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Grippe aviaire : face aux maladies de l’élevage industriel, le gouvernement condamne les petits éleveurs

Depuis le 30 septembre, le gouvernement a durci les règles de l’élevage en extérieur pour limiter la propagation de la grippe aviaire. Les petits exploitants en circuit court n’auront plus de dérogation, et seront obligés de confiner leurs poules au moins 6 mois par an, comme dans les élevages plein air industriels. Pour la Confédération paysanne, cette mesure va conduire de nombreux éleveurs à arrêter leur activité. Le syndicat estime que la lutte contre la grippe aviaire devrait plutôt passer par une limitation des flux d’animaux et des effectifs dans les grandes exploitations, mis en cause dans la propagation des virus. Entretien avec un éleveur alsacien.

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Grippe aviaire : face aux maladies de l’élevage industriel, le gouvernement condamne les petits éleveurs

« Si ça continue, je vais arrêter l’élevage, ça n’a plus aucun sens aujourd’hui », annonce Pierre-Luc Laemmel, atterré. Le jeune éleveur de poules en plein air, syndiqué à la Confédération paysanne, considère que les décrets du ministère de l’Agriculture publiés le 30 septembre dernier pour lutter contre la grippe aviaire rendent impossible sa pratique.

Un point précis est particulièrement en cause : les petites exploitations ne pourront plus, comme elles le faisaient les années précédentes, demander une dérogation pour continuer à sortir leurs poules. Elles seront soumises au même régime que les élevages industriels : un confinement pendant la moitié de l’année. Le ministère fixe aussi des règles de mouvement des personnes, d’habillement, ou encore de dépistage virologique.

Avant le 5 novembre, les poules de Pierre-Luc Laemmel pouvaient encore évoluer dans leur parcours extérieur. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Avec sa compagne, Pierre-Luc Laemmel a fondé la Ferme du Marais Vert à Wilwisheim, à 30 km au nord-ouest de Strasbourg. C’est une petite exploitation de sept hectares. Ils élèvent 500 poules en plein air, avec le label bio. Une partie pour les œufs et les autres pour la viande. Elles représentent 60% du chiffre d’affaires de la ferme. Le reste provient de la vente de légumes.

La majorité des poules « plein air » dans des fermes industrielles

Ces trois derniers mois, 130 cas de grippe aviaire ont été détectés en Europe. Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, a placé la France en vigilance élevée le 5 novembre. Depuis ce jour, l’éleveur est obligé, lui aussi, de confiner ses volailles, pour une période qui devrait durer 6 mois.

Une enquête publiée en juillet 2020 par Rue89 Strasbourg mettait en évidence l’industrialisation du modèle plein air, et le fait que la majorité des poules sortent très rarement en réalité. Ces fermes-usines ont de trop grands effectifs, souvent entre 24 000 et 50 000 individus. Ils induisent un stress chronique chez les animaux. « Pour que les poules profitent vraiment d’un dispositif plein air, elles doivent être dans de petits groupes », explique Pierre-Luc Laemmel : « C’est ce que nous faisons ici. Nous voulons proposer une autre vision de l’agriculture, moins productiviste. »

Syndiqué à la Confédération paysanne, Pierre-Luc Laemmel prône une vision de l’agriculture basée sur la production alimentaire biologique et en circuits courts. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Dans un entretien pour Rue89 Strasbourg, le paysan livre sa vision de la politique du gouvernement pour enrayer l’épidémie de grippe aviaire, et la menace qui plane sur l’élevage en plein air.

Rue89 Strasbourg : Pouvez-vous expliquer le fonctionnement des mesures sanitaires contre la grippe aviaire ?

Pierre-Luc Laemmel : Pour résumer, il y a trois niveaux de risque de propagation de la grippe aviaire : négligeable, modéré et élevé. Lorsque le risque est considéré comme négligeable, les canards ou les poules élevées en plein air peuvent sortir normalement. Lorsque le risque est modéré, les exploitations placées en zone à risque doivent confiner leurs animaux. Les zones à risque sont les zones de passages d’oiseaux migrateurs. Par exemple, la bande du Rhin est un couloir de migration. Les fermes qui se situent à proximité du fleuve sont donc dans une zone à risque. Enfin, quand le risque est élevé, tous les agriculteurs et particuliers qui ont des oiseaux doivent les confiner.

