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Muttersholtz, le village dont la facture d’énergie n’augmente pas

Alors que l’immense majorité des communes sont confrontées à l’explosion de leurs factures de gaz et d’électricité, Muttersholtz n’est guère impactée. Depuis 2014, ce village du Ried a réalisé d’importants travaux pour opérer sa transition énergétique, si bien que la commune produit plus d’énergie qu’elle n’en achète. Pratique quand les prix s’envolent.

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Muttersholtz, le village dont la facture d’énergie n’augmente pas

Mercredi 5 octobre, les maires du Bas-Rhin avaient rendez-vous à Sélestat pour une journée de travail. Lors du discours inaugural, le président de l’association des maires du Bas-Rhin, Vincent Debes (DVD) puis le maire de Sélestat, Marcel Bauer (ex-LR) ont tous les deux réclamé un « bouclier tarifaire » du gouvernement pour les communes face à la hausse des prix de l’énergie.

À quelques kilomètres de là, dans le village voisin de Muttersholtz, ce n’est pas du tout la demande du maire, Patrick Barbier. La hausse du prix de l’énergie ne l’empêche pas de dormir. Pas étonnant, puisqu’en 2020 et 2021 sa commune a produit trois fois plus d’électricité qu’elle n’en a consommée. Et 2022 ne devrait pas déroger à cette tendance.

« Il faut un signal-prix »

Kayakiste sur son temps libre, Patrick Barbier plonge dans ses souvenirs pour expliquer ses convictions :

« Dans ma jeunesse, on pagayait dans l’Ill qui ressemblait à des égouts à ciel ouvert. Aujourd’hui, on s’y baigne. Pourquoi ? Car on a instauré en 1964 le système de pollueur-payeur. Les entreprises étaient doublement incitées à dépolluer avec de fortes redevances d’un côté et des grosses aides de l’autre pour dépolluer. C’est pareil pour l’énergie, il faut un signal-prix. Qu’il y ait des amortisseurs temporaires pourquoi pas, mais ce qu’il faudrait surtout, c’est aider les communes et particuliers à faire la même chose que ce qu’on a fait à Muttersholtz. »

Élu en 2008, Patrick Barbier a consacré son premier mandat à s’occuper des voiries : « On a élargi les trottoirs, ce qui a rétréci la route. La configuration pousse à ralentir quand des voitures se croisent et cela sécurise aussi les vélos ». Réélu en 2014 et 2020 sans liste concurrente face à lui, le maire écologiste (il a quitté EE-LV en 2017 pour des raisons nationales) s’est ensuite occupé de l’énergie. Avec ses collaborateurs, il s’est notamment fait une spécialité de traquer et cumuler les dispositifs d’aides à la transition énergétique locaux ou nationaux.

Isolation, production mais incompréhension

Au programme, des rénovations avec l’isolation des nouveaux bâtiments basse consommation (BBC) voire « à énergie positive », et surtout l’installation de trois turbines hydro-électriques le long de deux barrages sur les bras de l’Ill et du Muhlbach local (« le bras du moulin », comme on en trouve dans beaucoup de villages d’Alsace).

Désignée « Capitale de la biodiversité » en 2017, Muttersholtz et ses transformations ont provoqué un intérêt de la part d’élus locaux depuis quelques années, mais aussi beaucoup d’incompréhension se rappelle Patrick Barbier :

« Les autres maires me demandaient toujours si ces investissements étaient rentables… Mais les routes, les gymnases, les salles polyvalentes ne sont de toute façon pas rentables pour les communes, en dehors du lien social qu’ils génèrent. »

Pour construire sa centrale sur l’Ill, Muttersholtz s’est associée à la Région Grand Est en fondant une société publique locale (SPL) détenue à 50% par chacune des deux collectivités. Avec les aides du ministère de l’Écologie, de la Région et du Département, le village n’a finalement réglé que 31% de la somme totale d’un peu plus de 2 millions d’euros.

