« Ta main sur mon cul, ma main dans ta gueule. » « Pour que nos vies ne soient plus jamais classées sans suite. » « J’étais pas « mature pour mon âge, t’es juste un pédo. » Au pied du Palais universitaire de Strasbourg, samedi 25 novembre en début d’après-midi, les pancartes se multiplient à mesure que la foule se densifie. Pour cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, plus de 400 personnes ont bravé le froid pour répondre à l’appel à manifester de l’Assemblée féministe de Strasbourg contre les violences sexistes et sexuelles (VSS).
Il est 14h et le cortège n’est pas tout à fait prêt à partir. « La manifestation de soutien à la Palestine vient tout juste d’arriver à la gare. Nous attendons un peu afin que celles et ceux qui le souhaitent puissent nous rejoindre« , annonce une militante avant que les prises de paroles ne s’enchainent. Elles rappellent notamment que les VSS (violences sexuelles et sexistes) désignent tout acte de violence commis à l’encontre d’une personne en raison de son genre. Et qu’elles sont amplifiées lorsqu’elles s’opèrent au croisement d’autres discriminations (sociales, racistes et homophobes par exemple).
« On commence à en parler »
« Frotteurs, fachos, mascus, vous êtes les vraies insultes ». Slogan au poing, elle aussi, Capucine s’apprête à battre le pavé. Si la jeune femme juge que le regard sur les VSS a changé, elle estime qu’il y a « encore beaucoup de méconnaissance sur le sujet ». « Je viens d’entrer au lycée : des insultes sexistes comme « putes » ou « salopes » sont encore très utilisées », détaille celle qui regrette qu’il y ait « très peu d’éducation à l’école sur la question ».
« En début d’année, j’ai pris à partie un garçon qui me faisait tout le temps des réflexions sur le fait que je ne porte pas de soutien-gorge. Si je ne l’avais pas fait, ça aurait pu continuer encore un moment. » Pour la lycéenne, il est plus que jamais nécessaire que « les femmes s’organisent entre elles » :
« Ce qui a changé, c’est qu’on commence à en parler. On arrive plus facilement à discuter de ces sujets-là entre filles, à se dire par exemple: « Ce matin, je me suis fait siffler dans la rue. »
« Les choses n’ont pas vraiment évolué »
Tsipora Wertenschlag, 43 ans, n’a pas de pancarte à brandir, mais elle tenait à être là. Elle aussi salue une libération de la parole sur le sujet des VSS. « On est arrivé à pouvoir mieux le dire parce qu’il y a plein de femmes qui ont eu le courage de faire entendre leur voix« , juge-t-elle avant de citer en exemple Vanessa Springora et Camille Kouchner, toutes deux autrices d’un livre dans lequel elles dénoncent des violences sexuelles subies par elles, ou par leurs proches, au cours de leur enfance. Tsipora Wertenschlag évoque aussi les travaux de la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise) et ceux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase). « Après… bon. À part le fait de pouvoir les dire, les choses n’ont pas vraiment évolué », estime-t-elle, avant d’évoquer « les nombreuses plaintes classées sans suite ».
Mère de famille victime de violences conjugales pendant près de quinze ans, Tsipora a « découvert ce qu’étaient les VSS en en étant victime ». « J’ai fait ce que d’autres femmes ont fait avant moi : j’ai commencé à en parler et il y a eu des personnes pour m’aider, pour me dire que ce qu’il se passait n’était pas normal ». C’était en 2015, deux ans avant #MeToo. « Il y a aussi eu beaucoup de gens qui ne m’ont pas crue, qui ont dit que ce que je racontais était faux. »
Une « peur de la justice »
« Quand je sors je veux être libre, pas courageuse. » Pancarte à la main, Célia Schneider sillonne la foule à la recherche de ses amies. Quand il s’agit d’évoquer la prise de conscience collective autour des VSS, la jeune femme est plutôt circonspecte. « Oui, les choses ont un peu changé. À titre personnel, j’ai moins peur de sortir en jupe. Et maintenant, si je suis suivie quand je rentre, j’arrive à demander de l’aide à un groupe de passants. Ce que je n’osais pas faire avant« , détaille-t-elle.
Mais d’un autre côté, la Strasbourgeoise juge que « les victimes ne sont pas mieux crues ». « J’ai l’impression que les plus jeunes ont toujours peur d’en parler. Qu’elles n’osent pas aller porter plainte ». Elle évoque une « peur de la justice » et « plusieurs connaissances qui ont voulu porter plainte et à qui les policiers ont demandé comment elles étaient habillées au moment des faits ».
Sortir de l’intime
14h30. La manifestation s’élance avec une tête en « mixité choisie » – c’est à dire sans hommes cisgenres hétérosexuels – au son du slogan « Femme, vie, liberté« , porté par le cortège internationaliste. Juste derrière, un cortège de personnes « Racisé-es queer autonomes et révolutionnaires » porte une banderole contre « le patriarcat islamophobe et raciste ».
La foule remonte l’avenue de la Liberté en direction du tribunal. Au mégaphone, les mots d’ordre s’enchaînent. « Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous. De jour comme de nuit… Elle est à nous ! À pied ou en fauteuil… Elle est à nous ! Dans n’importe quelle tenue… Elle est à nous. Avec ou sans voile… elle est à nous !«
En queue de cortège, des hommes et quelques élus, parmi lesquels les députés Sandra Regol et Emmanuel Fernandes mais aussi Guillaume Libsig, Floriane Varieras et Christelle Wieder. « Il y a eu une évolution dans la prise de conscience autour des VSS, se réjouit l’adjointe à la maire de Strasbourg en charge des droits des femmes et de l’égalité de genre. Quand on allume la radio ou la télévision aujourd’hui, on entend parler de ces sujets. Il y a énormément de mobilisation médiatique sur la question et c’est une bonne chose » détaille celle qui se souvient s’être battue en tant que militante pour que le terme « féminicide » puisse un jour être utilisé en Une du Monde.
L’élue évoque également une hausse de 25% des plaintes liées aux VSS sur le secteur de Strasbourg au cours de l’année écoulée. Une augmentation qui doit beaucoup à la libération de la parole sur la question. Au fait que les personnes concernées osent davantage porter plainte. « La question a fait son chemin dans l’opinion, juge Christelle Wieder. Cela a pris du temps, mais on a sorti ce sujet du fait-divers pour en faire un fait de société ».
« Que fait la police ? Elle est complice ! » Après une petite demi-heure de marche, la manifestation arrive devant le tribunal judiciaire. Les prises de parole reprennent. Sont égrenés au micro les noms des 121 victimes de féminicides en 2023. Membre du Bloc révolutionnaire insurrectionnel féministe (Brif), Jacqueline Hubert, 69 ans, n’en est pas à sa première manifestation.
« Le mouvement #MeToo a été quelque chose de formidable. Il a permis aux victimes de violence de parler. Aujourd’hui ce n’est plus la honte alors que longtemps, ça a été la honte de se dire victime de violence. Ça a eu un effet boule de neige. On est aujourd’hui un peu mieux entendues. Mais on l’est surtout dans les milieux sensibles à ces questions, regrette la militante. Ça a été un pas, mais le mouvement #MeToo ne suffit pas. Il reste encore beaucoup de travail à faire, car les VSS restent avant tout un problème systémique. Et si on ne lutte pas contre la totalité du patriarcat, si on ne renverse pas les rapports de genre, on n’y arrivera pas. »
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