Richard Wagner a abondement puisé dans le folklore et les mythes européens pour composer ses œuvres : Tristan et Isolde, Lohengrin, et surtout la légende de Siegfried, pour sa tétralogie gigantesque L’Anneau du Nibelung. Son dernier opéra ne déroge pas à la règle et va se servir du côté des contes du Graal. Parsifal (autre nom de Perceval le Gallois) en est le héros.
Au château de Montsalvat vivent des chevaliers, immortels grâce aux pouvoir du Graal. Mais leur roi Amfortas, blessé par la Sainte Lance qui lui fut volée par un sorcier, finit par refuser d’effectuer le rituel du Saint Calice. Il espère enfin mourir pour échapper à la douleur.
C’est dans cette situation qu’un jeune voyageur débarque sur les terres de Montsavlat, et tue un cygne. Les animaux étant sacrés dans leur domaine, les chevaliers réprimandent vertement le jeune homme sans nom. C’est Kundry, une sauvageonne et femme maudite par Dieu pour ses fautes passées, qui leur explique son histoire. Il s’agit de Parsifal, un jeune homme fils d’un ancien chevalier du Graal, éduqué dans l’ignorance par sa mère afin de le protéger de la guerre. L’opéra s’appliquera à suivre son périple, sur la voie de la rédemption et de la reconquête de la Sainte Lance afin de laver les péchés du roi Amfortas et d’honorer à nouveau le Graal.
Plus que jamais, l’opéra sert d’oratoire pour la mémoire des disparus et la parole des vivants
Amon Miyamoto est un metteur en scène japonais qui monta Le Pavillon d’or en mars 2018 à l’ONR. C’était à l’occasion du premier festival Arsmondo, consacré au Japon. Ce festival, destiné à la promotion des cultures d’autres pays, fut créé par l’ancienne directrice de l’ONR, Eva Kleinitz, brutalement disparue en mai 2019. C’est également elle qui est à l’origine de ce spectacle, ayant proposé le projet à Amon Miyamoto. Ce dernier déclare ainsi lui dédier le spectacle, et plus particulièrement le personnage de Kundry. L’apparition de celle-ci en ange à la toute fin de l’opéra, survolant la scène, est d’autant plus touchante.
Amon Miyamoto voit dans Parsifal une œuvre qui peut aider à « mieux appréhender le monde d’aujourd’hui ». Il identifie plusieurs axes, et d’abord « le salut des femmes ». Dans cette ambiance chrétienne, la femme est porteuse de toutes les fautes. Kundry est la figure de Marie-Madeleine et d’Hérodiade. Elle est condamnée à l’errance pour avoir rit au passage du Christ sur le chemin de croix.
De même, ce sont les Filles-Fleurs et Kundry qui séduisent les chevaliers et les écartent du droit chemin. Sur elles plane l’ombre du péché originel. La principale source de souillure dans Parsifal demeure l’acte sexuel, venu de la tentation des femmes. La rédemption arrive finalement pour Kundry, par la main de Parsifal. La salut semble donc nécessairement venir du fait de l’homme rédempteur, une lecture dont l’actualité peut laisser perplexe.
Microcosme des individus et macrocosme humain
Amon Miyamoto aime l’idée de pouvoir superposer le microcosme des histoires individuelles et le macrocosme de l’histoire humaine. Il cite en interview le film The Tree of life de Terrence Malick et sa mise en scène exploite cette idée de différentes façons. Tout d’abord, le spectacle ouvre en présentant des personnages muets rajoutés à l’opéra : un enfant, vivant de nos jours, sa mère, et son père que l’on voit juste le temps de son suicide. L’enfant, qui est une réincarnation de Parsifal, semble fuir l’amour envahissant de sa mère, tout comme Parsifal abandonne la sienne pour découvrir le monde. Il se retrouve alors dans un musée.
Il explore les couloirs jusqu’à arriver devant un tableau représentant une épaisse forêt. C’est là que l’intrigue commence, avec les premiers chevaliers entrant et commentant leur situation. Ce dispositif renvoie à un gimmick de cinéma, présentant un parcours initiatique où l’enfant tombe dans un univers inconnu. Aspiré par un livre, un tableau, rencontrant un extraterrestre : l’objectif est de lui faire prendre conscience d’une certaine morale à travers une aventure fantastique.