Avant l’installation d’un filet de protection et la réduction de la taille de leur enclos, les poules attendent dans leur petit bâtiment. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Selon vous, que devrait faire le ministère de l’Agriculture pour repousser le virus ?

Dans le Sud-Ouest, le virus a prospéré en 2020-2021. Sur 475 foyers détectés dans la région, seuls deux étaient liés à une transmission par un oiseau sauvage, donc imputables à l’élevage plein air. Pour éliminer ce risque, il suffit d’utiliser des filets de protection. Les études épidémiologiques montrent que la propagation du virus de la grippe aviaire est liée au modèle industriel, avec la segmentation des étapes d’élevage, les nombreux flux de volailles, et surtout, les effectifs trop importants. Le gouvernement devrait fixer des règles, pour limiter ces pratiques et la surconcentration des animaux. Dans les nouveaux décrets, il n’y a rien là-dessus. Chez nous, les effectifs sont limités, les poules naissent et meurent sur notre ferme, et nous fonctionnons en circuit court. C’est le modèle parfait contre la grippe aviaire et les épidémies en général, et c’est nous qui sommes pénalisés.

Quelles sont les conséquences sur votre pratique de l’élevage, dans votre ferme à Wilwisheim ?

Notre exploitation n’est pas dans le couloir migratoire, donc nous ne sommes pas concernés par les mesures lorsque le risque est modéré, mais uniquement lorsqu’il est élevé. En général, cela dure six mois dans l’année, de novembre à avril ou mai. Nous sommes, depuis le 5 novembre, obligés de confiner les poules. Pour cela il y a deux possibilités. La première : laisser les poules dans leurs bâtiments. La deuxième : placer les poules dans un espace extérieur avec un filet qui les protège, et une surface de seulement 50 cm² par individu (normalement, elles ont 4 m² à l’extérieur avec les labels plein air et bio).

Évidemment, nous avons choisi la deuxième option. Je vais mettre les filets en place. Mais il y a de grosses contraintes. Pour les poules pondeuses, on doit demander l’autorisation à la Direction départementale de protection des populations (DDPP, un service vétérinaire, ndlr). Pour les poulets de chair, pas besoin de contrôle de la DDPP, mais ils ne peuvent sortir qu’au bout de dix semaines après leur naissance. Hors, en général, ils sont tués à 11 ou 12 semaines. Ils sortiront donc, au maximum, une ou deux semaines avant leur mort, et dans un tout petit espace. Ces surfaces réduites induiront une baisse des pontes, de la qualité des produits, et surtout une augmentation du parasitisme et de la mortalité. C’est un recul majeur du bien-être animal.

Les poules de Pierre-Luc Laemmel subiront lourdement les conséquences des derniers décrets, avec notamment une probable hausse de leur mortalité. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

D’après la Confédérations paysanne, quelles sont les implications de ces mesures à grande échelle ?

Nous estimons, après des sondages chez les syndiqués à la Confédération paysanne, que 30% des paysans qui fonctionnent en circuit court, avec des petits effectifs, pourraient cesser leur activité d’élevage. Si le gouvernement ne modifie rien à ses décrets, je pense que j’en ferai partie. Éthiquement, nous ne serons pas d’accord pour élever des poules dans de si mauvaises conditions. Aussi, notre clientèle réclame du bien-être animal et des produits de qualité. Le débouché économique ne sera donc plus assuré.

De l’autre côté, les producteurs industriels vont continuer leur activité comme ils le font depuis des années. Les cheptels resteront dans les bâtiments d’élevage la moitié de l’année, avec six à neuf poules par m². Dans les zones à risque, cela peut aller jusqu’à neuf mois par an, comme les poules restent à l’intérieur en période de risque modéré aussi. Mais les œufs et le poulet seront toujours vendus avec les labels plein air et bio. Finalement, ce sont les petits éleveurs qui trinquent à cause de l’industrie dangereuse d’un point de vue sanitaire pratiquée par les grands exploitants.


#agriculture biologique

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