« Vous pourrez enlever les tâches de sang sur le canapé ? » Mohamed promet de tout faire pour. Il est 9h du matin. Dans un village près de Sélestat, un homme est décédé chez lui. Son fils a trouvé le corps cinq jours plus tard, dans un appartement plein tâches de sang, de bouteilles de rosé et de journaux. Sous le choc, il a fait appel à l’entreprise Cité de la Propreté pour nettoyer les lieux. Vers 9h30, le patron de la société, une agent de nettoyage et une stagiaire arrivent sur les lieux. Avec Mohamed, ils vont faire disparaître les traces de la mort avant l’enterrement, l’après-midi même.
Combinaison et risque bactérien
Sous un porche, Mohamed, Maëlle et Emilienne enfilent une combinaison blanche, des gants, un masque… « Avec le sang, il y a toujours un risque bactérien », explique Volkan, chef de l’entreprise et habitué des « interventions post-mortem ». Avant de monter les marches d’un sombre escalier, le patron décrit le déroulé des deux heures à venir : ranger et mettre de côté les affaires à rendre à la famille, désinfecter le sol et les meubles avant de nettoyer une dernière fois le tout.
Maëlle n’a pas peur. La lycéenne veut devenir inspectrice sanitaire. Elle a déjà vu du sang humain lors d’un stage à l’hôpital de Saverne. Émilienne, agent de nettoyage depuis ses 18 ans, tire sur une cigarette avant d’évoquer son stress : « C’est la première fois que je vais voir du sang. » Alors la mère de famille trentenaire se donne du courage en cherchant les points communs entre cette intervention et son travail quotidien : « Ici, ou pour du ménage dans un logement social, c’est toujours la misère… »
Des déchets accumulés pendant des années
La porte de l’appartement ouvre sur un couloir exigu. Un pas à gauche et les nettoyeurs voient les traces de sang au sol, des bouchons en liège et des comprimés roses et blancs sur la table. « Les journaux et les bouteilles au sol, ce sont les signes annonciateurs du syndrome de Diogène », analyse Volkan, habitué des appartements où des déchets se sont accumulés pendant des mois, voire des années.
Emilienne et Mohamed s’activent tout de suite. Ils dégagent les débris de verre, jettent les bouteilles de Rosato Trevenezie et préparent les produits désinfectants et dégraissants. Tout se fait d’abord dans le silence. Personne ne sait ce qu’il s’est passé. Tout le monde se demande pourquoi chaque pièce porte des tâches écarlates, en particulier la chambre à coucher. Émilienne pense à voix haute : « Il doit être mort dans son lit… » Volkan coupe court à la réflexion : « C’est pour ça que je ne dis rien à mes collègues sur ce qui s’est passé, pour les protéger psychologiquement… »
Oublier l’odeur du sang
Peu à peu, l’atmosphère se détend. Les plus grosses traces rouges ont disparu vers midi. Le sol colle à cause du produit désinfectant. Émilienne et Mohamed font des blagues, comme pour oublier l’odeur indescriptible et tenace du sang. « Mes cousins pompiers viennent m’aider quand il y a eu utilisation d’une arme à feu, eux ils mettent de la musique et ils dansent », raconte Volkan. L’intervention se termine avec la propagation d’un produit surodorant. « Cet après-midi, les proches pourront venir récupérer les affaires ici et faire leur deuil », conclut le patron.
À la tête d’une entreprise de 25 salariés, Volkan réalise 10% de son chiffre d’affaires avec les « interventions post-mortem ». Le service peut coûter de 2 000 à 10 000 euros, dans les cas les plus extrêmes « avec des morceaux d’organes suite à un suicide par arme à feu », détaille-t-il.
Le pic de novembre-décembre
Aujourd’hui patron, Volkan a commencé à nettoyer des parties communes d’immeuble dès ses 17 ans, « en guise de punition quand je séchais les cours », explique-t-il. Puis le jeune du quartier des Pins de Haguenau a travaillé en tant qu’agent de nettoyage, responsable d’agence pour finir par reprendre l’entreprise. Selon ce connaisseur du secteur, peu de sociétés alsaciennes ont les compétences nécessaires pour ce type d’opération. Mohamed, responsable du site et trente ans d’expérience dans le nettoyage, renchérit : « Les grosses sociétés ne veulent pas dépenser d’argent dans la formation des salariés au post-mortem. »
De retour sous le porche, Mohamed, Maëlle et Émilienne enlèvent leur combinaison intégrale. Le patron leur promet « une après-midi de libre, bien méritée. » Lui s’occupera de trouver une usine d’incinération qui acceptera de brûler un matelas souillé de sang : « J’en ai appelé cinq ce matin, personne n’accepte ce type de déchet… » Le problème, c’est que l’activité « post-mortem » va bientôt connaître son pic : « Novembre-décembre, je fais parfois deux interventions par semaine. C’est là que les gens se sentent le plus seuls… »
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