C’est le lieu qui pose problème. « On ne s’oppose pas à ce que le groupe Mack s’installe en France » explique Yeliz Gencer, du collectif environnemental alsacien le Chaudron des Alternatives. « Ce qui nous fait de la peine, c’est qu’on va artificialiser des terres pour un projet qui pourrait largement se construire sur des friches industrielles de l’Eurométropole. » Ce collectif, ayant beaucoup lutté contre l’implantation d’Amazon en Alsace, prévoit une « déambulation bruyante et joyeuse » au départ du parvis de la mairie de Plobsheim à 18h vendredi 17 septembre jusqu’au site convoité par le projet MackNeXT, où doit s’installer le siège social français et un centre de « divertissement immersif » du groupe Mack International.
La manifestation s’inscrit dans une journée nationale de mobilisation militante contre des projets estimés nocifs pour l’environnement en France.
Cadre naturel et proximité du golf comme arguments de vente
La critique centrale des opposants alsaciens au projet MackNeXT porte sur le choix du terrain, au sud-est du village de Plobsheim, limitrophe au terrain de golf du Kempferhof. Étendu sur 2,9 hectares, le site est pourtant classé Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Zineff 2). Il est cultivé par quatre agriculteurs (dont un en agriculture biologique) et fréquenté par des espèces protégées, qui profitent des zones humides et du cours d’eau du Muehlgiessen. Le territoire est traversé par un corridor écologique qui sert à plusieurs espèces pour se déplacer et se développer. Le terrain visé est en outre distant d’un kilomètre d’une zone doublement classée Natura 2000, le long du Rhin.
Pour pouvoir construire sur ce site, il fallait un « régime d’exception », dixit une délibération du conseil municipal de Plobsheim, pour modifier les schémas d’urbanisme. Ces espaces naturels et agricoles sont normalement inconstructibles, car il s’agit d’une « zone écologique ou paysagère sensible à préserver », selon le Schéma de cohérence territorial de la Région de Strasbourg (Scoters).
Le groupe Mack International, propriétaire d’Europa Park, cherche à s’installer en France mais sans trop s’éloigner de son siège historique à Rust, en Allemagne. Son projet MackNeXT devrait créer 15 emplois à son ouverture et jusqu’à 50 emplois directs à terme. Ce site de « divertissement immersif » (bureaux, studio, « résidences créatives » pour projets de réalité virtuelle et animations 3D) prévoit également l’accueil du siège social français du groupe Mack International dans des locaux de 6 000 m².
L’Eurométropole de Strasbourg et la Ville de Plobsheim ont déjà approuvé l’arrivée du groupe Mack International sur ces terres naturelles alsaciennes. Suite à une enquête publique menée au printemps 2021, ce projet a été intégré aux plans d’urbanisme locaux (Scoters, PLU, PLUi) et déclaré d’intérêt général à travers des délibérations votées au conseil municipal de Plobsheim (14 juin), du comité syndical du Scoters (22 juin) et du conseil de l’Eurométropole de Strasbourg (25 juin).
D’autres lieux possibles pour éviter l’artificialisation
Les collectifs environnementaux reprochent au projet MackNeXT d’artificialiser ces sols inutilement, alors que des solutions alternatives viables existent dans les environs de Strasbourg. Ils reprochent également au porteur de projet et aux instances décisionnaires de « ne pas tenir compte des avis des citoyens ayant participé à l’enquête publique », ni de celui de divers instances comme la Mission régionale de l’autorité environnementale (MRAe) qui a rendu un avis critique sur MacNeXT.
La MRAe s’interroge sur le principe de ce « type de projet dont l’intérêt général doit être démontré, dans un espace agricole et naturel actuellement préservé » et elle rappelait que « le choix du site devra[it] être fait après l’étude de solutions de substitution raisonnables au sens du Code de l’environnement. »
L’Autorité environnementale préfère Illkirch
Dans son avis d’octobre 2020, l’Autorité environnementale conclut que l’option du Parc d’Innovation d’Illkirch-Graffenstaden présentait « l’avantage de concilier le respect de la préservation de l’environnement avec les intérêts économiques et sociétaux. » Elle justifie cette alternative bénéficiant « d’une réserve foncière de 50 hectares sur un site déjà anthropisé (c’est à dire déjà modifié par l’homme et s’éloignant de l’état naturel, NDLR) permettant de ne pas consommer d’espaces naturels et agricoles ». En conclusion, cette structure environnementale indépendante ne pouvait « se ranger aux conclusions de l’étude des scénarios alternatifs présentée [par le porteur de projet] qui conduit à privilégier la compensation à l’évitement ».
Les opposants font de ce constat de la MRAe l’un de leur principal argument : ils estiment que le principe « ERC » (Éviter Réduire Compenser) inscrit dans la loi n’est pas respecté. Il serait possible « d’éviter » ces dégâts sur l’environnement, en choisissant un autre lieu, plutôt qu’avoir à réduire et compenser l’impact du projet en plantant des arbres par exemple.
