les tumeurs du pancréas et du foie : « Sur les six derniers mois, nous avons mis au jour au moins onze patients (…) qui ont été opérés malgré la présence de trop nombreuses métastases ».
« Sa qualité de vie a été sérieusement altérée »
L’hebdomadaire rapporte le cas d’un patient, opéré pendant huit heures, dont la quasi-totalité du pancréas, la rate et une glande surrénale ainsi qu’une partie du foie et de l’estomac ont été enlevés. L’homme est décédé huit mois après l’opération après avoir souffert de grande fatigue, de douleurs, d’une perte de poids de 15 kilos et de diarrhées incessantes. Un ancien collègue du professeur Bachellier réagit en ces termes à cet exemple : « Cette personne n’aurait jamais dû être opérée car il n’y avait aucune chance d’améliorer sa survie. Par contre sa qualité de vie a été sérieusement altérée. »
Le chirurgien Philippe Bachellier a répondu au journal Le Point au cours d’un échange tendu, entre menaces et insultes. Le professeur strasbourgeois a notamment assuré qu’il est de sa mission « de ne pas se contenter des acquis mais d’aller un peu plus loin ». Il a renvoyé vers deux éminents confrères pour assurer sa défense. Sauf que ces derniers ne soutiennent pas la totalité des opérations menées par le chirurgien strasbourgeois. « Le problème, c’est qu’il n’a jamais prouvé formellement les bénéfices de sa chirurgie », affirme l’un d’eux, Karim Boudjema, spécialiste de la chirurgie viscérale et digestive à l’hôpital universitaire de Rennes.
Une pratique très lucrative
Pour le professeur Bachellier, l’intérêt de ces opérations est aussi financier. Le journal Le Point révèle que le chirurgien perçoit le montant d’honoraires le plus élevé des HUS : 434 921 euros en 2021 (avant redevance à l’établissement de santé, cotisations sociales et impôts) grâce à son activité libérale au sein de l’hôpital.
Le journal Le Point a sollicité l’ancien et l’actuel directeur des HUS, Michael Galy et le professeur Samir Henni, de même que le président du comité médical d’établissement, le professeur Emmanuel Andres. Aucun d’entre eux n’a donné suite aux demandes d’entretien de l’hebdomadaire.
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