La centrale hydroélectrique est en service depuis 2020. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg / cc

De la revente à l’autoconsommation

Mise en service en 2020, la centrale hydroélectrique de l’Ill devait être rentabilisée en 20 ans. Mais avec la hausse actuelle des prix, « on va amortir à vitesse accélérée », savoure l’élu local. En plus des économies, la SPL va pouvoir revendre plus cher son surplus. De là à se verser des dividendes ? Le maire sourit : « On va d’abord rembourser, mais on pourrait investir dans un futur projet énergétique, peut-être pour en faire profiter les entreprises qui sont toutes inquiètes », projette-t-il.

Au début, le SPL revendait son énergie à des prix « garantis » et « libres » (13 centimes le kilowattheure (cts/kWh) sur le barrage du moulin et 7 centimes sur celui de l’Ill) et continuait d’en acheter auprès de l’énergéticien Enercoop. Mais lors de l’été 2022, le prix d’achat s’est envolé, passant alors de 7 à 25 cts/kWh. Pour éviter de voir sa facture tripler, la commune a alors basculé le 5 septembre sur « l’autoconsommation » de l’énergie qu’elle produisait. Ce qui génère de nouvelles économies. « On paie encore la Turpe, la taxe qui finance le réseau d’Énédis, mais on n’achète plus d’électricité, et donc pas de TVA, ni de Taxe sur la consommation finale d’électricité (TFCE) ». Soit 43 000 euros à débourser en moins.

Les turbines, et la passe à poissons, de la centrale hydroélectrique sont les plus grandes fiertés de Patrick Barbier. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Gros avantage de cette énergie renouvelable : elle produit de l’électricité 24 heures sur 24… ou presque. Les turbines restent exposées aux aléas climatiques détaille l’ancien professeur :

« En hiver, il y a généralement trois semaines d’inondation où le niveau est trop haut pour que les turbines tournent, et cet été en 2022, pour la première fois depuis trois étés, il n’y avait pas assez d’eau en août ».

Gênant, mais pas de quoi déséquilibrer le rendement sur l’année.

Des économies sur l’éclairage dès les années 2010

Muttersholtz n’a pas attendu la « fin de l’abondance » pour se convertir à la « sobriété ». Pour Patrick Barbier, ancien président d’Alsace Nature, pas besoin de réduire l’éclairage cet hiver puisque c’était déjà fait, avec à la clé, 13 000 euros par an d’économies :

« On est passé en LED, puis on a éteint un mât sur deux, avec aussi une petite baisse de la luminosité à 22h30, à peine perceptible à l’œil nu. Lors du premier confinement, on a éteint de minuit à 5h. On a consulté la population, les retours ont été très positifs. On a prolongé l’éclairage jusqu’à 2h du matin les vendredis et samedis, car c’est une heure où l’on peut rentrer à pied ou à vélo d’un long dîner. Là, on envisage de décaler l’allumage à 6h car personne ne part à pied entre 5 et 6h du matin. »

À rebours d’une partie des écologistes, l’élu ne tarit pas d’éloges sur les compteurs connectés Linky, qui permettent de traquer les erreurs de consommations.

Un nouveau cœur de village « sobre »

Dans le nouveau cœur du village, Patrick Barbier affiche « un concentré de notre idée de sobriété ». Pour y accéder depuis l’école, on suit des nouveaux chemins, qui évitent de faire un détour de 10 minutes. Sur les panneaux de signalisation, les temps de parcours, que ce soit à pied (4 minutes) ou à vélo (2 minutes), sont indiqués.

Dans le centre, la commune a bâti en 2015 un gymnase « à énergies positives ». Patrick Barbier reconnaît que « le bâtiment n’est pas très esthétique ». Mais avec ses performances exemplaires, ses panneaux solaires produisent plus d’énergie que ce qu’il est nécessaire pour l’éclairer et le chauffer quelques jours dans l’année. Après quelques années de fonctionnement, la commune a facturé les charges au club de gym : 250 euros… par an, pour un espace de 600 mètres carrés. Coût de l’opération : 3,2 millions d’euros, financés avec 77% d’aides publiques.

