Au milieu des champs du Kochersberg, l’usine Lingenheld à Oberschaeffolsheim dresse ses tours d’acier aux côtés d’un tas de fumier fumant. Depuis 2022, c’est là que finissent les épluchures, reliefs d’assiettes et autres biodéchets récoltés dans les 900 bacs disposés dans l’Eurométropole de Strasbourg (EMS). Ils y sont transformés en biogaz, un mélange de méthane et de dioxyde de carbone qui peut servir de combustible, en digestat (en remplacement d’engrais de synthèse pour les agriculteurs) et en compost.
900 bacs de collecte installés
Au total, l’EMS a prévu 10,3 millions d’euros d’investissements pour ces bacs de collecte et 3,7 millions pour leur fonctionnement, dans le cadre du Programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés voté le 25 juin 2021. Une dépense financée à 55% par l’Agence de la transition écologique (Ademe) et qui devrait permettre à 250 000 personnes, d’ici 2025, de les utiliser. Pour le moment, 35 communes ou quartiers en sont dotés (voir la carte interactive).
Face aux journalistes, dans une salle surplombant les camions du groupe Lingenheld, Fabienne Baas, vice-présidente de l’EMS en charge notamment de la réduction, gestion et valorisation des déchets, se félicite de la réduction des déchets ménagers depuis que les bacs sont mis en place :
« Nous avons prévu de réduire les déchets dans les poubelles bleues de 50% d’ici 2030. En 2010, un Strasbourgeois produisait 277 kilogrammes (kg) de déchets par an. En 2023, c’est 222 kilos par an. C’est très encourageant ! Le but est qu’en 2030, ce soit 150 kg par an. »
Fabienne Baas, vice-présidente de l’Eurométropole en charge de la réduction, gestion et valorisation des déchets
En moyenne, les habitants de l’EMS qui ont accès aux bacs de collecte jettent l’équivalent de 15 kilogrammes de biodéchets par an, selon les chiffres de Fabienne Baas, « jusqu’à 18 kg dans certains quartiers », précise-t-elle.
Ces bacs permettent, selon Claude Nicloux, ingénieur en économie circulaire et en déchets pour l’Ademe sur le site de Strasbourg, de réduire automatiquement les déchets ménagers :
« Dans les poubelles bleues, on trouve jusqu’à un tiers de déchets alimentaires qui sont incinérés comme le reste. Sur 30 kilogrammes par an en moyenne par personne, sept sont composés d’aliments qui ne sont même pas déballés. »
Claude Nicloux, ingénieur en économie circulaire et en déchets pour l’Ademe
La loi anti gaspillage de 2020 prévoit qu’au 1er janvier 2024, les communes seront toutes obligées de « trier à la source les biodéchets en vue de leur revalorisation ».
Revalorisation locale
L’entreprise Suez s’occupe de récolter les déchets dans les bacs, deux à trois fois par semaine en fonction de la météo – ils sont plus fréquents en été. « Nos camions les nettoient à l’eau claire pour éviter les odeurs », précise Nicolas Portron, directeur délégué aux collectivités chez Suez.
Ils sont ensuite vérifiés au Port du Rhin, dans le déconditionneur Valorest (de l’entreprise Suez environnement) afin de rectifier les erreurs de tri – éponges, couverts ou sacs plastique, par exemple. « On a un taux d’erreur de 3% sur l’ensemble de l’EMS, ce qui est très peu », se félicite Fabienne Baas.
Les biodéchets triés sont ensuite envoyés au centre de méthanisation d’Oberschaeffolsheim, nommé Méthamusau. « En 2022, nous avons revalorisé 500 000 tonnes de déchets », explique Georges Lingenheld, président-directeur général de l’entreprise du même nom. L’usine s’étend sur 30 hectares et permet de revaloriser 95% des déchets qui y sont envoyés, précise le P-DG.
Le directeur du site, Benoît Wernette, explique qu’ils sont amenés à méthaniser non seulement les déchets de l’EMS mais aussi ceux d’agriculteurs partenaires, comme de la paille, du fumier, de la canne de maïs ou des biodéchets issus de l’industrie.
Des filtres pour éviter les odeurs
Chaque jour, l’usine traite 40 tonnes de matière sèche, c’est à dire ce qu’il reste une fois que l’eau a été retirée. Après avoir pesé les déchets, ils sont mis dans le digesteur qui les agite à 55 degrés celsius. C’est là que le méthane s’échappe et qu’une partie des résidus se transforment en digestat, liquide ou solide.
Le biogaz est ensuite épuré. « On élimine les particules d’eau en condensant le gaz, puis il passe par du charbon actif et enfin une membrane le sépare du CO2« , résume Benoît Wernette. Seuls trois personnes travaillent sur le site, l’ensemble du processus est automatisé.
Pour éviter les odeurs de compost dans les environs, deux grandes tours filtrent les émissions de l’usine. Une étape nécessaire selon Georges Lingenheld car « les gens ont peur que ce genre d’usine sente mauvais ».
Une fois le méthane séparé, il est vérifié par R-GDS qui se chargera de sa distribution. « Il faut que le biogaz ait les mêmes propriétés que le gaz naturel, pour que cela ne présente pas de risque pour le consommateur », précise Roger Bock, directeur adjoint du développement commercial du distributeur. Son entreprise est aussi chargée de rajouter une odeur au biogaz, qui est inodore.
Une production encore insuffisante
L’usine d’Oberschaeffolsheim doit produire l’équivalent de 20 gigawattheure (GWh) par an, grâce à 20 000 tonnes de déchets traités. Ce qui représenterait les deux tiers du biogaz produit dans les alentours de Strasbourg, précise Marc Hoffsess, vice-président de l’Eurométropole, en charge de l’énergie :
« Entre l’usine d’Oberschaeffolsheim et la station d’épuration Nord, nous sommes capables de produire localement 30 GWh par an de biogaz. D’ici 2050, nous aimerions être en mesure d’en produire 180, soit six fois plus. »
Marc Hoffsess, adjoint municipal en charge de la transformation écologique du territoire
Un objectif ambitieux mais bien loin de couvrir les 3 400 GWh consommés annuellement par l’EMS, essentiellement en chauffage, selon des chiffres fournis par Marc Hoffsess. Mais pas de problème puisque Méthamuseau prévoit de construire un nouveau digesteur en février 2024.
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