Une histoire de la souffrance ramenée à son espoir de rédemption
Le musée est omniprésent. Il sert de portée d’entrée et de décor. Jusque dans la chapelle du Graal, où des morceaux de crucifix sont exposés aux murs. Pour Amon Miyamoto, les musées montrent « l’Histoire de l’Humanité condensée. » Et de fait, l’exposition que visite l’enfant s’intitule justement « L’Humanité ». La figure de Parsifal est celle du « chaste fol ». C’est un homme innocent, et cette naïveté est son bouclier, car elle lui permet de rester imperméable aux vices, et notamment à la chair. Le monde est sauvé — il est rédempté, de façon christique — par la simplicité de ce jeune innocent. Il y a là l’idée que, face à la complexité d’une société de plus en plus alambiquée, seul un individu simple pourrait remettre de l’ordre.
Car Parsifal est surtout une histoire de souffrance. Souffrance physique de la blessure incurable. Souffrance morale de l’enfant qui a laissé mourir son parent (Parsifal avec sa mère et Amfortas avec son père, mort de vieillesse une fois privé des rituels du Graal). Les personnages sont tous immortels, pour des raisons et à des degrés divers. Cette permanence dans le temps illustre le caractère éternel de leur douleur : la mort elle-même ne peut les en délivrer. Si Parsifal parvient à la chasser finalement, c’est après avoir accepté pleinement de la subir. Il est une figure clairement christique, et son traitement dans cette mise en scène ne le dément pas.
Une autre idée présente dans l’opéra est l’union entre l’homme et la nature. Cela est notamment exploité dans le dernier acte, où, lors du vendredi saint, toute la nature resplendit admirablement, comme pour s’accorder à la bénédiction de Dieu. Pour Amon Miyamoto, il faut que l’esprit soit purifié pour apprécier la nature. Le singe, personnage muet présent à partir de la fin du premier acte, en est une preuve. Présenté comme un animal doué de sentiments, il est la version de l’homme débarassé de ses passions. Il sert de guide à l’enfant et incarne la candeur de Parsifal.
Le foisonnement des messages et des références peine à les laisser respirer
Le syncrétisme de Parsifal se fait ressentir dans les discours animistes et bouddhistes qui se glissent sous les références chrétiennes. Dans le spectacle, des images du globe terrestre sont régulièrement projetées sur la scène. Outre la dimension cinématographique (la musique et le visuel font fortement penser au logo d’Universal Pictures) c’est là une volonté de faire résonner la dimension universelle de l’intrigue. Ces moments dénotent cependant fortement avec l’atmosphère visuelle du reste de la scénographie. Ils peuvent même verser dans le kitch, notamment lorsque des explosions en gifs animés secouent le globe.
Il est clair que la mise en scène cherche à adopter en tous points une dimension d’universalité. Ainsi, les décors, souvent changeants, offrent des ambiances variées, passant des murs du musée à la chapelle, qui prend des airs de salle d’autopsie. Les chevaliers du Graal portent les armes de soldats de différentes époques, depuis les armures antiques jusqu’aux treillis militaires. Cette tentative d’établir une certaine exhaustivité rejoint l’idée de l’art total wagnérien, dans sa volonté de globalité. Mais le résultat est en demi-teinte. Car si le message est clair pour l’esprit, sa mise en œuvre est trop lourde pour s’unifier fluidement avec la musique wagnérienne.
La présence du double Parsifal permet intelligemment de traiter la pureté du personnage. Notamment lors de la scène des Filles-Fleurs, où le soliste semble plutôt sensible à leurs charmes. Lorsque Kundry est sur le point de vaincre sa chasteté, c’est l’enfant qui le fait réagir, et le sauve. De même, pendant l’affrontement avec le sorcier Klingsor, l’enfant se jette devant Parsifal et le protège d’un coup de lance, y laissant la vie (il sera ressuscité ensuite). Mais cet instant, et le combat d’épées qui le précède, manquent de finesse et relancent le sentiment d’une scène cinématographique brouillonne. Ce combat, joué avec sérieux mais peu dynamique et même pataud, écorche la grandeur de Parsifal. Malgré tout, l’opéra ne souffre pas beaucoup de ces fausses notes, et les cinq heures passent sans accroc.
Amon Miyamoto présente une approche esthétique différente de celle, très colorée et monolithique, qu’il déploya pour Le Pavillon d’or. Il a su s’approprier l’œuvre de Wagner pour tenter d’en livrer une version modernisée et digeste dans son propos, ayant privilégié le traitement d’un nombre restreint de ses thématiques. Cependant, au-delà du plaisir esthétique inaltérable de la musique et des visuels, le résultat peine à délivrer un message clair. Que nous apprend ce Parsifal ? Qu’il faut aimer son prochain, apprécier sa famille, respecter Dieu, craindre la chair ? L’opéra semble vouloir trop en dire et finit relativement inaudible. Ces moralités, explicitées avec force tout au long l’œuvre, sont-elles bien celles dont le spectateur contemporain a aujourd’hui besoin ?
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