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Comment j’ai failli craquer mon PEL au marché de Noël

Aaah Noël, le mois du partage et de la famille. J’ai décidé d’inviter mon petit frère à une démabulation gourmande au marché de Noël de Strasbourg. Une belle idée, qui nécessite cependant d’avoir les finances de son ambition.

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Comment j’ai failli craquer mon PEL au marché de Noël
Photo traditionnelle à activité traditionnelle, le vin chaud devant la cathédrale.

Quel meilleur moment pour resserrer les liens familiaux que le traditionnel marché de Noël ? Boire un coup, manger une bretzel entre frangins, partager les intentions de cadeaux pour la cousine, la tante, la grand-mère… J’ai décidé que cette année, j’allais prendre mes responsabilités d’aînée et inviter mon frère à une déambulation gourmande entre les chalets. Nous voilà donc mercredi soir, enthousiastes jeunes adultes pleins de rêves culinaires à passer le barrage de sécurité du pont du Corbeau.

Trois CRS au garde-à-vous nous accueillent de l’autre côté de l’Ill. À l’approche de la place Saint-Thomas, le nombre de touristes dans la rue augmente et commence à créer de petits bouchons. Pas de quoi altérer notre joie d’aller prendre un premier vin chaud, arme nécessaire pour contrer le froid strasbourgeois.

« Ça fait des années que c’est ce prix-là »

Arrivés sur la place, les lumières nous aveuglent et les chalets laissent échapper des fumets d’épices ou de gaufres en préparation. Les bananes suspendues aux barrières des stands de crêpes apportent même un petit côté exotique. Pour qui n’aime pas choisir, l’épreuve est compliquée. Direction donc les marmites fumantes pour tenter de trouver le meilleur rapport qualité-prix. Dans la famille, on a appris à être économes, à ne pas commander de pâtes si on va au restaurant (car on peut les faire à la maison), préparer un thermos de café pour la route des vacances afin d’éviter les stations services, préférer le camping à l’hôtel…

Alors face aux petits panneaux indiquant que le vin chaud, probablement pas préparé à partir de vins extrait avec amour par de petits vignerons indépendants, coûte entre 4 euros pour le petit gobelet et 5 euros pour le grand, on déglutit. Mais je suis là pour qu’on passe un bon moment, donc on se lance. Voilà donc 10 euros qui partent, consigne d’un euro par verre incluse. Les verres sont à moitié remplis.

Face à ma moue au moment de taper ma carte bancaire sur son terminal, la dame du chalet l’assure, « ça fait des années que c’est ce prix-là ». En tant que journaliste, je suis censée vérifier cette information, mais là dehors, dans le froid, j’ai plutôt envie de boire mon vin chaud, même acquis à prix d’or. En tous cas, je me félicite de ne pas avoir trop soif, puisque l’eau est à trois euros la bouteille de 50 centilitres.

À ce stade-là, j’imagine déjà ce qu’on pourrait me rétorquer « mais tu t’attendais à quoi ? » Je ne sais pas mais ça fait des années que j’entends que ce marché est aussi celui des Strasbourgeois et des Strasbourgeoises. Et si c’est bien le cas, alors je devrais pouvoir en profiter sans avoir à choisir entre manger une munstiflette face au grand sapin et des chaussures d’hiver qui me font grandement défaut.

Remballe ton cynisme

Mais on est là pour passer un bon moment, alors je remballe mon cynisme et ma critique du consumérisme, je les garde pour le repas de Noël, et je continue de marcher avec mon petit frère jusqu’au cœur du marché de Noël, la place Kléber. Il fait froid et je devine aux yeux malicieux de mon frère que son ventre grogne. Du haut de son mètre 90, il lorgne les stands gourmands. Au-delà des têtes de touristes agglutinés aux stands de bouffe, il reluque des marmites pleines de spaetzle, de sauces aux champignons et de saucisses en tous genres.

Il faut reconnaître que ça sent bon. C’est cependant dix euros le sandwich à la saucisse, 8 pour des spaetzele nature, 15 pour un currywurst, 12 pour une poêlée alsacienne ou un sandwich de choucroute, 6 pour des galettes de pomme de terre au fromage, 5 pour des bretzels aux knacks (on n’arrête pas le progrès). On passe notre chemin, persuadés d’être plus malins que la foule – en bons locaux qui se respectent, on ne se fera pas avoir, on saura trouver le chalet aux prix acceptables.

Direction place Broglie, qui nous semblait moins centrale. À tort, évidemment, vu le nombre d’humains hagards qui se traînent d’étal en étals en se frottant les gants. C’est à ce moment-là que nos yeux s’arrêtent sur un stand de baguettes flambées. Les mêmes que nous faisait notre maman les jours où le pain menaçait de durcir et qu’elle avait des lardons en rab dans le frigo familial.

