Pour améliorer les transports depuis le déconfinement, l’État et la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) proposent une aide directe de 50€ pour faire réparer son vélo. Appelé « Coup de pouce Vélo, » ce dispositif a généré des centaines d’appels chez les réparateurs strasbourgeois, qui ont rempli des centaines de dossiers et réparé autant de vélos. Certaines boutiques ont ainsi pu retrouver une partie de leur chiffre d’affaires perdu lors du confinement.
Mais des vélocistes pointent des bugs dans la plateforme Alvéole, censée enregistrer ces opérations et leurs remboursements, des dossiers trop longs à remplir et des retards dans les paiements… car les réparateurs avancent les frais. En outre, certains particuliers ont asséné les réparateurs de « voleurs, » quand ils ont découvert que l’opération ne couvrait pas la TVA, d’autres se sont vengés en laissant des avis négatifs sur internet.
Au 17, rue de la Première-Armée, une haie d’honneur formée de vélos accueille les clients. Au bout de l’allée, à son bureau, le gérant du magasin de vente de scooters et vélos Stras’bike, encaisse une dame d’une « quinzaine d’euros ». Elle récupère son vélo réparé grâce à l’opération « Coup de pouce. » Au fond de la boutique, l’atelier est occupé par trois vélos, et les réparations s’enchaînent. « On a arrêté de compter les réparations Coup de pouce », explique Abel Abdelali, un des deux réparateurs.
« On a arrêté de compter »
Sauf urgences, le planning des réparations d’Abel est complet jusqu’à la mi-juillet. Les deux employés reçoivent une vingtaine de vélos par jour. Ils se sont adaptés à la demande et ouvrent désormais six jours par semaine au lieu de cinq habituellement.
Alors qu’il effectue des réparations presque sur deux vélos à la fois, le téléphone retentit pour la troisième fois en quinze minutes. Il commente :
« Certains réparateurs de vélos ne décrochent plus leur téléphone, surtout pendant les deux ou trois premières semaines. Mais là ça se calme, les gens se rendent compte qu’ils appellent trop tard. C’est la guerre. »
Abel Abdelali, réparateur à Stras’bike, Strasbourg.
Un matin, une file d’attente de 30 mètres faisait face à Fariar Fazeli, co-gérant de Tendance Cycle, au 7 rue d’Alsace. Avec une capacité de vingt vélos en magasin, son équipe en répare 100 par semaine depuis le 11 mai. L’année dernière, à la même période, il en comptait cinquante. « On est complètement débordés », ajoute-t-il, « on se garde le samedi pour effectuer d’autres tâches qu’on n’a pas le temps de faire dans la semaine ».
Face à l’afflux de demandes, l’atelier de réparation à domicile, MarcoVelo a décidé d’arrêter temporairement la mise en oeuvre du dispositif, au moins jusque la mi-juillet.
Des vélos sortis de la cave
Les cyclistes demandent principalement des révisions, des changements de pneus, de chambres à air et de freins. Depuis que le dispositif a été annoncé, les gens ont « sorti les vélos de la cave, » selon le mot d’un réparateur, notamment en raison des limitations appliquées aux transports en commun.
Certains vélos sont à l’état d’épave, explique un réparateur : « Il y a des « petits malins » qui récupèrent des vélos qui ont été jetés en Allemagne. Ils s’imaginent qu’avec l’aide de 50€ ils vont pouvoir récupérer un vélo intact ». Pour ces vélos, les frais de remise en état peuvent atteindre 200€. Il ajoute : « À mon avis, l’État aurait dû proposer une aide pour acheter un vélo neuf. »
10 à 20 minutes par dossier
Pendant les deux premières semaines, les clients ne pouvaient pas se pré-inscrire sur l’application. Les réparateurs témoignent passer 10 à 20 minutes par dossier. Ils doivent expliquer le fonctionnement du dispositif, prendre les coordonnées des clients, les numéros de série et les photos géolocalisées des vélos. Autant de minutes qui ne sont pas rentables. Parfois des bugs interviennent et les dossiers rentrés dans l’application sont perdus. Le dispositif permet aux réparateurs de renvoyer les dossiers qui n’ont pas pu être envoyés, sans avoir recours au code de vérification que le client reçoit et doit transmettre au réparateur pour valider le dossier.
Fariar Fazeli, se réjouit de la mise en place du dispositif pour pouvoir rebondir après le confinement, mais il explique :
« Parfois au niveau informatique l’application ne fonctionne pas et remet tout à zéro. C’est une perte de temps. Pour chaque client il faut compter 20 minutes, entre la réception du vélo, la mise en place du dossier, la facturation. Et sans parler de l’intervention sur le vélo ! »
Fariar Fazeli, co-gérant de Tendance cycle
Yannick Giess, chez Cityzen Bike, a reçu un mail de la part d’Alvéole. Le programme s’engage à procéder aux paiements sous vingt-deux jours, au lieu de sept, comme il est indiqué sur le site de Coup de pouce Vélo. Le gérant de Stras’bike, Sabri Abdelali raconte :
« Je suis devenue dactylographe, photographe… Je fais tout sauf réparer des vélos. Toutes mes factures sont à refaire, depuis le début, car mes nomenclatures ne sont pas acceptées. J’ai rentré mes dossiers le 11 mai, trois semaines après on ne m’a toujours pas remboursé. »
Sabri Abdelali, gérant du magasin Stras’bike
L’autre difficulté intervient dans le retard des pièces commandées aux fournisseurs. Les délais de livraisons ne sont pas respectés par les transporteurs et les préparateurs de marchandises. Fariar Fazeli pense que c’est lié au manque de personnel dans les structures couplé à l’explosion de la demande. Alors qu’un de ces fournisseurs livrait en 24 à 48h, dorénavant c’est une semaine et les réparateurs doivent avancer les pièces avant d’obtenir les sommes promises par l’État.
Des adaptations dans l’urgence de la part des entreprises
Certains vélocistes regrettent un manque de communication de la FUB. Ils ont été avertis de l’existence du dispositif par les médias et ont dû s’adapter au fur et à mesure que les informations « tombaient ». Par exemple, les magasins qui utilisaient des téléphones fixes ont dû acheter un smartphone pour enregistrer les clients dans l’application.
One City Tours, rue du Vieux-Marché-Aux-Vins, qui loue des gyropodes et des vélos a vu son chiffre d’affaires baisser de 95% pendant le confinement. L’entreprise proposait également des réparations de vélos aux entreprises, elle a étendu son activité aux particuliers depuis la mise en place de « Coup de pouce vélo. » .
La boutique propose des forfaits qui ne dépassent pas les 50€ hors taxes. Par exemple, pour une réparation et une révision complète du vélo, le montant est de 48€ hors taxes. La réparation d’un pneu atteint 25€ hors taxe sur la pièce et la main d’oeuvre.
Au magasin, le gérant Yves Ackermann relativise :
« Il y a des problèmes liés à la mise en route du dispositif. Les personnes à l’origine du projet ont eu peu de temps entre l’annonce et la mise en place, mais je pense que c’est une bonne initiative. Ce serait bien si on pouvait interagir avec une personne physique. Quand on s’interroge sur le fonctionnement de l’application, on n’a personne vers qui se tourner. »
Yves Ackermann, One City Tours
Le compteur de cyclistes installé devant la Cité de la musique et de la danse a enregistré plus de 15 000 passages du lundi 4 au dimanche 10 mai avant le déconfinement et près de 36 000 la semaine du 18 au 24 mai. Cependant, la Ville de Strasbourg n’a augmenté sa surface cyclable que de 2,2 km.
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