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Mariya Gabriel, eurodéputée : « Strasbourg ne s’approprie pas son Parlement »

Députée hyper active du Parti Populaire Européen (PPE, centre-droit) en étant membre titulaire de trois commissions et d’une délégation, Mariya Gabriel est une europhile optimiste, dont le discours peut étonner en France. Favorable au siège unique du Parlement Européen à Strasbourg, l’eurodéputée bulgare reste néanmoins critique sur ce que la ville et la France pourrait faire pour être plus attractives.

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Mariya Gabriel, eurodéputée : « Strasbourg ne s’approprie pas son Parlement »

L'eurodéputée bulgare
Mariya Gabriel représente la Bulgarie au Parlement Européen depuis 2009

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Quelles ont été vos premières impressions en découvrant Strasbourg ?

C’est une ville qui a une ambiance extraordinairement chaleureuse. Elle symbolise à la fois l’Histoire de l’Europe, mais aussi une capacité à vivre avec son temps, ce qui est une sensation très agréable. On fait très vite la comparaison entre Bruxelles et Strasbourg et on pourrait dire que Strasbourg a une âme, avec une vraie dimension culturelle et spirituelle. Bruxelles est beaucoup plus technocrate avec ses « business buildings ». Je pense que c’est un atout dont Strasbourg ne se sert pas suffisamment.

Je reste de ceux qui défendent à fond le siège à Strasbourg, mais même de grands enthousiastes comme nous voyons quelles sont les grandes lacunes, car la ville ne s’approprie pas son Parlement.

Ne croyez-vous pas qu’avoir un Parlement à deux sièges contribue à rendre les institutions européennes moins compréhensibles ?

C’est pour cela que je pense que, tôt ou tard, il faut trancher la question et je pense qu’il faut se référer aux traités, où il est dit que le siège est à Strasbourg. Ce qui me gêne est que cela est présenté comme un débat qui a lieu d’être, alors que tout est dans les traités. Ceci dit, il y a des arguments auxquels on ne pourra jamais rester insensible, comme les dépenses que cela engendre. Peut être que ça pourrait être une question pour les élections européennes de 2014. Ce serait pas mal d’avoir un président qui se présente avec sa position sur le siège. Cela préoccupe les citoyens, concernés par les dépenses, et les députés qui aimeraient savoir où est le siège et je pense que c’est important que ce soit à Strasbourg, car c’est l’exemple concret de la séparation des pouvoirs. Personne ne pourrait imaginer que Matignon soit à l’Elysée.

Avez-vous l’impression que votre travail ici est incompris ou méconnu ?

Oui, ça reste le cas, mais il faudrait le nuancer immédiatement. Le travail en plénière marque l’aboutissement de tout un travail qui a été fait avant. Toutes les discussions sur la rédaction d’un texte et les amendements ont été faits avant. Ici, c’est la dernière tribune pour les parlementaires qui souhaitent s’exprimer. Ce qui me gêne c’est qu’il y a un fossé qui se creuse entre ceux qui savent très bien ce qui se passe dans les institutions européennes et ceux qui ne savent pas. Il manque cette catégorie intermédiaire, qui arriverait à comprendre l’enjeu européen tout en identifiant les obstacles. Souvent on nous accuse de ne pas en faire assez, alors que le Parlement n’en a pas les pouvoirs ou d’autres d’en faire trop, alors qu’on est sur un pied d’égalité avec le Conseil européen. A Bruxelles, les dirigeants savent qu’ils sont protégés, car les débats sont à huis clos. En revenant sur le plan national, il est facile de pointer le bouc émissaire en disant « Bruxelles à dit ».

Comment pensez-vous que Strasbourg pourrait être plus attractive pour les eurodéputés et en général ?

Je pense qu’il faudrait faire en sorte que les députés se sentent chez eux, avec une politique, comme le fait d’ailleurs Bruxelles de manière très habile. D’une part, on se rend compte que les hôtels appliquent des tarifs avec une augmentation pour les députés. Je sais très bien quel est le raisonnement des hôteliers, mais là cela va contre leur Parlement. Il y a aussi le grand problème du manque de lignes directes. Enfin, nous ne sentons pas que les autorités locales s’intéressent à nous. Autant à Bruxelles on reçoit cinq invitations par jour pour des expositions, des évènements, etc… ici on ne reçoit pas ça. Je n’ai jamais été reçu par les autorités locales, alors qu’on est là une fois par mois. On pourrait mettre en avant les principaux sujets, au début ou à la fin de la session, qui sont il me semble des sujets importants. C’est vraiment dommage. C’est surement cela qui fait que le nombre de députés en faveur de Bruxelles augmente entre le début et la fin de la mandature.

On pourrait par exemple rendre le jeudi, où tout le monde rentre, attractif. Pourquoi ne pas dire : si vous venez du dimanche au jeudi, on vous offre la nuit du vendredi. Cela permettrait aux députés de découvrir la ville, d’y faire venir leur famille et le bouche à oreille fonctionnerait. Ce sont des idées concrètes que l’on pourrait mettre en place il me semble.

