Pour ceux qui connaissaient le centre-ville de Mulhouse vers la fin des années 2000, peuplé de locaux vacants et de commerces en difficulté, la rue du Sauvage (la principale artère du centre) et ses rues attenantes leur sont aujourd’hui méconnaissables. De nouveaux bars assaillent les rues, des cafés fleurissent ça et là, les façades se parent de devantures toutes neuves et sont investies par de grandes enseignes en vogue que Mulhouse n’avait jamais accueillies, à l’image de Starbucks et de Flying Tiger, arrivés en 2016, après l’installation d’autres enseignes internationales comme Hema et H&M Home.
L’arrivée récente de la chaîne de magasins de décorations scandinaves Sostrene Grene au centre commercial de la Porte Jeune est un signe de plus de ce changement profond qui anime la ville. La réfection de ce qui est devenu la Maison Engelmann, rue de la Moselle, a achevé de transformer cette rue qui avait l’air abandonnée depuis la fermeture des grandes quincailleries Coox puis Casa. Aujourd’hui, elle accueille une Biocoop, une librairie et le café Engel’s Coffee, dont la terrasse complète les quelques devantures de Doner Kebab de l’autre côté de la rue.
La recette : des investissements et un « manager de commerces »
Les raisons de cette émulation ? Un programme « Mulhouse Grand Centre » lancé en 2011, et un « manager de commerces » engagé dans ce cadre, Frédéric Marquet, dont le but était de redynamiser tout le centre-ville, et d’attirer grandes enseignes comme commerces indépendants, comme il l’explique :
« Ma mission, c’est de redéfinir une stratégie globale et de faire partager les objectifs par les acteurs du milieu, accompagner les porteurs de projet et faire un travail de proximité, être disponible et accessible. »
D’où un programme de 36 millions d’euros d’investissement pour améliorer le cadre de vie, le commerce, le logement, l’accessibilité et les animations. Pour Nathalie Motte, adjointe au maire (LR) en charge du tourisme et de l’attractivité commerciale, « l’ambiance et l’environnement sont cruciaux » pour « qu’on ait envie d’y être actif ».
Dans le cadre du programme, la Ville multiplie les initiatives pour ramener les habitants au centre-ville, comme les « Jeudi oui », où les commerces prolongent leurs horaires d’ouverture, et une navette gratuite mise en place pour transporter les personnes les moins mobiles (et toutes celles qui le souhaitent) d’une rue à l’autre du centre.
Des mesures qui semblent payer, en témoignent de très bons chiffres. En 2016, Mulhouse était une des seules villes à connaître plus d’ouvertures que de fermetures, d’après Frédéric Marquet :
« Depuis 2011, 438 commerces ont ouvert, on est à une moyenne de deux ouvertures pour une fermeture, et on est passé de plus d’une centaine de locaux vacants à une soixantaine. Les trois quarts des ouvertures sont le fait d’indépendants, mais on a aussi des grandes enseignes comme la boutique espagnole de décoration Muy Mucho, qui a choisi Mulhouse pour sa première implantation française, ou le retour de Bagelstein qui avait fermé il y a quelques années ».
Au mois d’avril 2018, l’entreprise de livraisons de repas à domicile Deliveroo s’est également installée dans l’ancienne cité ouvrière, qui rejoint la vingtaine de villes françaises où est présent ce service.
L’ère des « concept stores » ou le retour des jeunes
En attendant, ce sont les jeunes entrepreneurs locaux qui tirent leur épingle du jeu, comme Tilvist, le « Coff’tea shop » autoproclamé qui a fait son apparition en septembre 2016, reprenant des locaux vacants depuis six ans, non loin de la Maison Engelmann, au 23 rue de la Moselle. Sa créatrice, Séverine Liebold, est une ancienne de la grande distribution, qui voulait lancer un projet « plus proche de l’humain » après avoir fait un petit tour du monde, et s’est retrouvée dans la dynamique mulhousienne actuelle :
« On m’avait dit « Ne reviens pas sur Mulhouse, cela ne marchera pas », alors j’ai étudié un peu la dynamique d’autres villes comme Colmar. Mais j’en suis revenue convaincue que je n’avais rien à y faire. Cela a beaucoup bougé à Mulhouse-centre et ça bouge encore. Mon café, c’est quelque chose de conceptuel comme on fait aujourd’hui, c’est autant un « shop » qu’un coffee shop. Aujourd’hui dans les commerces on « mixe », on démultiplie les sources de revenus, j’ai vu cela dans le monde entier. C’est une valeur ajoutée considérable. L’idée est que les gens puissent venir travailler, faire comme chez eux… Et j’ouvre le lieu à des ateliers autour du bien-être, des groupes d’écriture etc. »
Un petit tour dans le centre suffit pour constater que ces commerces multifonctions se multiplient. Toujours dans le même coin, rue de la Moselle, s’est installé Le Temps d’une pause, « concept store » dont la terrasse donne sur une fresque murale éphémère, à quelques mètres du Starbucks et de la rue du Sauvage.
Sa gérante, Delphine Drumez, est une ancienne infirmière qui voulait revenir à ses premiers amours, la décoration, tout en gardant une activité avec un aspect humain. Son pari semble réussi, et elle pense que Mulhouse avait besoin de ce nouvel élan :
« Je voulais que le café-concept store devienne un lieu de vie, et ça a cartonné ! Nous faisons des événements, des cours de tricot… On participe à animer la ville ! Depuis ces 4-5 dernières années, ce n’est plus la même Mulhouse, c’est une des seules villes où il y a autant d’indépendants que de grandes enseignes. Ces nouveaux concepts, cela ramène pas mal de jeunes ».
