« La cinquième République donne trop de pouvoir à un seul homme. C’est un danger pour la démocratie », analyse Carlos, agent d’accueil à l’Université de Strasbourg. La capitale alsacienne a connu, jeudi 23 mars, la plus grande manifestation depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites : plus de 20 000 personnes. Avec l’utilisation de l’article 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites sans vote du Parlement, le mouvement social prend une autre dimension. Carlos témoigne de cette évolution des revendications :
« Le gouvernement ne prend pas en compte l’opinion d’une grande majorité des Français. Si l’avis du peuple n’est pas pris en compte, nous ne sommes pas dans une démocratie qui fonctionne. Ce n’est pas souhaitable qu’un président ait autant de pouvoir. Là, Macron est comme un monarque. Les règles du jeu doivent changer. »
« Macron peut faire passer tout ce qu’il veut »
En tête de cortège, des milliers d’étudiants, de lycéens et de jeunes employés défilent, contrairement aux manifestations de janvier et février, où cette classe d’âge était représentée en moindre proportion. « On vit dans une monarchie », « Il faut donner plus de pouvoir à l’Assemblée », « Macron peut faire passer tout ce qu’il veut, nous sommes dans un système autoritaire »… Dans la foule, entre deux slogans, des manifestants exposent leurs inquiétudes concernant l’état de la démocratie en France. Océane travaille au conservatoire d’art dramatique. Pour elle, l’attitude du gouvernement est une « violation des droits humains » :
« C’est pour ça que je manifeste. Les politiques et les institutions ont la prétention de dire qu’ils agissent pour le peuple alors qu’ils n’écoutent pas nos revendications et nos besoins. J’ai une totale perte de confiance envers eux. Ils se foutent de la vie des autres. Je milite surtout contre le système étatique actuel. Je pense qu’il faut tout renverser pour tout reconstruire. »
À quelques mètres, Louna, étudiante en première année, marche avec deux camarades de promo de la faculté d’anglais :
« Avec cette mobilisation et le 49-3, on est en train de comprendre que le gouvernement a tout le pouvoir en fait. On parlait déjà de ce problème. Mais c’est devenu très concret ces dernières semaines. Je ne peux pas m’y résoudre pour l’avenir. Il y a plein d’autres problèmes que les retraites. Comment est-ce qu’on va changer les choses dans ce système ? »
« Cette séquence met en lumière les limites de la cinquième République »
Les jeunes ne sont pas les seuls à critiquer les institutions politiques en France. Nathalie, informaticienne au chômage, a 61 ans. Elle dénonce les outils législatifs utilisés par le gouvernement :
« Le 49-3 ne devrait être exploitable qu’en cas d’urgence, certainement pas pour un projet aussi important qu’une réforme des retraites. Et puis j’ai découvert l’article 47-1. Je ne le connaissais pas avant, mais c’est aussi un déni de démocratie pour moi. »
Outre le 49-3, le gouvernement a présenté sa réforme en utilisant l’article 47-1 de la Constitution, pour limiter le temps de débat parlementaire à 50 jours au total.
Retraitée et ancienne directrice d’établissement d’accueil de femmes victimes de violences conjugales, Dominique estime que « la séquence politique actuelle met en lumière les limites de la cinquième République ». Elle se dit en accord avec la France insoumise, qui projette la création de la sixième République, pour permettre des référendums d’initiative citoyenne (RIC), la révocation des élus par le peuple ou la création d’assemblées constituantes.
Solange, documentaliste retraitée, est scandalisée mais guère étonnée par la méthode employée par le président Emmanuel Macron. Elle rappelle que le gouvernement n’avait repris que 10% des propositions de la Convention citoyenne pour le climat malgré sa promesse de les soumettre sans filtre à l’Assemblée.
« On a besoin de changer nos institutions »
« Et nous, aussi, on va passer en force », scandent des centaines de personnes en tête de cortège. Nathalie et Rémi, professeur de technologie de 62 ans, ou encore Hassan, ancien peintre en bâtiment, disent comprendre les dégradations de banques et de panneaux publicitaires pendant les manifestations. Une réaction au manque d’écoute d’Emmanuel Macron, selon eux.
Mathieu, professeur assistant de 28 ans et militant au Nouveau parti anticapitaliste (NPA), accuse aussi le président « d’utiliser toutes les ficelles de la Constitution pour ne pas gouverner démocratiquement » :
« On a besoin de renverser ce pouvoir et de créer nos propres institutions. Une sixième ou septième République ne changera rien si elle reste aux mains de la bourgeoisie. Il faut un changement radical par la base. Les élus devraient venir des rangs des travailleuses et travailleurs, avec des mandats spécifiques et révocables. Et surtout, il faudrait organiser des Assemblées générales citoyennes, partout et tout le temps. »
La majorité des personnes interrogées sont déterminées à poursuivre le mouvement de contestation. Étudiant en philosophie, William constate que des rassemblements spontanés ont lieu « presque tous les soirs depuis le 49-3 » : « C’est un signe fort. Au-delà des syndicats, les gens se rassemblent. Ils sont révoltés face à la réforme et les méthodes du gouvernement. Nous ne nous arrêterons pas. »
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