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Moins d’emplois pour plus de jeunes, l’impossible mission des services d’insertion depuis le Covid-19

Depuis la crise du Covid-19, l’insertion professionnelle des jeunes en difficultés a été plus compliquée. Moins d’emplois, moins de formations et moins de stages… À Strasbourg, les travailleurs sociaux ont également dû jongler entre proximité et distance dans l’accompagnement des personnes suivies.

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Moins d’emplois pour plus de jeunes, l’impossible mission des services d’insertion depuis le Covid-19

Combler le fossé laissé pendant la crise sanitaire est le nouvel adage des chargés d’insertion professionnelle. Au quotidien, leur travail consiste à orienter et accompagner des jeunes, souvent précaires. Cette mission vise à les aider à décrocher des stages, des formations ou des emplois en mobilisant plusieurs atouts : des ateliers pédagogiques, des discussions, rédaction de CV ou encore des simulations d’entretiens d’embauche… Ce métier, déjà complexe donc, est devenu extrêmement difficile en raison de la raréfaction d’offres d’emplois peu qualifiés contre l’augmentation des jeunes en demande, et des impératifs sanitaires peu compatibles avec un travail de proximité.

Au siège de la Mission Locale Pour L’Emploi à Strasbourg, les locaux sont beaucoup moins fréquentés par les jeunes et les conseiller depuis la crise du Covid-19. Photo : AM / Rue89 Strasbourg / cc

« Ça a été extrêmement difficile de demander à des jeunes en situation de fragilité de changer de voie »

Directeur du Foyer Notre-Dame à Strasbourg, Arnaud Fritsch a vécu des moments difficiles avec les jeunes qu’il accompagne, des mineurs ou jeunes majeurs isolés et des demandeurs d’asile :

« Les deux grands champs d’activités sollicités par 60% de nos 500 jeunes en insertion professionnelle sont le BTP et la restauration. On a dû les réorienter. Il a été extrêmement difficile de demander à des jeunes, déjà en situation de fragilité, de changer de voie alors qu’ils avaient commencé un parcours professionnel… Ça a évidemment eu un impact sur leur moral et leur motivation. Le manque de sorties et d’interactions sociales n’a rien arrangé. Les éducateurs ont développé un lien quasi-quotidien avec chacun des jeunes pour prévenir et suivre les situations de détresse. Il y a eu des décrochages dans l’accompagnement et les cours à distance, mais ils n’ont jamais été laissés seuls. »

Habituellement, des ateliers collectifs permettent aux jeunes de préparer leur insertion, avec des activités sportives, sociales et culturelles. En 2020 et 2021, le foyer a dû se contenter d’ateliers individuels comme la rédaction de CV, des cours généraux et des entretiens.

« Une solidarité exceptionnelle en interne a permis d’éviter les cassures. En sous-effectif, nous avons fait appel à des salariés volontaires d’autres services », confie le directeur. Pour éviter des sorties sèches, où les jeunes se retrouveraient sans suivi, l’association a obtenu du Département des allongements de prise en charge pour consolider les parcours « et compenser les pertes d’emplois », précise-t-il.

« La casquette de coach » pour aider moralement à la réorientation

À l’Établissement pour l’Insertion Dans l’Emploi (Epide), l’internat a été fermé deux mois pendant le premier confinement et les jeunes ont été orientés vers les secteurs d’aide à la personne et la logistique. 72 jeunes sur 120 « volontaires » ont ainsi pu trouver une formation ou un emploi, « une proportion identique à celle des années précédentes », selon la cheffe du service d’insertion professionnelle et formation, Audrey Wagner :

« Nous avons travaillé plus en profondeur les savoirs généraux comme le français, les mathématiques et les compétences informatiques. Les entretiens d’embauche se sont très souvent déroulés à distance, ce qui a permis aux élèves d’apprendre à bien manier les outils numériques. »

Beaucoup d’entre eux sont des décrocheurs scolaires et sont en difficulté. Alors pour éviter la répétition de ce processus, la cheffe de service indique que le l’Epide a mis l’accent sur le travail individuel. « Il fallait maintenir le moral des jeunes pourtant habitués à la vie en collectivité dans l’établissement. On a donc enfilé une casquette de coach et discuté parfois de manière plus personnelle et moins formelle de la vie quotidienne et des ressentis par exemple ». Après coup, la responsable observe « un changement de postures des enseignants » : « ils sont plus à l’écoute et plus proches des jeunes volontaires ». La structure a notamment accepté pendant la crise d’accueillir 10 à 15 jeunes le week-end pour « éviter qu’une rupture familiale fragilise le parcours ». Les sessions d’admissions sont aussi moins espacées, permettant de recevoir 15 nouveaux jeunes par mois. La prise en charge qui était de 8 mois s’est quant à elle rallongée, selon les besoins.

