Le long du canal du Rhône au Rhin, le champ de maïs et les quelques espaces de nature qui bordaient la piste cyclable ont disparu. En lieu et place, un nouveau quartier sorti de terre en 2015, répondant au nom bucolique des « Prairies du Canal ». Labellisé écoquartier, le projet prévoit la construction de 1 300 logements et près de 3 000 habitants supplémentaires entre le parc d’innovation, les lycées et une zone pavillonnaire. L’achèvement du quartier est prévu pour 2025 mais les premiers résidents ont investi les lieux dès 2018.
« Ils sont très déçus par rapport au projet qui leur a été vendu », assure Thibaud Philipps, candidat aux élections municipales sur une liste à trois étiquettes (LR, MoDem, LREM). Principaux reproches selon l’élu d’opposition : trop de proximité entre les immeubles et un parking souterrain qui tarde à être réalisé.
Déjà candidat en 2014, Thibaud Philipps sait qu’à Illkirch-Graffenstaden le sujet est sensible. Car ici, comme dans la commune voisine d’Ostwald, la « bétonisation » est l’un des enjeux majeurs de la campagne.
Trois listes à gauche, deux à droite
Dans cette ville de 27 000 habitants, la plus importante du sud de l’Eurométropole, cinq listes s’affrontent dans un paysage politique éclaté. Celle du maire (PS) sortant Claude Froehly, élu fin 2016 après la démission du sénateur-maire (PS) Jacques Bigot, contraint par le non-cumul des mandats est présentée comme une liste sans étiquette, « Illkirch ma nature ».
Sur sa gauche, deux autres listes également sans étiquette sont issues de sa majorité. Pascale Eva-Gendrault, ancienne adjointe à la Culture, mène la liste « Cultivons votre ville authentique et conviviale », réunissant des personnes issues du monde associatif local. Cette plasticienne de 53 ans a été démise de ses fonctions d’adjointe en décembre en raison de « désaccords multiples » avec l’équipe municipale, en particulier sur l’urbanisation.
Richard Hamm au contraire ne se considère pas comme « dissident ». L’adjoint à l’écologie depuis 2009 conduit la liste « L’écologie authentique », rejoint par deux autres élus de la majorité. Il se considère comme le seul « vrai » candidat écologiste de cette élection.
À droite, deux listes aussi : celle conduite par Rémy Beaujeux (divers droite), soutenue par Frédéric Bierry, président (LR) du Conseil départemental du Bas-Rhin et celle de Thibaud Philipps, 29 ans, une deuxième candidature déjà, mais toujours benjamin de l’élection.
Des projets immobiliers qui cristallisent les critiques
Attaqué de plusieurs côtés, Claude Froehly défend les Prairies du Canal, aménagé par la SERS :
« Il n’y aura que 17% d’emprise au sol. Sur 14 hectares, 4 hectares seront entièrement verts. Si nous avions construit des maisons, nous aurions eu besoin de plus de soixante hectares ! »
Conscient du caractère polémique du dossier, il a publié sur YouTube trois vidéos relatives au PLUi intitulées « Stop à l’intox ».
