Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Mardi 15 avril, 80 cyclistes serbes contre la corruption arrivent à Strasbourg

Une centaine de cyclistes serbes arrivent à Strasbourg mardi 15 avril. Leur objectif : manifester devant les institutions européennes pour dénoncer la corruption dans leur pays.

,

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Vélo Serbe Etudiants

Depuis le 3 avril, 80 étudiants serbes pédalent tous les jours. Après avoir parcouru 1 400 kilomètres, ils arriveront à Strasbourg le 15 avril, place Kléber, entre 19 et 20 heures – en fonction des conditions météo. Les cyclistes veulent faire entendre leur combat contre la corruption dans leur pays. Leur site web précise : « Ce n’est pas seulement un tour à vélo – c’est un trajet d’espoir, de résistance, et la voix de tous ceux qu’on a réduits au silence. »

« La corruption n’a pas de limite. »

Marina Maletic, organisatrice de l’arrivée des cyclistes à Strasbourg

Tout commence le 1er novembre 2024 à 11h52 : un bout du toit de la gare de Novi Sad s’effondre alors qu’il venait d’être rénové. 16 personnes périssent. « Cette gare est très passante, étant donné que Novi Sad fait partie des trois plus grandes villes de Serbie« , explique Marina Maletic, organisatrice de l’arrivée des cyclistes à Strasbourg :

« L’entreprise en charge de la rénovation du toit n’avait pas les compétences pour faire ces travaux qui ont certainement été payés avec de l’argent blanchi. Cet évènement a déclenché la mobilisation car il n’est pas isolé et illustre que la corruption n’a pas de limite. »

Un Premier ministre poussé à la démission

Deux jours après l’effondrement de la gare de Novi Sad, les étudiantes et étudiants serbes commencent à bloquer leurs facultés et demandent des mesures efficaces contre la corruption. La mobilisation perdure et le Premier ministre serbe Miloš Vučević démissionne fin janvier 2025.

Depuis cinq mois, les universités sont en grève et des manifestations étudiantes quotidiennes secouent la Serbie. La mobilisation s’étend aux « avocats, juristes, journalistes, profs, syndicats… La population dans son ensemble se mobilise », précise Marina Maletic. Le symbole de leur lutte est une main rouge, comme ensanglantée.

Vélo Serbe Etudiants

Répression et contrôle des médias

« Certaines personnes se font licencier en raison de leur soutien aux étudiants, une citoyenne croate a été renvoyée de Serbie pour cette raison, car elle serait une menace pour le pays, alors qu’elle est mariée à un Serbe et qu’elle a un enfant », poursuit Marina Maletic. Elle précise que certains manifestants sont emprisonnés et frappés par les forces de l’ordre uniquement car ils participent au mouvement citoyen. La répression policière est allée jusqu’à faire usage d’un « canon à son » pour la première fois en Europe afin de disperser les 300 000 manifestants réunis à Belgrade le 15 mars 2025.

« En 2023 pour les élections législatives, des citoyens de Bosnie ont été payés pour venir voter en Serbie et les médias étaient contrôlés par le gouvernement, donc ils ne diffusaient que des informations dans leur sens », se souvient Marina Maletic. Dans une résolution suivant ces élections et votée en 2024, le Parlement européen décrit « une campagne de dénigrement et d’incitation à la peur », des votes collectifs, des agressions physiques et violations du secret du vote.

Huit chapitres de revenducations

Dans ce pays des Balkans, candidat à l’Union Européenne (UE) depuis 2012, le président Aleksandar Vučić est élu depuis 2017. Déjà, les étudiantes et étudiants accueillaient sa victoire avec des manifestations de contestation. Particulièrement hostile au principe de liberté de la presse, soutenu par l’extrême droite européenne et par Moscou, Aleksandar Vučić a aussi vu la population se soulever contre lui en 2018. Les manifestations faisaient suite à l’agression d’un opposant politique et à des réformes anti-sociales et autoritaires. Le président avait alors déclaré que « même si cinq millions de personnes (sur sept millions de Serbes, NDLR) descendaient dans la rue« , il n’accèderait pas à leur demande, selon La Croix. Friand de la théorie selon laquelle « l’Occident » chercherait à déstabiliser son pays, le président a utilisé cet argument, de concert avec la Russie, face aux manifestations après une autre élection, en 2023.

Désormais, les étudiants ont organisé leurs revendications en huit chapitres et comptent sur les révélations de la presse indépendante sur la corruption du parti présidentiel pour appuyer leur démarche. « Ce sont les étudiants de Novi Sad qui ont décidé de venir à vélo pour alerter le Conseil de l’Europe », souligne Ema Markovic, arrivée à Strasbourg en 2012. Elle fait partie de la soixantaine de personnes en charge de l’organisation de la mobilisation :

« Depuis leur départ, les cyclistes rencontrent l’adhésion dans les villes où ils s’arrêtent. Le maire de Budapest est venu à leur rassemblement, des évènements sont organisés à leur arrivée. Dans les Balkans, les situations politiques sont toujours tendues mais la cause étudiante rassemble et s’étend à différentes villes au-delà des frontières. Les problèmes de corruption sont partout, donc l’émotion est ressentie dans plusieurs pays. »

Après Novi Sad les étudiants ont fait escale en Serbie, en Hongrie, en Autriche et en Allemagne, avec des étapes allant de 75 à 144 kilomètres par jour. Dans chacune des 13 villes où ils s’arrêteront, des logements ont été trouvés grâce au soutien local. À Strasbourg, Marina Maletic a trouvé des particuliers qui pouvaient accueillir les étudiants ou louer des appartements pour eux. Certains resteront au centre européen de la jeunesse. Entre les cyclistes et les supports médicaux et techniques, le convoi représente une centaine de personnes au total.

Vélo Serbe Etudiants

Rendez-vous au Conseil de l’Europe

« La directrice générale de la démocratie et de la dignité humaine au Conseil de l’Europe, Marja Ruotanen, a dit qu’elle viendrait discuter avec nous, c’est bon signe », s’enthousiasme Ema Markovic. Les étudiants prévoient un temps d’échange avec cette institution, dont la Serbie est membre, mais pas avec le Parlement Européen dont il ne fait pas encore partie.

Dans son rapport 2024 consacré à la Serbie et aux évolutions nécessaires à son adhésion, la Commission européenne pointe d’importants manquements dans le domaine de la corruption. Elle indique que peu des recommandations souhaitées par le GRECO, organe anti-corruption du Conseil de l’Europe, ont été appliquées, la plupart faute de volonté gouvernementale.

À Strasbourg, la diaspora serbe compte selon Ema Markovic quelques dizaines de personnes, dont plusieurs étudiants. Elle compte notamment une église orthodoxe serbe à Koenigshoffen, qui n’a pas été associée au mouvement étant donné que « tous les Serbes ne sont pas pratiquants » et que l’institution ne soutient pas le mouvement étudiant en Serbie.

Mercredi 9 avril, Emmanuel Macron a reçu le président serbe à l’Elysée, un geste perçu comme une provocation au sein du mouvement de contestation en Serbie.


#manifestation

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Plus d'options