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Olivier Tesquet : « Je crains plus l’installation d’une surveillance généralisée que StopCovid »

Auteur de « À la trace. Enquête sur les nouveaux territoires de la surveillance », Olivier Tesquet revient sur les développements récents de la surveillance de masse, à l’occasion de la crise sanitaire. Il sera l’invité de notre soirée « Tous connectés et après » lundi 18 mai à 19h avec Nehalenniæ Oudin de la Quadrature du Net.

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Olivier Tesquet : « Je crains plus l’installation d’une surveillance généralisée que StopCovid »

Alors que le gouvernement prévoit d’utiliser une application pour tracer les contacts de personnes infectées par le coronavirus, que des drones parcourent la plage de Nice pour intimer aux gens de rester chez eux, Olivier Tesquet ne peut que constater depuis la crise sanitaire l’augmentation des mécanismes de surveillance qu’il a décrit dans son livre, « À la trace. Enquête sur les nouveaux territoires de la surveillance » (Édition Premier Parallèle), paru en janvier.

Invité du Shadok et de Rue89 Strasbourg lundi 18 mai à 19h pour une séance confinée (donc en visio, voir ci-dessous), il revient sur les enjeux posés par la crise sanitaire du coronavirus en termes d’atteintes à la vie privée.

Rue89 Strasbourg : « A la trace » est très documenté. Pourquoi avoir choisi l’essai sociologique pour parler des techniques et des outils de la surveillance ?

Olivier Tesquet : En fait, c’est le résultat d’un long travail de documentation, que je mène depuis que je suis journaliste, d’abord chez Owni, un média dédié aux questions du numérique, puis chez Télérama. Je me suis rendu compte qu’il n’existe pas d’Histoire des systèmes qui permettent la mise en place d’une surveillance généralisée, parce qu’ils apparaissent par couches successives. Il y a encore dix ans, le numérique était plutôt perçu comme libérateur. Avec par exemple l’utilisation des groupes de Facebook qui ont porté la parole des groupes rebelles pendant le Printemps arabe… Puis on s’est aperçu que ces mécanismes émancipateurs pouvaient aussi être de formidables instruments de contrôle.

Olivier Tesquet (doc remis)

Donc l’objectif de « À la trace » est de rappeler les articulations qui ont permis la situation actuelle, une sorte de cartographie, d’atlas, de la surveillance avec ses acteurs, des groupes clandestins aux États, visibles ou invisibles. Je ne suis pas chercheur, mais je démontre par l’exemple qu’il y a une dimension systémique dans l’installation de ces mécanismes, ce qui me rend d’autant plus inquiet quand je constate la situation actuelle.

Le gouvernement prévoit de déployer une application StopCovid, afin de retracer l’origine des infections, ce qui suppose un traçage de l’ensemble des citoyens dotés d’un smartphone…

Oui mais le débat sur StopCovid est en cours, et relativement bien documenté. Il peut en outre devenir vite très technique entre spécialistes d’architectures ouvertes ou distribuées par exemple… J’ai peur que cela occulte quand même les vrais enjeux. Parce que pendant que tout le monde parle de StopCovid, une prolongation de l’État d’urgence sanitaire est décrétée avec l’utilisation de dispositifs intrusifs sans que ça n’émeuve grand monde…

On s’aperçoit par exemple que se met en place une « économie de la distanciation physique » avec des acteurs qui sont les mêmes que ceux qui prétendaient hier lutter contre le terrorisme. Des caméras de vidéosurveillance par exemple sont utilisées à Cannes pour traquer cette fois ceux qui ne portent pas de masques… On passe de la sécurité « tout court » à la sécurité sanitaire mais ce sont les mêmes entreprises.

« La sécurité sanitaire, une bonne mesure électoraliste »

Et comme avant, de nombreux élus sont tentés d’en faire trop pour plaire à une frange de leur électorat… On répond que tout se fait sous le regard de la CNIL, mais c’est faux. Dans le cas des portiques à reconnaissance faciale installés dans les lycées, il aura fallu un signalement pour que la CNIL s’y intéresse et rappelle que c’est illégal.

La lutte contre le coronavirus est une bonne excuse…

Aux États-Unis, ils ont une bonne expression pour parler de ce phénomène… Ils appellent « function creep » le détournement d’un dispositif pour un autre usage que celui qui avait été prévu. Pour des questions liées à la lutte contre l’épidémie, on fait sauter des digues qui protègent la vie privée ou le secret médical. Mais rien n’est prévu dans le cas où ces dispositifs sont détournés ensuite.

Par exemple à Nice, la Ville a trouvé malin d’utiliser des drones pour rappeler à ses citoyens de respecter le confinement. C’est une première brèche dans l’utilisation de ces appareils, dans une optique de surveillance de tous, en plein dans l’espace public du quotidien…

Quel est le lien entre ces mécanismes de surveillance ?

Je dirais que l’aspect le plus inquiétant, c’est la privatisation et la sous-traitance d’une partie des fonctions régaliennes à des firmes privées. On a beaucoup glosé à propos du « score social » chinois mais ces techniques de « scoring » sont issues des méthodes de surveillance algorithmiques et s’imposent partout… Notre superbe carte actuelle des départements rouges et verts est une forme de scoring sur laquelle on a peu de prise, or il en résulte des droits attachés différents.


#Olivier Tesquet

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