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Plongée dans l’opacité de l’Asere, le super syndicat de copropriétaires de l’Esplanade

Dans le quartier de l’Esplanade à Strasbourg, c’est une association syndicale, l’Asere, qui s’occupe des espaces extérieurs. Dépositaire d’un budget de plus d’un million d’euros, cette association est méconnue par les résidents. Et pour cause, ses responsables, pourtant indemnisés par les résidents, maintiennent une communication minimale et goûtent peu qu’on s’intéresse à leurs affaires.

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L'Esplanade est apparue au début des années 60, sa construction a été confiée à la SERS et la gestion des espaces extérieurs à l'ASERE. (Photo JFG / Rue 89 Strasbourg /cc)

Dans le quartier de l’Esplanade, ce n’est pas la Ville de Strasbourg qui gère les espaces verts et les parkings mais une sorte de grand syndicat de copropriétaires, l’Association syndicale libre de l’Ensemble résidentiel de l’Esplanade (Asere), qui rassemble tous les copropriétaires des lotissements créés en 1962 sur 57 hectares. Comme son nom l’indique, elle n’est pas une association classique, mais une « association syndicale libre. »

À l’époque, l’Asere est née parce que les habitants du nouveau quartier de l’Esplanade souhaitaient garder un contrôle direct sur les aménagements des espaces communs, des espaces verts, des parkings et le chauffage urbain collectif. Jérémy (le prénom a été changé), propriétaire rue d’Oslo, résume : « les routes sont à la ville, mais dès qu’on met un pied sur le pavé, c’est à l’Asere ».

En plus de l’entretien des parcelles devant les immeubles, des fleurs, etc., l’Asere gère quelques gros projets comme, récemment, la rénovation du terrain de tennis, ou la gestion du parking rue de Rome.

Un hypersyndicat peu ouvert aux contributions extérieures

Son fonctionnement est pour le moins particulier, pour qui n’est pas habitué, comme Jérémy, qui a découvert lors de son arrivée la manière dont sont prises les décisions de travaux et d’entretien autour de chez lui :

« Quand on devient propriétaire, on adhère automatiquement au syndicat de copropriétaires, qui gère donc les communs, les employés comme le concierge… Et ce sont des entreprises comme Nexity, Foncia qui représentent la copropriété aux assemblées générales de l’Asere… J’ai été un peu surpris du fonctionnement, je ne savais pas que ce serait comme ça avant d’avoir acheté. En-dehors de leur site internet, qui n’affiche aucune actualité, on n’a rien, pas spécialement d’informations ou de communication alors qu’on paie bien une sorte de taxe. »

En fait, chaque copropriété tient des assemblées, puis le syndic la représente à l’AG de l’Asere. Le conseil syndical de copropriété peut aussi mandater un particulier, encore faut-il le savoir. Une sorte de bureau de l’association, appelé syndicat de l’Asere, composé de 5 à 9 membres, fixe l’ordre du jour des AG. Théoriquement, n’importe quel membre de l’association peut « demander l’inscription d’un projet de résolution à l’ordre du jour sous la condition qu’il soit notifié au président au moins 60 jours avant la date de l’assemblée ». Autant dire qu’il vaut mieux s’y prendre bien à l’avance et avant même de connaître la date de la prochaine AG. Car pour celle du 15 décembre, la convocation a été envoyée le 23 octobre, soit… 53 jours avant.

L'Esplanade est apparue au début des années 60, sa construction a été confiée à la SERS et la gestion des espaces extérieurs à l'ASERE. (Photo JFG / Rue 89 Strasbourg /cc)
L’Esplanade est apparue au début des années 60, sa construction a été confiée à la SERS et la gestion des espaces extérieurs à l’Asere. (Photo JFG / Rue 89 Strasbourg /cc)

Les syndics de l’Esplanade gardent la main

Ce système en pyramide gène un peu Jérémy en termes de lisibilité et de pouvoir de décision :

« Ce sont vraiment les syndics qui gèrent le système, un propriétaire ne peut rien dire. Il ne vote pas directement, c’est le représentant de la copropriété qui vote pour lui. C’est comme avoir une voiture et ne pas avoir son mot à dire sur l’utilisation, la réparation, etc. »

