Les automobilistes et usagers des lignes de tramway B et F la connaissent sans la connaître. Et pourtant, la rue de la Montagne-Verte part de la station du même nom et rejoint la rue de la Plaine-des-Bouchers, au nord de la Meinau. Au gré de ce long parcours, plutôt difficile à identifier tant certains tronçons sont difficilement praticables à pied ou à vélo, elle enjambe l’Ill par le pont éponyme, construit en bois puis en fer en 1892, en béton en 1959 et complété en 1999 par une passerelle pour le tram.
Illusion d’optique : la Montagne Verte est plate
Sillonnant l’ancien lieu dit « Grünenberg » (1817) ou Montagne Verte, la rue qui nous intéresse englobe un secteur au confluent de l’Ill et du canal du Rhône-au-Rhin, dédié depuis deux siècles aux activités nautiques. Sur le blog Strasbourg Montagne Verte, l’on obtient au passage quelques éléments sur l’origine du nom « Montagne Verte » :
« La seule explication avancée par Louis Schneegans, historien strasbourgeois (1812-1858), réside dans l’existence de l’auberge de la Tour Verte et d’une sorte d’illusion d’optique : en venant du sud de Strasbourg, on pouvait voir des massifs d’arbres (chênes et peupliers) si denses et étendus qu’on aurait cru une petite montagne (alors qu’en réalité le paysage est plat !).
Une coïncidence plus tardive relate également le terme de « Montagne Verte ». En effet, en 1875, sont érigées les nouvelles fortifications de la ville, mais en 1900, elles avaient déjà perdu leur intérêt militaire et servaient de lieu de balade à l’ombre des arbres. Ces arbres ont donc été plantés sur les talus des fortifications. La vision donnée était celle d’une petite montagne verte, jusqu’à ce que l’autoroute A35 soit construite par-dessus, mise en service en 1965. »
À la confluence des rivières, hors les murs de Strasbourg
Ce n’est que vers le VIe siècle qu’un premier peuplement est attesté sur les bords de l’Ill, indique la notice historique des quartiers de l’Elsau et de la Montagne Verte, sur le site internet de la ville de Strasbourg. Au VIIe siècle, Saint Arbogast y vécut en ermite, avant de devenir évêque. Il y fit construire une chapelle qui devint un lieu de pèlerinage après sa mort. En 1060, deux chanoines de la cathédrale de Strasbourg transforment la chapelle en couvent d’Augustins (couvent Saint-Arbogast).
Une petite agglomération s’installe tout autour, en adopte le nom, qu’elle garde jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
Le quartier est plusieurs fois dévasté entre le XIIe et le XVe siècle. Au XIVe siècle, le magistrat (ou maire) de Strasbourg fait raser le faubourg, en vue de dégager les glacis devant les fortifications de la ville. Des tours de guet sont implantées en position avancée aux environs de 1429, comme la Tour Verte (Grüne Warth), mentionnée plus haut, près de la route de Schirmeck. Seul subsiste le couvent Saint-Arbogast, dans lequel Gutenberg se serait installé entre 1434 et 1444.
L’île Gutenberg, en passant par la très sinueuse rue des Imprimeurs
Une stèle lui est dédiée sur l’île Gutenberg, en contre-bas du pont de la Montagne-Verte, à côté de l’ancienne ferme maraîchère accueillant aujourd’hui l’association Entraide – Le Relais. Il est aisé de passer à côté de ce minuscule décrochage de terre, pourtant charmant… À noter que, chaque année, des centaines d’imprimeurs faisaient le déplacement pour rendre hommage à l’inventeur du XVe siècle.
C’est ainsi que la ruelle qui part de la rue de la Montagne-Verte, longe les jardins familiaux, passe par l’île Gutenberg et sous trois ponts d’autoroute, avant de se terminer sous la rue de la Montagne-Verte, s’appelle rue des Imprimeurs depuis 1970. Auparavant, ce « chemin du Fahrgarten » devait son nom au bac qui traversait là le Rhin Tortu.
Vers 1830-40, la petite industrie colonise la Montagne Verte
Au XVIIe siècle, le développement du trafic fluvial attire de nouveaux habitants à la Montagne Verte. « C’est avec l’avènement de l’ère industrielle que la vie tranquille du quartier est bouleversée, apprend-t-on à la lecture de la notice historique de la Ville. Creusement du canal du Rhône-au-Rhin (1834), fixant la frontière entre l’Elsau et la Meinau, construction de la ligne de chemin de fer Strasbourg-Bâle (1841) créant la séparation avec Koenigshoffen, arrivée du tramway en 1900, remplacé par la ligne de bus Kléber-Lingolsheim en 1955. »
L’Elsau, qui faisait partie autrefois du faubourg de la Montagne-Verte, était surtout composé de terrains inondables avant la canalisation et la régulation des cours d’eau. Seul un petit quartier ancien, rue de l’Unterelsau, qui part de la rue de la Montagne-Verte, rappelle ce passé.
