La Ville est-elle trop généreuse avec l’association des commerçants de Strasbourg pour les Illuminations de Noël ? Les Vitrines de Strasbourg doivent donner le 27 novembre le coup d’envoi de l’opération 2015. Arche de la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, arbre bleu et son ours géant de la place Gutenberg, pluie d’étoiles à l’entrée du centre commercial Rivétoile… Chaque année, c’est elles qui s’occupent d’organiser la mise en lumière des rues commerçantes pour la période du marché de Noël, grâce à la créativité du directeur de l’association, Pierre Bardet.
Par tradition, Strasbourg est la seule ville en France où ce sont les commerçants qui se chargent des illuminations de Noël et non la collectivité, à l’exception de la place Kléber et de son grand sapin et de la place de la gare. Pour autant, la Ville estime que cette action est une contribution majeure à la réussite du Marché de Noël qui attire 2 millions de visiteurs par an.
Elle soutient donc l’opération en versant chaque année une subvention à l’association des Vitrines de Strasbourg, coordinatrice de l’opération, 300 000 euros l’an passé. Mais avant le vote en conseil municipal de la subvention 2015, les questions s’accumulent sur le coût effectif de la manifestation et l’emploi de ces fonds publics.
Les Illuminations, l’activité phare des Vitrines
L’association des Vitrines de Strasbourg pèse plus de 870 000 euros de recettes d’exploitation en 2015. Avec plus de 700 commerçants adhérents, d’après son directeur, c’est l’une des plus grosses associations de commerçants en France. Les Vitrines s’engagent dans la défense des commerçants et leur offre des services comme le ramassage des cartons, des orientations juridiques, etc.
Mais surtout, elle organise de grandes animations commerciales : la grande braderie en juillet, la fête des vendanges à l’automne et les Illuminations en fin d’année. Avec un budget de plus de 550 000 euros l’an dernier, l’animation de Noël concentre néanmoins plus de 60% du budget global de l’association.
Le partenariat entre la Ville et les Vitrines pour les Illuminations ne fait l’objet d’aucune délégation de service public ni d’appel d’offre, pas plus que le choix des opérateurs par l’association. Il est régi par une simple convention renouvelée chaque année. Dans les faits, la Ville a eu bien du mal à contrôler l’application de ce contrat. La règle est simple, la Ville verse d’abord 90% de sa subvention à l’association puis les 10% restants après contrôle des comptes de l’opération.
Pour les Noël 2013 et 2014, ces comptes n’ont pas convaincu les services de la Ville qui a bloqué ces versements complémentaires. Après des années d’approximation, la Ville a exigé que l’association produise les comptes d’exploitation de l’opération. En juillet 2015, elle se les est enfin procurés pour les Noël 2013 et 2014. Rue89 Strasbourg a pu consulter ces documents, ainsi que le bilan financier de l’association. Et à les regarder de plus près, on est allés de surprises en surprises.
Le budget des Illuminations gonflé pour les élus
Première surprise, pour convaincre la Ville, les Vitrines communiquent sur un budget supérieur à leurs dépenses réelles. Pour décider de sa subvention aux Illuminations 2014, la Ville s’appuyait lors du conseil municipal de décembre 2014 sur un budget prévisionnel estimé par l’association des Vitrines à plus de 710 000 euros. Pourtant, dans le compte d’exploitation qu’elle a depuis fourni à la Ville, l’association ne justifie que de 550 000 euros de dépenses, TVA incluse.
Pour justifier cet écart, Pierre Bardet renvoie aux factures des installations traitées en gestion directe par les commerçants et qui n’entrent donc pas dans le compte d’exploitation de l’association. Mais même en ajoutant ces factures aux 550 000 euros de budget associatif de l’opération, il reste pour 2014 une différence de plus 112 000 euros. Pour l’opération 2015, l’association continue d’avancer un budget prévisionnel à 718 000 euros.
