Marie et Jeanne, deux sœurs respectivement étudiantes en médecine et en économie, se rendent tous les mercredis soirs au centre Bernanos, à côté du campus à l’Esplanade de l’Université de Strasbourg. Elles y récupèrent un colis alimentaire donné par l’association Asef (Association pour la Solidarité Étudiante en France) : « On a toutes les deux une bourse et un job étudiant mais ça ne suffit pas, on est obligées d’avoir une aide alimentaire. »
Malgré la douzaine de restaurants proposant des repas à 3,30€ à Strasbourg, 70 étudiants sont inscrits pour récupérer les colis de l’Asef en ce premier semestre de l’année 2019/2020. Zakary, bénévole pour l’association, explique que « d’ici un ou deux mois, il y en aura certainement une centaine. La banque alimentaire donnera plus de denrées, ce qui permettra à plus de personnes de s’inscrire. » Les bénéficiaires doivent justifier de leur situation avec leur avis d’imposition ou celui de leurs parents s’ils sont encore rattachés à leur foyer fiscal.
De plus en plus de colis alimentaires pour les étudiants
L’Asef n’est qu’un seul des dispositifs existants parmi ceux qui aident les étudiants à manger. Les Restos du Cœur du Bas-Rhin distribuent des colis alimentaires à 450 étudiants à Strasbourg. Une centaine d’étudiants sont aidés par la Croix Rouge française. L’association « Le Bonheur d’un Sourire » donne des paniers tous les mois à 70 étudiants dans le quartier Laiterie.
Près de 100 inscrits fréquentent les deux épiceries « Agoraé » gérées par l’Afges, le principal syndicat étudiant à Strasbourg. Ces deux échoppes, à Gallia et à l’Esplanade, vendent des produits à 10% du prix du marché. Le Secours populaire prend également des étudiants en charge. On estime désormais à un peu moins d’un millier, le nombre d’étudiants qui bénéficient de ces aides alimentaires à Strasbourg.
Armand Pérégo est l’ancien président de la délégation régionale de la Croix-Rouge française. Bénévole depuis 50 ans pour cette association, il a constaté la précarisation croissante des étudiants :
« Il y a 15 ans, c’était impensable de voir un étudiant toquer à notre porte. Maintenant, c’est quotidien. Ils nous expliquent que leurs familles ne peuvent plus les prendre en charge. »
Augmentation du coût de la vie à Strasbourg
D’après l’enquête 2019 sur le coût de la vie étudiante de l’Unef (Union nationale des étudiants de France), la précarité étudiante augmente constamment. Marowan, référent de l’Unef à Strasbourg, explique que la capitale alsacienne fait partie « des villes où la hausse du coût de la vie est la plus importante » : le prix des transports a augmenté de 3,76% cette année, celui des loyers a augmenté de 3,96%, soit un loyer moyen de 472 euros pour les étudiants.
Souvent, la bourse du Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) ne permet pas aux étudiants sans ressources de couvrir leurs dépenses et de toutes façons, 73,8% des étudiants n’ont pas de bourse. Ce sont donc leur famille, le salariat ou les deux qui leur permettent de vivre.
Fin du travail en pleine nuit, en cours à 8h
Laëtitia, étudiante en ostéopathie, n’a pas de bourse et ses parents ne peuvent pas prendre en charge ses études :
« Pour gagner un peu d’argent, je bosse dans la restauration. Mais avec les études, ça me fait souvent des semaines de 80 heures. Certains jours de la semaine, je finis vers 1h du matin et je dois être en cours à 8h. C’est quand même moyen pour réussir les examens. Et je cherche un colis alimentaire toutes les semaines pour manger parce que mon salaire me permet juste de payer le loyer. »
Marowan recueille de nombreux témoignages d’étudiants qui « n’osent pas demander les aides alimentaires et qui se retrouvent à manger un seul repas par jour. » Renaud par exemple, étudiant en mathématiques, mange son seul repas de la journée le soir en général, « pour réussir à dormir. »
De plus en plus de difficultés liées au logement
Farouk Aïssa est veilleur de nuit dans des résidences étudiantes pour le Crous et délégué CGT. Il était présent à la manifestation devant le siège du Crous à Strasbourg le 12 novembre, en hommage à un étudiant lyonnais qui s’est immolé par le feu le 8 novembre. Il explique que les étudiants rencontrent de plus en plus de difficultés liées au logement :
« Ce qu’on dénonce, c’est le désengagement de l’État. Le Crous est financé par des subventions, mais celles-ci ne sont plus suffisantes. Les chambres les moins chères, à 175 euros, se dégradent. Je le constate, il y a des épidémies de punaises de lit, aucun effort n’est fait pour les cuisines collectives… Il y a souvent deux emplacements à casseroles pour 30 personnes par exemple. Et puis ces chambres bon marché disparaissent au fil des années avec les rénovations des logements du Crous, pour laisser place à des appartements bien plus chers. Les étudiants s’entraident, ça limite la casse, mais beaucoup sont quand même obligés de dormir dans des voitures en début d’année. »
Le site du Crous de Strasbourg indique que les chambres de la résidence Paul Appell sont les dernières à 175 euros, mais certaines sont passées à 263 euros. D’autres résidences étudiantes sont beaucoup plus chères, comme celles à Gallia où les prix varient entre 346 et 550 euros pour une chambre individuelle. À Neudorf, la résidence du Bruckhof comporte des chambres dont les loyers vont de 357 à 473 euros.
