On a beau identifier les acteurs scéniques de Fauve, c’est avant tout le collectif qui prime. Car Fauve fédère une foultitude de talents et c’est leur association qui fait la force de ce félin, le pousse à sortir les griffes et à rugir toujours plus fort.
On a donc affaire à un grand Fauve, de la race majestueuse des dominants, influencé directement par l’oeuvre de Cyril Collard, Les Nuits Fauves, ce film césarisé en 1993 et dépeint par son auteur comme « l’opposition entre l’obscur, les ombres de la mort et la lumière solaire, éclatante […], une référence au fauvisme en peinture dont on retrouve […] les couleurs primaires vives ».
Le collectif Fauve, c’est tout cela, et bien plus encore : la naissance en 2010, l’explosion sur les réseaux sociaux, un spoken word cru et percutant qui fait d’autant plus mouche que les titres produits se font rares, les scènes qui s’enchaînent, un bouche à oreille à l’efficacité redoutable, un premier EP en 2013 (Blizzard), un premier album en 2014 (Vieux Frères – Partie 1) et le second disque en février 2015. Un opus au clair-obscur éblouissant porté par le bien-nommé single Les Hautes Lumières :
Avec la sortie de Vieux Frères – Partie 2, Fauve a déjà rempli une dizaine de salles parisiennes au mois de mars et sera à l’affiche de nombreux festivals de l’été prochain, dont les Terres du Son de Monts, les Nuits Secrètes d’Aulnoye, le Paléo Festival de Nyon en Suisse et le Sziget en Hongrie. Mais le collectif parisien en a aussi profité pour mettre sur pied sa grande tournée Les Nuits Fauves, entamée le 25 mars au Zénith de Caen pour quinze dates françaises jusqu’au finale du Zénith de Paris le 26 mai.
L’un des membres fondateurs de Fauve, très attaché à son anonymat afin de favoriser la force du collectif (tout juste lâchera-t-il qu’il joue de la guitare en live), raconte l’univers d’une bande à part qui refuse la starification tout en entretenant (à dessein ou malgré elle ?) un buzz bien juteux en termes d’image et de marketing.
Une quinzaine sur scène
Après des tournées complètes en France comme à l’étranger depuis le succès de Blizzard, comment est née l’idée des Nuits Fauves en 2015 ?
Ça fait des mois qu’on pense à faire des soirées plutôt que des concerts. C’est déjà ce qu’on faisait à Paris, à nos tout débuts. On voulait quelque chose de chaleureux, on demandait à des écrivains de venir réciter des textes… Mais c’était un truc compliqué à faire et à déplacer en dehors de Paris, pour une question de jauge des salles.
Finalement, on fait une tournée des Zénith même si à la base, on trouvait ça trop froid et impersonnel. Mais on y met notre touche, on redécore la salle, on fait une exposition, on vient avec nos stands, notre plafond lumineux pour créer un coté convivial, une fête, un endroit où tu peux venir passer du temps, seul ou en famille, pour t’imprégner de l’ambiance. Ce n’est pas juste un concert. Et puis la différence majeure par rapport au concert, c’est qu’il y a plus de personnes du collectif qui seront là, au total on est une quinzaine voire une vingtaine alors qu’au départ, on ne partait en tournée qu’à cinq ou six.
À l’écoute de Vieux Frères – Partie 2, on a le sentiment que Fauve est plus apaisé, que vous avez aussi quitté le Blizzard du premier disque. Est-ce que ça va vraiment mieux aujourd’hui ?
Quand on travaille tous ensemble, on a une obsession : écrire, jouer, produire quelque chose qui nous ressemble. Et ça, on a envie de l’assumer à fond, de ne pas tricher. Faire du dark, du sombre, du dépressif, et en faire un fonds de commerce, ç’aurait été malhonnête car aujourd’hui, ce n’est pas la réalité, ce n’est pas notre réalité. Le projet évolue avec nous. On est plus apaisé, on est plus ouvert sur les autres. Notre premier disque était très autocentré, c’est une introspection, et cette Partie 1 traduit l’espoir qui nous animait.