Je regrette aussi de ne pas pouvoir avoir des groupes de visiteurs à Strasbourg, c’est tout simplement impossible avec les vols, les escales et les hôtels. Quand j’en ai à Bruxelles, je n’oublierai jamais la réaction des plus jeunes, qui me disent que « ce n’est pas le Parlement, ce n’est pas ce que l’on voit à la télé », car en Bulgarie on montre le bâtiment de Strasbourg. On n’a pas l’occasion de montrer la partie la plus démocratique l’Europe, le vote, à des agriculteurs ou ceux qui s’intéressent et c’est assez dommage.

Pensez-vous que l’Etat français s’engage assez pour soutenir le Parlement à Strasbourg ?

Il faut qu’il continue à faire plus. Il y a eu une forte volonté, puis une période où l’on s’est assis sur ses lauriers, qui ont un peu fanés depuis.

Quels sont vos engagements, plus personnels, vis-à-vis de l’Union Européenne ?

En premier, la Politique Agricole Commune (PAC), qui est un symbole pour moi de ce qu’est une politique commune. J’y suis très attachée et en même temps c’est une politique qui a besoin d’être modernisée, parce qu’en tant que représentante des nouveaux Etats membres (ndlr, la Bulgarie est membre de l’UE avec la Roumanie depuis 2007), je peux dire qu’ils sont en position d’injustice. Dorénavant, ce ne sont plus seulement la production et la sécurité alimentaire les seuls enjeux, ce sont aussi la biodiversité, la lutte contre le changement climatique. Je pense que la PAC permet de combattre deux tendances très négatives dans les zones rurales : le chômage et le vieillissement de la population. Si on ne prend pas de mesures pour les zones rurales, on ne surmontera pas cet obstacle. Ce qui me tient aussi à cœur est la question de l’égalité et du droit des femmes. Cela peut apparaitre étonnant que l’Europe s’occupe encore de ça, mais on s’aperçoit qu’il y a encore beaucoup à faire en termes de différence de salaires à la même position (16%), en termes de représentation des femmes dans les organes décisionnels politiques, mais aussi économiques.

Les trois autres sujets qui me tiennent à cœur sont, d’une part Schengen et la politique d’immigration, qui est facilement instrumentalisée en politique interne et qu’il faut voir de manière neutre, car il en ressort beaucoup de choses positives. D’autre part, la politique du Danube (l’amélioration des infrastructures et de l’écosystème le long du fleuve), dont on ne parle pas beaucoup, mais qui concerne 150 millions d’européens et enfin les relations de l’Europe avec les pays Africains, des Caraïbes et du Pacifique. Je suis très active sur le continent africain et je pense qu’il faudrait y renouveler notre politique. D’autres pays cultivent aujourd’hui les fruits de ce que nous avons donné humainement et financièrement.

Après 6 ans dans l’Union Européenne, qu’est-ce que vous pensez que l’Europe a apporté à la Bulgarie et qu’est-ce que la Bulgarie a apporté à l’Europe ?

De plus en plus, la perception des Bulgares dans l’UE s’améliore et inversement. Au début, les bulgares avaient tendance à voir dans l’Europe, la main dure, la main forte, qui surveille et contrôle. Maintenant ils se rendent compte qu’il faut être actif, pour que notre réalité se trouve adaptée dans les lois européennes. On est plus actif aujourd’hui et on comprend que l’on peut être entendu lorsque l’on a des arguments sérieux. Au début, on n’osait pas trop participer.

La Bulgarie doit aussi montrer qu’elle n’est pas plus corrompue que d’autres Etats européens comme on nous le reproche encore. De même, nos citoyens ne sont pas toujours correctement considérés vis-à-vis des accords de Schengen, mais plus comme des citoyens de seconde zone.

La Bulgarie apporte à l’Europe un alphabet, une culture, une histoire. La Bulgarie a encore beaucoup à montrer à ce niveau. Les gens qui visitent la Bulgarie s’en rendent compte, il y a une géographie et une gastronomie très riches.

Un dernier mot ?

Je ne comprends pas l’attitude britannique actuelle (ndlr, le Premier ministre David Cameron propose un référendum sur le maintien de la Grande Bretagne dans l’UE en 2017). Si le pouvoir était courageux, il ferait son référendum maintenant. Tout le monde sait que d’ici là, il y aura de nouvelles élections et que le budget européen engage les Etats jusqu’en 2020. En plus, pour la première fois, et personne ne le dit, le traité de Lisbonne (entré en vigueur en 2009) permet à un Etat de se retirer de l’Union Européenne. Pourquoi ne pas faire ça, plutôt que de passer par un référendum et toute une polémique, qui va polariser l’opinion britannique et aussi dans les autres pays ?

J’espère que les élections européennes de 2014 permettront de réaffirmer nos valeurs. Je comprends que les problématiques économiques soient la priorité, mais j’aimerais que l’on profite de cet évènement pour que l’on en sorte un peu plus. Je suis parmi ceux qui défendent une union politique renforcée, pour passer à la vitesse supérieure. Peut-être à cause de notre histoire et du manque de confiance dans les autres, c’est encore difficile. La construction européenne est pour moi fascinante et je ne vois pas les difficultés comme quelque chose de négatif, mais un défi. Après chaque crise, l’Union Européenne est ressortie renforcée et là je pense que ce sera le cas aussi.


#Europe

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