En mai 2013, Hassan, 17 ans, arrive à Strasbourg. Envoyé du Pakistan par ses parents pour faire ses études en Angleterre dans l’espoir d’un avenir meilleur, il atterrit à Strasbourg, largué là par son passeur:
« Je pensais être en Angleterre puis quelqu’un m’a dit que j’étais en France : je ne savais même pas ce qu’était. »
Dirigé vers l’aide sociale à l’enfance (ASE), Hassan est hébergé dans un hôtel du quartier gare pendant trois mois. Hassan se crée un réseau d’amis qui sont prêts à se cotiser pour lui payer des cours de français. Mais en septembre 2013, le département du Bas-Rhin suspend l’accueil des enfants migrants sans leurs parents, regroupés sous le vocable « mineurs étrangers isolés » (MIE). La raison ? Pour le Département, trop d’enfants sont accueillis par le Bas-Rhin tandis que d’autres départements ne sont pas sollicités. Après trois semaines pendant lesquelles les enfants sont livrés à eux-mêmes, l’État publie une circulaire fixant les « effectifs cible » pour chaque département selon une clé de répartition.
Pour Hassan, c’est la catastrophe. L’ASE lui notifie sa réorientation vers un autre département : les Yvelines. Comme lui, 70 MIE arrivés dans le Bas-Rhin ont été réorientés vers d’autres départements sur la fin de l’année 2013.
Des dispositifs d’accueil spécifiques
Un an plus tard, l’application de la circulaire a permis de désengorger le dispositif institutionnel. Pour Farida Kader, responsable secteur pour les services de la protection de l’enfance en charge de la cellule des MIE, la circulaire a bénéficié au département avec un effectif cible de 70 enfants :
« À cette période, nous avons assisté à une chute des arrivées de MIE : 2 ou 3 par semaine contre 15 en 2012. La cellule nationale a commencé à nous orienter des mineurs venant d’autres départements. L’effectif cible du département s’élève aujourd’hui à 109. Comme nous avons 73 MIE dans Bas Rhin, je n’oriente plus vers d’autres départements. »
De nouvelles structures dédiées à la prise en charge des MIE ont vu le jour au foyer Oberholz et au château d’Angleterre où les jeunes vivent en colocation dans des appartements. Farida reprend:
« Nous n’avons plus de MIE à l’hôtel sauf les jeunes en phase d’évaluation. Mais nous espérons mettre fin à l’hébergement hôtelier prochainement. Au 1er janvier 2015, le service d’accueil des mineurs isolés (SAMI) deviendra le Service d’accueil et d’urgence pour les mineurs isolés (SAUMI) et proposera un hébergement pendant la période d’évaluation. »
Des procédures d’évaluation qui questionnent
Mais certaines inquiétudes persistent, notamment autour des évaluations : près d’un jeune sur deux évalués n’est pas reconnu MIE. Selon la Gazette des communes, sur 8 000 jeunes évalués de juin 2013 à fin mai 2014, seuls 4 042 ont été reconnu MIE. Dans le Bas-Rhin sur la même période selon le rapport de la cellule nationale DPMIE, 72 MIE ont été reconnus sur 123 jeunes évalués. L’évaluation consiste en plusieurs entretiens individuels avec le jeune, mené dans sa langue avec un interprète.
Contrairement à d’autres départements où ils sont systématiques, le Bas-Rhin a fait le choix de ne plus recourir aux examens médicaux légaux comme la radio du poignet et les test osseux dont la valeur scientifique est contestée, mais aussi l’analyse de poils pubiens ou la mesure des parties génitales, pratiques dénoncées par le rapport de la cour nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) . Julian, travailleur social de la cellule dédiée à l’évaluation explique toute la difficulté de ce travail :
« Ce qu’on nous demande d’établir ici c’est un peu mission impossible car prouver une minorité sur la base d’une approche sociale c’est compliqué. Lors de l’évaluation, on essaye de créer un climat de confiance, ça reste limité car on a une place particulière et les jeunes le savent : ils connaissent l’enjeu. »
Pour Guillaume Albert, président de Thémis, association spécialisée dans les droits des enfants, le problème est qu’il n’existe pas d’autorité indépendante pour traiter la question :
« Le conseil général est à la fois juge et partie. Sans les mettre en cause, le nombre de reconnus MIE par rapport au total d’évaluations représente un enjeu financier. C’est un fait objectif surtout dans un contexte de restrictions budgétaires. »
Comment se déroule les évaluations de MIE dans le Bas-Rhin ?
L’équipe du conseil général du Bas-Rhin chargée de l’évaluation, composée de trois travailleurs sociaux, insiste sur l’humanisation des entretiens. « Nous essayons de comprendre qui est le jeune, son parcours et pourquoi il est venu », explique Julian, un membre de cette équipe.
Puis, les travailleurs sociaux analysent la cohérence globale du récit du jeune en confrontant l’ensemble des éléments recueillis par les différents partenaires. Déclarations qui seront confrontées aux mentions des pièces d’état civil si elles existent. Si besoin, des investigations sont motivées au parquet qui le plus souvent saisit la police aux frontières (PAF). Cette dernière intervient pour authentifier des documents quand des doutes existent.
Un point qui suscite l’inquiétude de certains acteurs : par exemple, beaucoup de mineurs passés par l’Espagne déclarent une identité de majeur lors des contrôles pour ne pas être ralenti sur leur parcours migratoire. Sauf que dans certains départements, cela suffit pour infirmer la minorité et le jeune est conduit en centre de rétention administrative (CRA). « Dès que la PAF nous informe de la majorité d’un jeune, explique Julian, sa prise en charge s’arrête et il se retrouve en situation d’errance. »
L’orientation, de l’exil rajouté à l’exil ?
