Le samedi 17 octobre, les policiers débarquent subitement en plein après-midi sur la place Gutenberg. Depuis quelques minutes seulement, la Fanfare des Externes et des Internes de Santé de Strasbourg (FEIS) entonne ses morceaux favoris. La raison ? Une plainte du voisinage selon la police. Pour la fanfare qui joue occasionnellement à cet emplacement depuis six ans, c’est une première. Les policiers leur proposent d’aller jouer devant le centre commercial Rivétoile. La troupe s’exécute, mais l’endroit est calme. Les dons, qui servent à renouveler le matériel, sont biens maigres par rapport aux 100 à 200 euros de l’heure récoltés place Gutenberg.
L’association sollicite alors une autorisation officielle pour jouer et ne plus se faire chasser en cas de plainte. Dans un courrier, l’adjoint au maire en charge de la sécurité et du domaine public, Robert Herrmann (PS), répond que Strasbourg n’autorise « pas de percussions ni de d’instruments bruyants dans les rues ». Sans autorisation, la règle pour les fanfares et les musiciens est de se déplacer de 300 mètres toutes les 15 minutes.
Il suffit d’une plainte…
Julien, un des membres de la fanfare ne comprend pas :
« On nous a simplement rétorqué qu’une personne s’est plainte et on ne peut plus jouer. En dehors de cette-fois, la fanfare a toujours été appréciée par toutes les générations. Quand c’est pour animer des événements de la municipalité, comme l’inauguration du square Louise Weiss à la petite France, il n’y a pas de problème. »
Renaud de Maillard, directeur de la réglementation urbaine à Strasbourg, explique que toute occupation physique d’un lieu public, c’est-à-dire à partir d’une chaise et une table, nécessite une autorisation de la mairie, contrairement aux manifestations et rassemblements simplement déclarées en préfecture. Et les règles sont nombreuses :
« Selon l’événement, il faut vérifier le cadre réglementaire, un avis de la commission de sécurité, vérifier les règles d’hygiène, le respect des massifs s’il se déroule dans un espace vert, voire un arrêté qui concerne la circulation… En principe, l’occupation est payante, car la loi demande de valoriser l’espace public. À titre exceptionnel, on peut accorder la gratuité pour des événements caritatifs. La politique générale à Strasbourg est de favoriser les événements autant que possible, sans pour autant dire oui à tout pour des raisons de sécurité, de logistique, mais aussi pour que les événements ne se fassent pas concurrence entre eux. Et puis pour les grandes places du centre-ville – qui sont les plus demandées – on ne peut pas les occuper tous les jours car les riverains ont aussi un droit à se reposer. Toutes les règles, pour chaque situation sont renseignées sur le site strasbourg.eu. »
Au total, ce sont plus de 30 000 actes – tout type d’occupation confondues – qui sont délivrés chaque année.
La fanfare joue quand même et sans problème
La fanfare a choisi de braver l’interdit lors du marché de Noël. Un samedi après-midi, elle a pu passer trois heures place du Château, sous le regard bienveillant… de policiers, déjà bien occupés à sécuriser la grande-île. « Tant qu’il n’y a pas de plaintes, on n’intervient pas », auraient expliqué en substance les représentants des forces de l’ordre aux musiciens.
Rue du Jeu des enfants : « j’aime pas les enfants »
Rue du jeu des enfants, à deux pas de la place de l’Homme de fer, un seul des 25 commerçants est adhérent à l’association des Vitrines de Strasbourg. La rue ne bénéficie pas des illuminations de Noël installées par la même association. Cette année, l’association de la Rue du jeu des enfants (qui réunit des commerçants et des habitants) a souhaité animer la rue du cinéma Star avec des chants de Noël de 10h à 12h, puis de 14h à 19h tous les jours sauf le dimanche.
Une opération autofinancée par l’association et la débrouille entre commerçants. Pas de soucis pour l’autorisation à la Ville, même si la sécurisation du centre retarde l’envoi de l’autorisation à la veille des festivités.
