« Je n’ai mangé qu’un repas hier. Je ne sors plus dans des bars, on ne va que chez des potes pour éviter de payer trop cher. » Noa, 21 ans, est payé au Smic en travaillant pour la crèche Léa et Léo. Comme beaucoup de personnes présentes dans la manifestation intersyndicale du vendredi 13 octobre pour une hausse généralisée des salaires, Noa a de grosses difficultés financières :
« C’est fatiguant, on a des conditions de travail catastrophiques parce qu’on est en sous-effectif. Vu nos faibles revenus, plus personne ne veut faire ce boulot. C’est normal. Même avec mon CDI, j’ai été SDF pendant six mois l’année dernière parce qu’aucun propriétaire n’acceptait mon dossier. J’ai réussi à trouver un appartement en passant par une agence bienveillante. »
« Je suis SDF depuis 4 mois »
Sarah, aussi employée de la petite enfance dans une crèche de la Ville de Strasbourg, abonde :
« Moi je suis SDF depuis quatre mois, c’est une amie qui me loge, parfois c’est Noa. Je n’ose plus aller chez le médecin parce que je ne veux pas avoir des frais à avancer. Ça devient également compliqué d’acheter les protections hygiéniques. »
Dans le cortège matinal, les témoignages de personnes qui racontent la dégradation de leurs conditions de vie se succèdent. À peu près 1 500 manifestants sont présents, 2 000 selon l’intersyndicale.
Haydar, ouvrier pour l’entreprise de fabrication de boîtes de vitesse Dumarey Powerglide (ex-Punch Metal) à Strasbourg, ne s’achète plus « que le nécessaire » avec ses 2 000 euros nets par mois. « Je chauffe moins en hiver, je fais très attention en faisant mes courses, je compte tout », explique t-il. Haydar reconnait que ses collègues les plus précaires ne se sont pas mobilisés :
« Ceux qui sont au Smic ne viennent pas marcher. Une journée de grève, ça leur ferait 100 euros bruts en moins, c’est impossible. Moi je ne débraye que quatre heures ce matin, j’aurai environ 45 euros nets de moins sur ma feuille de paie. »
« Je n’achète plus de produits de qualité »
« Les gens sont résignés, ils ont l’impression que ça ne sert plus à rien donc ils ne se mobilisent pas », commente un homme à côté, gilet CGT sur ses épaules. Et de fait, quel pourrait être l’impact de cette marche matinale, qui a eu lieu dans d’autres villes de France au même moment, après le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites malgré une mobilisation massive et exceptionnelle ?
Laurent Feisthauer, secrétaire départemental de la CGT, rappelle que la mobilisation de vendredi est européenne : « En ayant les mêmes revendications syndicales dans plusieurs pays, nous pouvons peser sur les politiques européennes. C’est aussi à ce niveau que se décident les politiques d’austérité. » La manifestation a lieu le matin « parce que de nombreux travailleurs sont en RTT (réduction du temps de travail) le vendredi après-midi », glisse un syndicaliste de Solidaires.
En attendant, Nicole Obergfell, secrétaire médicale à Haguenau et secrétaire départementale Unsa Santé sociaux, ne voit pas sa fiche de paye augmenter, 2 000 nets après 30 ans d’ancienneté :
« Il y a quelques années, j’allais au cinéma ou au restaurant une ou deux fois dans le mois. Maintenant, c’est une fois tous les trois mois. Je n’achète plus des produits de qualité quand je fais les courses, le bio c’est fini. »
Lucienne Brasseur, permanente pour Unsa territoriaux, estime que les fonctionnaires territoriaux sont particulièrement lésés :
« Les fonctionnaires d’État ont une prime exceptionnelle pour le pouvoir d’achat, qui va de 300 à 800 euros. Pour les agents territoriaux, c’est au bon vouloir des administrations. De nombreuses communes n’ont pas les moyens de le faire. Evidemment, beaucoup de ces emplois sont déjà précaires comme les Atsem ou les femmes de ménage… »
Une déambulation jusqu’au Parlement européen
Les manifestants déambulent dans des rues presque désertes en direction du Parlement européen, au rythme du groupe de musique de la CGT. En tête de cortège, un groupe de jeunes notamment affiliés aux syndicats Solidaires étudiant et Alternative étudiante, donne de la voix.
Antoine Splet, élu communiste de l’Eurométropole, distribue des tracts pour un rassemblement devant l’Hôtel de la Collectivité d’Alsace mardi 17 octobre à midi :
« Le Département a bouclé son exercice 2022 avec un excédent de 262 millions d’euros. Ce n’est pas ce qu’on demande à une administration publique. Avec ça, ils pourraient lutter contre la précarité, en proposant des tarifications solidaires dans les cantines des collèges ou des mesures supplémentaires pour protéger les enfants en danger. »
À quelques mètres, Nicolas et Clothilde, respectivement comédien et scénographe, portent une bannière ciglée « Intermittents ». « J’ai un enfant et entre 1 500 et 2 000 nets donc c’est chaud », constate Nicolas. Clothilde est « plutôt à 1 300 euros nets ». « Je m’en sors parce que je suis en colocation, je n’ai pas de voiture ni d’enfant à charge », affirme la jeune scénographe. Les deux craignent qu’une proposition du Medef, économiser 15% sur des annexes du régime de l’assurance-chômage, aboutisse à une baisse des salaires et des cachets.
Arrivés devant le Parlement européen, protégé par un dispositif policier, des représentants des syndicats prennent la pose devant l’imposant bâtiment avec leur banderole : « Contre l’austérité, pour les salaires et l’égalité femmes-hommes. » La date de la prochaine mobilisation n’est pas encore fixée selon Laurent Feisthauer.
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