Les orientations vers d’autres départements posent la question du bénéfice pour l’enfant. Car s’il vaut mieux une prise en charge dans un département que pas de prise en charge du tout, elles peuvent donner lieu à des situations insolites. Par exemple, Hassan a été orienté vers le département des Yvelines dont il est toujours à la charge, mais il est scolarisé et vit en famille d’accueil à Saint-Nazaire !
Certains départements ne jouent pas le jeu de la circulaire : certains jeunes sont évalués une seconde fois, par le département dans lequel ils ont été orientés. Farida Kader a eu le cas de deux refus, les jeunes concernés ont finalement été pris en charge dans le Bas-Rhin. Nadine Lyamouri-Bajja, auteure en 2013 d’un rapport comparatif sur la prise en charge des MIE dans quatre pays (France, Autriche, Hongrie, Suède), dénonce le manque de suivi réel dans certains cas :
« La circulaire n’a pas assez pris en compte le besoin de formation de certains départements. Certains n’ont jamais vu un étranger contrairement à d’autres qui accueillent cette population depuis des années. Ils n’ont pas la compétence pour intégrer ces jeunes. »
Nadine Lyamouri-Bajja a constaté que des jeunes envoyés d’un département à l’autre ont été perdus dans le processus.
L’hébergement et la scolarisation toujours difficiles
L’hébergement et la scolarisation restent des problèmes majeurs. Nadine Lyamouri-Bajja a auditionné les associations bas-rhinoises :
« Malgré ce que peut dire le conseil général, lors de mon enquête en octobre 2014, il est apparu que des dizaines de jeunes se trouvaient encore à l’hôtel à Strasbourg, certains étant là depuis plus de 18 mois ».
Le foyer Oberholz a doublé son nombre de places (de 35 à 70) rencontre des difficultés à trouver des appartements adaptés aux jeunes, situés dans des quartiers pas trop excentrés. Nadine Lyamouri-Bajja poursuit :
« Il ne s’agit pas de caser ces jeunes n’importe où. On m’a fait part du cas de trois jeunes qui vivent dans un environnement extrêmement raciste. La scolarisation de ces jeunes s’avère toujours difficile surtout pour les plus de 16 ans qui ont besoin de deux à trois mois avant de pouvoir suivre des cours de français langue étrangère (FLE). Les MIE ne sont pas prioritaires dans un contexte de baisse des places disponibles dans le cadre de l’Éducation nationale. De plus, les cours de FLE pour enfants déscolarisés ont été supprimés à la rentrée. C’est un peu le cercle vicieux : l’hébergement n’assure plus la scolarisation et s’ils n’ont même pas de cours de langue, ça limite les possibilités de régularisation et d’intégration à l’âge adulte. »
Selon elle, les structures d’accueil n’ont plus les capacités pour mettre en place des cours en interne. Elles passent le relais à d’autres structures comme CASAS dont les listes d’attente sont incroyablement longues.
Des « vies de jeunes » inexistantes
Surtout, les MIE sont loin de pouvoir vivre une vie de jeune. Nadine Lyamouri-Bajja observe :
« On oublie que ces enfants venus d’ailleurs ont les mêmes envies que les jeunes Français. Ils ont besoin de pouvoir sortir, de se faire des amis, faire du sport, flirter… C’est inexistant pour ces enfants là ».
C’est ce qui se passe pour Hassan :
« Ma famille d’accueil m’a confisqué mon téléphone portable et je n’ai jamais le droit de sortir. C’est très difficile, le cadre est très strict. »
Autre souci majeur selon Nadine Lyamouri-Bajja, l’isolement de ces jeunes qui restent entre eux :
« Ces jeunes ne peuvent jamais poser leurs valises, ils sont dans l’angoisse constante et vivent dans la peur permanente de l’expulsion, surtout lorsque la majorité se rapproche. Ils ont déjà le traumatisme de l’exil mais les psychologues travaillent juste sur la gestion du quotidien. »
L’angoisse du passage à la majorité
Une suspicion qui s’accentue lors du passage à la majorité, moment clé pour ces jeunes. Le Bas-Rhin a choisi de poursuivre la prise en charge des jeunes majeurs vulnérables. Les MIE peuvent obtenir un contrat jeune majeur (CJM) pour une durée de 6 mois, renouvelable une fois. Mais selon Nadine Lyamouri-Bajja, les CJM sont en voie de disparition. Selon Guillaume Albert, certains MIE, pris en charge par l’ASE pendant une ou plusieurs années, voient leur état civil attaqué par la préfecture s’ils se dirigent vers des procédures administratives de reconnaissance à 18 ans. Il analyse :
« On peut assister à une remise en cause totale par l’État du travail réalisé par une équipe éducative d’un partenaire du conseil général, c’est quand même assez étonnant ! »
Nadine Lyamouri-Bajja détaille :
« Et tant que la préfecture n’a pas délibéré, il n’y a plus de prise en charge par les dispositifs sociaux. Certains jeunes sont remis à la rue du jour au lendemain, ils sont contraints d’arrêter leur scolarité et tombent dans la clandestinité ».
Hassan, qui fêtera ses 18 ans dans quelques mois, attend ainsi dans l’angoisse la réponse de la préfecture et du conseil général des Yvelines.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Guy-Dominique Kennel poursuit son bras de fer contre l’État
Sur COE.int : l’accompagnement des enfants lorsqu’ils atteignent 18 ans en Europe (le rapport de Nadine Lyamouri-Bajja)
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