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Faute de salle, des boxeuses amateures privées d’entraînement à la rentrée

Face à l’absence de créneaux disponibles dans les gymnases de Strasbourg, l’entraineur et champion international de kickboxing Bilal Bakhouche-Chareuf doit mettre fin à un de ses cours. Il dénonce la rigidité du service des sports de la Ville de Strasbourg.

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Bilal BAKHOUCHE-CHAREUF
Bilal Bakhouche-Chareuf, 29 ans, est originaire de Strasbourg et veut participer à construire le futur de la boxe en Alsace.

« Je ne sais pas si je serai capable de refaire une année comme ça… » Dans le bureau du coach sportif, les murs sont remplis de trophées, coupe ou ceintures brillantes – Wako pro, TKR, WBC Muaytai… Perdu au milieu de la zone artisanale de Mundolsheim, le champion international de kickboxing Bilal Bakhouche-Chareuf semble dépité. Il redoute de devoir supprimer les cours de boxe pour les femmes de son club dès septembre 2024, faute de local adapté à sa pratique.

Membre du comité directeur de l’office des sports de la Ville de Strasbourg, le boxeur professionnel de 29 ans a choisi de rester à Strasbourg plutôt que de poursuivre sa carrière à l’international. Il s’emballe lorsqu’il parle de la situation de ses élèves, qu’il voit progresser et à qui il aimerait proposer des lieux d’entraînement adaptés à sa discipline. Depuis huit ans, il a pris la présidence du club « WFight Strg », où 250 licenciés et licenciées apprennent la Muay Thaï et le kickboxing. 45% de son effectif est féminin.

Sacs de boxe décrochés

Il détaille la situation :

« On faisait les cours pour les femmes à Saint-Thomas, un gymnase du centre ville, mais nous n’y aurons plus accès pour la rentrée. Nos sacs de boxe ont été décrochés. J’espère encore qu’on pourra être accueilli dans le complexe sportif des Bains municipaux, mais rien n’est décidé. Tant qu’on n’a pas de solution, il n’y a pas de cours pour les femmes à la rentrée. »

Si son club est propriétaire du matériel de boxe, des sacs de frappe, des gants et des protections, il ne dispose pas de ses propres locaux. Le club de Bilal Bakhouche-Chareuf dépend des créneaux que lui décerne la Ville de Strasbourg, propriétaire de la plupart des gymnases sur le ban communal.

En 2023-2024, le club de sport s’était vu attribuer plusieurs créneaux dans les infrastructures municipales, en majorité le gymnase Jacqueline dans le quartier d’Hautepierre, où a grandi le professeur. En tout, son club avait la possibilité de s’entraîner sept heures par semaine. « Il nous en faudrait au moins dix », estime le sportif professionnel.

14 000 créneaux de gymnases

« Il y a un gros souci d’attribution du temps dans les infrastructures sportives à Strasbourg, car parfois, je constate qu’il n’y a personne dans un gymnase qui devrait être utilisé », dénonce-t-il :

« Ne pourrait-on pas contrôler si une association utilise vraiment son créneau, la sanctionner si elle ne respecte pas son engagement pour donner plus de créneaux à celles qui en ont besoin ? »

Directeur des sports à la Ville de Strasbourg, Ludovic Huck est bien conscient de l’agacement que provoque cette situation. Chaque année en juin, les clubs remplissent un formulaire et ses services attribuent les créneaux d’utilisation des équipements sportifs, après examen des dossiers :

« Annuellement, on distribue 14 000 créneaux réguliers aux plus de 200 clubs de sport de Strasbourg. Auxquels s’ajoutent 5 000 créneaux exceptionnels, pour des évènements ou des compétitions. Un créneau dans un gymnase dure une heure, 1h30 ou deux heures. Puis il y a 19 000 créneaux scolaires. Malheureusement, chaque année, nous devons dire non à des associations qui demandent plus de créneaux d’utilisation. »

Difficile d’évaluer les besoin des clubs. Un fonctionnement de nombre de créneaux par licencié n’aurait que peu de sens, « car dans un gymnase on peut mettre plus ou moins de pratiquants en fonction du sport », précise Ludovic Huck, prenant l’exemple du basket ou du badminton et précisant que plus le niveau des sportifs monte, plus il leur faut d’espace pour s’entraîner. Les attributions sont donc décidées au cas par cas.

