C’était la première fois qu’un campement aussi important existait à Strasbourg en plein hiver. Des familles avec enfants, des personnes âgées, des malades, des mères célibataires luttaient contre le froid, faute de réponse positive lorsqu’elles appelaient le 115 – numéro pour demander un hébergement d’urgence. Pour obtenir la mise à l’abri d’une partie des personnes, la Ville a demandé le démantèlement du camp au tribunal administratif. Mardi 11 février aux alentours de 13h30, la police nationale a commencé son opération d’évacuation.
Au moins 250 personnes évacuées
Selon les chiffres de la Ville de Strasbourg, 225 sans-abris vivaient sur le camp la semaine du 3 février 2025, dont 85 enfants. Ce mardi, ce sont « au moins 250 personnes » qui sont évacuées, selon un responsable du dispositif policier. Parmi elles, environ 20% seraient en situation de droits incomplets, c’est-à-dire sans titre de séjour.
Trois gymnases ont été réquisitionnés : Fischart, Menora et Hans Arp. La préfecture prévoit d’y trier les occupants et occupantes du camp en fonction de leurs situations administratives. Une heure après le début du démantèlement, Floriane Varieras, adjointe municipale en charge des Solidarités, a réussi à entrer dans le périmètre de l’opération organisée par l’État. En ressortant, elle estime que « tout se déroule dans le calme ».

Avant le démantèlement, les forces de l’ordre ont monté des barrières blanches qui empêchent de voir l’intérieur du parc, ainsi que deux paravents. Au moins deux bus sont dédiés au transport des personnes vers les gymnases. Des agents et agentes de la police aux frontières sont présents.



Hillary Contreras, coordinatrice de l’équipe mobile de Médecins du Monde, a pu s’entretenir avec des familles lors de l’opération :
« Les gens avaient très peur du fait qu’il y ait autant de forces de l’ordre. Ils ne comprennent pas ce qui va leur arriver, on ne leur explique pas. Certains n’ont pas de papiers. Beaucoup loupent des journées de travail, des rendez vous médicaux, mais ils ne savent pas s’ils auront une solution quand ils monteront dans le bus. On pourrait faire les choses différemment, en anticipant, lorsqu’il y a des signalements auprès du 115 (le numéro de l’hébergement d’urgence, NDRL). Ça éviterait que les camps se forment plutôt que de faire les choses dans l’urgence comme ça. »

Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg
Une heure après le début du démantèlement, des occupantes et occupants installent leurs bagages dans un deuxième bus en cours de remplissage. Mathieu Duhamel, secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin, donne quelques informations aux journalistes encore présents. Il précise que le dispositif déployé est « habituel » :
« Les personnes se verront proposer des solutions selon leurs situations administratives. Pour certaines familles, le premier examen qu’on fait dehors ne suffit pas, on doit préciser la situation donc on leur propose un rendez-vous à la préfecture. Certaines iront probablement à Bouxwiller (un « centre d’aide au retour » dans le pays d’origine, NDLR) mais il ne devrait pas y avoir de rétention administrative, il faudrait qu’il y ait un trouble à l’ordre public pour cela. »

« J’aimerais pouvoir rester à l’école ici »
Lorsqu’elles montent dans le bus, les personnes n’ont aucune idée de ce qui va leur arriver. À quelques minutes de l’intervention de la police, Hamza s’inquiétait. Arrivé avec sa famille de Syrie en décembre 2024, il espère pouvoir rester à Strasbourg :
« Je suis au collège Lezay Marnésia depuis deux semaines en quatrième. Je suis bien là bas. On a peur d’être hébergés hors de Strasbourg. J’aimerais pouvoir rester à l’école ici. Strasbourg est une bonne ville pour travailler pour nos parents. On a nos rendez-vous là… »

Une partie des personnes qui occupaient le parc – notamment des Géorgiens, des Albanais ou des Arméniens – ne parviennent pas à obtenir des papiers parce que la France considère leurs pays de naissance comme sûrs. Elles se verront probablement proposer le « centre d’aide au retour » de Bouxwiller et risquent ainsi un retour à la rue s’ils refusent. Ces sans-abris expliquent souvent que, pour des raisons de sécurité, il est inenvisageable pour eux de retourner dans leur pays d’origine. Ils sont condamnés à une longue errance, sans possibilité de se loger et de travailler en France.

« J’espère que tout le monde sera logé »
Nael, 23 ans, est venu avec sa famille de Syrie. Il a sa carte de séjour. Mais il s’inquiète pour une femme qui n’en a pas : « On est soulagés parce que c’était dur de lutter contre le froid ces derniers temps. On est arrivé ici il y a trois mois. J’espère que tout le monde sera logé. » À ses côtés, une autre famille syrienne craint de ne pas être mise à l’abri. Leur demande d’asile a été refusée en Allemagne. Ils essayent désormais de demander le statut de réfugié en France, mais l’échec outre-Rhin complique leur situation administrative. La mère et ses deux filles pourraient ne pas être hébergées de façon pérenne en France.


Peu après 14h30, une famille originaire de Géorgie quitte finalement le camp sans proposition de logement, mais avec une convocation à la préfecture, seulement une heure plus tard. Ce traitement différencié angoisse les parents, qui craignent que la préfecture ne leur propose qu’un retour dans leur pays d’origine ou la rue.
De son côté, Nicolas Fuchs, coordinateur régional de l’association Médecins du Monde, demande une « prise en charge de chaque personne en fonction de ses besoins ». Il précise :
« Une femme victime de violences n’a pas les mêmes besoins qu’une personne souffrant d’un handicap ou d’une pathologie chronique. Tous les pouvoirs publics, les collectivités et l’État, doivent se coordonner pour répondre aux besoins médico-sociaux des personnes. »

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