« Plus de demandes » contre moins d’emplois et moins de formations

La mission locale pour l’emploi (MLPE) accompagne un public similaire. Mathieu Thibaud est conseiller au siège de l’association. Il raconte comment la mission locale s’est adaptée pendant la crise sanitaire :

« On a expliqué aux jeunes qu’en raison de la crise, la restauration ce n’était pas le meilleur secteur pour se lancer. En attendant, ils pouvaient opter pour un métier dans l’alimentaire, ou dans l’industrie comme préparateurs de commandes. On a aussi travaillé le projet professionnel pour que dès que la crise est terminée, le jeune puisse basculer vers le projet initialement prévu. Mais ça a demandé de garder le contact le plus souvent possible avec lui. »

MLPE Conseiller Insertion et Formation
Mathieu Thibaud, conseiller au service formation et insertion du siège de la Mission Locale Pour L’Emploi à Strasbourg ( photo AM / Rue89 Strasbourg / cc).

« Je suis tout le temps au téléphone. C’est ça qui chamboule tout », explique Mathieu Thibaud, premier interlocuteur pour les jeunes voulant se renseigner sur le dispositif :

« Il y a eu et il y a toujours beaucoup plus de demandes avec le Covid-19, notamment venant d’étudiants mais là, ma ligne est saturée. Il y a ceux qui sont en train de décrocher et essayent de voir quelles sont leurs perspectives, et d’autres qui l’ont déjà fait. Au collège, lycée, les jeunes déjà en difficulté le sont d’autant plus à cause du masque qui ne facilite pas la compréhension et le dialogue. Les organisations de cours à distance puis de cours en demi-groupes n’ont pas aidé non plus. »

En outre, l’obligation de se former ou d’être suivis, étendue aux 16-18 ans a augmenté la charge de travail des travailleurs sociaux. Les missions locales reçoivent une liste des mineurs sortis du système scolaire communiquée par l’Éducation Nationale (en France, 60 000 mineurs sont sans études, ni formation, ni stage). La consigne donnée est de tous les contacter, vérifier s’ils sont suivis ou les faire adhérer à un dispositif d’accompagnement.

« Capter les jeunes à distance »

Confinés comme tout le monde, les conseillers ont dû chercher des moyens de continuer leur travail de suivi à distance comme le détaille Gilles Mougin, conseiller référent de la MLPE :

« Avant, on avait souvent nos jeunes au téléphone et on se voyait quand il le fallait. Mais avec le confinement, nous avons été obligés de leur proposer des entretiens en visio, comme par exemple lors des simulations d’entretiens d’embauche. On a dû s’adapter très vite, sans aucune formation. Certains n’étaient pas équipés, les webcams ne sont arrivées qu’à l’été 2020. »

Mais pour atteindre et rester en contact avec des jeunes souvent en situation de précarité, le numérique n’est pas une solution satisfaisante, comme l’explique Mathieu Thibaud, en charge de recevoir et d’orienter les requêtes des jeunes à la MLPE :

« C’est beaucoup plus dur de les capter au téléphone. Il faut réussir à rendre le truc le plus humain possible. On fait comme on peut, mais il y a de la perte. Il y a des jeunes qui téléphonent pour avoir des informations. On les inscrit, on leur donne un rendez-vous mais on sent que l’accroche n’a pas fonctionné. Ils ne sont pas convaincus et ils ne rappellent pas. »

À l’issue des deux premiers mois de confinement, la mission locale a de nouveau ouvert ses portes en équipe réduite pour accueillir les jeunes :

« Il faut parfois caler des rendez-vous en présentiel pour des jeunes qui n’ont pas d’ordinateur. Ils doivent signer des documents relatifs à leur orientation et valider des projets. Il y en a qui n’ont ni téléphone, ni adresse mail donc on passe par les courriers papiers. Des assistants sociaux peuvent les réceptionner, sinon on compte beaucoup aussi sur les éducateurs spécialisés qui font le relais. En dehors des rendez-vous, la permanence ouverte le matin permet aux jeunes qui ne parlent pas, ou mal le français, d’accéder à nos services. »

MLPE Numéro Vert
Le numéro vert de la Mission Locale pour l’Emploi à Strasbourg mis en place pendant le premier confinement et placardé sur la porte d’entrée de la Mission Locale pour L’Emploi à Strasbourg ( photo AM / Rue89 Strasbourg / cc).