Un système de vérification « à l’ancienne »

Quant au contrôle du respect des temps attribués à chaque club, huit personnes sont employées par la Ville pour ouvrir et fermer les gymnases. Elles gèrent les alarmes, tous les jours sauf le dimanche, entre 17h et 23h. Ludovic Huck déplore que ce système soit encore « à l’ancienne » :

« Nous aimerions mettre en place une ouverture des gymnases par un système magnétique ou électronique. Ce qui nous permettrait de savoir quel utilisateur a actionné la porte et de contrôler le respect des créneaux horaires. Ce n’est pas encore possible mais je peux d’ores et déjà assurer qu’il n’y a aucun créneau horaire inutilisé toute l’année. »

Pas assez de créneaux, mais toujours plus de sportifs et sportives amateures. « Pour la saison 2023-2024, on a dépassé les 40 000 licenciés dans les différents types d’arts martiaux à Strasbourg », explique le directeur des sports qui pointe l’impossibilité de construire assez de gymnases pour accueillir tout le monde, par manque de temps et d’argent.

Et même lorsque les équipements sportifs sont construits, tout ne se déroule pas comme prévu :

« Par exemple, on vient de construire une salle de boxe à l’Elsau, qui devait être utilisée par trois clubs. Mais deux fondateurs d’un club se sont disputés et ont scindé leur association en deux clubs. En outre, le Département a participé à payer le gymnase, donc le collège Hans Harp a lui aussi droit à des créneaux. Résultat, de trois utilisateurs on passe à cinq et tout le monde est mécontent de n’avoir pas assez accès à l’équipement. »

Des solutions proposées, pas acceptées

Face à ces contraintes administratives, Bilal Bakhouche-Chareuf assure avoir proposé des solutions aux services des sports. Notamment celle de rénover le gymnase Jacqueline, à Hautepierre, dont les tatamis inégaux favoriseraient les blessures de ses élèves, précise-t-il. Plans en trois dimensions à l’appui, il montre les aménagements qu’il aurait aimé. L’entraineur précise que le club était prêt à payer pour ces aménagements :

« Nous avions chiffré les travaux à 40 000 euros. Nous avions demandé les subventions à la Région Grand Est et à la Collectivité européenne d’Alsace, qui avait accepté. De plus nous aurions pu contacter nos partenaires privés pour du mécénat. »

Ring de boxe escamotable, potences pour soutenir des sacs de frappe, local pour stocker le matériel, possibilité de diviser l’espace en deux pour accueillir deux pratiques simultanément… Des éléments essentiels pour garantir un entrainement efficace et adapté à ses élèves, selon le champion.

« On a accueilli sa proposition avec bienveillance, mais elle n’est pas adaptée, estime de son côté Ludovic Huck, il fallait par exemple fixer des sacs de boxe sur un mur qui n’est pas porteur ». la Ville et le sportif semblent partager la volonté de favoriser le sport, sa pratique et une plus grande coordination entre les clubs. Mais Bilal Bakhouche-Chareuf déplore le manque de flexibilité de l’administration face aux solutions qu’il propose. « Je commence à être fatigué, de me donner autant sans avoir de possibilité que ça change, au détriment parfois de ma carrière personnelle car Strasbourg n’est pas une grande ville de kickboxing », soupire-t-il, précisant qu’à 29 ans, il est plus connu à l’international que dans son propre pays.

Le sportif professionnel n’est cependant pas prêt à lâcher ses élèves. « Ma plus belle récompense serait de réussir à créer une dynamique autour de la boxe, ça me rendrait fier », précise-t-il.

La boxe, trop violente ?

Organisateurs de six évènements de boxe à Strasbourg depuis 2022, il a le sentiment que son sport pâtit de sa réputation de violence. « J’ai bien compris que la boxe ne devait pas avoir lieu au centre-ville, que c’était considéré trop violent pour être bénéfique aux enfants », lâche-t-il. Pourtant selon lui, canaliser la violence face à un sac de frappe ou sur un ring, avec des règles et des limites claires, est gagnant pour les jeunes :

« C’est intéressant de promouvoir un sport qui donne un cadre contrôlé, car il y a de la violence dans tous les sports, ça permet de s’exprimer selon des règles et à Strasbourg, je vois beaucoup de jeunes avec du potentiel. Ça leur donne aussi des ressources pour se sentir plus forts lorsqu’ils vivent du harcèlement par exemple. »

En attendant des solutions pour la rentrée de septembre, Bilal Bakhouche-Chareuf regorge d’idées pour faire rayonner son sport. « On pense déjà à faire des évènements à l’aérodrome du Polygone, avec un club de rugby ou à la patinoire », esquisse-t-il, précisant que c’est grâce au mécénat et au bénévolat que ces initiatives sont possibles.

Pour que les cours à la maison Sport-Santé des Bains Municipaux aient lieu, Bilal Bakhouche-Chareuf doit suivre une formation spécifique. « Nous avons sûrement trouvé une solution pour proposer un créneau adapté aux femmes en version mixte, c’est-à-dire des femmes venant de notre station, et d’autres avec l’option sport sur ordonnance », précise-t-il. Sans pour autant être certain, le 31 juillet 2024, que le plan soit opérationnel dès septembre.


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