« Je me suis sentie déshumanisée »
Reihane, étudiante en psychologie, insiste sur les imprévus qui ne sont pas pris en compte par l’administration, ce qui peut mettre les étudiants dans des situations très délicates :
« Mon père est mort l’année dernière. J’ai demandé une aide de 400 euros pour les deux derniers mois de l’année parce que j’étais en arrêt de travail à ce moment. Les partiels approchaient. À l’entretien, on n’a pas arrêté de me poser des questions quant à mon héritage. Cette période était déjà assez difficile, là je me suis sentie déshumanisée. Au final, on m’a refusé cette aide. »
Idir, étudiant d’origine algérienne, témoigne aussi d’une sensation de déshumanisation :
« On est tellement concentrés sur la survie qu’on s’isole. Énormément d’étudiants vont en cours toute la journée, ne parlent à personne et se retrouvent seuls le soir dans leurs chambres. »
Les étudiants étrangers plus fragiles
À leur arrivée, les étudiants étrangers n’ont aucune aide sociale. Les Européens doivent avoir travaillé en France pour demander une bourse au Crous. Les non-européens doivent être en France depuis au moins deux ans et leur foyer fiscal de rattachement (père, mère, tuteur légal) doit également être situé en France depuis au moins deux ans. Une situation extrêmement rare. La plupart ne touchent jamais de bourse. Idir a vécu des situations très difficiles :
« L’année dernière, j’ai travaillé dans un hôtel en tant que veilleur de nuit. Deux fois par semaine, je faisais une nuit blanche parce que j’allais directement à la fac après mon boulot. Vraiment, c’était vertigineux, je ne savais pas comment j’allais m’en sortir. J’ai cotisé deux ans en France, mais comme je suis étranger, je n’ai droit à aucune aide. »
Une hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers avec de lourdes conséquences
De plus, les frais d’inscription pourraient augmenter drastiquement pour les étudiants non-européens. Une réforme devait entrer en vigueur à la rentrée 2019, mais l’Université de Strasbourg a refusé de l’appliquer, comme la majorité des établissements pour le moment. Les coûts passeraient de 170 et 243 euros à 2 770 euros pour la licence et 3 770 euros pour le master. Ali, étudiant en sciences sociales, pense peut-être partir en Grèce pour faire son Master, si l’Université de Strasbourg revient sur sa décision :
« 3 000 euros, cela représente réellement une fortune en Turquie ou dans les pays du Maghreb. C’est déjà très difficile comme ça pour les étudiants étrangers, beaucoup sont obligés de rentrer, là ça deviendra littéralement impossible. »
Le 11 octobre, le Conseil constitutionnel a indiqué que la gratuité de l’enseignement public en France concerne aussi l’université. Seuls de droits « modiques » peuvent être perçus. La légalité de la stratégie « Bienvenue en France » du gouvernement doit désormais être réexaminée par le Conseil d’État au regard de cette interprétation.
Mehdi, étudiant en biologie, a travaillé pendant deux ans en Algérie pour mettre de l’argent de côté et faire des études en France :
« J’ai réussi à mettre 2 000 euros de côté, en pensant que cela suffirait pour une année. Je suis arrivé ici fin septembre 2019, à ce jour, je n’ai plus que 900 euros. J’ai dû payer deux loyers, les frais d’inscription, un timbre fiscal et à manger. Toutes mes dépenses étaient absolument obligatoires… Et pour le moment, impossible d’avoir un job, j’attends mon titre de séjour et mon autorisation de travailler. J’ai peur d’avoir des dettes, ça serait très difficile à rembourser. Je n’ai personne pour m’aider ici en France… »
De nombreux étudiants devraient participer à la mobilisation sociale du jeudi 5 décembre.
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