Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays baltes furent occupés par les Soviétiques. Pour effacer les velléités nationalistes, Moscou « encouragea » la migration de Russes dans ces territoires. Ainsi, en 1989, 50% de la population estonienne était d’origine slave. Peu d’entre eux sont repartis dans leur pays d’origine lors de l’indépendance des pays baltes. Aujourd’hui encore, l’intégration de cette minorité dans les communautés nationales se fait avec difficulté. Le nombre de ces « non citoyens » en Estonie est aujourd’hui passé sous les 15%, alors qu’il était encore de 32% en 1992. À Tallinn, on les appelle les « passeports gris », d’après la couleur du document qui leur permet de circuler dans l’espace Schengen depuis 2007.
Henry vit à Tallinn. Il travaille dans les affaires et évoque les relations russos-estoniennes. Personnellement, il ne connait pas de « passeport gris » mais raconte combien cette réalité est épineuse, en particulier lors des tensions russo-ukrainiennes.
« C’est délicat de discuter de ça ici. En général, on n’en parle tout simplement jamais. C’est un tabou chez nous, même si ces personnes peuvent désormais acquérir la citoyenneté de leur pays en passant un test assez simple de langue et de culture à travers lequel elles montrent leur patriotisme ou du moins leur attachement au pays. Et puis avec l’actualité ukrainienne en plus, ça devient vraiment un sujet très brûlant. Les russophones du monde entier doivent se sentir concernés par la situation actuelle ; le cas de l’Ukraine concerne tout le monde en fait. »
Pas de droit de vote pour les russophones
En Lettonie aussi, lors des premières élections libres de 1993, ces citoyens à part (Biélorusses, Ukrainiens, Russes) n’avaient pas le droit de vote. Se pose dès lors un problème pour plus de 40% de la population qui n’a pas la citoyenneté lettonne. Depuis l’adhésion de la Lettonie à l’Union européenne, en 2004, des progrès ont été réalisés, par le biais notamment de cours de langue, de volonté d’inclusion et de naturalisations… Mais encore aujourd’hui, pour ces 19% de russophones : pas de droit de vote, pas d’accès à certains postes de la fonction publique mais aussi exemption du service militaire (russe et letton).
Kristers Krafts, un jeune professeur à Liepaja, renchérit de son côté, au sujet des « non citoyens » de Lettonie.
« Le parti russe de Vladimir Poutine joue sur la peur de ces Russes expatriés. Il attise les tensions en avançant que la minorité russe a besoin d’être protégée des Lettons qui les oppressent. Certains politiques pro-russes essaient de jouer avec la peur actuelle des émeutes du pays d’à côté ; les politiciens cherchent des votes auprès de personnes qu’ils effrayent eux-mêmes. »
Au fil des années, cette situation s’apaise puisque de plus en plus de naturalisations sont enregistrées, mais le fond du problème demeure : comment assurer à des minorités nationales la possibilité de bien vivre dans leur pays de résidence ?
«Vivre l’histoire» : visite masochiste d’un lieu de mémoire letton
Les relations entre Russes et Baltes aujourd’hui attestent d’une histoire violente et complexe, qui remonte bien avant la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, les occupations successives du pays par des puissances étrangères ont profondément construit l’identité nationale de chacun des pays. La Lettonie, par exemple fut occupée par sept armées durant le XXe siècle. Le pays a été durement marqué par les répressions, représailles, déportations et incorporations dans l’armée des occupants, de gré ou de force. On estime que les nazis et les soviétiques y firent au total 555 000 victimes, soit un tiers de la population lettone.
La ville de Liepaja, à l’ouest de la Lettonie, est une des places stratégiques du pays. Elle est située en bord de mer et permet un contrôle maritime du territoire. La prison militaire de Karosta est un des lieux de mémoire de la ville. Restée en activité jusqu’en 1997, c’est aujourd’hui un musée et un hôtel destinés aux amateurs de sensations fortes…. Ici, pas de visites traditionnelles, mais plutôt une volonté de faire « vivre l’histoire » aux visiteurs. On peut choisir plusieurs formules : deux heures dans la peau d’un prisonnier, une nuit en cellule (avec brimades en option), ou un jeu de rôle grandeur nature pour s’échapper d’URSS.
Entre les mains d’un « capitaine » soviétique (le guide a réellement servi sous les drapeaux soviétiques), les nouveaux arrivants sont mis au pas : pompes, courses, sauts, mais aussi humiliations et punitions collectives. Les « visiteurs-prisonniers » sont ensuite entraînés à l’intérieur de la prison pour y être enregistrés, photographiés, et parqués dans des cellules.
L’obsession de rappeler aux jeunes l’histoire récente
Kristers a 25 ans. Toute sa famille est investie dans la préservation et la valorisation de l’ancienne prison de la ville. Pour lui, c’est donc tout naturel de prêter main forte à l’équipe de volontaires pour animer des visites ou pour mener des groupes dans la forêt lors des jeux de rôle.
« Notre histoire nationale est si complexe qu’il est important de la transmettre aux jeunes générations, à travers divers moyens. Ici, nous proposons des visites traditionnelles, comme dans n’importe quel lieu de mémoire, mais ce qui marche le mieux, surtout pour les scolaires, ce sont les visites interactives. Nous sommes à la fois guide, professeur, historien et acteur, car il faut décupler beaucoup de savoir-faire pour intéresser des jeunes à cette histoire. »
Sur fond de crise économique généralisée, les pays baltes doivent eux aussi faire face à l’inflation et au chômage. Malgré cela, les ouvertures vers l’Europe et le monde se multiplient, tant culturellement, qu’économiquement ou diplomatiquement : Riga vit à l’heure de la « capitale européenne de la Culture » (Tallinn le fut en 2011 et Vilnius en 2009). La Lettonie et l’Estonie sont récemment entrées dans la zone euro. Quant à la Lituanie, elle a présidé l’Union européenne de juillet à décembre 2013, devenant ainsi le premier des pays baltes à occuper cette fonction.
Le Bulli quitte les pays baltes pour rejoindre Kaliningrad, l’enclave russe en Union européenne.
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