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Un Musset au TAPS Scala, comme remède à la crise

Depuis mardi, la jeune compagnie strasbourgeoise Théâtre à l’Ancre, présente sa version épurée des Confessions d’un enfant du siècle de Alfred de Musset, au Caveau du TAPS Scala jusqu’à dimanche. L’occasion rêvée de (re)découvrir ce texte, éclatant, entre témoignage amer d’un siècle en ruine, et péan vibrant à la jeunesse de son temps.

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Un Musset au TAPS Scala, comme remède à la crise

Seul sur scène pour exprimer tout le mal-être d'une génération (Photo Daniel Knipper)
Seul sur scène pour exprimer tout le mal-être d’une génération. (Photo Frédérique Knipper)

Chaque année, le Théâtre Actuel et Public de Strasbourg (le TAPS) dans le cadre de ses « coups de pouce », invite de jeunes compagnies locales à finaliser la création de leurs spectacles au sein de ses locaux. Elles bénéficient ainsi, pendant deux semaines, d’une salle de répétitions et de l’aide de l’équipe technique du théâtre, avant d’aboutir à plusieurs dates de représentations, intégrées au sein même de la programmation. Le meilleur moyen, sans aucun doute, de se confronter au regard du juge le plus intraitable… le public.

Cette année, trois compagnies bénéficient ainsi de cet « accompagnement à la création » : la Récidive (qui a présenté la Trame d’un Crépuscule fin novembre 2014), la compagnie Menschenstrasse321 (qui prépare Dehors devant la porte, il y a… pour avril 2015) et enfin le Théâtre à l’Ancre, qui a choisi, cette saison, de faire entendre le flamboyant Alfred de Musset.

Théâtre de l’intime

Crée en 2008, la troupe est née d’un désir, celui de faire exister, sur scène,  les textes qui les touchent. L’aventure, qui arpente principalement les chemins de la belle littérature, a commencé par Marguerite Duras (dans Steiner mon Amour, jouée en 2009 au Point d’Eau d’Ostwald) et se poursuit par un Musset, dans ce nouveau spectacle. « J’ai monté cette pièce tout simplement parce que je sais que Nathanaël (son fils et rôle principal ndlr) aime ce texte, et qu’il nous parle » raconte Marie-José Kahn, la metteur en scène et directrice artistique de la compagnie, en regardant son fils, tout juste sorti du plateau, avant de lui embrasser le front. Une délicate aventure qu’ils ont préféré vivre en famille.

Le Caveau du TAPS est une scène ridiculement petite. Mais elle se prête bien à des spectacles intimes. Et ce n’est pas le Musset prônant un « théâtre dans un fauteuil » (c’est à dire un théâtre destiné à être lu et non pas joué) qui va s’en plaindre. Ici, une chaise blanche a supplanté la confortable bergère XIXe siècle, et un drap tendu fait office de fond de scène. Des rangs peu garnis pour la première – étonnant, pour un si beau texte – mais qu’importe. Cela donne l’impression agréable d’être un privilégié.

Une adresse au public parfois déroutante (Photo Daniel Knipper)
Une adresse au public parfois déroutante. (Photo Frédérique Knipper)

Nathanaël Kahn, seul sur scène, incarne le jeune Musset de manière hésitante. Son grand corps élancé semble lui donner du fil à retordre, et ses déplacements de cour à jardin se font maladroitement. Les trente premières minutes du spectacle sont difficiles, pour lui, comme pour le spectateur, pris à parti de manière très frontale et témoin d’un comédien visiblement tendu par sa première.

Puis la machine se met en route, et on se laisse emporter par la belle langue. La confession, plus personnelle, devient émouvante, par moments, et son jeu se décrispe. La musique de Salomon Nordmann ponctue plaisamment les péripéties du jeune amant, et son emphatique mélancolie, qui mérite qu’on lui prête toute notre attention.

Le mal du siècle, l’épidémie continue

Dans une scène épurée, il n’y qu’une chose qui importe : le texte, encore et toujours. Il nous parle, nous touche, nous fait réagir. Violent, enflammé, subversif, décapant, il est là pour nous, s’adresse à nous. Et on s’étonne parfois de voir à quel point celui-ci peut s’avérer juste et inaltérable, et que les maux d’antan restent lucides, même deux siècles plus tard :

« Ayant été atteint, dans la première fleur de la jeunesse, d’une maladie morale abominable, je raconte ce qui m’est arrivé. […] Si j’étais le seul malade, je n’en dirais rien: mais comme il y en a beaucoup d’autres que moi qui souffrent du même mal, j’écris pour ceux-là… »

La Confession de Musset, c’est avant tout celle d’un malaise. Le sien, suite à la découverte de la trahison de sa maîtresse, mais surtout le « mal du siècle » de sa génération. Après la défaite désastreuse de Waterloo, et l’abdication de l’empereur, il reste une France exsangue, dévastée, hésitante. La seconde Restauration met sur le trône de « pâles fantômes », blême parodie d’une monarchie dont le peuple n’a foi. Et toute une jeunesse qui arrive, fougueuse, mais désemparée, dans une société triste aux idéaux perdus.

« Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu’on peut nommer désenchantement, ou si l’on veut, désespérance, comme si l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls. De même que ce soldat à qui l’on demanda jadis : À quoi crois-tu ? et qui le premier répondit : À moi ; ainsi la jeunesse de France, entendant cette question, répondit la première : À rien. »

Et celle d’aujourd’hui, répondrait-elle la même chose ? La question mérite d’être posée. À l’aube d’une nouvelle année, où l’essaim des mots crise, austérité, chômage et rigueur bourdonne toujours, et que le mal du siècle semble reprendre ses quartiers dans les cœurs pessimistes, l’ode de Musset mérite d’être relue, semblant incarner un éclat d’espoir, dans un horizon assombri. Car l’espérance ne le quitte jamais :

« Moi qui te parle, et qui ne suis qu’un faible enfant, j’ai connu peut-être des maux que tu n’as pas soufferts, et cependant je crois encore à l’espérance. »

Y aller

Confessions d’un enfant du Siècle de Musset (compagnie Théâtre à l’Ancre), du mardi 6 au dimanche 11 janvier à 20h30 au Caveau du TAPS Scala, 96 Route du Polygone à Strasbourg.


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