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Les marrons chauds à Strasbourg, une histoire de familles

Depuis le mois d’octobre, les locomotives à marrons tournent à plein régime à Strasbourg. Quatre familles italiennes et corses établies à Strasbourg depuis le début du siècle se partagent ce marché saisonnier, reconduit depuis quatre générations.

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Les marrons chauds à Strasbourg, une histoire de familles


Dès 8h du matin, ils sont au charbon. Les vendeurs de marrons ambulants doivent mettre en place la machine, les copeaux de charbons, charger la marchandise dans les camionnettes, se déplacer sur le « lieu d’ancrage » et enfin couper les premiers marrons… « Une bonne heure de dépôt et une bonne demi-heure pour se rendre sur place », explique Issam Faress. À 25 ans, il a déjà sept années de métier derrière lui. Issam est salarié de la société Franchi et s’installe parfois jusqu’à 22h derrière ce qu’il appelle « sa Rolls », une « locomotive » faite d’aluminium et munie d’un habitacle, un luxe imaginé par René Franchi, patriarche de la famille.

Un marché, quatre familles

Car il s’agit d’un business familial les marrons chauds… Quatre clans se partagent le marché à Strasbourg : les Franchi, les Toscani, les Ferrari et les Filippi. Difficile de savoir qui est vraiment l’instigateur du concept de la vente de marrons chauds entre les Franchi et les Ferrari. « À chacun sa version », explique Pierino Zecca, le patriarche des Ferrari dont il dirige l’affaire depuis 32 ans. Il raconte que son arrière grand-père a quitté Marseille en 1890 pour s’installer à Strasbourg. Le tout « à pied » puisqu’à l’époque, il n’y avait « quasiment pas de transports ». Il y aurait alors lancé la première machine ambulante.

De son côté, René Franchi, 62 ans au compteur dont 48 de marrons, date l’installation de son père Joseph en 1935. Il détient l’original de l’inscription du premier des Franchi au registre du commerce, si d’aventure quelqu’un devait contester l’antériorité de son implantation…

Pour les Filippi, des Corses, les affaires ont commencé bien plus tard. En 1968 exactement, lorsque Denis Filippi décide de s’associer avec son frère, déjà présent sur le sol strasbourgeois depuis 1964 pour son service militaire. Ensemble, ils se lancent d’abord dans la vente de confiserie. Et pour compléter les revenus en hiver, Denis Filippi décide de vendre en parallèle des marrons, « une activité qui marche bien ». Son frère, lui, abandonne le concept quelques temps après et reprend « L’Alsace à Table », un restaurant réputé de la rue des Francs-Bourgeois qui a été racheté depuis.

Pierino Zecca en poste, descendant de la famille Ferrari (Photo FB / Rue89 Strasbourg)
Pierino Zecca en poste, descendant de la famille Ferrari (Photo FB / Rue89 Strasbourg)

Il y avait encore une dizaine de sociétés vendeuses de marrons dans les années 60, se souvient René Franchi :

« Les Italiens sont arrivés à Strasbourg dans les années 20. Il y avait aussi les Massoni, les Onetta… Dans d’autres départements de France, ce sont les Espagnols qui vendent des marrons. Ce sont des affaires qui tournent bien, j’ai gagné mon bifteak toute ma vie avec les marrons. Aujourd’hui c’est ma fille qui a pris le relais. »

La Ville régule, pour « apaiser les tensions »

Aujourd’hui, on dénombre au total près d’une dizaine de locomotives, réparties sur la ville (voir carte ci-dessous). Et tous les jours, chaque marchand est tenu de changer d’emplacement, selon un planning édicté par la ville pour chaque mois d’activité.


Carte des emplacements prévus pour la vente de marrons chauds à Strasbourg.

Un mode opératoire datant des années 1960, qui a pour but d’apaiser les tensions entre les familles et qui trouve satisfaction aux yeux des commerçants, comme l’explique Mohammed, vendeur auprès de la société Toscani :

« Avant tout le monde faisait sa loi. Les gens posaient leurs machines à 5h même s’ils n’ouvraient qu’à midi. Ils obtenaient comme ça les meilleurs places de la ville. Du coup, la ville a dit « stop aux cowboys, on va vous donner des places et chacun fera son chiffre ». Tout le monde trouve ainsi son compte financier. Les meilleures places sont forcément à la Cathédrale, mais aussi à Kléber I (parvis de la Fnac, NDLR) et la place Gutenberg, qui marche pas mal ».

Issam Faress fait parti de la quatrième génération de la famille Franchi, à vendre des marrons à Strasbourg (Photo FB / Rue89 Strasbourg)
Issam Faress côtoie la quatrième génération de la famille Franchi (Photo FB / Rue89 Strasbourg)

Tous s’accordent à dire que se faire une place parmi les « historiques » est aujourd’hui compliqué, voire même « impossible » pour tout nouvel arrivant. Yoann Couec, vendeur de marrons depuis 2007 chez la famille Ferrari, explique que « la ville de Strasbourg ne veut plus personne, que ce soit pour des marrons ou des glaces d’ailleurs ». Le marché serait tout simplement saturé.

Omerta sur la vente et la provenance des marrons

Les finances justement. Si la concurrence entre les différents marronniers est jugée par Mohammed « cordiale, mais marchande », tous s’accordent pour rester discrets sur leurs chiffres de vente et leurs bénéfices. Mais un kilo de marrons coûte environ 3,5€, tandis que 150 grammes de marrons grillés sont vendus 2€. À la volée, les gains pourraient varier entre 50 euros les mauvais jours et jusqu’à 500 euros les meilleurs. Pierino Zecca explique :

« Encore heureux que l’on gagne le Smic … On nous parle toujours d’argent, de combien on gagne et moins de nos conditions de travail. Cela fait 32 ans que je n’ai pas eu de week-end et je fais parfois des journées de 20h. Après, je n’ai pas à me plaindre car j’aime mon métier, je l’ai choisi. »

Du côté de chez François Klein, salarié de la société Filippi, « on vend à peu près dix kilos de marrons par jour ». Cela fait 20 ans qu’il connait le métier, mais ne l’exerce que lorsqu’il ne trouve pas un autre emploi saisonnier à la place, parce que « vendre des marrons, c’est difficile ». « On est debout toute la journée, dans le froid, même si cette année, on a été plutôt chanceux », reconnait-il. S’il juge le mois de décembre « plutôt bon », il appréhende le mois de janvier, souvent synonyme d’une « chute de l’activité ».

François Klein, salarié de la société Filippi, vend ses marrons place Gutenberg (Photo FB / Rue89 Strasbourg)
François Klein, salarié de la société Filippi, vend ses marrons place Gutenberg (Photo FB / Rue89 Strasbourg)

Ajouter à cela les frais d’emplacement, environ 1 000 euros pour les trois mois d’activité et le coût du réchaud, pouvant atteindre les 10 000 euros comme pour « la Rolls avec toit » d’Issam Faress, « moins pour une 2CV ouverte ».

On n’aime guère parler chiffres, et encore moins parler stocks et origines des marrons. Du côté de la famille Franchi, on dit les chercher directement chez le producteur ardéchois Chaber, de début octobre à mi-décembre. Un produit « made in France, gage de qualité, avec un bon calibre et donc forcément plus cher » précise Issam Faress. Puis les origines divergent, Italie, Portugal et même la Turquie…

Une fois la période creuse passée en février, les fours au charbon de bois laissent place aux gaufres et aux crèmes glacées pour quasiment tous les marchands ambulants et ce, dès le mois de mars. Excepté pour la famille Filippi qui alterne avec des confiseries.


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