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October Tone, dix ans de sueur au service de la musique indépendante

Le label strasbourgeois October Tone fête ses dix ans. La structure associative qui accompagne des musiciens doit maintenant se muer en société, sans perdre son identité collaborative, d’indépendance et de rapport au public.

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October Tone, dix ans de sueur au service de la musique indépendante

On voit arriver Atef Aouadhi de loin. Ce grand échalas ne passe pas inaperçu avec pourtant l’air de toujours surgir d’une autre dimension. Apparu dans les colonnes de Rue89 Strasbourg il y a huit ans, Atef est à Strasbourg depuis 2005. Il y était venu de Mulhouse pour des études d’informatique de gestion, un conseil d’orientation parce qu’il « aimait bien internet ». C’est raté.

Conquis par le bouillonnement culturel de Strasbourg, Atef a plutôt fait de la musique. Depuis longtemps bercé par Joy Division, The Cure ou Arcade Fire, l’étudiant a rapidement cofondé un groupe de « post-punk » : Hermetic Delight. Puis il a cofondé le label October Tone en 2012. Dix ans plus tard, cette « association de développement d’artistes » rayonne bien au-delà de Strasbourg, avec des groupes devenus des références de la scène indépendante française (Amor Blitz, Bang Bang Cock Cock, T/O…). Pour son anniversaire, le label propose une série de rendez-vous en Alsace et à Paris avec les fameuses October Tone Parties, les 28 et 29 octobre au Molodoï.

Atef Aouadhi en octobre 2022 Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc

Rue89 Strasbourg : comment est né October Tone ?

Atef Aouadhi : On ne sait pas bien quand est née l’idée de s’associer à plusieurs groupes. C’était en 2011 ou 2012 avec 100% Chevalier, Pauwels, Amor Blitz, Spider et Hermetic Delight. On a eu besoin de se vendre, de s’enregistrer, de se proposer aux tourneurs, de publier nos morceaux sur les plateformes, etc. C’est beaucoup de boulot, on n’avait pas l’argent pour payer des gens pour le faire mais on s’était rendu compte que chacun d’entre nous avait une partie des compétences. October Tone est né de cette mise en commun des savoir-faire extra-musicaux. La première October Tone party a eu lieu au Molodoï en octobre 2012, ça au moins c’est sûr.

Hermetic Delight – Rockstarlari

Un budget d’environ 150 000€

Puis on a créé l’association et ça a bien pris. Plusieurs groupes nous ont rejoint. Les tailles, maturité et styles ont varié mais on veille à n’intégrer que des groupes qui ont un projet professionnel, dont la musicalité nous plait et qui sur scène ont un rapport franc et direct avec le public. En dix ans, October Tone a dû accompagner environ 25 groupes et la sortie d’une quarantaine d’albums. Aujourd’hui, la structure brasse un budget d’environ 150 000€, dont un tiers est redistribué à environ 40 artistes.

À quoi sert October Tone aujourd’hui ?

Alors c’est la grande question. Un label fait tellement de choses ! J’aime dire qu’October Tone est un lien entre l’underground et l’upperground, nous aidons des groupes à émerger. Nous nous sommes constitués en association et on va devoir évoluer, parce que dans l’industrie de la musique, il faut être une société pour accéder à certains financements.

Give de Laventure, l’une des dernières pépites du label.

La troisième génération aux commandes

Il faut aussi qu’on se professionnalise et pour ça, je compte beaucoup sur l’équipe actuelle qui est la troisième génération à faire tourner October Tone : Florence Collin à la production générale et à la recherche de financements, Nicolas « bob » Kientzler à l’administratif et comptabilité, Flore Beriel qui touche à peu près à tout, Quentin Asset qui fait tourner les groupes… On est pas loin de cinq équivalents temps-plein désormais à s’occuper des groupes, et ça change parce qu’aux débuts d’October Tone, pour masquer le fait que les musiciens faisaient des relations presse ou du booking, nous mettions des prénoms bidons sur les adresses mails… Ça m’a joué des tours quand un agent a voulu rencontrer Olivier Doffmann qui travaillait soit-disant pour Hermetic Delight : j’étais sur scène en train de jouer !

Aujourd’hui, certains groupes sont presque aussi gros qu’October Tone et on se doit de leur apporter un accompagnement tout azimuts impeccable, même si on sait bien qu’à partir d’un moment, ils seront repris par un label de l’industrie musicale… Ce n’est encore jamais arrivé mais je m’y prépare parce que ce sera forcément dur à vivre. La musique, c’est un business très humain mais cruel.

KG, artiste de dark techno existant bien avant October Tone a rejoint le label.

Qu’est-ce qu’il manque à October Tone pour faire sa place dans la cour des grands labels professionnels ?

Pas grand chose et on y travaille. Outre la forme juridique, qui nous empêche de prétendre à des fonds de répartition de droits d’auteurs par exemple, il nous manque encore une ou un « publisher », c’est quelqu’un qui est en mesure de proposer des morceaux du label dans l’industrie audiovisuelle (cinéma, télévision…). C’est un important segment de revenus pour les groupes que nous ne sommes pas en mesure d’offrir et c’est un problème.

Le délicat business de la musique indé

On a aussi besoin de développer notre puissance de frappe sur les ventes de disques. Pas seulement pour les revenus mais parce que ça génère un meilleur rapport de force avec les distributeurs. Aujourd’hui encore, tous nos artistes sont intermittents du spectacle, aucun ne vit uniquement des revenus de sa musique… On ne reçoit quasiment rien des plateformes d’écoute comme Spotify, ni même de Bandcamp… C’est très difficile à travailler et d’y exister au-delà de son cercle de fans. Comme pour le reste, il faut des pros à plein temps.

Au final, il est fort possible qu’une nouvelle structure October Tone voit le jour dans les mois qui viennent et tourne sans moi. Je serais presque ok avec ça… J’espère quand même garder la direction artistique de quelques groupes quand même parce que ça j’aime bien ! »

Le flyer des dixièmes October Tone Parties.

Pour ses dix ans October Tone propose une série de concerts à Mulhouse, Colmar et Paris le 27 octobre. À Strasbourg, les dixièmes October Tone Parties sont programmées les vendredi 28 et samedi 29 octobre mais sans les grandes signatures du label, qui seront présentes en revanche le samedi 5 novembre à la Laiterie (Hermetic Delight, T/O, Amor Blitz). À noter cependant au Molodoï le vétéran des soirées dark-electro, KG, un solide groupe de rock puissant, Pales, et le groupe le plus inclassable du portefeuille, La Flopée, qu’il n’est possible d’écouter qu’en concert – performance.


#October Tone

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