Le sujet ne se limite pas à un seul quartier. Au coeur des critiques des adversaires du maire sortant, le PLUi adopté en 2016 (Plan local d’urbanisation intercommunal). Illkirch-Graffenstaden prendrait la plus grande part des 45 000 nouveaux logements parmi les communes périphériques avec 5 000 logements prévus d’ici 2030. Pas un problème pour Claude Froehly, qui assume de construire en hauteur :
« Cette façon de construire permet de garder davantage de surface au sol. De cette manière, on s’inscrit dans plus d’écologie et c’est aussi comme cela qu’on est dans l’air du temps. Ce n’est pas par hasard qu’Illkirch est l’une des villes les plus attractives de l’Eurométropole : il y a ici des services, de l’emploi et du logement. Si vous affaiblissez l’un de ses trois facteurs, vous affaiblissez le tout. »
Densité, saturation, pollution
Pour Pascale-Eva Gendrault, l’argument ne passe pas. L’ancienne adjointe estime que les équipements de la ville ne sont pas adaptés à l’augmentation de population :
« J’entends ce discours de vouloir faire rester des habitants à Illkirch et qu’on veuille attirer des jeunes. Mais parallèlement à la densification, les voies ne sont pas élargies ni adaptées et il y a régulièrement des problèmes de circulation. Un équipement culturel comme la Vill’a est fréquenté par 800 élèves chaque année. Si on ajoute 300 enfants de plus, ça sera la saturation. »
Au centre-ville, l’usine Huron, délocalisée à Eschau, laissera sa place d’ici deux ans à un parc de 400 logements et 600 places de stationnements. Problématique pour Richard Hamm qui souhaite piétonniser le cœur d’Illkirch. Agent de l’ONF et ancien président d’un groupe de la LPO à Strasbourg, il pointe la pollution causée par « le passage quotidien de 200 000 voitures » dans la commune et propose la gratuité des transports en commun.
« Stop à la bétonisation » : une pétition citoyenne
Richard Hamm critique aussi ce PLUi, mais comme Pascale-Eva Gendrault, il faisait pourtant partie de l’équipe qui l’a approuvé. Thibaud Philipps s’était abstenu. « Ils avaient bien conscience que cet outil allait contre l’étalement urbain », glisse Claude Froehly.
Pas de quoi convaincre l’association Baggersee. Le 10 janvier, ce groupe d’une centaine d’adhérents a lancé une pétition, « Stop à la bétonisation d’Illkirch », qui a recueilli plus de 1 500 signatures. La présidente Marie-Hélène Lawson, s’inquiète de la future ZAC Baggersee à la limite avec la Meinau pour le moment à l’arrêt. « On n’est pas naïfs », lâche Marie-Hélène Lawson. Elle décrit la disparition d’une qualité de vie :
« Nous n’avons plus de réponses de l’Eurométropole quant à l’avenir de la ZAC. Avec cette pétition, on a mis des mots sur un malaise. Les habitants ne reconnaissent plus leur ville. Les constructions sont en limite de propriété. Certains sont en dépression parce qu’ils ne supportent plus le bruit, le manque d’ensoleillement et le vis-à-vis avec les nouveaux logements. »
La ZAC prévoit 4 000 logements, des bureaux, des équipements publics et des espaces verts.
À droite, Rémy Beaujeux ne manque pas de rappeler qu’il n’est pas issu du monde politique et qu’il n’a donc pas voté la modification du PLUi. À la tête de la liste « Ensemble pour une dynamique pour Illkirch-Graffenstaden », le professeur de médecine de 59 ans propose « une charte d’urbanisme et de qualité de la ville ». Il souhaite développer l’attractivité du parc d’innovation d’Illkirch-Graffenstaden :
« C’est une belle endormie. Avec l’IRCAD, l’IGBMC, il y a de belles pépites et la municipalité peut avoir un rôle pro-actif et booster le domaine des sciences et la technologie. »
Plus de policiers municipaux, plus de vidéo-surveillance
Le candidat fait aussi campagne sur la sécurité, avec plus « de prévention et de médiation ». Il souhaite renforcer la vidéo-surveillance et ajouter deux agents aux six policiers municipaux. De quoi entraîner un peu de surenchère avec Thibaud Philipps qui veut doubler ce nombre de fonctionnaires. Comment financer cette hausse ? Il répond :
« En économisant l’argent prévu pour la construction du Hall des sports dans l’éco-quartier des Prairies du Canal, on pourrait récupérer deux millions d’euros et financer ces postes. »
« Je n’ai pas le sentiment qu’Illkirch soit Chicago ! », rétorque Richard Hamm. Même son de cloche du côté de Pascale-Eva Gendrault et de Claude Froehly. Ce dernier estime que la sécurité relève de la police nationale et assure qu’aucune dépense supplémentaire dans ce domaine ne sera faite.
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