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Le Molodoï, 20 ans de cultures alternatives et toujours vivant

Les jeunes qui fréquentent le Molodoï ont pris 20 ans ! Comme ils sont toujours punks et toujours vivants, ils fêtent ça du mardi 29 avril au dimanche 4 mai. Il y a de quoi, la salle a survécu en se disant « autogérée, antifasciste, antisexiste et anticapitaliste ». Dans ce monde, c’est un bon motif pour faire la fête.

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Le Molodoï

Le Molodoï
Le Molodoï (Doc. remis)

Ces trois lettres traduisent la raison d’être profonde du Molodoï : CAJ, Centre Autonome Jeunes, une salle « culturelle, politique et sociale » comme en atteste le site internet du lieu. Cette dénomination – le CAJ – porte, de l’aveu-même de trois de ses acteurs, Fred, Lionel et Elodie (tous membres de Molodoï Production, l’association qui gère le lieu, et respectivement administrateurs au Molo depuis 1993, 2004 et 2013), « une contradiction car le centre autonome jeunes, ça ne signifie pas forcément l’envie de centraliser ni l’envie de tomber dans le jeunisme ». Voilà donc tout ce qui fait le sel de ce riche et enrichissant endroit à part dans l’univers culturel strasbourgeois et même bien au-delà.

En 1986, Molodoï était un fanzine

Mais bien avant d’être une salle en dur, bien avant d’occuper les locaux de la rue du Ban de la Roche, Molodoï (c’est-à-dire « jeune » en russe) est un fanzine, né en 1986 à Strasbourg, « un point vers lequel convergent tous les traits d’une culture urbaine, scène rock alternative, graphisme, pochoirs, production indépendante, happening, explique le site internet du Molo. Une émission de radio hebdomadaire sur Radio Bienvenue Strasbourg (« Molodoï : toutes les alternatives musicales ») voit le jour. Son concept : promouvoir l’union de toutes les cultures musicales ». Puis Molodoï se constitue en association, mue par cette question : une autre approche du culturel est-elle possible ?

« Autoproduction, concerts à bas prix, théâtre de rue et productions artistiques indépendantes ne sont-ils que les expressions de cultures minoritaires ou de véritables tendances ? » Molodoï se lance alors dans l’organisation de concerts rock, au Fossé des Treize, à la salle des Fêtes de Schiltigheim, au palais des Fêtes de la rue Sellenick. Fred, présent dans l’association depuis ses débuts, se souvient :

« Molodoï, ça part d’une bande de potes écoutant le même style de la musique car à l’époque, il n’y avait pas vraiment d’endroits pour la musique alternative, le punk, le punk rock, le hardcore, le hip hop. Le but, c’était donc d’avoir un lieu dédié à ces cultures jeunes et urbaines. Et puis l’autre aspect relève du social. Molodoï, c’était l’envie de proposer la culture pour tous avec un accès au savoir, des cours de danse, des cours de musique. C’est de l’aide sociale puisque les trois aspects culturel, politique et social sont imbriqués dans le projet. Ça relève de l’humanisme »

Au Molodoï
A l’intérieur du Molodoï (Doc. remis)

En 1994, Molodoï ouvre, une promesse de Catherine Trautmann

La salle actuelle n’ouvrira ses portes qu’en 1994, après trois ans de travaux et après l’écriture d’un projet destiné à donner un endroit à la jeunesse strasbourgeoise dont une partie ne trouvait plus sa place dans la ville. À l’époque les socialistes arrivent aux affaires, conduits par Catherine Trautmann. Cette dernière avait alors promis un lieu dédié à ces cultures, à commencer par les courants musicaux alternatifs et engagés.

Après deux ans de négociations, le bâtiment du 19 rue du Ban de la Roche, est confié à l’association Molodoï sous le régime d’un bail emphytéotique d’une durée de 18 ans, courant à partir de 1991. Et c’est l’actuel maire, alors premier adjoint, Roland Ries, qui signera le bail. Dès lors, ce sont les associations qui investissent les lieux, une ligne qui est toujours restée celle du projet initial selon Fred, Lionel et Elodie :