Maintenant, avec la Partie 2, on peut dire qu’on y a touché. Et il s’agit désormais de retrouver une sorte d’estime de soi, de faire un apprentissage avec, à la clé, une démarche d’acceptation de soi. Fauve, c’est une quête, et la narration de cette quête nous a permis de retrouver de la confiance. À 25 ans, on se sentait insatisfaits de ce qu’on faisait, bloqués une situation d’échec, tout en ayant envie de faire des choses qui te rendent vivant, en ayant envie de prendre des risques, de bouger.
En fait, on a été capable d’enregistrer un disque tout seuls, d’aller à la rencontre des gens, de tenir une scène, même devant 200 personnes. Donc aujourd’hui, notre fierté ne vient pas du tout de la résonance du projet ni du succès mais de la façon dont on l’a fait, c’est-à-dire en mettant nos ego de côté, en cravachant et en travaillant tous ensemble. Et ce qui me fait aussi énormément plaisir, c’est que lorsque j’aurai mes petits-enfants sur les genoux, j’aurai des trucs à leur raconter. Là, avec Fauve, on se fait des souvenirs pour des années.
« L’autopromotion, une nécessité pour nous »
Est-ce que cela participe également de cette envie de se tenir loin des labels en gérant tout vous-mêmes ?
Pour nous, il n’y a aucun dogme. A l’origine, bien sûr qu’on voulait un label ! Mais on savait aussi qu’il nous fallait une indépendance artistique totale. Alors, oui, tu peux trouver des labels indépendants, des petites maisons de disque mais si on a choisi de sortir notre premier EP en autoproduction, c’était par nécessité. On pouvait faire les choses tranquillement à la maison. On a donc publié Blizzard comme ça, ça n’intéressait personne et du coup, pour pouvoir tout faire ensemble, on avait ce qu’il fallait sous la main, des vidéastes, des comédiens, des gens capables de gérer l’artwork.
C’est peut-être un peu bancal mais on prend plaisir à faire ça nous-mêmes et on le fait certainement beaucoup moins bien que ne le ferait un label. Et puis plus les choses avancent, plus on se rend compte que la forme a autant d’importance que le fond. Par exemple, les paroles de Fauve pourraient être galvaudées par de mauvaises décisions liées à la forme et nous, on ne maîtriserait pas ça. Là, au moins, on assume tous nos choix parce qu’on les fait en connaissance de cause et par envie.
Notre moteur, avec Fauve, c’est un noyau dur de cinq ou six personnes et tout le monde fonctionne à l’envie. Il y a une idée de responsabilisation et chacun a aussi le droit de donner son avis sur tout avec la seule condition d’être constructif.
« On est au service du collectif »
Après la sortie de Vieux Frères – Partie 1, le succès n’a cessé de grandir, avec des tournées à guichets fermés. Comment conciliez-vous le fait d’être Fauve, c’est-à-dire un collectif connu, starifié, avec le fait d’être des individus anonymes et donc en retrait par rapport au projet ?
C’est plutôt cool de mettre le projet en avant. Le fait qu’il y ait du succès nous conforte dans l’idée de mettre en avant le propos de Fauve plutôt que les personnes qui le nourrissent. Sinon, ce serait qui le visage de Fauve ? Il y aurait de sérieux problèmes d’ego, non ? Ce succès rend les choses plus faciles pour Fauve : on en a besoin pour le collectif, pour faire avancer notre projet artistique, et individuellement, ça permet de conserver un recul immense par rapport à tout ça ! Il n’y a pas de culte de la personnalité, on est vachement préservé.
Et puis le fait d’être des individus au service du collectif, ça ne crée aucune distance entre nous, ça permet d’être hyper disponible pour le public, on peut aller dans la fosse pendant la première partie, discuter sans vraiment se faire reconnaître. C’est super cet aspect ! C’est bien plus agréable. C’est pareil avec internet, avec les réseaux sociaux, on sait que cela nous a énormément aidés et c’est pour cela qu’on répond aux messages, qu’on veut conserver ce contact direct avec le public.
Est-ce que Fauve est un phénomène, un effet de mode, le marqueur d’une génération ? Ou bien est-ce beaucoup plus vaste ?