Au premier confinement, c’était le plus « hard »

« En l’absence de formations, les demandes d’accès à des aides financières ont explosé pendant le confinement », révèle Gilles Mougin. C’est le cas notamment du FAJ (Fonds d’Aide aux Jeunes) géré par la mission locale, une aide ponctuelle plafonnée à 1 000 euros par an. « Ça a permis à des jeunes de payer leur loyer », explique-t-il, tout en précisant que d’autres aides ponctuelles, comme des allocations PACEA (Parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi ou l’autonomie), ont pu être débloquées. « Par exemple, on a proposé des Garanties Jeunes, 497 euros par mois, pour ceux qui cherchent un emploi et sont en situation de précarité. »

En 2019, 20% des 18-19 ans étaient sous le seuil de pauvreté. Pour se tenir informés et « prévenir » ces situations d’urgence, il faut « appeler et rappeler au téléphone nos jeunes », précise le conseiller. De façon parfois à mettre les jeunes en relation avec l’assistante sociale, afin de trouver des solutions d’hébergement, ou déclencher une demande d’aide d’urgence. Le conseiller poursuit :

« On suit pas mal de jeunes SDF, eux ne comprenaient parfois même pas ce qu’il se passait. En mars 2020, tous les services ont fermé d’un coup. Donc oui, s’adapter au départ et répondre à toutes ces demandes, c’était assez hard ».

MLPE Conseiller Référent
Gilles Mougin est conseiller référent au siège de la Mission Locale Pour L’Emploi à Strasbourg. Il montre la nouvelle organisation en période de crise sanitaire : planning des conseillers à distance ou en présentiel et protocole pour recevoir les jeunes ( photo AM / Rue89 Strasbourg / cc).

« Le grand public n’est pas forcément au courant de toutes les difficultés que rencontrent les jeunes », commence Virginie De Schryver, assistante sociale à la Mission Locale Pour l’Emploi :

« La crise sanitaire a amplifié les problèmes posés par la précarité. Les employeurs n’embauchent quasiment plus, tous les dispositifs d’urgence sont saturés… Les entrées et sorties ne suivent plus dans les hébergements d’urgence. Ceux qui ont la chance d’y rentrer y restent, et les autres sont à la rue. Même ceux qui travaillent n’ont pas d’hébergement. Je fais quoi ? Je mets des lits dans mon bureau ? Il y a des jeunes qui dorment dehors et doivent ensuite aller travailler, c’est hallucinant. »

Le plan « un jeune, une solution » lancé à l’été 2020 par le gouvernement pour aider financièrement à la recherche d’un premier emploi n’est pas suffisant. Parmi ces mesures, l’AEJ (Aide à l’Embauche de Jeunes) a permis une hausse de 7% de CDD et CDI, mais elle est limitée puisqu’il s’agit d’une aide uniquement à destination des employeurs pour des contrats de ce type. Les effets sont donc « négatifs », conclut la Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (DARES), sur l’emploi total des jeunes (l’emploi non salarié et l’emploi intérimaire sont exclus du dispositif).

« Malgré les freins, on a réussi à travailler »

En tant que travailleur social, Farid Rahmani, est habitué à avoir comme premier champ d’actions la rue. C’est là qu’il rencontre et repère les jeunes du quartier qui pourraient adhérer au Dispositif d’accompagnement collectif individuel (Dacip), situé au centre socio-culturel du Neuhof. Ce travail, pendant la crise sanitaire, s’est surtout résumé « au rappel des mesures barrières et au port du masque ». Pour le maintien du lien social et l’aide à l’insertion de ses jeunes, il a dû se contenter, ou presque, de conversations à distance :

« On ne savait pas trop comment faire. Nous sommes cinq personnes, chargées du suivi d’environ 75 jeunes. On a essayé de garder le lien par téléphone, faire des soirées Zoom… On a fait ce qu’on a pu pour les mobiliser, mais le confinement les a renfermés sur eux-mêmes. On a parfois privilégié le lien social et fait quelques visites à domicile, pour les aider dans leur quotidien, avec les sacs de courses, etc. « 

60% des jeunes suivis ont arrêté l’école en quatrième ou troisième année de collège. En temps normal, des ateliers collectifs et des sorties culturelles sont également proposées. Mais face à la baisse d’offres sur le marché professionnel et l’obligation de distanciel, l’association a dû travailler sur les CV et des mises en situation d’entretien d’embauche en visio…

« Malgré tous les freins, on a réussi à travailler », atteste le coordinateur. L’association s’est rapprochée de nouveaux partenaires via notamment la Maison de l’Emploi pour activer de nouveaux systèmes, comme des Activités Rémunérées à la Carte (ARC) sur des activités de niches, c’est-à-dire des emplois créés très ponctuellement : certaines missions durent un mois, d’autres deux heures… Les jeunes ont aussi pu réaliser des CDD de découverte d’emploi, des chantiers éducatifs, comme la remise en état de bâtiments pour des associations, et des missions intérimaires.

Malgré tout, l’association estime qu’en 2020, le taux de sorties positives du dispositif, c’est à dire avec une perspective, est identique à celui de 2018, soit 60%.


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