« La salle a ouvert des possibilités à des tas de scènes et ç’a été accueilli positivement car c’est un lieu propice à une émulsion. D’ailleurs, on l’a constaté il y a vingt ans comme on le voit encore aujourd’hui : au départ, on avait entre quinze et vingt associations à Molodoï qui proposaient entre trente et quarante projets par an. Aujourd’hui, on est passé à 70 voire 80 associations avec plus de 200 événements par an. Et l’important, c’est avant tout de rester attentif au projet des associations. Par exemple, aujourd’hui, on a de plus en plus de projections de films et de documentaires, des débats, des expositions, de la photo, du théâtre, des marionnettes même si les concerts restent une partie importante de ce qui se passe ici. Du coup, on propose des cultures, de la culture sous toutes ses formes, liée à la jeunesse et toujours en lien avec un projet social qui implique un engagement humain. »

Au Molodoï
En réunion au Molodoï (Doc. remis)

Les bonnes vieilles AG au Molodoï

Pour proposer un projet, il est nécessaire de rédiger un dossier et de le soumettre à l’assemblée générale qui se réunit les premiers et troisièmes mercredis du mois. Validation ou refus, la décision est prise en collégialité, à l’horizontale, sans aucun organigramme précis. Voilà le principe de l’autogestion du lieu doublé d’un strict respect de la démocratie directe. Mais les heureux élus ne sont pas pour autant lâchés en pleine nature et en roue libre :

« Pour certaines associations, qui connaissent bien Molodoï, au bout d’un moment, c’est la routine. Mais pour d’autres, celles qui sont moins aguerries, il faut un accompagnement. Il y a donc toujours un référent Molodoï pour les soirées, quelqu’un disponible. Et même si l’idée, c’est que les gens apprennent à se débrouiller, on est avant tout un collectif de personnes qui ont envie de faire des choses en transmettant un savoir, des connaissances, avec un vrai esprit d’entraide. »

Et Fred, le plus ancien du trio, d’ajouter :

« C’est avec bonheur que j’ai vu la salle évoluer, c’est l’essence-même de l’endroit. À Molodoï, on est en perpétuelle construction, on est toujours en train de s’adapter aux demandes des associations. Humainement, c’est une aventure extraordinaire. On a la fierté de poursuivre un projet qui reste alternatif et pertinent, qui concerne des centaines de personnes, surtout dans une société qui fonctionne avec d’autres canons, comme le fric ou la défiance entre les gens. Et c’est aussi ce qui explique la ligne tarifaire à Molodoï. Ici, aucun concert ne dépasse les 8 euros (c’était 50 francs en 1994). Pour les associations qui organisent des événements, le but ce n’est pas de gagner du fric mais c’est que les choses puissent se faire. C’est pour ça qu’on est attaché à une réflexion sur le prix libre ou ce que peut être la gratuité car la culture, ce n’est pas nous qui la programmons mais les associations, les gens qui fréquentent la salle, les habitants du quartier qui la programment et la font vivre. »

Le Molodoï devenu une « institution », le comble

La salle a franchi le cap de la génération. Aujourd’hui se retrouvent au Molodoï des lycéens dont les parents fréquentaient peut-être la salle à ses débuts ou les concerts alternatifs organisés par l’association dans les années 80. Le Molodoï fait donc partie intégrante du paysage culturel strasbourgeois, avec les voisins de la Laiterie. « Nous sommes dans une complémentarité, explique le trio. Et le côté presque institutionnel, c’est peut-être parce qu’on va aujourd’hui au Molodoï comme on va chez son boulanger »

Et pour les jeunes, le Molodoï a toujours existé. « Ce qui nous questionne, précise alors Lionel, c’est comment les gens s’approprient le lieu car ils sont dans une utilisation et une consommation du lieu, soit dans un esprit de découverte, soit dans un esprit de fidélisation ». En tout cas, pour bien résumer l’esprit du Molodoï, son logo parle pour lui, avec une fronde et un frondeur :

« Pour envoyer des cailloux, montrer qu’une autre culture tourne, continuer à la faire tourner et surtout rappeler aux gens que c’est possible de fonctionner autrement. Les 20 ans du Molo, ça permet donc montrer ce qu’est le Molodoï, avec des concerts de rock, d’électro, de punk, du baloche, une kermesse, une brocanto, un apéro, des ateliers et des projections. Tout ça, c’est le projet. Et c’est un vecteur pour que les gens se rencontrent, que les générations se côtoient alors que le monde est de plus en plus cloisonné. »

Un lieu très politique

Le Molodoï, association et endroit politisés ? Assurément, mais « pas de la politique politicienne » assure notre trio Fred, Lionel et Elodie. De la politique pour servir la vie de la cité, ce qui n’empêche pas des prises de position et un engagement clair, fidèle à la philosophie des porteurs du projet Molodoï. L’association vit avec une subvention de fonctionnement de la municipalité, 23 000 euros par an – qui n’a pas été remise en cause par la droite entre 2001 et 2008 – et l’endroit voit passer annuellement plus de 30 000 personnes lors des divers événements organisés.