Avant même de former Fauve, on est tous amis. Depuis toujours pour certains, depuis le berceau ! Donc tout ce qu’on écrit, tout ce qu’on raconte, c’est du vécu et le « je » dans les textes renvoie à chacun de nous. Il y a eu beaucoup d’échanges de vues entre nous, ce sont des chapitrages, des confessions. Donc en commençant Fauve, on ne se disait pas une seule seconde qu’on allait sortir une chanson générationnelle, qui allait parler à des gens de notre génération. On a été super surpris…
Et en l’occurrence, je ne sais pas si c’est un truc de génération, cet aspect-là nous gêne même un peu car dans les concerts, on voit de tout, tous les âges, toutes les générations. Mais c’est vrai, il faut le reconnaître, ça nous dépasse, c’est sûr, car ça va au-delà de ce qu’on est. Peut-être que tout ça résonne pour des gens car dans le monde adulte, aujourd’hui, on ne se sent pas facilement prêt ni armé, l’indépendance financière c’est compliqué, le monde du travail c’est délicat, on change de vie régulièrement.
Et au sein du collectif, cet état de fait s’est manifesté de manière différente pour chacun d’entre nous, avec de la colère, de l’apathie, une certaine anesthésie, de l’insatisfaction, de la frustration.
Dans quelle perspective écrivez-vous vos textes ?
Toujours dans l’optique d’une chanson, jamais pour qu’ils se suffisent à eux-mêmes ou vivent ensuite par eux-mêmes. Ce ne sont pas nos codes, on ne fait pas de poésie, pas de littérature. Même le slam, ça ne nous parle pas. La musique, c’est avant tout un truc à plusieurs car la notion collective a toujours été importante pour nous, elle crée l’émulation. On ne s’est jamais envisagés comme des poètes maudits.
Fauve véhicule un message et aussi une façon de dire le message. Le public s’identifie clairement à ce que vous dites. Est-ce que Fauve est un groupe engagé ?
Oui, sans conteste ! L’engagement est très fort dans Fauve, ce n’est pas politique mais c’est un engagement intime, personnel, une intimité partagée. On revendique la faiblesse, l’envie d’aller mieux, d’être des personnes bien, droites, honnêtes, on revendique l’envie de vivre, de ressentir l’intensité de la vie et les choses avec force. Ce sont ces choses qui nous guident, l’engagement humain avant tout, l’idée de rejeter les signaux bidon, les choses qui vont à l’encontre de l’épanouissement personnel.
Ce sont nos valeurs, elles sont fortes et ancrées en nous mais il n’y a jamais eu de prosélytisme, jamais eu de volonté de créer une adhésion, de diffuser un message pour avoir des adeptes. Fauve, c’est une famille, bien plus qu’une communauté. On se sent soutenu, c’est de la bienveillance qu’ont les gens, on a le sentiment de partager une vision du monde. C’est pour ça qu’on a eu envie de créer ces Nuits Fauves, pour ouvrir les portes de notre grande kermesse, de proposer quelque chose de familial et convivial où on peut échanger, se rencontrer, discuter avant le concert, après le concert, tailler le bout de gras avec son voisin.
Avec la tournée Les Nuits Fauves, avec – aussi – l’album Vieux Frères – Partie 2, il y a comme un vent nouveau qui souffle, de l’espoir. Qu’est-ce que cela annonce pour l’avenir de Fauve ?
Fauve a une date de péremption. On n’a jamais envisagé une carrière. On avait plein d’autres projets avant Fauve et il y en aura d’autres après Fauve. Aujourd’hui, on se dit que c’est clairement la fin d’un cycle mais de là à dire quand ça s’arrêtera… Un jour, certainement. En tout cas, le projet Fauve restera ce qu’il est : corsé, couillu, avec la volonté d’échapper à une routine car à l’époque on ne s’était encore jamais jeté à l’eau. On avait tous envie de faire quelque chose de fort et de beau avant tout, et pas forcement de gros, d’important ou de puissant. C’était et ça reste notre motivation car il est rare de faire un truc beau en étant fade.
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