Pour la Ville de Strasbourg, le mois d’octobre sent déjà le sapin. Lundi 10 octobre, les Dernières Nouvelles d’Alsace révélaient le contenu d’un mail des services municipaux envoyé aux exposants, commerçants et autres artisans du marché de Noël. Le courriel contient plusieurs listes de produits classés en trois catégories : autorisés, autorisés sous réserve ou interdits. Depuis des années, la municipalité fait la liste des produits autorisés à la vente sur le marché de Noël, les autres produits étant considérés comme interdits par défaut, mais ceux-ci ne figuraient pas nominativement sur une liste.
Parmi les nouveautés : la tartiflette, la raclette, le pop corn et le champagne seraient interdits. Les tapis de souris, les samossas, les boules de Noël et les crucifix sont autorisés « sous réserve ». Des interdictions ou des précautions qui ont fait bondir autant de communautés : les fromagers savoyards s’étranglent en chœur avec les producteurs de champagne rémois, les vendeurs de boules de Noël s’indignent aux côtés des défenseurs de l’identité chrétienne de l’événement qui soupçonnent une tentative de laïcisation du Marché de Noël.
« C’est une erreur de communication »
En conférence de presse jeudi 13 octobre, l’adjoint en charge des événements, Guillaume Libsig (Labo citoyen, divers gauche) a plaidé l’erreur de communication. Ainsi, « ces listes sont des documents de travail qui n’avaient pas vocation à être publiés » dans la presse. L’élu a aussi expliqué que les autorisations « sous réserve » signifient que les vendeurs concernés recevront une visite des services de la Ville cette année, en 2022. L’échange devant le cabanon permettra de déterminer l’autorisation ou non du produit l’année suivante, en 2023. Parmi les critères, toujours en discussion, la qualité du produit, son aspect local et son lien avec la tradition de Noël.
Les listes communiquées avaient vocation à préparer la définition du cadre réglementaire pour les produits qui seront mis en vente lors de l’édition 2023 du marché de Noël et non celui de cette année, pour lequel certains commerçants ont déjà constitué leurs stocks, à six semaines de l’ouverture.
Pourtant, le mail à l’origine de toutes ces réactions, mis en ligne par les DNA jeudi 13 octobre dans la soirée, mentionne bien « l’édition 2022 », sans parler de liste provisoire ou de document de travail. De quoi faire douter des explications embarrassées et du rétropédalage de la municipalité. En revanche, la signification des produits « sous réserve », est quant à elle bel et bien expliquée, quoique succinctement.
« Avant, la mairie nous imposait tout sans explication »
La restauratrice Myriam Lefebvre va un peu plus loin. D’ici un mois et demi, elle vendra dans son chalet du vin chaud, des soupes, des knacks artisanales, des bretzels et du jus de pommes. Membre de la commission composée de cinq élus, cinq représentants d’exposants et cinq personnes qualifiées (préfecture, le syndicat hôtelier l’Umih, la chambres de l’Industrie et de l’Artisanat…), l’exposante raconte sa surprise à la réception du mail envoyé par l’ « Équipe Strasbourg Capitale de Noël » le 5 octobre :
« Lors de la dernière réunion de la commission, on n’était pas arrivé au fond du sujet de la liste des produits autorisés. C’est là qu’il y a un problème. On prévoyait une très grosse réunion à ce sujet en janvier 2023. Puis ce tableur qui est sorti. C’est une hérésie. Je ne comprends pas que ce soit sorti pour le grand public. C’est une erreur de communication. »
La restauratrice strasbourgeoise regrette que la polémique qui s’en est suivie masque une transformation souhaitée du Marché de Noël :
« Cette municipalité a fait quelque chose de chouette en nous faisant entrer dans cette commission. Ils ont aussi invité des citoyens dans une seconde commission. Avant, la mairie nous imposait tout sans explication. C’est extrêmement agréable de pouvoir échanger avec tout le monde au même niveau. »
Transformer le marché de Noël pour le rendre plus authentique. La communication de la municipalité strasbourgeoise reste la même depuis plus d’une décennie. En 2012, le maire socialiste Roland Ries bannissait les churros et les peluches des chalets. Quelques années plus tard, il autorisait la vente de foie gras, toujours avec l’ »authenticité » comme argument. Lorsqu’en 2019 ,l’ex-directeur de l’événement avait déclaré sur France 2 que « la provenance des produits, ça nous est égal« , la phrase avait (déjà) provoqué un tollé à Strasbourg.