Des commerçants refusent de payer
Dans quelle mesure les commerçants profitent-ils de la participation municipale ? En théorie, les Vitrines se chargent de coordonner l’organisation des illuminations et de répartir la subvention municipale entre les commerçants. Pour ce faire, les Vitrines peuvent procéder de deux façons : les commerçants peuvent traiter eux-mêmes avec l’électricien de leur choix, et les Vitrines leur reversent un pourcentage de leurs dépenses.
Mais la plupart du temps, les Vitrines offrent le service clé en mains aux commerçants et le leur facturent après déduction de la part de subvention qui leur revient. Dans ce deuxième cas de figure, difficile pour les commerçants d’avoir une idée claire du soutien public dont ils profitent. D’après Pierre Bardet, il existe une clé de répartition fixe de la subvention, définie avec la mairie :
« Nous aidons d’avantage les quartiers hors ellipse insulaire. Dans le centre-ville, les installations sont subventionnées à hauteur de 30% de leur coût tandis que dans les quartiers extérieurs, elles le sont à hauteur de 45%. »
Mais difficile de vérifier ces quotas dans la pratique. D’après nos informations, les proportions de subvention peuvent varier. Aucun bilan financier n’établit avec transparence le coût des illuminations d’une rue à l’autre. La méfiance et la grogne montent chez certains commerçants, qui refusent de continuer à payer.
L’éponge miraculeuse des frais de fonctionnement
Deuxième surprise, et non des moindres, l’association des Vitrines a affecté à sa discrétion en 2013 puis 2014 plus de 100 000 euros de son fonctionnement global au budget des Illuminations. Autrement dit, chaque année, le tiers de la subvention municipale part dans des frais de fonctionnement et non directement dans la mise en place de l’opération en elle-même. Les conventions financières passées entre la Ville et les Vitrines stipulent pourtant toutes :
« L’aide de la collectivité doit être exclusivement affectée aux dépenses liées directement aux activités dites “Illuminations de Noël” ».
Ces frais de fonctionnement se répartissaient en 2014 en 48 500 euros de salaires et 59 000 euros de frais de structures.
Dans ses attestations des comptes d’exploitation de l’opération, l’expert-comptable des Vitrines explique que les frais de personnel de l’association ont été affectés « sur la base d’une estimation du temps consacré par les salariés de l’association à la préparation et à la mise en oeuvre de celle-ci » et qu’une part des frais de structures de l’association a aussi été intégrée sur la base de la proportion des recettes générées par la manifestation dans les recettes globales d’activités de l’association.
Pierre Bardet, directeur salarié de l’association depuis dix ans, et auparavant président bénévole, conteste la somme de 100 000 euros de frais de fonctionnement et préfère mettre en avant l’implication de l’équipe salariée pour la manifestation :
« Nous travaillons deux ans à l’avance sur les illuminations. Une personne et demi et mobilisée toute l’année, plus des personnes en mission à temps partiel. Depuis septembre nous nous y consacrons tous à plein temps. »
Ce choix comptable permet aux Vitrines d’afficher non pas 100 000 euros de bénéfices sur la manifestation mais un déficit de plus de 7 000 euros pour Noël 2013 et du double pour Noël 2014.
12,5 smics par mois pour trois salariés
D’après nos informations, les adhésions des commerçants à l’association ne permettent pas de couvrir ses frais de fonctionnement, qui s’élevaient d’après les chiffres dont nous disposons à 353 000 euros pour la dernière année comptable, soit 40 % du budget annuel de l’association.
L’an dernier, l’association a dépensé plus du quart de son budget, 242 000 euros, en salaires. Cette somme équivaut à 12,5 smic par mois, charges incluses, pour 3 salariés à temps plein – le directeur Pierre Bardet et deux secrétaires – et quelques autres en CDD à temps partiel.
Dans son dernier compte d’exploitation de l’opération illuminations, l’association estime à 111 000 euros ses frais de structures pour une année, et en affecte 53% à l’opération de Noël.
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