D’autres copropriétaires qui participent aux AG de l’Asere oscillent entre la critique et la volonté de défendre l’institution et le président coûte que coûte. Claude (le prénom a été changé), qui a longtemps siégé aux AG de l’Asere en tant que représentant du conseil syndical de son immeuble, explique que la pratique n’est pas toujours parfaitement démocratique :

« Le phasage entre les AG de copropriétaires et les AG de l’Asere n’est pas toujours bon, alors qu’on évoque des engagements pour de gros travaux, etc. On est plutôt dans une dynamique où les AG de copropriétaires servent à rendre compte de ce qui a été décidé à l’AG de l’Asere. Aussi, je trouve que ce n’est pas très clair, ce qu’il se passe au syndicat de l’Asere. Aux AG, on ne nous dit pas tout il me semble. Et puis le nouveau président, Albert Hernandez, en place depuis l’an dernier, a souhaité que les AG n’aient lieu qu’une fois par an, au lieu de deux fois par an précédemment. »

D’un autre côté, il est philosophe sur les écueils de la structure, qu’il juge utile malgré tout :

« Avec l’ampleur du quartier, on ne peut pas faire voter tout le monde individuellement. Comment faire une démocratie directe avec autant de gens ? Aussi, c’est assez habituel que l’AG ait moins « d’importance » que le syndicat. C’est souvent le cas qu’un bureau gère des affaires courantes et qu’une assemblée entérine. »

Michel est copropriétaire à l’Esplanade depuis dix ans et siège régulièrement aux AG de l’Asere en tant que mandataire de sa copropriété. Il balaie d’un revers de main les critiques d’opacité :

« Chacun peut assister aux AG, il suffit d’y aller, même si chaque propriétaire tout seul ne peut pas voter. Moi j’y vais et j’interviens dans les débats s’il le faut. Les gens n’ont pas envie de s’impliquer puis disent après qu’ils ne sont au courant de rien. Il faut aussi se rendre aux assemblées des copropriétaires pour donner son avis et contribuer à la position qui sera prise par son représentant. Moi j’ai toujours eu une écoute auprès de l’Asere. »

Tensions sous-jacentes et omerta

Pourtant, quelques voix dissidentes se font jour quant au statut de l’association, et elles souhaitent s’impliquer. Lors de l’assemblée générale du 15 décembre, le président actuel devait faire face, après un an de mandat seulement, à un opposant, Luc Lefèvre, engagé notamment au club de football Pierrots-Vauban et à l’Ares (association des résidents) par le passé. Une opposition qui voulait notamment changer le statut d’association syndicale en association classique. Mais les membres de l’Asere, à l’image de Michel, affirme que ces voix ne font pas grand bruit :

« Cette proposition est contestée au sein de la plupart des membres de l’Asere. Il y a toujours des soupçons de favoritisme, de détournements. Mais on a des chiffres clairs, des analyses comptables. M. Hernandez fait correctement son travail. En plus je ne suis pas sûr que cela reviendrait moins cher à l’association de quitter le statut d’association syndicale. »

Tout en défendant le bilan de l’Asere, Claude concède qu’il y a « très nettement des tensions » mais qui restent marginales selon lui :

« Je n’ai pas entendu parler de l’opposant, je n’ai même pas reçu ma convocation officielle pour l’AG, mon syndic tarde un petit peu. Je ne sais pas ce que propose ce monsieur, mais de toute façon il y a toujours une petite poignée de critiques, mais ça ne vaut pas le coup d’en faire un chapitre. »

C’est sûr : tous les candidats à la fonction de président doivent normalement postuler par une candidature écrite détaillant leurs engagements. Mais les copropriétaires de l’Esplanade, y compris ceux siégeant à l’Asere, n’en ont pas eu connaissance. Résultat, toujours selon Claude :

« Il n’y a pas grand-chose à dire sur l’AG de décembre. Le président a été réélu à la quasi-unanimité, sans problème particulier. »

Contacté avant et après cette assemblée générale, Albert Hernandez, le président actuel refuse de s’exprimer sur l’association sur le mode « circulez, il n’y a rien à voir. » Quant aux autres personnes contactées, craignant d’être reconnues, elles ont presque toutes souhaité que soient masquées leurs identités ou des caractéristiques qui les désigneraient… Ambiance.

