« Pas le temps », « trop de boulot », « on est à la bourre »… Pour parler avec les commerçants qui préparaient leur stand fin novembre, il fallait s’armer de patience. Quelques jours avant le rush, ils avaient encore des décorations à mettre en place, des stocks à vérifier… Artisans ou revendeurs, beaucoup gèrent leur stand seul et se contentent de demander de l’aide à des proches pour l’installation. Comme le marché de Noël représente une part importante de leurs revenus annuels, pas question de fermer un jour dans la semaine, même si la CGT s’en offusque. Les 35 heures, ce sera pour plus tard…
Omerta chez les revendeurs
Place Broglie, les cartons éventrés ne se comptent plus entre les deux allées de chalets. L’une réservée aux confiseries et l’autre consacrée aux décorations et aux gadgets. Les marchands n’aiment pas répondre aux questions sur la provenance de leurs produits. A chaque fois, ils ont le sentiment de devoir se justifier. Un homme, la cinquantaine, porte des cartons sur son stand. A l’intérieur, des bonnets de Noël. Provenance inconnue. Quand on insiste, il s’emporte :
« Comme tout le monde on travaille. Sept jours sur sept pendant plus d’un mois et on en tire pas des millions. Il faudrait que l’on vende à perte pour qu’on nous laisse tranquilles ? »
Du côté des stands consacrés aux bibelots, la réaction est plus nuancée mais le fond de la pensée n’est pas si différent. Josiane (le prénom a été changé) est strasbourgeoise. Portes-clés, tasses à l’effigie de la région et assiettes décoratives remplissent son chalet. Pour elle, le marché de Noël, ça fonctionne « plutôt bien » en terme de ventes. Le reste du temps, Josiane est vendeuse sur les marchés de la région. Elle vient place Broglie depuis une vingtaine d’années. Elle en a 41. L’interdiction de certains produits par la ville de Strasbourg ces deux dernières années, ce n’est, selon elle, pas si dramatique :
« C’est une histoire de famille. Mes parents et mes grands-parents avaient ce stand. Maintenant, c’est à mon tour. Les restrictions, on les respecte pour garder notre place ici. On fait nos stocks en Allemagne depuis quelques temps, il y a des prix raisonnables aussi. Du côté de Colmar, on achète des porcelaines made in Alsace. Pour les touristes, c’est mieux de voir que c’est produit ici. Ils ont encore plus envie d’acheter. «
A l’extrémité du stand dont elle est propriétaire, des orgues miniatures :
« Ça, c’est du made in China, mais ça fait partie de nos stocks de l’année dernière ! Il faut quand même pas que ça nous reste sur les bras. On verra s’ils nous embêtent… Dans ce cas, on les enlèvera. Mais avec tous les efforts qu’on a fait, ils pourraient quand même faire un geste. »
A deux pas, on déballe des nappes et des sets de table. Le marché de Strasbourg, c’est une étape incontournable depuis une dizaine d’années pour cet autre commerçant. En période estivale, il prend ses quartiers dans le sud de la France. Concernant l’origine de ses produits, il est clair :
« Tout vient d’ici. On commande tous nos stocks en France. Dans le sud surtout. Ce n’est pas forcément fait main mais c’est de la bonne qualité. On mérite tout à fait notre place ici. On n’est pas là pour arnaquer les gens. »
Autrement dit, circulez y’a rien à voir.
Les artisans pas beaucoup plus bavards
Du côté des artisans, il y en a pour qui cette période nécessite un vrai déménagement. C’est le cas de Pierre Vallé et de sa mère, deux artistes venus de Nîmes qui vendent leurs tableaux en pièce unique. Près de la moitié des chalets qui se trouvent sur le parvis de la cathédrale appartiennent à des artisans venus du sud de la France. Certains les louent à la mairie, d’autres en sont propriétaires comme les Vallé. Ils participent au marché de Noël depuis 21 ans, depuis le début de l’opération « Strasbourg, capitale de Noël ». La restriction imposée par la mairie ne les concerne pas mais ils ont un avis là-dessus :
« Ce n’est que du positif. Il faut que tout le monde reste à sa place. Le marché de Noël de Strasbourg, c’est l’authenticité, la tradition. C’est bien de mériter sa place ! »
Dominique Masson vient de Gérardmer. Si au départ il faisait quotidiennement l’aller-retour entre les Vosges et Strasbourg, il a vite abandonné cette idée. Pour lui, c’est l’Etap Hotel du lundi au vendredi. Le week-end, c’est sa femme qui prend le relais. Le couple vend des bêtes empaillées et gère un magasin dans les Vosges.
« C’est un rythme de vie difficile et ça demande quelques sacrifices mais financièrement, ça vaut le coup. Disons que j’arrive à en tirer un smic. Sans cette activité, ce serait difficile. Les gens ont tendance à croire que quand on fait le marché de Noël, on se fait beaucoup d’argent. C’est une idée reçue. Quand j’apprends que la Ville interdit certains produits, je suis content. C’est une façon de valoriser notre travail à nous. »
A deux pas, Gilbert Mosser, 67 ans exhibe fièrement ses certificats d’authenticité. Voilà douze ans que le potier alsacien vend ses créations faites main au marché :
« Je viens de Betschdorf, mais je fais de la mini-poterie type Soufflenheim. Plus personne ne fait ce genre de choses aujourd’hui. Moi je travaille toute l’année dans mon atelier, j’ai une micro-entreprise et je mets en valeur notre patrimoine. »
Généralement, les chiffres d’affaires des stands du marché de Noël sont fondus dans celui, plus général, d’une activité annuelle. Devant la réticence des commerçants, livrons-nous à un petit calcul. La location d’un chalet coûte environ 3 000 pour cinq semaines, électricité comprise. Pour pouvoir se payer 1 500€, le commerçant seul doit réaliser 3 000€ de bénéfices. S’il applique une marge moyenne de 100%, son chiffre d’affaire minimal doit être d’environ 10 000€.
Diaporama sur le marché de Noël
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