Aujourd’hui plus encore, la stratégie de la municipalité vise à reconquérir les Strasbourgeois, en particulier les habitants de l’hypercentre, lassés par les mesures de sécurité contraignantes, des masses de touristes agglutinées sur quelques places et des produits fabriqués en Chine et vendus dans un marché se voulant traditionnel. Lors d’un débat organisé par Rue89 Strasbourg en décembre 2019, les candidats des listes PS, LREM, EE-LV et LR pour les élections municipales de 2020 s’étaient tous déclarés prêts à vouloir transformer le marché de Noël, pour que ce dernier soit plus authentique et avec plus de produits locaux. (à revoir ici)
La municipalité écolo habituée des erreurs de comm’
Ce n’est pas la première fois qu’une erreur de communication ruine un projet a priori consensuel de la majorité écologiste strasbourgeoise. En septembre 2021, la municipalité souhaitait réduire la place du stationnement dans les rues pour favoriser les alternatives et agrandir l’espace public. C’est alors la prolongation d’une politique engagée depuis des années à Strasbourg. Mais l’attention s’était alors focalisée sur l’annonce d’un potentiel doublement du tarif résident.
De même, au printemps 2022, la municipalité a rappelé que les terrasses déployées avant 11h ne doivent pas bloquer le passage des camions de livraisons. Les écologistes se sont alors vus accusés de vouloir mettre fin aux terrasses le matin alors qu’ils ne font qu’appliquer la réglementation en vigueur. Avant l’été 2021, lorsqu’ils veulent proposer une spectacle d’illuminations à Koenigshoffen, tout le monde comprend que les spectacles projetés sur la Cathédrale seront annulés…
La polémique autour des produits autorisés sur le marché de Noël est particulièrement révélatrice : l’intention répond à une demande des Strasbourgeois (un marché moins touristique, plus authentique) et la méthode vise à inclure les habitants et les premiers concernés (forains, restaurateurs, artisans…). Mais ces conditions favorables n’ont pas empêché la municipalité strasbourgeoise de devoir à nouveau faire face à une polémique…
Une édition 2021 réussie
L’édition 2021, la première sous la majorité écologiste, avait été reconnue de toutes parts comme une réussite. Plus de « checkpoint » de sécurité et surtout des allées plus aérées et espacées, où l’on circule mieux. Seule la question des zones de restauration et des marchés soumis au pass sanitaire avait pu irriter (ou rassurer). Mais sur ce point qui relève des questions sanitaires, la Ville avait bien pris soin de laisser la préfète communiquer. Et Josiane Chevalier n’avait finalement pas mis à exécution sa menace d’annulation du marché de Noël.
Pour les détracteurs de la municipalité, difficile de laisser la majorité écolo capitaliser sur une bonne gestion de cet événement hautement symbolique plusieurs années de suite. Ce qui explique aussi l’intensité des critiques pour exploiter une séquence mal maîtrisée, et imprimer l’idée que les écologistes « dogmatiques » gèrent mal les grands dossiers.
Jeanne Barseghian déplore de « grossières caricatures »
Face à la nouvelle vague de critiques de toutes parts. La maire Jeanne Barseghian (EE-LV), isolée pour cause de Covid, s’est ainsi fendue d’un message aux conseillers municipaux et également à destination de la population sur sa page Facebook :
« Où sont fabriquées les denrées et marchandises, jusqu’où s’étend la notion de local ? Quelles sont les matières premières, par qui et comment sont-elles acheminées jusqu’à Strasbourg, leur consommation fait-elle sens à Noël ? Voici les questions qui animent la commission. Des questions qui ne trouvent pas des réponses simples, immédiates, définitives : mais des avis à discuter, revoir et adapter sans cesse. (…)
Les membres argumentent, débattent, font valoir leurs points de vue et intérêts divergents afin d’arriver à un avis convergent. Je souhaite qu’ils puissent poursuivre sereinement leur travail – ô combien nécessaire – sans être entravés par aucune pression, sans être discrédités par de grossières caricatures. »
Sous pression, reculade sur le champagne
Sous pression, voire copieusement insultée, la municipalité écologiste a déjà reculé sur plusieurs points. Même si l’adjoint en charge des événements Guillaume Libsig assure se « réjouir » de la discussion provoquée par ces listes qui ne devaient pas être publiées, il a finalement dû rétropédaler en particulier sur l’interdiction du champagne, quitte à aller contre l’objectif de plus de produits alsaciens :
« Le débat a déjà permis des avancées. Bien qu’il n’y ait jamais eu de champagne lors de l’événement Strasbourg capitale de Noël, nous avons trouvé un partenariat avec la mairie de Reims et du champagne sera vendu dès l’édition 2023. »
Une première commission de personnes qualifiées rendra son avis sur les produits autorisés au marché de Noël en janvier 2023. Deux mois plus tard, la commission citoyenne donnera aussi ses conclusions. Ce sont ces deux bilans (après celui de l’édition 2021) qui permettront à la municipalité strasbourgeoise de trouver son cadre réglementaire définitif pour le marché de Noël 2023. La municipalité vise d’ici 2025 une certification ISO 20121 qui atteste des efforts « éco-responsables » de grands événements par ailleurs très polluants (congrès, JO, sommets diplomatiques).
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