« On ne veut pas être dépendant d’une subvention pour vivre. Notre objectif, c’est de montrer qu’on peut faire différemment, en étant inventif et créatif, montrer ce qu’on peut faire avec trois bouts de ficelle ce qui ne signifie pas qu’on fait de la culture au rabais. Les politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont certainement compris avec le temps l’intérêt d’un lieu comme le nôtre. Evidemment, notre projet est avant tout culturel et social, mais ça ne nous a jamais empêché d’accueillir des marches pour les étrangers, le contre-sommet de l’OTAN, des réunions antifa, etc. De toute façon, ce qu’on fait au quotidien, c’est politique ! On est anti-autoritaire, on a une couleur, une identité qui est forcément politique de par le fait qu’on se veut accessible à tous, qu’on pratique les prix libres, qu’on accueille les AMAP du quartier Gare. Tout ça, c’est notre manière de faire de la politique, c’est du concret. »

Tout récemment, le Molodoï a annulé le concert du groupe Merrimack, parce que l’un des membres d’une association organisatrice avait « des accointances extrême-droitières« .

Un soir de concert au Molodoï en novembre 2013 (Photo Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons / cc)
Un soir de concert au Molodoï en novembre 2013 (Photo Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons / cc)

François de Pigalle : « heureusement qu’il existe des salles comme le Molodoï »

En 2009, le bail emphytéotique de 18 ans arrivait à expiration et il avait donc fallu le renouveler. « Une bataille âpre, se souviennent Fred et Lionel, il a fallu discuter, batailler, mais au final, le bail a été reconduit ». Une reconnaissance du rôle moteur du Molodoï sur la carte culturelle strasbourgeoise et une réminiscence, aussi, de la lutte des débuts, dans les années 90, pour obtenir l’ouverture du lieu. Aujourd’hui, le Molodoï existe toujours et l’un des plus vibrants hommages qui lui soit rendu émane peut-être de l’un de ceux qui participèrent à l’aventure dès ses prémices, inscrit dans la mouvance alternative de la scène française des années 80 : François Hadji-Lazaro, du groupe Pigalle (mais aussi des Garçons Bouchers et de Los Carayos) à l’affiche d’une grande soirée de concert le vendredi 2 mai (avec Parabellum et Washington Dead Cats) :

« Le Molodoï fait partie du cheptel des salles parallèles. Et donc ces 20 ans, c’est super important pour la scène musicale en France. C’est la preuve qu’on s’attache à une démarche, c’est une preuve d’efficacité, surtout dans le marasme général actuel. Heureusement qu’il existe encore des endroits comme ça, c’est de plus en plus rare dans le système qu’on connaît aujourd’hui, un système d’étiquette où on veut catégoriser les gens, les groupes, les styles. On perd la notion d’ouverture aux autres »

Et Fred de conclure :

« Aujourd’hui, on ne peut pas dire que le Molo est une machine bien huilée. D’ailleurs, heureusement que ça grince, sinon ce serait de la culture morte ! En 20 ans, il y a bien une bonne centaine de personnes qui ont fait tourner le lieu, bon an mal an mais malgré tout, maintenant, ça craque moins qu’à l’époque parce qu’il y avait plein de contradictions, on était trop centrés sur nous-mêmes, trop penchés sur notre culture d’origine. Depuis 4-5 ans, ça va mieux. Evidemment, il y a des prises de tête mais c’est normal dans un fonctionnement collégial car on est en construction perpétuelle. Et puis ça montre quand même qu’on n’est pas resté des vieux punks à la con, à gerber sur les autres cultures. »

Vingt ans, c’est la fleur de l’âge, mais pour la salle, voilà qui sonne l’heure du ravalement. Depuis 1994, le lieu a vieilli et désormais, de gros travaux sont à entreprendre et notamment la toiture, pour des questions de chauffage et de meilleure isolation.

Aller plus loin

Les 20 ans du Molodoï se déroulent du 29 avril au 4 mai au Molodoï, 19 rue du Ban de la Roche à Strasbourg. Infos et programme complet sur le site internet du Molodoï.


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