Co-produite avec le Musée d’Art contemporain de Bordeaux, l’exposition La Meraviglia est le premier projet de commissariat pensé par la nouvelle directrice du Centre européen d’actions artistiques contemporaines (CEAAC), Alice Motard. Cette petite structure nichée à la Krutenau s’est fixée comme objectifs de souligner l’identité européenne du centre et d’obtenir le label de Centre d’Art contemporain. Au travers d’environ trois propositions par an, des artistes internationaux et locaux seront mis à l’honneur dans des expositions monographiques ou collectives.
L’artiste italienne Chiara Camoni, participe de cet objectif en installant ses formes organiques et poétiques dans cet ancien magasin de verrerie. Inspirée de l’arte povera et des savoir-faire artisanaux et régionaux, Chiara Camoni entretient un respectueux rapport avec les matériaux naturels qu’elle collecte, principalement en Italie. Terre, pierre, bois, marbre et végétaux sont autant de matières utilisées lors d’expériences collégiales et situées, où chacun et chacune est invitée à partir de son expérience personnelle à s’émanciper grâce à la création. Au travers de représentations variées, l’artiste propose de lâcher prise et de de laisser émerveiller par un imaginaire inspiré du passé, où se rencontrent symboles mythologiques, divinités protectrices féminines et sentiment sacré.
Un travail collectif
L’émerveillement et la surprise sont de mise dès l’entrée de l’espace d’accueil. Une petite roulotte (Carrozzone) invite les visiteurs à s’approcher de ce cabinet de curiosités ambulant aux multiples compartiments. De-ci de-là, divers trésors interpellent l’intérêt du public : une mante religieuse en plastique recyclé, des petits bols en céramique, un aigle en terre cuite ou encore une fausse dent gigantesque… Les spectateurs et les spectatrices les plus attentives profiteront des vidéos témoignant du travail collectif, réalisé par plusieurs artistes, quand d’autres plus observateurs découvriront des tiroirs cachés, un petit œilleton dissimulé sous un rideau ou des pierres translucides permettant de lire autrement le texte d’une amie de Chiara.
Des témoignages du temps
Le second espace est plongé dans l’obscurité. Là, une apparition. Simplement éclairé par deux bougies qui semblent flotter dans la pièce, on s’habitue petit à petit à la nuit, avant de découvrir la silhouette faite de céramique, de bois, de terre et de cire (Senza Titolo, 2019). Dans ses deux mains, les flammes vacillantes dévoilent une forme aux allures anthropomorphes mais énigmatiques. Entre sculpture organique d’une divinité féminine et esprit vaudou, cette puissante présence semble revenir d’un âge ancien, le temps d’un rituel que chacun peut se plaire à imaginer.
Une fois cette expérience mystérieuse terminée, l’obscurité laisse place à la lumière, au rez-de-chaussée où marbres et mosaïques décorées jonchent le sol. On semble alors faire un pas dans l’espace domestique si chère à l’artiste. Pour accueillir le visiteur, deux lionnes (Senza Titolo (Le Leonesse)) en terre cuite qui, au lieu de garder l’entrée, se regardent mutuellement, la bouche entrouverte, comme si leurs voix s’apprêtaient à résonner dans un murmure. Non sans rappeler la silhouette des sphinx qui gardaient les temples, l’artiste s’inspire ici des figures mythologiques, reliant le passé au présent à travers la matière joliment travaillée. La lionne, énergie puissante et féminine par excellence, renvoie autant à la protection de l’espace domestique qu’à l’instinct maternel.
L’ancien magasin prend alors des allures de maison, voire presque de palais romain où renaissent, dans un enthousiasme collectif, des savoir-faire et traditions vernaculaires. Le travail des ouvrières de Nove est honoré dans un assemblage de mosaïque de grès décorée de fleurs, d’insectes, ou de motifs plus abstraits (Pavimento (Per Clarice)) ; et plus loin, des marbres de tailles et couleurs différentes, déposés les uns à côté des autres, rappellent tout autant un plan urbain, que le sol luxueux des anciennes villas romaines.
Prodiges de la nature
L’espace domestique, ouvert et étendu au rez-de-chaussée du CEAAC, se referme quelque peu le temps d’une expérience plus intime avec Senza Titolo (Una Tenda). Sorte de cabane circulaire à la structure de laiton, recouverte de longs rectangles de soie, l’œuvre invite au recueillement, seul.e ou à plusieurs. Sur le tissu, des figures mi-humaines, mi-végétales regorgent de marques poétiques obtenues par impression de végétaux. Cet espace hors du temps émerveille par sa beauté et sa délicatesse. Encerclé.e.s par ces êtres, l’atmosphère en devient presque mystique.
Mais le silence est rapidement rompu par des cris de joie provenant d’une vidéo (La Meraviglia), projetée derrière la cimaise attenante, qui retrace le processus créatif et collectif de ces tentures végétales. On comprend alors l’importance de la rencontre, du partage et de l’échange dans le travail de Chiara Camoni.
Spiritualité et divinités animistes viennent ensuite envahir l’entièreté d’une cimaise blanche, ornée d’immenses colliers pour l’occasion (Le Grandi Sorelle). Parés d’éléments naturels, comme des coquillages, fleurs, bogues de châtaignes, terre ou encore pierres ponces, ces colliers tendent à rappeler les premières créations ancestrales, où l’énergie de la nature se transformait en ornement spirituel.
Beauté ambivalente
En montant à l’étage, les visiteurs franchissent un nouveau pas dans l’intimité du quotidien. Sur une table faite de planches et de tréteaux, recouverte d’un autre tissu imprimé de végétaux, trône une série de vases aux formes mystiques (Vasi Farfalle). Créatures extraordinaires, entre figures anthropomorphes et animales, ils sont le symbole de la féminité qui préserve ce qu’on lui confie. Cette réinterprétation des vases canopes de l’Égypte antique remplace les organes habituellement conservés à l’intérieur par des fleurs, fraîches ou sèches, collectées localement.
Plus intime encore, car tout à fait personnelle, l’œuvre Autoritratti est une longue série d’autoportraits nus grandeur nature. Pour dessiner sa silhouette, Chiara Camoni ne regarde pas la feuille, mais seulement son reflet dans le miroir, créant des décalages et des déformations dans la représentation de soi. Les visages se multiplient parfois et la limite entre beauté et laideur devient plus floue.
Objets quotidiens et œuvres d’art
L’exposition se termine comme une invitation à s’installer quelques instants dans un intérieur domestique réduit (Casetta) où une armoire remplie de curiosités côtoie une chaise recouverte d’un joli tissage, ainsi qu’une table basse et un petit banc. L’œuvre, semblable à un salon où l’on s’arrêterait pour discuter, est composée du travail d’autres artistes, comme une vidéo de Bettina Buck et un manteau de Lucia Leuci. Rappelant la première œuvre de l’exposition par ces curieux objets du quotidien (Carrozzone), cette petite maison est un travail collectif où le moindre détail devient une œuvre d’art.
Entre sublimation du quotidien et transmission de traditions, l’exposition de Chiara Camoni partage avec les visiteurs l’enthousiasme des expériences collectives, la puissance créatrice des matériaux naturels et une énergie intuitive inspirée des civilisations passées et de divinités féminines.
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