C’est une belle histoire qui se déroule depuis avril 2008 au 42 de la rue du Ban de la Roche à Strasbourg, dans le quartier de la Laiterie. Dans un hangar à l’étanchéité suspecte appelé La Semencerie, une trentaine d’artistes, des plasticiens pour la plupart, disposent de 2 000 m² pour peindre, créer, composer, pour trois fois rien. Chaque artiste paie une cotisation de 30€ par mois à une association gestionnaire pour occuper un atelier.
Pour ce prix là, pas de chauffage : les conditions de création sont spartiates quand vient l’hiver (et étouffantes l’été). Mais les artistes présents, presque tous issus de l’école des Arts Décoratifs de Strasbourg, apprécient l’ambiance de joyeux bordel autogéré qui y règne. Ils ne demandent aucune subvention à la Ville, ils y tiennent, et plusieurs fois par an, La Semencerie accueille des mini-festivals comme Salbst Gemacht, celui du « faire soi-même » (Do It Yourself) prévu ce week-end et sert de quartier général aux Ateliers Ouverts en mai.
Au départ, une histoire de cœur
Ce petit miracle a été rendu possible grâce à l’énergie des artistes et à la bienveillance du propriétaire des lieux, les Semences Nungesser dont La Semencerie était le siège social avant que l’entreprise ne déménage à Erstein en 2008. Le PDG, Roger Heitz, est heureux d’accueillir des artistes sous ce bâtiment craquant car… il aurait aimé être un artiste. Il peignait dans sa jeunesse. Il avait son petit coup de pinceau mais son père Marcel, qui a survécu à la déportation en Russie et à qui on ne disait pas non, ne l’entendait pas de cette oreille : il a refilé à ses deux fils la gestion des Semences Nungesser, acquis à une firme allemande. Et Roger est devenu directeur commercial, puis PDG, mais pas peintre.
Alors quand la question du hangar s’est posée, il a lancé un appel à projets plutôt qu’une mise en vente. Mais depuis quelques années, la charge de ce hangar commence à peser sur les comptes de cette entreprise qui emploie 9 personnes : plus de 20 000€ par an d’impôts fonciers, de taxes, d’assurance et d’autres charges. Formellement, Roger Heitz est vendeur du terrain occupé par La Semencerie :
« L’association reverse une compensation, pour l’électricité et une partie de l’assurance. Mais ça ne couvre pas, et de loin, tous les frais. Je ne pensais pas que cette situation durerait aussi longtemps. Ça fait six ou sept ans que le terrain est en vente, il y a quand même 6 000 m² de surface constructible. J’attends que des offres à la hauteur de la valeur du bien me soient transmises. Mais je ne suis pas pressé et dans tous les cas, il faudra trouver une solution pour les artistes. J’en fais une affaire personnelle même si je sais bien que, quelle que soit ma décision, je serai toujours le méchant dans cette affaire ».
« Il va falloir songer à y aller maintenant… »
En fait, Roger Heitz hésite, tiraillé entre ses hémisphères droit et gauche, mais il a quand même redit aux gestionnaires de l’association qu’il allait falloir songer à une autre solution pour les ateliers. Ces derniers ont beau y être habitués, depuis qu’ils occupent le hangar, régulièrement, il est question de « partir », cette nouvelle déclaration a provoqué un petit émoi. Car si les artistes savent bien que leur situation est précaire, ils n’ont guère envie de déménager ni d’abandonner tout ce qu’ils ont aménagé.
Du côté des artistes, on indique, en restant prudent, que la fin de La Semencerie serait un « coup dur » :
« Depuis six ans qu’on occupe le site, il n’y a jamais eu d’incident majeur et notre présence permet d’éviter que le site ne soit gardé, vandalisé, squatté… L’entreprise réalise quand même des économies grâce à nous. Et puis, on a créé le bar, les sanitaires, amélioré l’isolation… Et on a réussi à inscrire le lieu dans la ville quand même, avec nos rendez-vous. Donc si le propriétaire vend, on espère un geste de la Ville ou une solution de repli. »
La Ville pas intéressée
Un geste de la Ville qui pourrait aller jusqu’à préempter l’achat du terrain ? Les artistes n’en sont pas encore là mais certains ne seraient finalement pas contre. Du côté de la municipalité, on préfère que le statu quo se prolonge, comme l’explique Alain Fontanel, premier adjoint au maire et en charge de la culture (PS) :
« La Ville n’a encore été saisie d’aucune demande mais il est clair, compte tenu du contexte budgétaire, que l’heure n’est pas aux achats, ni aux dépenses nouvelles. »
Du coup, la solution serait peut-être que les Semences Nungesser entrent dans une démarche formelle de mécénat, qui leur permettrait au moins de déduire ce soutien d’une partie de leurs charges. Car pour l’instant, il n’y a aucune mention de l’entreprise d’Erstein, sauf à la deviner sous l’intitulé qui orne l’entrée du hangar, ni de son rôle dans l’existence du lieu.
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