Yeliz Gencer poursuit :
« Même s’il y a beaucoup de mesures compensatoires annoncées, et que la famille Mack est plus rigoureuse que d’autres sur leur respect, on interroge la pertinence d’aborder les mesures compensatoires sans réellement évaluer des mesures d’évitement. »
Yeliz Gencer – membre du collectif le Chaudron des Alternatives
« Résidence créative » et siège social sur terres agricoles et espaces naturels
En dépit des alternatives, le groupe Mack insiste pour occuper ce lieu précis en raison de son « cadre serein » qui « favorise la création, l’innovation et la confidentialité ». La proximité du golf est listé comme un « atout majeur » pour le projet. Un autre argument, qui élimine le site d’Illkirch-Graffenstaden, est la demande d’une distance maximale de « 40 minutes de route » avec le site de Rust. Le Parc d’innovation d’Illkirch est à 44 minutes d’Europa Park, contre 35 pour le site de Plobsheim…
Dans une note de présentation de MackNeXT adjointe au dossier d’enquête publique en décembre 2020, l’entreprise défend son choix face à d’autres alternatives étudiées :
« Le Parc d’innovation de Strasbourg présentait des atouts pour son accessibilité et son positionnement sur les nouvelles technologies, mais ne proposait pas un cadre naturel suffisamment isolé. Par ailleurs, les terrains plus isolés situés au Sud du Parc d’innovation n’étaient pas ouverts à la commercialisation, la viabilisation de cette partie n’étant pas engagée. […] Le site de Plobsheim en proximité immédiate avec le Golf du Kempferhof, qui jouit d’une réputation européenne, répond à l’ensemble des critères souhaités par les dirigeants. L’acquisition foncière est en cours de réalisation en accord avec les propriétaires et les exploitants agricoles. »
La commissaire enquêteur estime que l’environnement est pris en compte dans son rapport
Dans les conclusions de l’enquête publique (qui a eu lieu en période de confinement), rendues le 28 mai, la commissaire enquêtrice Nicole Milani, déclare que « la prise en compte des enjeux environnementaux est réelle et que les mesures de compensations sont suffisantes ». Au sujet du choix du site, elle indique que « la commune de Plobsheim ne possède pas de zone d’activité industrielle et considère que cette implantation est une opportunité à saisir » et que les analyses du dossier « confirment l’intérêt général en matière d’attractivité transfrontalière, de recherches innovantes, de synergie avec les acteurs locaux » et « participe au rayonnement métropolitain ». Elle a donc donné un avis favorable avec recommandations au projet dans son rapport d’enquête. Elle estime dans son rapport que ce projet « tend à limiter au maximum l’artificialisation » des sols, en limitant les espaces bâtis à 30% de l’emprise totale.
Néanmoins, suite à l’enquête publique et l’avis de la MRAe, certaines des zones importantes de l’espace naturel et agricole sont retirées de l’emprise du projet MackNeXT, empiétant moins sur le corridor environnemental.
Rencontre en juin avec les élus
Le 16 juin, deux membres du Chaudron des Alternatives ont pu rencontrer Danielle Dambach, vice-présidente (EELV) de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), ainsi que Michèle Leckler, maire (SE) de Plobsheim, et Guillaume Simon, directeur du service aménagement du territoire et projets urbains de l’EMS. Yeliz Gencer est ressortie outrée de l’entrevue :
« On nous a indiqué lors de cet entretien que la famille Mack avait une contrainte principale. C’était d’être dans une bulle de vert et que d’être à côté du Golf était prépondérant dans leur cahier des charges. On est d’autant plus surpris, déçus et agacés qu’on se disait qu’avec une collectivité écologiste, ce genre de projet ne verrait plus le jour. Pour des projets enclenchés par la municipalité précédente, on peut comprendre qu’ils ne puissent pas agir, mais là ils ont tout le pouvoir. »
Les deux militants reprochent à la collectivité de fixer des règles d’urbanismes « plus contraignantes pour les citoyens que pour les grandes entreprises qui ont des passe-droits ». Dans son Plan Action Climat, la nouvelle municipalité indique que « la reconquête des friches est également au cœur du dispositif ». Même le gouvernement, prévoit dans son projet de loi « climat et résilience » un objectif de « zéro artificialisation nette ».
D’autres projets alsaciens du groupe Mack dans le viseur du collectif
Si le Chaudron des Alternatives est si actif sur ce projet du groupe Mack International, c’est aussi parce qu’un autre projet du groupe doit se mettre en place en Alsace. Un complexe hôtelier sur plus de 150 hectares (Europa valley) est à l’étude traversant le Ried, donc des zones humides, des espaces naturels et des terres agricoles. Un autre projet de téléphérique traversant le Rhin est également en cours d’étude, bien que gelé pour le moment. Le collectif redoute qu’une fois réalisé, le projet MackNeXT devienne un argument pour pousser et justifier ces autres projets, tous nocifs pour l’environnement.
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