Parc naturel urbain : nouvelle entrée pour le quartier des Foulons
Au XIXe siècle, la Montagne Verte est, comme d’autres quartiers périphériques, un coin de campagne près de Strasbourg où les bourgeois viennent se promener le dimanche. De nombreux restaurants et auberges y sont installés. Des ateliers artisanaux et de petites industries viennent s’y implanter (ci-dessus), notamment dans le quartier des Foulons qui, bien qu’intégré au glacis (ceinture défensive où l’urbanisation est théoriquement interdite), est néanmoins construit en « dur » dès les années 1900.
Réaménagée récemment grâce aux crédits dégagés dans le cadre du parc naturel urbain (PNU), l’entrée du quartier des Foulons (station Montagne Verte) accueille désormais de nouveaux jardins familiaux. C’est aussi un départ de promenades et notamment celle du « parcours des Canotiers ».
Un peu plus loin, le long des rails du tram, plusieurs bâtiments sont inoccupés depuis plusieurs années, rue de la Montagne-Verte et Chemin de la Montagne-Verte.
Au n°10, c’est l’ancienne Poste du quartier, ouverte en 1897 et transférée rue de Friedolsheim en 1965, au moment de la mise en service de l’autoroute, qui dépérit lentement derrière un grillage. Reconvertie en appartements et sans locataires depuis 5 ou 6 ans, on ignore encore ce que son propriétaire, Habitation Moderne, compte en faire…
Aérienne, la rue surplombe l’A35 et le canal du Rhône-au-Rhin
Alors que le tram B/F quitte la rue de la Montagne-Verte pour rejoindre l’Elsau, cette dernière s’élève et surplombe l’autoroute, doublée par la voie ferrée. Là, piétons et cyclistes ne sont pas les bienvenus. Ni véritable trottoir, ni piste cyclable n’ont été prévus en 1965, date de mise en service du tronçon. Un peu plus loin, la rue – toujours la même – passe cette fois au-dessus du canal du Rhône-au-Rhin, par un pont appelé « pont de l’Ecluse 85 ». À proximité, les bateaux de plaisance stationnent, les péniches et kayaks circulent, nombreux.
Tout près, les îles Weiler et Stella abritent depuis plus de 100 ans des clubs d’aviron, de canotage et de canoë. Six au total vers 1880 : le Rowing club, l’Ill club, le Sport club 1900, le club nautique Stella, etc. L’activité nautique, d’abord réservée à une classe aisée, a perduré malgré la construction de l’autoroute, impliquant une double lecture étonnante du quartier des Canotiers.
Au Herrenwasser, la pollution de l’eau l’a emporté sur l’hygiénisme municipal
L’île Weiler est par ailleurs ainsi nommée du nom de François-Charles Weiler, « à qui incombait notamment de porter secours aux baigneurs en détresse », apprend-t-on dans le Dictionnaire historique des rues de Strasbourg (Maurice Moszberger, Le Verger, 2012). En 1911, un club d’aviron, parmi les six installés dans un périmètres de 400 mètres carrés, s’installe sur l’île – il y est encore. En face, sur les berges de l’Ill côté Foulons, une piste cyclable passe depuis 1997 et porte le nom de Herrenwasser. À noter que c’est l’île Weiler qui portait d’abord ce nom, Herren désignant les bourgeois de la ville.
Déjà mentionné par un arrêté municipal de 1811, les bains du Herrenwasser deviennent les premiers bains de rivière aménagés à Strasbourg en 1861. Situés sur la rive nord de l’Ill, en face de l’île Weiler donc, et à proximité de la ville intramuros (les fortifications sont toujours debout à l’époque), ils constituent la première démarche hygiéniste de la municipalité. L’établissement disposait de bains de soleil, de vestiaires et de bassins spéciaux pour les enfants avec cours de natation pour les écoliers.
Mais, la pollution de l’eau devenant de plus en plus importante, il est décidé de les fermer et d’interdire la baignade sur le site en 1971, comme dans tous les bains de rivière à Strasbourg. En 2012, militants et élus écologistes se mobilisent pour le retour des baignades naturelles en ville, prenant le site du Herrenwasser comme symbole. Peut-être, un jour, les baigneurs se joindront-ils à nouveau aux pratiquants d’aviron. Sous l’autoroute ?
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : les articles de la rubrique « Au bout de la rue, la ville »
Sur Rue89 Strasbourg : les articles sur le Herrenwasser
Sur Rue89 Strasbourg : les articles sur le parc naturel urbain
Sur Wikipédia : l’article très complet sur les enceintes successives de Strasbourg
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