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Mort à l’Institut, le polar du prof Smigiel dans les coulisses de la fac

Paru cet été, Mort à l’Institut cherche à élucider le décès du président de l’Université de Strasbourg du côté de la fac de Physique. Derrière ce polar potache, Eddie Smigiel, un physicien qui enseigne à deux rues de là, à l’Institut national des sciences appliquées. Rencontre.

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Eddie Smigiel sur la terrasse du Nuovo Caffe Milano où se déroule quelques passages de son roman Meurtre à l'Institut (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

À la terrasse du Caffe Nuovo Milano, Eddie Smigiel s’explique d’emblée :

« C’est un livre engagé, mais pas militant. Je sais que ça déplaît à certains collègues. Mais c’est plus une critique de la nature humaine, qu’une charge virulente contre l’institution. J’assume un certain cynisme, une observation amusée de la société. »

Dans ce café du boulevard de la Victoire à Strasbourg, l’auteur a ses habitudes. Et si c’est dans cet établissement que le rendez-vous a été fixé, c’est parce que quelques passages de Mort à l’Institut s’y déroulent. Qui est le malicieux auteur de ce polar strasbourgeois ? Eddie Smigiel n’utilise pas de pseudonyme et enseigne de l’autre côté des rails de tramways, à l’Institut national des sciences appliquées (Insa). Mais quand le physicien a du temps libre, cela « l’amuse d’écrire, comme auteur amateur ». C’est ainsi qu’il a rédigé le manuscrit entre septembre 2016 et juin 2017.

L’intrigue de son troisième ouvrage se déroule rue de l’Université, à l’Institut de Physique achevé par les Allemands en 1882 où il a d’ailleurs effectué sa licence :

« Je surfe un peu sur la Neustadt qui vient d’être classée au patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco. De manière collatérale, je voulais mettre en valeur ce patrimoine et aussi l’Histoire de la Physique à Strasbourg. On communique souvent sur l’Université aux 4 prix Nobel mais on oublie ceux de la période allemande entre 1870 et 1918. Fin XIXème, Wilhelm Conrad Röntgen a développé le tube cathodique, l’oscilloscope puis la télégraphie sans fil, ce qui lui a valu un prix Nobel avec Guillermo Marconi en 1909. Ils n’ont pas la notoriété à laquelle ils auraient pu prétendre. »

Décors réels

L’intrigue se déroule donc dans l’Institut de Physique où le corps du président Bonnemaison est retrouvé inanimé de bon matin. Tous les décors, notamment le pendule de Foucault, sont réels à l’exception de la tour carrée où Eddie Smigiel n’a pu entrer.

S’en suit une enquête rocambolesque avec, en plus des incises historiques, des références plus ou moins appuyées à la culture populaire (Star Wars, Dîner de con, Seigneur des Anneaux, mais aussi Alfred Hitchcock ou l’écrivain Umberto Eco…) :

« Dans l’écriture ou l’humour, je me sens davantage inspiré par l’univers de la BD, comme Astérix ou Iznogoud, que par la littérature. Pour un duo de personnages, je me suis inspiré de Doc et Marty du Retour vers le futur« .

Personnages inspirés mais pas copiés

Quant au meurtre d’un haut responsable universitaire, l’inspiration lui est venue lors d’une expérience dans un autre établissement à l’étranger :

« Avec des collègues nous avions des relations tendues avec notre président et tout est parti d’un déjeuner où nous avons déliré. »

L'institut de Physique de l'Université de Strasbourg, côté rue. (photo Fabien Romary / Archi wiki / cc)
L’institut de Physique de l’Université de Strasbourg, côté rue. (photo Fabien Romary / Archi wiki / cc)

L’intrigue strasbourgeoise fait quant à elle quelques allers-retours entre la fiction et le réel. Un passage fait référence à l’année 2015 où l’équipe dirigeante avait qualifié de « rumeurs » l’existence de restes humains à l’Institut d’Anatomie suite aux expériences du docteur nazi August Hirt, suite à la parution d’un livre du médiatique médecin Michel Cymes. Mais à l’été, l’existence de ces bouts de corps issus des détenus au Struthof est avérée.

Pour le reste, il ne faut y voir aucun parallèle :

« J’ai un peu côtoyé Alain Beretz (le précédent président de l’Université de Strasbourg, ndlr) à l’époque où se négociait un « contrat de site » avec l’Insa et Michel Deneken qui était son premier vice-président à ce moment-là. Nous avions de bonne relations sur cette discussion, mais je n’ai pas d’avis au-delà de ça sur leurs présidences. Bien sûr, c’est impossible de ne pas penser à ces personnes quand on écrit, mais il n’y a aucune correspondance de personne à personne dans le roman. Ce que j’aime décrire, c’est l’effet de cour dès qu’il y a du pouvoir, mais c’est quelque chose d’universel, pas spécifique à l’université. »

La fac de physique, côté intérieur depuis le parc du Palais universitaire. (photo Fabien Romary / Archi wiki / cc)
La fac de physique, côté intérieur depuis le parc du Palais universitaire. (photo Fabien Romary / Archi wiki / cc)

Quand l’actualité rattrape l’auteur

Un fois le premier jet achevé, l’auteur remarque parfois que la réalité rattrape son imagination. Un montage immobilier douteux ? « Je découvre par la suite qu’un montage financier questionne au centre de primatologie« . Une tentative de corruption via des montres de luxe ? « Je lis par la suite un article sur des embarrassantes Rolex offertes par le Qatar… »

Et quand bien même tous ces passages comprennent du sarcasme, le professeur s’inclut dans le tableau :

« C’est une mise en abîmes. La moquerie n’est crédible que si on s’inclut dedans. La marche d’un établissement, c’est une aventure de personnes, avec ses petits dysfonctionnements. Dans une université, il y a des grandes stratégies pluriannuelles mais aussi des petites histoires du quotidien comme la propreté des toilettes… »

Eddie Smigiel sur la terrasse du Nuovo Caffe Milano où se déroule quelques passages de son roman Meurtre à l'Institut (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Eddie Smigiel sur la terrasse du Nuovo Caffe Milano où se déroulent quelques passages de son roman Mort à l’Institut. (photo JFG / Rue89 Strasbourg / cc)

Un autre ouvrage en projet

Pour être publié, Eddie Smigiel regrette « un long chemin de croix » et une frilosité de la profession pour « les auteurs amateurs ». Après avoir contacté des éditeurs locaux comme nationaux, Eddie Smigiel s’est tourné vers les éditions du Caillou, à Toulouse, dont le gérant est aussi un ami d’un collègue. Un mal pour un bien peut-être. « Il y a eu un vrai travail d’édition, avec des relectures et des passages à réécrire à sa demande. »

Eddie Smigiel a déjà un projet de futur ouvrage qui n’aura « rien de comique ». Le professeur souhaite se confronter aux « Malgré-Nous« . Son grand-père boulanger à Melsheim et sa mère avaient 11 ans lorsque l’Alsace est redevenue allemande, ils ont été marqués par le meurtres d’objecteurs de conscience religieuse par les Allemands.

Cette fiction s’intéressera à la position des petits villages lors de l’occupation. « Il y a eu quelques centaines de volontaires pour devenir SS et des milliers d’incorporés de force. Là encore, c’est « une partie de l’histoire méconnue », qui intéresse le professeur. Le but ? « Mêler des anecdotes familiales de ma mère, avec des recherches historiques ». Le physicien a déjà commencé sa documentation historique.


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