Un coup d’œil au panneau des prix : ça va de 7 à 9 euros. Allez, je passe commande, sourire aux lèvres. Aurais-je trouvé ça acceptable si ce stand avait été le premier sur le trajet ? Est-ce que m’habitue aux prix du marché de Noël ? Est-ce qu’après 21h, je perds mon discernement ? Où est-ce le vin chaud qui adoucit mon échelle de valeurs ? Me voilà délestée de 14 euros, et le visage de mon frère s’éclaire d’un sourire alors qu’il croque la mie imbibée de crème fraîche. « C’est quand même super bon », ponctue mon petit frère, comme une réponse à mes hésitations. Pari gagné pour la grande sœur. Et puis la serveuse m’assure que les prix sont stables depuis des années dans son échoppe, c’est elle qui enchaîne les commandes après tout, qu’est-ce que j’y connais ?

Passée la joie primaire de la nourriture chaude, je me rappelle des leçons de ma maman. Quand même, quelques bouts de fromage sur une baguette premier prix, j’aurais pu la faire à la maison. « D’habitude j’achète rien ici parce que c’est trop cher », lance mon petit frère qui a le chic pour toujours ponctuer mes réflexions à propos.

Toujours plus de vin chaud

Une fois les baguettes englouties en presque aussi peu de temps que ce qu’il faut pour l’écrire, il est temps de reprendre un vin chaud. Car le breuvage, aussi délicieux soit-il, a cette bête idée de refroidir. Mais cette-fois-ci, on ne se fera pas avoir : notre mission, tant qu’à le payer cinq balles, est de trouver le meilleur de la place. Notre technique consiste à repérer un chalet qui ne ferait que du vin chaud. On tombe sur un stand peu vieillot où il est inscrit que le breuvage est « prêt » sur le couvercle. Aucun doute, c’est le signe qu’il a passé plusieurs heures à s’imprégner d’épices, voilà des orfèvres de la picrate anisée. Le petit frère prend ses responsabilités, c’est lui qui paye cette fois. Même si mon égo de grande sœur en prend un coup mais je n’insiste pas. Voilà 10 euros qui partent, pour deux verres grand format sans consigne.

Allez savoir pourquoi, je trouve ce verre délicieux. Je n’ose imaginer que c’est parce qu’il ne m’a rien coûté et je me dis que c’est parce qu’on a bien choisi notre chalet, ou parce qu’il provoque un large sourire de mon frère. Du moins quand je le vois parce qu’entre les travées, difficile de se parler sans interruption, le corps d’un touriste du bout du monde venant s’interposer entre lui et moi à intervalles réguliers. On se regarde en souriant et je sais qu’il sait que je me dis qu’on serait mieux au chaud, finalement.

Magie avec parcimonie

Mais c’était compter sans le stand ultime, celui qui diffuse le meilleur parfum de tous : les crêpes. « On prendrait pas un dessert ? », tente le frère à nouveau fort à propos. Rendus là, je ne peux pas dire non même si j’en n’ai pas vraiment envie. Je cherche d’un œil les prix mais les chiffres deviennent flous, mon cerveau refuse de continuer à tout calculer après une heure et demie… Faire attention à un budget est fatiguant, je n’ai plus l’énergie de mes années d’étudiante précaire.

Trois crêpes, une pour le frère et une pour Margot, une amie qui vient de nous rejoindre et une pour moi, parce que je suis faible. C’est 5 euros la crêpe, 15 euros pour le trio mais qu’importe. Je sortirai moins en décembre. Alors que je regarde avec envie, et admiration, la dame étaler la pâte d’une manière parfaitement homogène sur les plaques brûlantes, un homme arrive avec son chien. Visiblement habitués à se voir tous les soirs, la foraine et lui font la causette. Elle lui offre une gaufre au sucre et les spaetzle qui lui restent. L’esprit de Noël donc n’est pas mort avec le capitalisme et voilà que mes quinze euros dépensés me semblent tout à coup plus légers. Quant aux quelque 50 euros de la soirée, je me fais la promesse qu’en décembre 2025, je ferai moi-même mon vin chaud, que je siroterai tranquille dans un thermos, sur la route des sapins et des lumières.


Année après année, le marché de Noël de Strasbourg bat des records de fréquentation. Malgré les efforts de la municipalité écologiste en place depuis 2020, l’événement n’échappe pas aux dérives du surtourisme. Cette année, la rédaction de Rue89 Strasbourg assume son amertume face au christkindelsmärik strasbourgeois. « L’amer Noël », une série de reportages écrits à la première personne.

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