Grâce à ses panneaux solaires et son isolation, le nouveau gymnase produit plus d’énergie qu’il n’en consomme. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Accolé au gymnase, l’ancienne synagogue, devenu une salle des fêtes que partageait jusqu’à récemment la commune avec les gymnastes, est en cours de rénovation. Compte tenu de la configuration de ce bâtiment du XIXe siècle, celui-ci n’est rénové « que » selon les critères BBC (bâtiment basse consommation). Cette fois-ci, la commune a même atteint les 83% d’aides cumulées, soit seulement 56 000 euros à débourser.

À cet ensemble, une salle moderne pour les conseils municipaux et les mariages a été construite. Pour chauffer les deux bâtiments, la commune est passée aux chaudières à bois, une énergie renouvelable. En cette rentrée 2022 Muttersholtz est comme tout le monde confrontée à la hausse du prix du granulé mais celui-ci n’a « que » doublé, bien loin des standards du gaz, dont le prix a été multiplié par dix par rapport à la fin 2019. Pour des salles qui ne sont chauffées que quelques jours dans l’année, le surcoût est absorbable.

Patrick Barbier devant le gymnase et la salle municipale, avec ses façades en bois. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Dans ce cœur de village, la municipalité compte encore installer une résidence pour personnes âgées et un grand parc. « Le cœur du village concentre le sport, la politique, la culture et différents âges. Une ville regroupée est moins consommatrice », rappelle Patrick Barbier. Dans cet espace limité, le parking, à l’exception d’une place pour personnes handicapées, est quant à lui relégué à une cinquantaine de mètres. « Les Muttersholtzois comprennent, ceux des autres communes parfois un peu moins ».

À l’arrière du gymnase, la commune compte aménager un grand parc arboré. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

L’école maternelle et la mairie, derniers contrats gaz

Reste l’école maternelle, pourtant construite en 2006 / 2007 avec des standards « haute qualité environnementale », mais qualifiée de « passoire thermique » par le maire arrivé aux commandes de la municipalité l’année suivante. Il s’agit de l’un des deux derniers contrats de gaz de la commune. « C’est un hasard mais notre contrat nous couvre jusqu’à la fin 2023 », précise Patrick Barbier. Ainsi, le maire ne prévoit pas particulièrement de baisser la température à 19 degrés. Le chauffage est déjà coupé chaque week-end depuis des années.

L’autre contrat de gaz concerne le bâtiment de la mairie, isolé aux normes BBC avec du triple vitrage. « À l’étage il y avait cinq radiateurs. On en allume parfois un seul quand il fait très froid ». Là encore, avec les diverses aides, Muttersholtz n’a payé qu’un quart de la facture de la rénovation, soit 86 000 euros sur les 360 000. Ainsi, malgré ses nombreux investissements récents, la commune affiche en 2020 un endettement de 665 euros par habitant, soit moins que la moyenne des villages de taille comparable (912€/hab). Elle est bien moins endettée qu’en 2016. « Un maire doit avoir deux qualités : trouver les bons collaborateurs capables de monter des dossiers de financement, et ne pas avoir peur de demander », estime Patrick Barbier.

La mairie a été isolée et ne consomme presque plus de gaz. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Écologie à tous les étages

La politique écologiste ne se limite pas seulement à l’énergie. L’école a également été rénovée en BBC, la cour a été « désimperméabilisée » avec un revêtement qui laisse l’eau s’infiltrer dans le sol (comme certaines écoles à Strasbourg). Près des vitres, une mini-forêt limitera les rayonnements du soleil les matins d’été sur les vitres, orientées plein est. Le terrain de sport a été déplacé, mais conservé.