Pour que « Mulhouse n’ait plus à rougir face aux grandes villes »
Delphine Duprez raconte que les commerçants entre eux participent à l’émulation :
« Il y a tous les mois une réunion des commerçants pour faire le point, il y a aussi des associations comme Les Vitrines de Mulhouse et Cœur de Mulhouse ».
Même son de cloche du côté de David Brès, gérant de Canal BD Tribulles, une librairie spécialisée dans les BD qui a déménagé du Passage du Théâtre à la rue des Tanneurs, et ajouté un salon de thé à sa panoplie, Le Boudoir de Léa :
« La Ville nous a aidé pour retaper la façade, il y a un nouveau dynamisme, c’est indéniable. Et le manager des commerces travaille pour que Mulhouse n’ait plus à rougir face aux grandes villes. Nous les commerces, on a envie de faire partie du train ».
C’était bien l’objectif, améliorer l’image d’une ville qui avait tendance à se paupériser. Nathalie Motte est adjointe en charge des commerces et se réjouit d’une image rafraîchie :
« Nous entendons des anciens Mulhousiens, des Strasbourgeois, des gens venus d’ailleurs en France, qui avaient une image plutôt grise de la ville, qui sont surpris, qui découvrent un centre-ville plus vert, plus neuf ».
« On dormait, mais maintenant on est sur la bonne voie »
Sans trop connaître cet envers du décor, les riverains constatent aussi un vrai changement dans leur ville, et s’en réjouissent. Plusieurs initiatives, pages et sites sont apparus, comme MyMulhouse, un « webzine indépendant et collaboratif ».
Güven, 25 ans, habite à Riedisheim, une commune attenante, mais se rend régulièrement à Mulhouse, où il dit trouver « une ambiance agréable ». Il se réjouit d’un centre qui bouge, sans perdre son essence :
« J’aime bien aller dans les cafés, au café Mozart, au 1924 (une autre « boutique-café » au début de la rue du Sauvage, NDLR), au Starbucks aussi. On voit qu’en ce moment ça change. Ça fait vraiment plaisir, parce que quand on regarde Strasbourg, on voit que c’est vivant. Ici on dormait, mais maintenant on est sur la bonne voie. Jusque dans l’avenue de Colmar (dans le prolongement de la Rue du Sauvage, au-delà de la Porte Jeune, NDLR), il y a de nouveaux endroits qui proposent des petits-déjeuners etc, avec toujours différentes nationalités représentées. Ça bouge aussi vers la place Franklin avec de nouvelles boulangeries, pâtisseries etc, qui manquent juste un peu de publicité ».
Bars à vins et légumes bio, ou le début d’une gentrification
L’hypercentre fait des petits dans des rues plus périphériques, et ne se limite pas aux concept stores et autres cafés, comme l’explique Florence, la vingtaine, et Mulhousienne depuis toujours :
« Déjà, on sent un changement dans les anciens bars, où il y a beaucoup plus de gens qu’avant, comme au Murphy’s où il m’arrive de ne pas trouver de place un mardi soir. Sinon, une nouvelle brasserie a ouvert au quartier de la Fonderie (où se trouve une partie de l’université de Haute-Alsace, NDLR). Il y a aussi un nouveau bar à rhum, A’kaz, qui est vraiment super ».
Ces dernières années, la ville a aussi vu ouvrir de nombreux bars à vins, comme l’Hardivin, rue des Tanneurs, ou La Quille, rue de la Moselle, encore. Dans le coin de la Cour des Maréchaux, le local vacant depuis la fermeture de l’Intersport il y a deux ans va retrouver une activité avec Les Halles de Cernay, une surface de fruits et légumes bio.
D’après Florence, cela a également changé le public et la fréquentation du centre-ville. Les commerçants confirment qu’ils constatent un retour des familles, et un retour des jeunes et des 25-45 ans, comme ces petits groupes attablés à la terrasse du Temps d’une Pause un dimanche de mars, un jour de la semaine où il y avait d’habitude très peu d’offres à Mulhouse.
Prolonger la dynamique jusque dans la vie nocturne ?
Mais si la mayonnaise prend bien, les difficultés n’ont pas pour autant disparu. La ville se cherche encore et les Mulhousiens prennent doucement le pli de ces nouvelles offres, d’après Séverine Liebold :
« On est beaucoup à miser sur cette ville et on a raison, mais le challenge, ça va être de stabiliser la fréquentation. Les gens ne sont pas forcément fidèles, ils picorent d’un endroit à l’autre. Mais je m’affaire, je mise sur la qualité des produits, je cherche les nouvelles tendances etc. »
L’adjointe en charge des commerces, Nathalie Motte, concède également qu’il y a encore une marge de progression :
« Ce serait bien d’avoir une homogénéité des horaires des commerces, et surtout une dynamique nocturne. Avec des dispositifs comme le « Jeudi oui », l’idée est de créer des passerelles avec la vie nocturne justement, en ouvrant les commerces jusqu’à 20h ».
Un challenge pour une ville moins étudiante que Strasbourg et qui a longtemps souffert d’un syndrome de « ville morte » dès la nuit tombée.
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