Mais au cours de la troisième semaine d’animation, surprise : la Ville revient sur son feu vert suite à une plainte. Le président de l’association Michel Vigneron, gérant du restaurant le Bouchon brionnais, raconte :
« Tout se passait bien et un matin je reçois un appel : “Vigneron, c’est quoi ce bordel ?”. Nous avions pourtant sollicité tous les habitants de la rue la semaine avant et personne ne s’était manifesté lors des réunions d’information. Seule une personne est venue me voir directement. C’est une dame qui m’expliquait : « J’aime pas les enfants, j’aime pas Noël ». Avec cette deuxième personne qui s’est plainte, nous aurions pu en discuter, nous aurions trouvé une solution, par exemple en déplaçant un haut-parleur. La Ville nous a demandé de baisser le son en menaçant même de tout couper. Nous avions une autorisation jusqu’au 31 décembre mais par souci d’apaisement on a arrêté le jeudi 24. «
Le commerçant regrette un manque de soutien lorsqu’un conflit apparaît :
« Quand on présente le projet on est soutenu, que ce soit par les élus de quartier ou la direction de proximité, mais on dirait que plus haut dans la hiérarchie, les consignes sont différentes. On aimerait bien que ceux qui font bouger la ville soient soutenus même lorsqu’il y a une plainte isolée. »
Pour Renaud de Maillard, les plaintes sont pourtant rares et les règles permettent aussi de justifier les décisions :
« Par rapport à tout ce que l’on autorise, on reçoit peu de plaintes. Il faut ensuite distinguer celles qui sont justifiées de celles de ceux qui n’admettent rien. Si on est saisi, la police municipale ou nos services font le contrôle sur place, par exemple avec un capteur de son. Les règles permettent justement d’objectiver les plaintes et de maintenir ou non les autorisations. »
De la musique ? Bon, mais sans amplification…
C’est l’amer expérience qu’avait fait le café de l’opéra place Broglie en juin, après que ses concerts extérieurs soient interdits suite à des reproches venant de la résidence du gouverneur militaire. Beaucoup de participants s’étaient émus de la décision car la musique était douce et y avaient vu un traitement de faveur. Pour l’été prochain, la direction de la réglementation urbaine propose que les concerts soient autorisés, mais sans amplificateur, « car la place résonne particulièrement » justifie Renaud de Maillard.
Dans les services, tout le monde ne cautionne pas les critères selon lesquels les autorisations sont délivrées ou non. Sous couvert d’anonymat Luc (le prénom a été modifié) concède qu’il aimerait que les services soient plus encourageant avec ceux qui animent la ville :
« On bride souvent les organisateurs en anticipant d’éventuelles plaintes. On a par exemple arrêté des concerts les jeudis soir à la petite France pour une personne. Dans les semaines suivantes, au moins sept personnes nous ont demandées où étaient passées ces animations qu’elles aimaient. »
Hip hop won’t stop, des concerts extérieurs autorisés
Organiser des événements, Philippe Pollaert, gérant du « Mudd Club », un bar de nuit de centre-ville, a l’habitude. Il avait notamment bataillé pour organiser avec l’association Genau La Zone à la tour Seegmuller, puis dans le centre à la brasserie désaffectée Schutzenberger. En 2015, il a pu organiser la première édition du festival Hip hop won’t stop du 29 au 31 octobre, qui comprenait quelques concerts sur les places Saint-Étienne et Mathias Merian le samedi.
Cette réussite prouve qu’il est possible d’organiser de nouveaux événements malgré un agenda officiel déjà chargé dans la grande-Ile. Philippe Pollaert apprécie que la Ville soit souvent preneuse de nouveaux événements, mais déplore les contraintes :
« Cela permet d’animer gratuitement les rues. Pour Hip-Hop Won’t Stop, on a bien veillé à ce que les concerts en extérieur ne finissent pas trop tard, à 19h, avec la suite de la programmation en intérieur. Ce qui peut être gênant, ce sont les autorisations qui parfois arrivent le matin-même et avec des surprises, comme d’arrêter une heure plus tôt que ce qui était demandé. Quand on programme, voire paye, un artiste pour ce dernier créneau, ça devient compliqué. Il faut passer sa journée au téléphone pour rectifier le tir, alors qu’on a souvent d’autres choses à gérer à ce moment-là. »
Pouvoir réglementaire ou arbitraire ?
Même lorsque les situations coincent, elles semblent toujours pouvoir trouver des solutions. Dans un autre registre, le cas de Laurent Delahaye qui tient « le coin cirage » rue du Vieux marché aux poissons avait agité l’actualité à la fin de l’été lorsque son autorisation était en passe de ne plus être renouvelée. Après un message Facebook très relayé où il regrettait qu’on l’empêche de travailler, il dit avoir été reçu les jours suivant :
« Tout le monde m’a présenté ses excuses. On m’a dit que c’était un imbroglio administratif et que je pouvais continuer mon activité. La nouvelle autorisation courait jusqu’à décembre mais pour l’instant je n’ai pas de nouvelles. Je continue et je n’ai aucun problème. Mon travail est déclaré. »
Une querelle d’adjoints s’en était suivi, l’élu du quartier gare-centre Paul Meyer (PS) dont le territoire commençait sur le trottoir d’en face se disant près à accueillir Laurent Delahaye, avant même l’aval de l’adjoint à l’occupation de l’espace public Robert Herrmann. Certains y déduiront que malgré les règles, le pouvoir réglementaire est parfois arbitraire.
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