Vendredi, 17h15 à l’UGC. Les équipes se pressent. Le thème (« décidé la veille pour éviter toute fuite éventuelle », précise un organisateur de La Cité de la prod) est enfin dévoilé : « L’incroyable secret ». Et pour pimenter la compétition, trois contraintes sont à respecter : inclure un sirop de menthe ainsi que la phrase « c’est pas mal je pense », et, surtout, « ne pas faire une parodie de Bref ». La salle rit un peu. Mais tout le monde a déjà commencé a cogité. En quelques minutes, la foule s’est dispersée. Déjà, il fallait être réactif pour participer. Toutes les places ont été raflées en une journée à peine.
Après Dirty night, ils veulent « faire les choses proprement »
Direction la Plaine des bouchers, au QG de l’équipe de celui qui se fait appeler « Dieu Antonio II » (« car le premier est mort »). Ils concourent dans la catégorie « confirmés ». Des mannequins en plastique démembrés jonchent le sol entre des escarpins pailletés à plateforme ; de gros projecteurs braquent un fond blanc : pas de doute, ici c’est du sérieux. « Dieu Antonio II », 27 ans, cameraman, a remporté l’année dernière le prix des organisateurs avec Dirty night.
« Le samedi après-midi, on ne savait pas encore ce qu’on allait faire. Cette fois, on a réfléchi à une idée avant d’avoir le thème, explique-t-il. On est là pour s’amuser mais on veut faire les choses proprement, on le prend très à cœur car cela peut être une belle carte de visite de gagner. »
Les membres de l’équipe, « hormis les esclaves », sont tous des professionnels : preneur de son, photographe, maquilleuse, monteuse, comédiens… Ils se lancent dans la caricature d’un soap à l’américaine, avec l’incontournable bourgeoise manipulatrice, le producteur, l’alcoolique, une Barbara, un Bryan, un Jack… Le brushing cartonné, ils lancent des œillades appuyées à la caméra. Anne-Laure monte en direct les séquences qui composeront le générique. Dieu Antonio II essaie de se pencher sur son cahier, parce que s’ils ont l’ambiance, l’esthétique du film, il leur reste à trouver l’histoire et la grande maison qui servira de décor.
Miser sur l’absurde
Quartier gare. Dans le superbe appartement de ses parents, Antoine a réuni son équipe, des copains de promo. Ils sont tous inscrit en communication à l’IUT d’Haguenau. Le marathon vidéo, pour eux, c’est une première. En classe, ils apprennent à faire de petits films publicitaires. Les absents suivent le brainstorming en vidéo conférence.
« Il faut éviter de s’éparpiller pour ne pas perdre de temps, le travail de pré-production est primordial », assure Jean-Baptiste. Ils sortent de table, visiblement repus, et pour l’instant, « le travail de pré-production » se résume à un débat philosophique autour du concept de secret. Ils craignent le hors-sujet mais voudraient pouvoir jouer sur les mots, le tout dans une ambiance à la Hitchcock. « Il faut que dans cette nuit de folie, on trouve une idée simple à développer de manière unique en évitant la private joke. »
La nuit sera longue. A force de sécher, les communicants en herbe ont rusé. Ils ont analysé les court-métrages vainqueurs des éditions précédentes pour « repérer ce qui marche ». « Deux choses font rire : l’absurde et la mise en avant des objets imposés », assure Antoine. A 1h du matin, ils décident d’abandonner Hitchcock, se rabattent sur le comique et écrivent leur scénario autour d’un personnage unique.
« Du Orange mécanique dans une version beauf – fan de tuning »
A la Krutenau, l’équipe de Vincent a tenu son idée rapidement. Ils ont la vingtaine, sont étudiants, lycéens, plutôt littéraires, branchés communication visuelle également. Ils tentent leur chance pour la deuxième fois, et Vincent de raconter :
« L’année dernière on avait fait un script incompréhensible avec une mise en abîme pourrie que nous ne comprenions pas nous-mêmes, couplée à un gros problème de son et des bugs de montage. Quand on tournait, on trouvait que c’était génial, puis au montage, on trouvait que c’était pourri et à la projection, on a eu honte. Du coup, on élimine tout ce qui fait amateur, à commencer par les dialogues, vu que personne ne sait jouer et qu’on n’a pas de micro. »
Ils penchent pour un court-métrage qui tirerait vers le clip, trois jeunes désœuvrés cassant des objets dans une friche industrielle, « du Orange mécanique dans une version beauf-fan de tuning ». Et puis, ils ont regardé les productions primées auparavant, « simplicité et musique, ça fonctionne ». Devant leur sandwich, ils sont confiants.
Le lendemain, les six étudiants ont investi l’usine désaffectée repérée quelques jours plus tôt en périphérie de Strasbourg. Vincent, secondé par la lycéenne Juliette, filme avec son réflexe numérique les trois acteurs qui évoluent dans le vaste espace en ruine. Ils tournent des arrivées, des départs, des plans à insérer entre les scènes, ils montent, redescendent, décident de profiter des rayons du soleil pour jouer avec la lumière, changent enfin d’avis pour installer quelques accessoires à pulvériser au club de golf… « On se laisse un peu porter par le lieu », avoue en souriant le grand Vincent.
Le piège à filles
Dans l’équipe de Franck, « l’incroyable secret » tient du piège à filles. Un truc imparable qui fait débuter les scènes au bar, et finir au lit. Et ça fonctionne sur toutes les femmes, des bobos aux aristos. Les amateurs, trentenaires ou presque, informaticiens, secrétaires, visiteurs médicaux, tous adeptes du théâtre d’impro, déterminent vaguement le contenu des dialogues et laissent la formulation à l’appréciation de l’interprète. Chaque phrase est tournée séparément et filmée… à l’ordinateur portable ! « Au fil des prises, on progresse, on est de plus en plus rapide sans avoir aucune connaissance du métier. On s’amuse avant tout, et puis, se voir sur grand écran c’est très sympa », sourit Franck. Question temps, « ça risque d’être juste, reconnaît-il. Le plus dur ce sera le montage cette nuit et demain, mais j’ai fait quelques essais sur le logiciel, ça devrait aller ».
Les pros de Dieu Antonio II, qui avaient commencé sur les chapeaux de roues, se sont couchés à l’aube… sans idée de scénario. On les retrouve en plein tournage samedi après-midi, une fois l’écriture terminée. Ils ont finalement déménagé dans un appartement du quartier de la bourse. Barbara fait son entrée, chaussée des interminables escarpins à paillettes. L’œil humide mais coléreux, le rouge à lèvres bien mis. Jack ne lâche pas sa bouteille de whisky. Le preneur de son guette le passage du tram, tout le monde retient son souffle, on débranche le frigo. La monteuse fait le clap, la maquilleuse prend des notes. Dieu Antonio II rectifie la position des chandeliers, des plantes vertes, il faut que ça scintille et que ce soit vaporeux. Le kitsch c’est très précis. Et l’incroyable secret ? « Il sera révélé au 15 000ème épisode. »
Y aller
Projection des 30 court-métrages, dimanche 10 juin à 19h30 à l’UGC Ciné-Cité, route du Rhin à Strasbourg. La remise des prix est à minuit. Entrée : 4€.
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