Des charges supplémentaires pour les habitants…

Car si certains résidents aimeraient avoir leur mot à dire, c’est aussi pour une question d’argent. En plus des taxes que paie n’importe quel Strasbourgeois, chaque résident de l’Esplanade s’acquitte en plus d’une participation à l’Asere, prélevée avec les charges. Ainsi en 2015, les habitants d’une tour de 17 étages de la rue d’Oslo, soit 104 logements (dont celui de Jérémy), avaient payé 11 467€ au titre des « gros travaux », somme partagée entre 6 780€ de charges locataires et 4 359€ de charges propriétaires. Chaque foyer de locataire de cette tour a donc versé en moyenne 65€ cette année-là à l’Asere.

Marie est propriétaire d’un appartement rue de Boston depuis 30 ans, et concède :

« C’est sûr que ça rend le quartier un peu plus cher qu’ailleurs. Pour mon 4 pièces, je paye au moins 330€ de charges tous les mois. Je n’ai aucun contact avec l’Asere, et comme je ne suis pas conseil syndical de la copropriété, je ne sais pas grand-chose sur ce qui est fait avec cet argent. »

Jérémy trouve que la structure « brasse beaucoup d’argent » et que des résidents « ont l’impression de se faire un peu avoir », notamment quand on rajoute le prix du stationnement, devenu payant à l’Esplanade il y a un an, alors qu’il était auparavant gratuit. Aujourd’hui, les résidents peuvent prendre un abonnement mensuel à 15€ par mois.

Les rues de l'esplanade sont devenues payantes et ajoutent aux frais des résidents qui payent leurs taxes habituelles et des charges pour l'ASERE. (Photo JFG / Rue 89 Strasbourg /cc)
Les rues de l’esplanade sont devenues payantes et ajoutent aux frais des résidents qui payent leurs taxes habituelles et des charges pour l’Asere. (Photo JFG / Rue 89 Strasbourg /cc)

… pour alimenter un gros budget

Pour 2018, le simple budget de fonctionnement prévu est de 719 000€, dont 285 000€ de frais de personnel (les personnes qui s’occupe de l’entretien, etc), et les honoraires du secrétaire (28 000€ toutes charges comprises, soit environ 1 200€ par mois) et du président (21 000€ l’année). Le président exécute les décisions de l’AG et du syndicat, assure la gestion du personnel employé et son paiement. Le secrétaire trésorier est responsable de la gestion administrative et comptable de l’association. Il faut ajouter à cela le budget gros travaux, prévu à hauteur de 400 000€ pour 2018, pour des travaux de réfection de revêtements extérieurs, de remplacement de dalles, ou encore de réfections de parking comme celui de la Citadelle.

Le budget de fonctionnement 2017 de l’Asere (doc Asere)
Le budget d’investissement 2017 de l’Asere (doc Asere)

Pour Claude, il est toujours facile de critiquer quand il s’agit d’argent, alors que l’Asere entreprend des actions conséquentes en plus des entretiens des espaces verts :

« On entend toujours des gens dire qu’ils trouvent que les charges sont chères. La critique est permanente : l’Asere serait mal gérée, il faut réduire les frais etc. Mais si on veut vivre dans un espace commun, il faut bien l’entretenir. Ce n’est pas si cher que cela, ça doit être 10 à 15% des charges. Mais pour certains, 1€ dépensé, c’est déjà 1€ de trop. »

Pour lui, il s’agit juste d’un format particulier de copropriété, un grand terrain privé qu’il convient d’entretenir en y mettant chacun sa part.

Du côté de la commission de contrôle, tout va bien, les dépenses sont correctement affectées. Son dernier rapport, de mars 2017, résumait et approuvait les dépenses de l’exercice 2016 : 687 554€ de gestion, 360 960€ de « gros travaux », et 11 883€ pour rénover le parking de la rue de Rome.

Michel concède que ce système est une « bizarrerie » mais considère qu’une gestion par la Ville serait plus problématique :

« Je ne suis pas sûre que les espaces verts seraient aussi bien entretenus par la Ville. Surtout, la plupart de ces espaces se situent au-dessus de garages en sous-sol, alors la municipalité devrait systématiquement interagir avec les copropriétaires, ce serait plus compliqué. Au final, la gestion des communs de l’Esplanade est un peu un patchwork mais qui fonctionne. »

Tant que personne n’y trouve à redire…


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