L’école et sa cour ont été rénovées, avec notamment l’aide de l’Agence de l’eau pour déployer un sol qui laisse s’infiltrer l’eau de pluie. Près des vitres, une mini-forêt doit filtrer les rayons du soleil. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Enfin, la dernière fierté de Patrick Barbier, c’est sa politique foncière :

« En dix ans, on a ajouté 30 logements sans étaler l’emprise communale. Ça correspond à un lotissement. Depuis les années 1950, un nouveau lotissement était construit chaque décennie sur le ban communal ».

Pour le maire, les 8% de logements vacants relèvent « surtout de la procrastination », notamment d’héritiers, pas toujours d’accord entre eux, et un peu de « peur des locataires ». Pour remettre des appartements et maisons sur le marché, il active trois leviers : la taxe sur les logements vacants, le dialogue avec les propriétaires et leur orientation vers diverses aides à la rénovation.

L’ancien instituteur, devenu ensuite conseiller pédagogique sur l’Environnement, conçoit que la méthode de Muttersholtz n’est pas généralisable pour toutes les communes. Toutes n’ont pas un bras de l’Ill à exploiter par exemple, mais il remarque : « En Forêt Noire, on voit des villages avec des turbines privées qui n’exploitent les chutes d’eau qu’en hiver, donc ça doit être rentable ».

Longtemps abandonnée, la maison bleue a finalement accueilli une pharmacie et des logements après une rénovation. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Résistance aux panneaux solaires sur l’église

Dans sa politique écolo tous azimuts, Patrick Barbier concède néanmoins avoir essuyé un échec. La commune avait soutenu un projet de « coopérative citoyenne » qui avait pour projet d’installer des panneaux solaires sur la toiture de l’église protestante. Au début tout allait bien, jusqu’à une erreur :

« On est peut-être allé trop vite en publiant une image dans le journal municipal… Une personne de la paroisse s’est exprimée contre, et puis il y a eu d’autres personnes qui disaient avoir recueilli 440 soutiens. Ils ont argumenté sur des questions patrimoniales et pas sur des arguments anti-écolo. On aurait peut-être pu passer en force, mais c’était symbolique de ne pas le faire. ».

La commune s’est heurtée à un refus d’une partie de sa population pour implanter des panneaux solaires sur la toiture de l’église protestante, pourtant orientée plein sud. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

La municipalité cherche un nouveau lieu d’implantation, probablement les toits de la future halle de marché couverte dans le cœur du village.

Seulement 7% des besoins assurés

La production des installations couvrent les besoins de la commune, mais c’est loin d’être suffisant pour alimenter les foyers muttersholtzois, qui verront leurs factures d’énergie augmenter comme tout le monde. L’énergie produite par les installations de la commune ne correspond qu’à seulement 7% des besoins de l’ensemble de la population.

Avec des entreprises comme la scierie Mathis, une micro-brasserie, une boucherie, une supérette… L’activité économique va être impactée. Pour couvrir les besoins de tout le monde, il faudrait produire 12 gigawattsheure (GWh) de plus. Une énergie produite par des panneaux solaires sur une surface équivalente à sept terrains de football ou par deux éoliennes. Entre les zones d’exclusion et la proximité des habitations, il n’y a de la place que pour « cinq ou six » installations éoliennes à l’arrière du village. Le maire aime bien sûr l’idée, mais il sait le sujet sensible. « En Allemagne, les citoyens sont davantage impliqués dans les projets énergétiques, ce qui fait qu’il y a aussi des gens pour les éoliennes et pas seulement contre ». L’élu attend aussi beaucoup de la future « loi Énergie », afin qu’elle facilite les implantations.

« Le rêve, ce serait de créer une coopérative citoyenne pour de l’autoconsommation collective », projette le maire. Et faire de Muttersholtz, un village complètement indépendant pour son énergie.


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